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CHEZ l’humanité, la reconnaissance de la beauté en tant que telle implique l’idée de laideur, et la reconnaissance du bien implique l’idée du mal. Il existe la même relation mutuelle entre l’existence et la non-existence en matière de création ; entre la difficulté et la facilité en matière d’accomplissement ; entre le long et le court en matière de forme ; entre le haut et le bas en matière d’élévation ; entre l’aigu et le grave en matière de hauteur musicale ; entre l’avant et l’après en matière de priorité.
La nature n’est pas bienveillante ; avec une indifférence impitoyable, elle fait servir toutes choses à leurs fins, tels les chiens de paille que nous utilisons lors des sacrifices. Le Sage n’est pas bienveillant : il utilise les gens avec la même inexorabilité.
L’espace entre le Ciel et la Terre, n’est-il pas comme un soufflet ? Il est vide, mais inépuisable ; lorsqu’il est mis en mouvement, il en sort de plus en plus.
Le Ciel et la Terre sont durables. La raison pour laquelle le Ciel et la Terre peuvent durer longtemps est qu’ils ne vivent pas pour eux-mêmes, et qu’ils sont donc capables de perdurer.
Trente rayons s’unissent en une seule nef ; l’utilité [p.44] de la charrette dépend du centre creux dans lequel tourne l’essieu. L’argile est moulée en un récipient ; l’utilité du récipient dépend de son intérieur creux. Des portes et des fenêtres sont découpées pour construire une maison ; l’utilité de la maison dépend des espaces vides.
Ainsi, si l’existence des choses peut être bonne, c’est leur inexistence qui les rend utiles.
Quand le Grand Tao tombe en désuétude, la bienveillance et la droiture reviennent à la mode. Quand la ruse et la sagacité apparaissent, une grande hypocrisie prévaut. C’est lorsque les liens de parenté se défont que naissent la piété filiale et l’affection paternelle. C’est lorsque l’État est en pleine ébullition révolutionnaire que surgissent les patriotes loyaux.
Débarrassez-vous de votre sainteté, débarrassez-vous de votre sagacité, et le peuple en bénéficiera au centuple. Abandonnez la bienveillance et abolissez la droiture, et le peuple reviendra à la piété filiale et à l’amour paternel. Renoncez à vos intrigues et abandonnez le gain, et les voleurs et les brigands disparaîtront. Ces trois préceptes signifient que l’apparence extérieure est insuffisante, et c’est pourquoi ils nous enjoignent d’être fidèles à notre nature profonde : faire preuve de simplicité, adopter la franchise, réduire l’égoïsme, modérer les désirs.
La variété des couleurs rend l’œil de l’homme aveugle ; la diversité des sons rend l’oreille de l’homme sourde ; Un mélange de saveurs engourdit le palais de l’homme.
Celui qui connaît les autres est intelligent, mais celui qui se connaît lui-même est éclairé. Celui qui surmonte les autres est fort, mais celui qui se surmonte lui-même est plus puissant encore. Est riche celui qui sait [ p. 45 ] quand il en a assez. Celui qui agit avec énergie a une force de détermination. Celui qui ne bouge pas de sa place est durable. Celui qui meurt, mais ne périt pas, jouit d’une véritable longévité.
Si vous voulez vous contracter, vous devez d’abord vous étendre. Si vous voulez affaiblir, vous devez d’abord vous renforcer. Si vous voulez renverser, vous devez d’abord vous élever. Si vous voulez prendre, vous devez d’abord donner. C’est ce qu’on appelle l’aube de l’intelligence.
Celui qui est le plus parfait semble manquer de quelque chose ; pourtant ses ressources ne sont jamais épuisées. Celui qui est le plus plein semble vacant ; pourtant ses usages sont inépuisables.
L’extrême droiture est aussi mauvaise que la maladresse. L’extrême habileté est aussi mauvaise que la folie. Une fluidité extrême est aussi néfaste que le bégaiement.
Ceux qui savent ne parlent pas ; ceux qui parlent ne savent pas.
Abandonnez l’apprentissage et vous serez libéré des ennuis et de la détresse.
L’échec est le fondement du succès et le moyen par lequel il est atteint. Le succès est le repaire de l’échec ; mais qui peut dire quand viendra le tournant ?
Qui agit détruit ; qui saisit perd. C’est pourquoi le Sage n’agit pas et ne détruit pas ; il ne saisit pas et ne perd pas.
Seul celui qui ne fait rien pour sa vie peut véritablement estimer sa vie.
L’homme à sa naissance est tendre et faible ; à sa mort, il est rigide et fort. Les plantes et les arbres à leur naissance sont tendres et croquants ; morts, ils sont secs et coriaces. Ainsi, la rigidité et la force sont les corollaires de la mort ; la mollesse et la faiblesse sont les corollaires de la vie.
Ainsi, le guerrier fort ne conquiert pas ; l’arbre fort est abattu. C’est pourquoi le fort et le grand occupent la place inférieure ; le mou et le faible la place supérieure.
Il n’y a rien au monde de plus mou et de plus faible que l’eau, et pourtant, pour attaquer ce qui est dur et fort, rien ne la surpasse, rien ne peut la remplacer.
Le mou triomphe du dur ; le faible triomphe du fort. Nul au monde ne connaît cette vérité, et nul ne peut la mettre en pratique.
Les sages n’ont pas un vaste champ d’études ; ceux qui s’étendent le plus loin ne sont pas sages.
Le Sage ne se soucie pas d’accumuler. Plus il utilise pour le bien des autres, plus il possède. Plus il donne à ses semblables, plus il possède de lui-même.
Les dictons les plus vrais sont paradoxaux.