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QUAND vous priez, dites Notre Père : [1] « Il y a de la joie au ciel pour un seul pécheur qui se repent » :[2] « L’amour du Christ nous presse. »[3] Il n’est pas nécessaire de donner la source de ces citations : suivons-les avec d’autres qui ne nous sont pas aussi familières. « Il n’y a qu’un seul Dieu vivant et vrai, éternel, sans parties corporelles ni passions ; d’une puissance, d’une sagesse et d’une bonté infinies ; le Créateur et le Conservateur de toutes choses visibles et invisibles. Et dans l’unité de cette Divinité, il y a trois Personnes, d’une seule substance, puissance et éternité. » « La Sainte Église catholique apostolique romaine croit et professe qu’il y a un seul Dieu vivant et vrai, Seigneur du ciel et de la terre, omnipotent, éternel, immense, incompréhensible, infini en intellect et en volonté en toute perfection : qui, étant Un, Singulier, Absolu, Simple, Immuable, Substance Spirituelle, doit être considéré comme distinct réellement et par essence du monde. » La première est tirée des Articles de religion de l’Église d’Angleterre, la seconde des Décrets du Concile du Vatican. Lorsque nous comparons ces citations de formules dogmatiques à des déclarations comme celles par lesquelles nous avons commencé ce chapitre, nous prenons conscience d’une profonde différence. Ce n’est pas tant que les unes semblent contredire les autres, mais qu’elles appartiennent à des mondes mentaux différents et présupposent des attitudes d’esprit tout à fait différentes. Le contraste que nous percevons est, bien sûr, celui entre la [ p. 90 ] religion et la théologie. Toutes nos citations traitent du même sujet, elles sont toutes tirées de documents faisant autorité dans l’Église : mais il existe une profonde divergence d’esprit. Les unes sont l’expression directe de l’expérience religieuse, les autres une tentative de formuler cette expérience en termes abstraits.
Il n’est pas nécessaire de s’attarder sur l’évidence de la distinction réelle entre religion et théologie. Mais, tout comme il est erroné de négliger cette distinction, il est erroné de l’exagérer. Par exemple, nous aurions tort d’affirmer sans ambages que, tandis que la théologie s’intéresse à la raison et vise la clarté intellectuelle, la religion, en tant que telle, n’a pas cette préoccupation. Nous avons déjà vu des raisons de croire qu’un élément intellectuel entre dans toute expérience religieuse. On ne peut pas la décrire à juste titre comme un simple sentiment, comme Schleiermacher avait parfois tendance à le faire, ni comme la satisfaction d’un besoin moral, induisant, selon l’expression de Spinoza, « l’obéissance plutôt que la connaissance ». Toute religion, comme Croce l’a vigoureusement soutenu, comporte implicitement une vision du monde et ne peut donc être radicalement distincte de la philosophie. On ne peut encore moins soutenir qu’il existe une distinction absolue entre religion et théologie.
L’objectif principal de ce chapitre est d’attirer l’attention sur certains défauts et difficultés de la théologie chrétienne traditionnelle dans son approche de la doctrine de Dieu. L’analyse sera nécessairement générale, car nous ne nous engageons pas dans une étude historique, et se limitera aux points particulièrement intéressants pour notre objectif de construction d’une doctrine de Dieu en harmonie avec les modes de pensée modernes. Je tiens cependant à préciser expressément que je ne comprends pas le mépris ignorant si répandu à l’égard de la reine des sciences. L’homme [ p. 91 ] intelligent n’interprète pas la critique de certaines théories admises dans d’autres branches du savoir comme une attaque contre l’étude elle-même, et il ne faut pas reprocher à la théologie que certaines de ses conclusions soient sujettes à révision. Et il est regrettable que les détracteurs de la théologie trouvent des alliés au sein même de la foi. J’ai même entendu dire que les candidats à l’ordination devraient être encouragés à consacrer la majeure partie de leur temps à d’autres matières, comme l’histoire moderne ou même la biologie, et acquérir quelques notions de théologie à la fin de leurs études. Ceux qui partagent ce point de vue considèrent peut-être l’étude de la théologie comme la « reproduction » des grandes lignes de la foi catholique ou de la religion protestante des manuels scolaires. Il ne s’agit certes pas d’une éducation libérale ; mais la théologie, noblement conçue et étudiée, représente le plus ambitieux des efforts intellectuels, car la pensée humaine sur Dieu concentre en elle l’histoire de la culture humaine. Aujourd’hui, nous avons besoin non pas de moins, mais de plus et de meilleure théologie. Comme l’a dit le Père Tyrrell : « Les fausses théories politiques et économiques ont ouvert la voie à la vérité au prix de beaucoup de mal que l’instinct et le bon sens auraient évité ; les mauvaises théologies ont freiné la croissance spontanée de la religion, mais la tentative théologique doit échouer et faire du mal avant de pouvoir réussir et faire du bien. »[4] Il se peut que la voie soit maintenant ouverte à une théologie plus pleinement en contact avec la vie religieuse de la chrétienté que ce qui était possible dans les générations précédentes.
La fonction principale de la théologie est d’agir comme intermédiaire entre la philosophie et la religion. L’impact direct de la science sur la religion est faible, bien qu’indirectement, ses progrès produisent des effets profonds sur les déclarations de foi. En général, cependant, [ p. 92 ] les changements de la théorie scientifique produisent leur première réaction en philosophie et, par conséquent, sur la pensée religieuse. Par exemple, l’idée d’évolution, tant qu’elle demeure une hypothèse biologique, n’entre en contact qu’avec les éléments les moins fondamentaux du système chrétien ; elle soulève la question de l’autorité et de l’interprétation de la Genèse. Mais lorsque l’évolution est adoptée comme conception philosophique et qu’une théorie générale de la Réalité se fonde sur elle, nous sommes confrontés à des problèmes qui touchent aux racines de notre croyance en Dieu et à sa relation avec le monde. Le théologien ne s’intéresse pas exactement aux mêmes problèmes que le philosophe et ne suit pas la même méthode. Il part de données et se préoccupe principalement de leur interprétation. Il commence par une « révélation », une expérience de Dieu qu’il accepte comme donnant la loi à sa pensée. Mais comme toute donnée et toute expérience, elle doit être comprise, réfléchie et mise en harmonie avec le reste de la vérité acceptée. Les connaissances, expériences ou données qui ne sont pas liées à l’ensemble de notre pensée sont vouées, à long terme, à être inefficaces et transitoires ; et le travail théologique n’est donc pas un exercice superflu, mais une nécessité permanente de la religion elle-même. Sans elle, une religion peut difficilement survivre. De même qu’une religion « purement spirituelle », au sens d’une religion non organisée, ne peut espérer se maintenir comme une force sociale considérable, mais doit s’organiser pour s’adapter à son environnement social, de même une expérience religieuse totalement informulée et non rationalisée ne peut survivre comme élément de la culture humaine.
Il est bien sûr a priori possible que la pensée de n’importe quelle époque soit inadéquate à la tâche de formuler la réalité spirituelle – la révélation – dont la théologie [ p. 93 ] est concernée. Nous pouvons aller plus loin et ajouter que, si par révélation nous entendons la révélation de Dieu, cette inadéquation est non seulement possible, mais certaine. Néanmoins, la théologie doit travailler avec les matériaux disponibles ; elle doit être influencée par le système d’idées actuel et doit les utiliser à son profit. La thèse principale de ce chapitre peut être formulée très simplement. Nous sommes peut-être presque trop familiers avec l’appel à la reformulation ou à la transformation de la théologie chrétienne, et en particulier à l’élargissement et à l’approfondissement de notre doctrine de Dieu. On ajoute généralement que cette reformulation est exigée par notre nouvelle vision de l’univers physique, issue des progrès sans précédent des sciences naturelles. Personne ne serait assez fou pour mettre en doute la véracité de cette affirmation ; mais les chrétiens semblent souvent considérer comme une regrettable nécessité la révision de notre théologie. On suppose que nous serions mieux lotis si nous pouvions rester solidement ancrés dans l’ancienne forteresse dogmatique. Je voudrais suggérer que ce n’est pas tout à fait vrai. La construction théologique a toujours été inadéquate, et son imperfection n’est pas simplement due à des contradictions découvertes entre elle et les connaissances modernes, mais à une cause plus générale. Elle n’a jamais réussi, en réalité, à rendre justice aux données qu’elle devait interpréter.
La pensée chrétienne dans son ensemble offre un spectacle curieux, qui, à ma connaissance, n’a pas d’équivalent ailleurs. Elle est imprégnée d’une sorte d’inquiétude créatrice due à une tension intérieure. La cause de cette tension est l’incommensurabilité entre les affirmations religieuses d’une part – l’expérience qui est au cœur de l’Évangile – et les déclarations théologiques d’autre part. Le Nouveau Testament lui-même est à la fois le fondement et le solvant de la doctrine chrétienne ; la source [ p. 94 ] d’où elle jaillit et la source aussi de son remodelage continuel.
Trois éléments ont contribué à la structure de la théologie chrétienne. Premièrement, l’élément que nous avons déjà traité : l’expérience chrétienne, la loyauté et la dévotion au Christ, ainsi que l’assurance de l’amour de Dieu en Lui. C’est là le « donné » de la théologie chrétienne, et il se renouvelle constamment de génération en génération, tandis que les esprits humains vibrent à nouveau, par l’intermédiaire des Écritures, de l’émotion créatrice des premiers jours de la foi chrétienne. Deuxièmement, la parole écrite des Écritures est entrée dans la structure de la doctrine chrétienne comme un élément distinct. L’Église a hérité du judaïsme un dogme d’inspiration verbale de la Bible, qui a été étendu au canon du Nouveau Testament et a joué, à bien des égards, un rôle désastreux dans l’histoire chrétienne, nulle part plus déplorable que par son influence sur l’idée de Dieu. Bien que, dans une certaine mesure, la théorie d’une signification « mystique » de l’Écriture, autorisant une interprétation allégorique de passages difficiles à concilier avec l’enseignement du Nouveau Testament, ait atténué le mal, c’était au prix de suggérer une conception mécanique et quasi magique de la révélation, qui, même aujourd’hui, n’a pas totalement disparu de l’Église. N’oublions jamais que les auteurs de la doctrine traditionnelle de Dieu étaient, pour la plupart, soumis au dogme d’un livre infaillible et étaient donc contraints d’intégrer dans leur construction théologique les actes et les commandements de la divinité tribale d’Israël[5].
Le troisième élément, qui nous intéresse ici principalement, est l’élément philosophique – les présuppositions intellectuelles [ p. 95 ] et les concepts qui ont, dans une large mesure, déterminé la forme du système théologique.
Des auteurs comme le Dr Inge nous disent souvent que le platonisme est la nourrice aimante du christianisme, et si l’on entend par christianisme la théologie chrétienne, cette affirmation est historiquement vraie. Même si nous sommes enclins à penser que le temps est venu de se passer des services de la nourrice, non sans une juste gratitude, nous ne pouvons nier que le platonisme a fourni la conception générale de l’univers dans laquelle le message chrétien s’est inscrit et auquel il s’est très tôt adapté. Philon avait déjà tenté d’enrôler Platon au service de la religion révélée, pensant avoir trouvé dans le système platonicien un fondement philosophique pour le judaïsme. Le Nouveau Testament lui-même présente des traces évidentes d’un mode de pensée qui, s’il n’est pas précisément platonicien, est influencé par le même courant d’idées. L’Épître aux Hébreux, par exemple, est un étrange mélange d’images de l’Ancien Testament interprétées à la manière platonicienne. Parmi les premiers écrivains chrétiens, les apologistes étaient naturellement les premiers à revendiquer le soutien de leur foi auprès des maîtres philosophiques reconnus de Grèce. Parmi eux, aucun ne pouvait se comparer à Platon, par son autorité et sa profonde conviction religieuse. Clément d’Alexandrie et Origène furent les maîtres qui poursuivirent cette ligne de pensée de la manière la plus systématique. Pour eux, le christianisme, dans sa forme la plus élevée, était une sorte de γνωσις, ou plutôt le γνωσις dont tous les autres n’étaient que des approximations, et entre leurs mains, l’idée de Dieu, bien comprise, était celle d’un Deus philosophorum.
L’alliance de la pensée chrétienne avec la tradition plus spirituelle de la philosophie grecque était sans doute inévitable et eut des conséquences de la plus haute importance. Sans cette [ p. 96 ] alliance, l’Évangile n’aurait jamais pu être recommandé aux classes cultivées. Mais ses conséquences sur la doctrine de Dieu n’étaient peut-être pas entièrement admirables et constituaient au moins une source de confusion. Les parties de l’enseignement platonicien, qui avaient pénétré la philosophie courante et furent adoptées par les platoniciens chrétiens, n’étaient pas celles où le philosophe s’exprime comme un simple abus, comme dans les Lois, mais celles où il développe sa métaphysique transcendante du monde idéal et de l’idée suprême du Bien qu’est έπέκεινα της ούσιας.
Dans le néoplatonisme, ces aspects de la pensée de Platon furent en partie fusionnés avec la métaphysique tout aussi transcendante d’Aristote ; et Plotin donne naissance à un système philosophique très compact où la Source divine de toute existence est l’Un éternel et ineffable, duquel émanent tous les degrés de l’être. Ce système ne provient pas entièrement de Plotin. Ses principes fondamentaux étaient déjà monnaie courante dans les cercles platoniciens lorsque Plotin élabora sa philosophie mystique, selon laquelle l’Être suprême, l’Un, est au-delà de la connaissance, de sorte qu’aucune affirmation ne peut être faite à son sujet ; ce n’est que dans l’extase que l’esprit humain peut s’unir à lui. On trouve même chez Clément d’Alexandrie une conception de la nature de Dieu qui, dans son essence, ne diffère guère de celle-ci. Pour lui comme pour Plotin, Dieu est l’Un infini et innommable, l’impensable, au-delà même de l’unité abstraite. Il est vrai que Clément et Origène, chrétiens, soutiennent que le Dieu inconnaissable a été révélé par la Parole de Dieu et en la Personne de Jésus ; mais la tradition chrétienne, l’expérience vécue et le concept philosophique de la divinité ne fusionnent jamais. Ils se côtoient dans la pensée des [ p. 97 ] platoniciens chrétiens, tels des ruisseaux séparés ou se mélangent comme l’huile et l’eau, sans jamais former un tout réel. Si on leur demande ce qu’est réellement Dieu, ils doivent répondre en termes de transcendance platonicienne et non de personnalisme chrétien. Selon les mots d’un éminent écrivain américain, « Dieu n’est pas vraiment pour Clément le Jéhovah qu’il est représenté dans la Loi et les Prophètes, capable d’amour, de sympathie et d’indignation, pas vraiment le Père tel que Jésus le connaissait… ces sentiments ne lui sont attribués que par une sorte d’économie de condescendance envers la faiblesse humaine, alors qu’en fait il est éternellement et absolument atreptos, sans mouvement ni émotion d’aucune sorte. »[6]
C’est un fait capital dans l’histoire de la pensée chrétienne que, dès son apparition en tant que système de croyances acceptable par des hommes raisonnables et instruits, elle a nécessairement adopté, dans le milieu intellectuel, une conception de la nature essentielle du Divin, issue d’un type de philosophie très important, mais néanmoins particulier, et sans lien direct avec l’expérience hébraïque et chrétienne de Dieu. L’idée personnelle ou, selon les termes du Dr Schwartz, « psychologique » de Dieu, issue de la Bible hébraïque, s’accompagne du Deus philosophorum, le concept abstrait de Déité. Cette conception philosophique présuppose que la Déité puisse être définie en elle-même et pour elle-même. Les qualités caractéristiques de la Déité sont à l’opposé des qualités humaines. Le Divin est l’éternel par opposition au temporel, l’autosuffisant par opposition au dépendant et à l’incomplet. Dieu est l’Unité transcendante, autosuffisante et éternelle. Les conséquences de cette conception transcendante de Dieu, avec son implication que le Divin est avant tout [ p. 98 ] ce qui est autre que l’humain et le temporel, se voit le plus clairement dans les controverses concernant la Personne du Christ. Incontestablement, l’intérêt religieux dans ces disputes était l’enjeu suprême. Rien de moins n’était en jeu que la préservation du fondement de la vie et du culte chrétiens : Dieu en Christ et la rédemption par la croix. Il ne fait aucun doute que, compte tenu du problème tel qu’il était formulé dans les termes alors disponibles, les réponses de l’Église catholique étaient justes et ont effectivement préservé la substance de l’Évangile. Le problème était de trouver une affirmation de la croyance de l’Église sur le Christ qui soit en harmonie avec le monothéisme. Même les historiens du dogme les plus conservateurs, cependant, admettent que la valeur des décisions des grands Conciles est principalement négative.[7] Ils excluent des solutions au problème qui auraient abruti la foi chrétienne centrale et, en fin de compte, détruit l’expérience chrétienne caractéristique, mais ils ne parviennent pas à produire une doctrine réellement cohérente de la nature du Verbe incarné ; ils énoncent plus clairement les conditions du problème, mais ils ne le résolvent pas. La cause de cet échec est évidente. Le problème, tel qu’il se présentait aux esprits des premiers siècles chrétiens, était intrinsèquement insoluble ; car si nous partons d’une conception du Divin qui considère Dieu comme, dans sa propre nature, totalement distinct, disparate et même contradictoire avec l’humanité, aucune subtilité dialectique ne peut fusionner le Divin et l’humain dans l’unité d’une vie personnelle.[8] Dans l’esprit étrange et puissant d’Augustin, les deux courants, l’Évangile de l’Amour de Dieu et la conception platonicienne de la Réalité ultime, coulaient ensemble et [ p.99 ] se sont mêlés d’une manière qui devait être d’une importance décisive pour la pensée chrétienne de l’Occident. « Augustin », écrit M. Hanson, « dans une expérience spirituelle suprême, a fusionné le platonisme et le paulinisme, identifiant comme fondement de son propre être spirituel l’Être ultime de la tradition platonicienne-aristotélicienne avec le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ. »[9] La « fusion », cependant, dont parle M. Hanson, a été réalisée dans l’expérience religieuse et n’a en aucun cas été menée à bien dans le domaine de la pensée. Augustin est venu au christianisme du manichéisme via le néoplatonisme, et son respect pour Plotin est resté après avoir terminé son voyage ; Il s’appuyait tellement sur la nature essentiellement chrétienne du nouveau platonisme qu’il croyait que Plotin et ses amis, s’ils avaient vécu un peu plus tard, auraient « changé quelques mots et expressions » et seraient devenus chrétiens.[10] Rares sont ceux qui ont lu la partie des Annales consacrée au « gnosticisme » qui partageront la croyance d’Augustin ; et dans son propre système, les deux éléments étaient moins harmonieusement combinés qu’il ne le supposait. La conception de Dieu comme activité créatrice, qu’Augustin a puisée dans la tradition et l’expérience chrétiennes, s’accordait mal avec les concepts platoniciens-aristotéliciens. Le grand traité sur la Trinité nous montre l’homme d’expérience chrétienne et le philosophe platonicien vivant pour ainsi dire côte à côte dans le même livre. De même qu’Augustin pense Dieu en termes de personnalité et doit concevoir la Vie divine par analogie avec la conscience de soi, de même il pense le Divin comme l’Un absolument « simple », immobile et immuable. Lorsque nous considérons Augustin comme un théologien dogmatique, nous sommes contraints d’adhérer à la déclaration du Dr [ p. 100 ] Schwartz : « En Augustin, toutes les disharmonies de l’idée héritée de Dieu résonnent à nouveau. » La doctrine augustinienne de Dieu a laissé aux penseurs ultérieurs non pas une solution, mais un problème.[11]
La doctrine chrétienne de Dieu, fondée sur la philosophie platonicienne et aristotélicienne, a atteint son expression la plus systématique dans la théologie scolastique du XIIIe siècle. Le mouvement de pensée dont Bonaventura et Thomas d’Aquin sont les plus grands représentants est l’une des plus grandes réussites de l’esprit humain. Le thomisme, fondé sur la logique aristotélicienne et la révélation biblique, nous offre une magnifique synthèse de données unifiées par une théorie métaphysique cohérente. De plus, c’est un système de pensée toujours vivant et efficace dans le monde moderne, car l’Église romaine a érigé saint Thomas en grand Docteur de l’Église, et une école d’écrivains dynamique s’emploie à défendre, développer et adapter sa pensée. On lui attribue à la fois le titre de Philosophia perennis et celui de seule philosophie chrétienne. Même l’étroitesse d’esprit sectaire des philosophes professionnels a été, dans une certaine mesure, vaincue par le poids, l’enthousiasme et le savoir de chercheurs néo-scolastiques tels que M. Gilson et M. Maritain, et ils ont commencé à admettre que le thomisme est un système à prendre en compte. Il est certain qu’aucune branche de l’Église chrétienne ne possède de doctrine spéculative de la nature divine comparable à l’édifice massif que Thomas d’Aquin a construit sur Aristote et la Bible.
Critiquer cet corpus d’enseignement comme il le mérite exigerait un traité aussi volumineux que la Somme elle-même. Si nous procédons à quelques remarques critiques à son sujet [ p. 101 ] et soulignons certains aspects où sa conception de Dieu semble gravement défectueuse, nous devons, en toute justice, mentionner ses mérites. Son intention et son inspiration sont profondément chrétiennes. Elle adhère à la révélation biblique avec une loyauté peut-être aveugle, mais elle ne remet pas en question l’autorité suprême de la vie et des paroles du Christ. L’expérience collective de l’Église a intégré sa structure – peut-être parfois sous une forme contestable, puisqu’elle accepte les décisions dogmatiques des Conciles sans critique. Mais, malgré toutes ses imperfections, cette théologie s’est développée dans une atmosphère de culte et, du moins pour ses plus grands esprits, a été conçue par des hommes dont la vie intérieure était tournée vers Dieu, le but de tous leurs efforts. Elle est en même temps magnifiquement rationaliste. Sous la forme qui a reçu l’imprimatur de l’Église romaine, elle affirme que l’existence et les attributs fondamentaux de Dieu peuvent être démontrés par la raison sans l’aide de la révélation. Elle insiste magnifiquement sur la transcendance divine. En opposition catégorique à toute théorie selon laquelle le Divin est l’ordre du monde, la raison immanente ou les qualités de valeur ou de sublimité que le monde manifeste, elle affirme que Dieu est « réellement et par essence distinct du monde », sa Source et son Créateur.
Le défaut de cette noble construction, digne de figurer aux côtés de la cathédrale de Chartres, réside encore dans la fusion imparfaite des concepts philosophiques avec le contenu religieux. La philosophie, qui prépare théoriquement à la théologie, menace en réalité de neutraliser les doctrines dont elle devrait être le support. On présuppose toujours que la nature de la Déité nous est donnée, en principe, par l’analyse de concepts qui sont en fin de compte des abstractions. Dieu est par essence la Cause Première infinie, l’Activité Pure de la métaphysique aristotélicienne. [ p. 102 ] Il est, bien sûr, tout à fait cohérent avec ce point de vue que l’être de Dieu soit traité dans ce système avant la doctrine de la Trinité et les attributs dits « métaphysiques » avant les attributs « moraux ». La Révélation n’est pas, pour cette théologie, un prérequis indispensable à la connaissance de Dieu. Au contraire, elle vient compléter la connaissance que la raison avait acquis par elle-même. Sans doute, la Révélation est nécessaire pour que l’homme connaisse les vérités qui concernent son salut, mais non pour lui communiquer la pensée et révéler la réalité de Dieu. Il faut avouer que la doctrine scolastique de Dieu n’est pas, par intention, abstraite. Au contraire, la pensée de Dieu comme Actus Purus, la conception qu’en Lui toutes les « perfections » ou valeurs se réalisent sans limite, est concrète. Mais les idées déterminantes sont celles d’infini, d’unité, de simplicité, de perfection – les « attributs métaphysiques » qui se définissent comme « les perfections de Dieu considérées en Lui-même, indépendamment de toute relation avec le monde ».[12] Sublime audace qui élève l’esprit créé à assumer une connaissance de Dieu « en Lui-même » !
Mais cette sublime audace a son ennemi juré. Les attributs métaphysiques, considérés comme fondamentaux, nous révélant la nature de Dieu « en Lui-même », menacent, lorsqu’on les considère rigoureusement, de réduire à néant les qualités et les actes de Dieu qui constituent le fondement de l’Évangile chrétien. L’unité, l’infinité et la perfection sont les attributs de Dieu « en Lui-même », et ces qualités sont conçues de manière abstraite, de sorte que l’on suppose que nous avons une notion logiquement exacte de leur signification fondamentale. Les deux concepts d’infinité et de perfection revêtent une importance particulière. Il semble découler de l’idée abstraite d’infinité que toutes les qualités concrètes de Dieu doivent être si différentes de celles [ p. 103 ] que nous connaissons dans l’être fini que nous ne pouvons nous en faire aucune idée, si ce n’est négativement. La Connaissance et la Volonté divines, étant celles d’un Être illimité, doivent être bien différentes de la connaissance et de la volonté telles qu’elles se manifestent dans notre expérience. Mais la volonté de Dieu annoncée par les Prophètes et accomplie par Jésus n’était pas une volonté sans rapport avec le temps ; c’était une volonté liée aux événements, comme une volonté humaine, seulement sainte et sage. Mais c’est la conception étroitement liée de la « perfection » qui, par son abstraction L’interprétation logique a produit les conséquences les plus étranges. Il semblait évident aux auteurs scolastiques que le sens de la perfection pouvait être défini avec précision. Il signifie, ou implique, l’autosuffisance. Un être parfait serait celui qui trouve en lui-même l’accomplissement de sa nature, dont la satisfaction ne peut être ni augmentée ni diminuée. Étroitement liée à cela est l’idée que le changement doit être totalement étranger à l’Être parfait. Ce qui est parfait ne peut changer.
Mais une conclusion remarquable découle de tout cela. Les Écritures nous disent que Dieu est irrité contre le péché, qu’il aime le monde et désire le salut des pécheurs, et qu’il n’a pas épargné son propre Fils. L’attrait de l’Évangile pour nos cœurs repose sur la conviction que ces expressions dénotent quelque chose de réel. Nous ne pouvons guère leur attribuer une signification qui n’implique pas un besoin dans l’Expérience divine, une sollicitation de Dieu vers les créatures, un désir qu’elles deviennent pleinement ses enfants. Mais selon la conception scolastique de la Perfection divine, rien de tel ne peut être vrai. Il n’y a aucun besoin dans le cœur de Dieu, car son absolue suffisance l’empêche d’exiger l’amour ou le repentir d’une créature pour satisfaire son désir.
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Cette conséquence est particulièrement importante en lien avec les deux doctrines chrétiennes centrales de la création et de la rédemption. La déduction logique est explicitement tirée que la création du monde ne change rien pour Dieu : elle ne peut ajouter à la satisfaction de l’Expérience divine, et sa dégénérescence ou son anéantissement ne saurait diminuer la plénitude de la félicité divine. Toutes les sources de la Vie parfaite de Dieu se trouvent dans son être. Nous sommes ici bien loin de l’image biblique des fils de Dieu criant de joie et du Créateur se réjouissant de toutes ses œuvres. C’est assurément un résultat curieux de la philosophie chrétienne qu’elle conduise à une doctrine de Dieu qui, par souci de préserver sa véritable divinité, exclut de son expérience tout souci réel du monde qu’il a créé. De même, cette conception philosophique de la nature de la Déité nous empêche de croire que les expressions par lesquelles la religion exprime sa pensée sur la signification du péché et la réalité de la rédemption ont autre chose qu’une simple vérité métaphorique ou « économique ». La satisfaction éternelle et l’autosuffisance de Dieu ne souffrent pas du péché de l’homme, et ne peuvent être accrues par le retour de l’enfant prodigue et son rétablissement dans la communion avec son Créateur. Dans ce cercle d’idées, nous sommes loin de l’affirmation chrétienne centrale selon laquelle « il y a de la joie au ciel pour un seul pécheur qui se repent ».
M. Hanson, dans sa défense éloquente et spirituelle de la théologie scolastique[13], suggère, peut-être à moitié sérieusement, que la révolte des hommes modernes contre ce système de pensée est due en partie à l’orgueil qui rend intolérable l’idée que Dieu puisse se passer de nous. Sans doute le motif n’est-il pas absent, mais il en existe un plus profond et plus respectable. Ce Deus philosophorum n’est [ p. 105 ] pas le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ. Ceux qui ont conçu ce système, malgré leur expérience profondément chrétienne, n’ont pas réussi à fusionner la métaphysique aristotélicienne avec l’Évangile chrétien. Nous ne pouvons croire en la Déité qui émerge de leur logique, non pas parce qu’elle est trop élevée, mais parce qu’elle ne soutient pas réellement les valeurs chrétiennes.
On aurait pu s’attendre à ce que les théologies de la Réforme produisent un changement radical dans les idées théologiques, et cette attente se réalise dans une certaine mesure dans le domaine des doctrines de la rédemption, de l’homme et de l’Église ; mais l’effet de la Réforme sur la théologie au sens strict, sur la doctrine de Dieu, fut singulièrement faible.[14] Le mouvement de la Réforme était, il est vrai, en partie la réaffirmation de l’expérience mystique de Dieu, qui avait suivi son cours parallèlement à la théologie rationaliste et y avait même souvent trouvé refuge. Luther en particulier marque un retour, dans l’expérience et l’enseignement, au Dieu vivant, « anthropomorphe » et « psychologique » de l’Ancien Testament et de saint Paul. Aussi vague et incohérente que fût la théologie de Luther, elle portait les signes des profondeurs du combat intérieur dont elle était issue. Dans son chapitre sur le Numineux chez Luther, le professeur Otto a rassemblé quelques passages remarquables où le Réformateur incarne une idée de Dieu comme Vie et Puissance profondément différente de celle du scolastique. Mais dans l’ensemble, la théologie formelle s’est contentée de rester dans les anciennes voies. « L’élément philosophique de la nouvelle scolastique », écrit le Dr Franks, (à savoir les doctrines de Dieu et du monde), « a été pratiquement repris intégralement du médiévalisme et ne présente en réalité aucun progrès par rapport à son [ p. 106 ] prédécesseur. La perspective spéculative audacieuse du Moyen Âge a disparu. On ne porte plus le même intérêt indépendant aux problèmes philosophiques de l’épistémologie et de la métaphysique dans leur application religieuse. Nous n’avons qu’un exposé de ce que l’on pourrait appeler, en termes modernes, les « résultats approuvés » des premières recherches scolastiques, et de celles-ci seulement. Tout est calme, prudent et terne, comparé à la vigueur et à la liberté du Moyen Âge. »[15]
Le seul système théologique de la Réforme pouvant prétendre se rapprocher de l’originalité et de l’unité systématique de la scolastique est le calvinisme. Calvin était, avant tout, un théologien biblique, et sa conception de Dieu n’est pas rationaliste au même degré que celle de Thomas ; mais lui aussi a en réalité adopté une abstraction et l’a traitée comme constituant l’essence de la Déité. Le calvinisme est construit autour de l’idée de souveraineté considérée comme une notion logique. Le Dieu du calvinisme est peut-être moins éloigné que celui des aristotéliciens, mais il est le génie qui préside à une terrible tyrannie. En abstrayant le concept de souveraineté ou de pouvoir et en faisant de Dieu un équivalent pratique de cette idée, Calvin a véritablement détruit la validité des distinctions morales. Il est logiquement contraint de les déduire de la volonté arbitraire de Dieu et de soutenir qu’elles dépendent uniquement de cette volonté. Il s’agit d’un agnosticisme pratique qui, en fin de compte, est plus dévastateur que l’agnosticisme voilé de la scolastique médiévale, car il implique que Dieu Lui-même est au-delà des valeurs. Il n’est pas le Soutien des Valeurs au sens intelligible du terme, car elles n’ont aucun fondement dans Sa nature. Elles sont le choix arbitraire d’un Être qui dépasse la compréhension. Il s’ensuit que Dieu, dans la théologie calviniste [ p. 107 ], est encore plus éloigné de l’expérience humaine que dans les systèmes rivaux de la philosophie médiévale. Deux citations tirées de l’ouvrage du Dr J.K. Mozley sur l’Impassibilité de Dieu peuvent suffire à illustrer cette affirmation. Commentant Genèse vr. Calvin écrit : « Le repentir ici attribué à Dieu ne lui appartient pas en propre ; que le repentir ne puisse avoir lieu en Dieu, il ressort aisément de cette seule considération que rien ne lui arrive qui soit inattendu ou imprévu ; le même raisonnement et la même remarque s’appliquent à ce qui suit, à savoir que Dieu était affligé de chagrin. Certes, Dieu n’est ni triste ni triste, mais demeure à jamais semblable à lui-même dans son céleste et heureux repos ; et pourtant, comme on ne pouvait autrement connaître l’ampleur de la haine et de la détestation de Dieu pour le péché, l’Esprit s’est accommodé à nos capacités. » Et commentant Isaïe nxur. : « Afin de nous émouvoir plus puissamment et de nous attirer à lui, le Seigneur s’est accommodé à la manière des hommes en s’attribuant toute l’affection, tout l’amour et toute la compassion qu’un père peut avoir… non pas qu’il puisse en aucune façon supporter l’angoisse, mais par une figure de style très courante, il assume et s’applique les passions humaines. »[16]
Français Le professeur Pringle Pattison a résumé la question dans un passage qui met clairement en évidence un côté de la vérité. « L’idée traditionnelle de Dieu peut être décrite, sans équivoque, comme une fusion de l’idée monarchique primitive et de la conception aristotélicienne du Penseur éternel. Les deux conceptions ainsi fusionnées sont, bien sûr, très différentes ; car le pouvoir, qui est le constituant principal de la première, n’a, au sens ordinaire du terme, aucune place dans l’idéal spéculatif d’Aristote, mais il y a en commun aux deux l’idée d’une vie égocentrique et l’éloignement qui en résulte du [ p. 108 ] monde. »[17] Nous pouvons faire deux réserves. Les deux idées dont parle Pringle Pattison n’ont jamais été « fusionnées » : elles ont existé côte à côte ; Et son résumé ne nous rappelle pas, et nous ne devons jamais l’oublier, que la doctrine traditionnelle de Dieu s’est accompagnée d’une nuance d’expérience mystique et de piété évangélique, issue du Nouveau Testament, qui a adouci les lignes et neutralisé, au moins partiellement, les erreurs des systèmes théologiques. Le Dieu du simple chrétien qui aime Jésus a toujours été supérieur au Dieu théologique. L’idée de divinité que nous avons critiquée, dit M. Paul Elmer More, ravive sous une forme plus subtile une ancienne hérésie. « Cette conception de Dieu comme possédant des qualités qu’il n’a pas réellement est précisément une extension de l’hérésie docétique qui réduit l’humanité du Christ à une simple apparence et le fait de son Incarnation à une illusion morale. »[18]
Il convient de souligner que la méthode d’approche scolastique et la doctrine scolastique de Dieu n’ont pas cessé leur carrière avec la Réforme et la Renaissance. On nous a enseigné que les débuts de la philosophie moderne étaient liés à Descartes ; mais les écrits du professeur E. Gilson et de ses élèves ont abondamment démontré que cette distinction est arbitraire et trompeuse. Il existe une continuité de pensée du Moyen Âge à Spinoza, et les bâtisseurs de systèmes du XVIIe siècle n’étaient pas les Melchisédeks philosophes que l’on pourrait supposer d’après de nombreux manuels d’histoire de la philosophie. Nombre des idées maîtresses des théologiens médiévaux réapparaissent sous une forme légèrement modifiée comme concepts centraux de Descartes, Malebranche et Spinoza. On y parle encore de substance, de cause première, d’infini, [ p. 109 ] de perfection et de simplicité. Pourquoi le mouvement philosophique du XVIIe siècle n’a-t-il pas abouti à une idée transcendante de Dieu, mais au système panthéiste de Spinoza ? La réponse à cette question est à la fois intéressante en elle-même et révélatrice des tendances réelles de la théologie traditionnelle. Les philosophes qui s’étaient libérés de l’autorité ecclésiastique et de la révélation furent progressivement conduits à abandonner le dogme de la création, déjà reconnu par Augustin et Thomas d’Aquin comme singulièrement intraitable par la raison. La conception de la création, impliquant une sphère d’existence finie, en quelque sorte extérieure à l’Être infini et distincte de celui-ci, soulève des difficultés évidentes ; mais c’est uniquement ce dogme de la création qui maintenait toute distinction ultime entre Dieu et le monde. Une fois cette idée abandonnée, l’étape suivante consiste à identifier, comme le fait Spinoza, Dieu et l’ordre de l’univers, à penser la Substance Éternelle comme natura naturans et à parler de Natura sive Deus. Ce n’est pas une illusion de voir une nouvelle ère de construction théologique s’ouvrir avec Kant et franchir une première étape importante avec Schleiermacher. La structure métaphysique que Kant a sapée dans son attaque contre la « théologie rationnelle » et la « psychologie rationnelle » avait semblé un rempart nécessaire à la vie et à la foi chrétiennes, mais en réalité, il n’en était rien. Son Deus philosophorum n’était pas le Dieu chrétien, bien qu’il ait revêtu une partie de la majesté de Yahweh et de la bonté du Christ. Son retrait du sommet de la métaphysique a ouvert la voie à une doctrine de Dieu fondée sur la conscience morale et religieuse.
Je vais tenter de résumer les arguments de ce chapitre. Nous avons soutenu que l’effort pour former une doctrine spéculative de Dieu est nécessaire et que l’exigence d’une religion sans théologie est le cri de l’ignorance ou du désespoir. [ p. 110 ] La tentative concrète de répondre à ce besoin, qui s’étend sur tous les siècles chrétiens, jusqu’au XVIIe inclus, est l’un des monuments les plus impressionnants de l’intellect humain. Quiconque comprend les problèmes en discussion ou les intérêts humains en jeu ne pouvait parler sans révérence envers cet héritage théologique. Pourtant, il n’a pas pleinement atteint son objectif. La construction qu’il a pu élaborer avec les matériaux dont il disposait était inadéquate à l’expérience chrétienne de Dieu et, en fait, en contradiction avec cette expérience. Cet échec partiel ne peut être attribué au manque de capacités intellectuelles de ceux qui ont contribué à la structure théologique, ni à leur manque de connaissance personnelle de la religion. La faute en incombe plutôt aux outils intellectuels disponibles. La philosophie, telle qu’ils la connaissaient, était incapable de remplir la tâche qu’ils lui avaient assignée. Créée dans un monde non chrétien, elle demeurait dans une certaine mesure étrangère à la vision chrétienne du monde. Quelles que soient les causes de cette imperfection, elle résidait dans le fait que le cœur de l’Évangile chrétien n’y avait pas été intégré. Reste à se demander avec quel espoir de succès nous pouvons, à notre époque, nous atteler à la même tâche et, compte tenu de l’évolution des présupposés philosophiques et de l’élargissement de nos connaissances, aborder de notre point de vue l’éternel problème de Dieu.
Saint Luc XI. 2. ↩︎
Saint Luc XV. 7. ↩︎
2 Cor. V. 14. ↩︎
Le christianisme à la croisée des chemins, p. 251. ↩︎
Voir cependant une déclaration surprenante d’Agobard, citée par RL Poole : Illustrations of Mediaval Thought, p. 46. ↩︎
PE Plus : Christ la Parole, p. 72 ; ép. H. Schwartz : der Gottesgedanke. Teil I, p. 153 et suiv. ↩︎
Cp. C. Gore : La croyance en Christ. Voir chap. VII. ↩︎
Cp. mon essai sur « La doctrine du Christ » dans L’avenir du christianisme. ↩︎
« La scolastique médiévale » par R. Hanson dans Dogma in History and Thought (Nisbet), p. 107. ↩︎
WR Inge : Plotin, Vol. I, p. 21. ↩︎
H. Schwartz : der Gottesgedanke in der Geschichte der Philosophie. Teil I, p. 229, 1 £. ↩︎
par exemple. Gaston Sortais : Traite de Philosophie. Tome IL, p. 577 ↩︎
Op. cit., p. 107. ↩︎
RS Franks : « Le dogme dans la scolastique protestante » dans Dogma (Nisbet), pp. 115. ↩︎
RS Franks : « Le dogme dans la scolastique protestante » dans Dogme (Nisbet), p. 115. ↩︎
Impassibilité de Dieu, p. 120. ↩︎
Idée de Dieu, p. 407. ↩︎
Christ le Verbe, p. 72. ↩︎