Auteur : Albert C. Knudson
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La THÉOLOGIE puise ses racines dans la référence objective de l’expérience religieuse. Si la religion n’avait pas une telle référence, si elle était purement subjective, il n’y aurait pas de théologie. Dans ce cas, la religion n’aurait aucun contenu intellectuel. Or, le chapitre précédent a démontré qu’elle possède un tel contenu. Par nature, la religion renvoie à un objet divin, elle regarde au-delà du visible vers l’invisible, et elle a des implications transcendantales. Ces implications, cependant, sont d’abord vagues et mal définies. Elles appellent une clarification, une exposition systématique, une justification rationnelle. C’est ce qui donne naissance à la théologie.
Il existe, comme nous l’avons vu, deux principaux types de religion : la mystique, avec son penchant pour l’impersonnalisme et le pessimisme, et la prophétique, avec son accent sur la personnalité et l’espérance. Le christianisme est le principal représentant de cette dernière. Il défend ainsi une vision du monde théiste bien définie. Mais la question se pose de savoir si cette vision du monde relève exclusivement de la révélation ou si elle est également fondée sur la raison. Dans le premier cas, la théologie chrétienne se contente d’exposer systématiquement la foi chrétienne ; dans le second, elle a pour tâche supplémentaire de chercher à la justifier rationnellement [ p. 66 ]. Ce point fait l’objet d’un débat de longue date.
À ce propos, la question s’est également posée de savoir s’il n’existe pas, outre la foi et la raison, une autre source de connaissance religieuse plus directe et immédiate. Certains ont soutenu l’affirmative, affirmant que l’âme est capable d’une appréhension directe et intuitive du Divin. C’est ainsi que le mysticisme a été introduit dans la théologie chrétienne et y a joué un rôle considérable. Cependant, sa compatibilité avec la véritable nature du christianisme est une question qui a toujours suscité et suscite encore de grandes divergences d’opinion. Nombreux sont ceux qui le considèrent comme une influence exotique, étrangère et perturbatrice.
Le christianisme a également introduit dans la théologie un problème nouveau et spécifique. Comme d’autres religions, il s’intéresse fondamentalement au supramonde, à la question de sa réalité, de sa nature et de son rapport à la vie humaine. Mais tous ces problèmes, dans le système chrétien, se concentrent sur la personne et l’œuvre du Christ. En lui, le christianisme prétend avoir une révélation unique et absolue de Dieu. Un nouveau problème se pose donc : comment cela pourrait-il être et comment concevoir le problème de la christologie ? Les détails de ce problème seront abordés dans un prochain volume, mais il convient d’en tenir compte ici, à titre préliminaire, dans la mesure où il implique le caractère absolu du christianisme.
Les sujets particuliers qui seront abordés dans le présent chapitre sont la relation de la foi chrétienne à la raison ou à la connaissance, sa relation au mysticisme et sa prétention à être la religion absolue.
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La relation entre la foi et la raison est l’un des problèmes les plus complexes de l’histoire de la pensée chrétienne, et celui qui a suscité la plus grande diversité d’opinions. On distingue deux tendances principales. Certains ont soutenu que la foi et la raison étaient antithétiques, et ont donc soit tenté de détruire l’une au profit de l’autre, soit défendu une « double vérité ». D’autres ont soutenu qu’il existait une parenté entre elles, mais ont interprété cette parenté de différentes manières, soit en subordonnant l’une à l’autre, soit en considérant qu’elles s’impliquent ou se complètent mutuellement. Ces deux tendances ont été largement représentées dans l’histoire de la théologie chrétienne.
La première a connu des manifestations occasionnelles dans l’Église primitive, par exemple chez Tertullien, et n’a peut-être jamais été sans représentants. Mais il y a deux périodes où elle est devenue aiguë, voire dominante. L’une a été la fin du Moyen Âge, et l’autre ces cinquante dernières années environ. Le professeur W.P. Paterson a souligné que, dans son attitude envers la connaissance religieuse, la pensée chrétienne a traversé à deux reprises « le cycle de l’appréciation, de l’exagération et de la dépréciation »[1]. Le premier cycle s’est étendu de l’âge apostolique à la Réforme, et le second de la Réforme* aux temps modernes. Nous représentons aujourd’hui à peu près la même attitude dépréciative envers la connaissance religieuse que celle que nous trouvons à la fin de la période médiévale.
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Les causes de cette attitude sont diverses, mais il n’est pas nécessaire de les examiner en détail ici. Il convient cependant de distinguer entre une foi vigoureuse et triomphante, qui s’oppose à la connaissance, et une foi faible et hésitante, qui ne vit que du renoncement à la prétention à la connaissance. Cette dernière est un signe de décadence spirituelle et peut être considérée comme trouvant son origine dans un état pathologique de la conscience religieuse. La première trouve sa source dans des motivations religieuses et pratiques et dans une philosophie plus ou moins dualiste et agnostique. La source principale est le sentiment religieux, ou la conviction, que la raison est une faculté purement humaine et que la connaissance qu’elle acquiert est également purement humaine. Elle ne peut donc avoir aucune valeur positive dans le domaine de la croyance religieuse. Car l’unique source et objet de la foi est Dieu. Lui seul nous rachète et nous donne une connaissance salvatrice de lui-même. La raison humaine elle-même ne peut rien faire pour atteindre cet objectif. Il y a donc une antithèse nécessaire entre la foi, d’une part, et la raison ou la connaissance, d’autre part, puisque la première nous est divinement transmise, tandis que la seconde est un don ou une réalisation humaine.
Cette vision dualiste a souvent été renforcée par des exigences pratiques. L’Église a dû se défendre contre l’empiètement de l’hérésie et, ce faisant, a souvent trouvé plus commode et efficace de faire appel à l’autorité de sa propre foi qu’à la raison commune. La raison a été déclarée incompétente pour traiter des croyances religieuses et, lorsqu’elle est ainsi utilisée, source inévitable d’erreurs. Le dualisme de la foi [ p. 69 ] et de la raison a ainsi servi les objectifs de l’autoritarisme ecclésiastique et en a été, dans une certaine mesure, le résultat. Il a aussi naturellement été lié à une tendance plus ou moins agnostique en philosophie. En effet, l’agnosticisme philosophique peut être considéré comme le corrélat logique de l’antithèse de la foi et de la raison. Si la foi est l’unique source et fondement de la conviction religieuse, il s’ensuit nécessairement que la raison est métaphysiquement incompétente.
Au cours du long débat entourant cette vision dualiste, la signification de « foi », de « raison » et de « connaissance » a suscité beaucoup d’incertitudes et de confusions. La « foi » a généralement été interprétée comme impliquant une révélation objective et faisant autorité. Mais le contenu de la révélation et la nature de son autorité ont été conçus de manière très différente. De grandes divergences d’opinions ont également existé quant à la nature de la foi, à savoir si elle devait être considérée comme principalement volontaire ou intellectuelle, et si elle devait être considérée comme l’œuvre exclusive de l’Esprit divin ou au moins partiellement humaine. De même, il n’y a pas eu d’accord sur la nature exacte et les limites de la raison ou de la connaissance. Une certaine antithèse de la « foi » a été affirmée, mais la ligne de démarcation entre la raison ou la connaissance, d’une part, et la foi, d’autre part, n’a jamais été définie de manière à susciter un consensus général. Schleiermacher et Kant ont sans aucun doute apporté d’importantes contributions au problème, de sorte qu’il y a lieu de considérer qu’ils marquent une nouvelle ère dans l’histoire de l’apologétique. [2] Mais l’histoire de la pensée [ p. 70 ] depuis leur époque offre peu de justification à l’idée qu’ils ont résolu le problème.
Schleiermacher et Kant rejetaient tous deux les anciennes preuves théistes, et le premier cherchait à construire une théologie fondée exclusivement sur la conscience chrétienne. Ce faisant, il rejoignait les théologiens qui, par le passé, avaient opposé la foi à la raison. Il était en désaccord avec eux sur leur dépréciation de la raison et sur leur conception autoritaire de la révélation, mais il partageait leur affirmation de l’indépendance de la foi chrétienne et la limitation de la théologie à son exposition systématique. Il considérait la justification « rationnelle » du christianisme comme inutile et impossible, du moins au sens apologétique ancien du terme. Et c’est peut-être la conception dominante de la théologie protestante depuis son époque. Elle fut adoptée par Albrecht Ritschl et ses disciples, et aujourd’hui Karl Barth la défend, avec une approche et un esprit tout à fait différents.
La revendication d’indépendance de la foi est indéniable. La religion ne vit pas et ne pourrait pas vivre des miettes qui tombent de la table de la philosophie ou de l’éthique. Elle est autonome. Mais il n’en résulte pas que foi et raison soient inconciliables ou qu’elles soient des activités totalement disparates, de sorte que la foi ne puisse recevoir aucun soutien de la raison. Quoi qu’on puisse dire de la valeur des arguments théistes, la foi ne peut se dissocier complètement de la raison. C’est la raison qui l’articule, c’est la raison qui la systématise, c’est la raison qui aide à conjurer l’hérésie, c’est la raison qui recommande la foi au monde incroyant. Sans raison, la foi ne serait qu’une émotion inachevée ou un boulet erratique dans la vie humaine. C’est la raison qui tisse la foi dans la trame de notre expérience commune. Il ne fait aucun doute qu’elle peut aussi servir les intérêts de l’incroyance ou être interprétée de manière à créer un état de suspense quant aux objets ultimes de la foi. Mais cette relation négative à la religion n’est pas inhérente à la nature de la raison en tant que telle. Rien dans la raison ne la place nécessairement en opposition avec la foi ; l’une n’est pas purement humaine et l’autre purement divine. Il n’existe pas non plus de fondement valable permettant de soutenir que la raison puisse servir à systématiser le contenu intellectuel de la foi, mais non à en établir la vérité. Le processus de systématisation exige une certaine dose d’évaluation rationnelle, tout aussi rigoureusement qu’une défense formelle. Entre l’exposition systématique et la justification rationnelle de la religion, il n’existe pas de ligne de démarcation nette. Cette dernière est un complément naturel à la première. Nous concluons donc que la vision dualiste de la foi et de la raison trouve son origine dans un surnaturalisme erroné et ne peut être appliquée de manière cohérente. [3]
La popularité actuelle de ce type de pensée, et celle qu’il avait vers la fin du Moyen Âge, doit être considérée comme le résultat d’un état d’esprit passager. Elle n’exprime pas la conviction établie de l’Église. La théologie ne peut se fonder durablement sur un tel dualisme. La conception normale et représentative est celle qui soutient la parenté entre la foi et la raison. C’est cette conception qui a prévalu pendant la majeure partie de l’histoire de l’Église.
La parenté entre foi et raison a cependant été conçue différemment. On peut distinguer trois conceptions historiques : l’augustinienne ou platonicienne, la thomiste ou aristotélicienne, et l’hégélienne. Toutes supposaient une concordance fondamentale entre foi et raison, mais concevaient différemment la relation humaine réelle entre elles.
La conception augustinienne reconnaissait deux sources de connaissance, l’Autorité et la Raison, et subordonnait cette dernière à la première. « Rien », disait Augustin, « ne doit être accepté que sur la base de l’autorité de l’Écriture, car cette autorité est plus grande que toutes les facultés de l’esprit humain. » Mais il n’opposait pas catégoriquement les sources humaines et divines de la connaissance. Il considérait que tout acte de connaissance était dû, au moins en partie, à l’illumination divine. L’esprit humain, disait-il, ne peut être sa propre lumière. En connaissant, il baigne dans une atmosphère de lumière incorporelle ou incréée. Il existe, soutenait-il, une lumière de la raison éternelle par laquelle tous les hommes sont illuminés et à laquelle toute connaissance est dans une certaine mesure due. La raison humaine ne s’oppose donc pas, même dans son état actuel, directement à l’illumination divine ; elle la présuppose plutôt. Il en va de même pour sa relation à la foi. « Comprends », disait Augustin, « afin de croire, crois afin de comprendre. » [4] « Car nous ne pourrions absolument pas croire si nous n’étions pas des êtres rationnels. » [5] Croire implique une compréhension [ p. 73 ] de ce que l’on croit ; et la compréhension à son tour implique la croyance. Ce dernier point a été particulièrement souligné par Anselme. « Je ne cherche pas », dit-il, « à comprendre pour croire, mais je crois pour comprendre. Car je crois aussi que si je ne croyais pas, je ne comprendrais pas. » [6] En d’autres termes, la croyance, bien que non produite par l’entendement, n’est pas un acte aveugle. Elle conduit à la connaissance et, dans son commencement, comme l’a souligné Augustin, est guidée par elle. La foi implique donc la raison et la raison la foi. L’une ne peut exister sans l’autre.
Cela ne signifie pas pour autant que la foi est dépourvue de mystères ou que ses mystères sont tous ouverts à la raison. La connaissance humaine a ses limites. Mais ces limites ne sont pas fixées arbitrairement par la nature de la foi ou de la raison. La foi n’est pas une barrière, mais un défi à la raison. Elle invite à l’investigation rationnelle, à la réflexion et à la justification. Elle ne rejette pas la raison, mais cherche à coopérer avec elle. C’est ainsi qu’Anselme développe son célèbre argument ontologique en faveur de l’existence de Dieu et sa théorie presque tout aussi célèbre de l’expiation. De même, Augustin cherche à éclairer la Trinité et d’autres mystères de la foi chrétienne. De telles entreprises intellectuelles ne pouvaient être pleinement couronnées de succès, et elles n’étaient d’ailleurs pas destinées à l’être. Mais elles ont établi un lien entre foi et raison, ouvrant ainsi la voie à une théologie rationnelle – une théologie qui cherchait non seulement à exposer, mais aussi à justifier le contenu intellectuel de la religion.
La conception thomiste de la foi et de la raison, [ p. 74 ], qui a remplacé celle d’Augustin au XIIIe siècle, était fondée sur la philosophie aristotélicienne. Le platonisme était aprioriste et mystique dans sa théorie de la connaissance. Cela donnait à l’intellect humain une portée indéfinie et conduisait à un mélange de connaissances naturelles et surnaturelles, empêchant toute démarcation nette entre elles. Il tendait également à libérer la pensée humaine de son esclavage sensible et à l’entourer d’une lumière divine lui offrant des aperçus directs du supramonde. L’aristotélisme, en revanche, était empiriste et naturaliste. Il limitait la connaissance à l’expérience sensible et à ce qui pouvait en être légitimement extrait. Il ne restait donc plus de place pour l’argument ontologique ni pour l’illumination divine directe. L’existence de Dieu pouvait être déduite de l’existence du monde, mais aucune compréhension directe de la nécessité ou de la réalité de son existence n’était possible. La déduction de son existence était par nature indirecte et opérée uniquement par la raison naturelle, ne conduisant qu’à une conception de sa nature justifiée par l’expérience sensible. Tout ce qui se trouvait au-delà de cette conception dans la vision chrétienne de Dieu était dû à la révélation et dépassait le pouvoir de l’esprit humain de le justifier. C’était un mystère absolu et ne pouvait être accepté que par autorité.
L’antithèse abstraite augustinienne entre autorité et raison se traduisit ainsi par un dualisme épistémologique strict et une distinction nette, établie pour la première fois, entre théologie naturelle et théologie révélée. Cette dernière reposait sur l’autorité de la révélation et portait sur les doctrines distinctives [ p. 75 ] de la foi chrétienne, telles que la Trinité et l’Incarnation. Ces doctrines étaient considérées comme transcendant la raison humaine. Aucune preuve n’était possible. Tout ce que le théologien pouvait faire était de les exposer et de montrer qu’elles n’étaient ni contradictoires ni contraires à la raison. Car, si transcendantes que fussent ces doctrines, elles n’étaient pas considérées comme irrationnelles. Elles représentaient plutôt un type de raison plus profond, insondable pour l’esprit humain, mais entre laquelle il n’y avait aucune contradiction essentielle avec la raison humaine. Leur validité, cependant, ne dépendait pas de leur rationalité intrinsèque, mais de l’autorité divine dont elles procédaient. C’est la révélation, et non la raison, qui a garanti leur vérité.
La théologie naturelle, quant à elle, s’intéressait aux doctrines accessibles à la raison seule, doctrines qui ne sont pas propres au christianisme, comme par exemple la croyance en Dieu et en l’immortalité. Ces doctrines pouvaient ne pas être absolument démontrables, mais des arguments rationnels pouvaient les étayer, les plaçant au même niveau que d’autres conclusions issues de la philosophie et de la science ; dans ce sens général, on pouvait les qualifier de démontrables.
La vérité religieuse, ou théologie, était ainsi divisée en deux parties, l’une fondée sur la raison naturelle, l’autre sur la révélation divine. À proprement parler, seule cette dernière exigeait la foi. Car la foi, distincte de la raison, ne pouvait exister que là où la lumière de la raison faisait défaut. Mais ici se posait une double difficulté. On ne savait absolument pas où se situait la frontière entre la foi [ p. 76 ] et la raison ; et on ne savait pas non plus à quel degré de certitude s’attachait le plus. D’un certain point de vue, la foi semblait moins certaine que la raison, car la raison donne la connaissance, et la connaissance, par sa nature même, comporte un degré de certitude plus élevé que la foi. Mais d’un autre point de vue, la foi semblait plus certaine que la raison, car elle repose sur l’autorité divine et, comparée à elle, la raison humaine est faible et errante. De plus, le contenu de la foi n’était pas clairement fixé. La vérité révélée dans les Écritures incluait manifestement non seulement les doctrines spécifiques du christianisme, mais aussi des doctrines religieuses générales, telles que celles relatives à Dieu et à l’immortalité, censées trouver un fondement dans la raison. Les domaines de la foi et de la raison semblaient ainsi se chevaucher, et il semblait également exister deux types de foi différents, l’un soutenu par la raison, l’autre la transcendant. La tendance, cependant, était de privilégier cette dernière tout en insistant sur l’absence de conflit fondamental entre foi et raison. Telle était la vision de Thomas d’Aquin et de Duns Scot [7], et telle est encore l’enseignement officiel de l’Église catholique romaine. C’était également la vision qui prévalait dans les milieux protestants orthodoxes jusqu’à il y a environ un siècle.
L’augustinisme et le thomisme subordonnaient tous deux la raison à la foi. Leur principale différence résidait dans le fait que le thomisme établissait une distinction plus nette que l’augustinisme [ p. 77 ] entre la connaissance naturelle et la connaissance surnaturelle, et fondait la théologie plus exclusivement sur cette dernière. On s’efforça, mais avec un succès plutôt mitigé, comme nous l’avons vu, de tracer une ligne de démarcation nette entre les vérités de la raison et celles de la révélation, tout en maintenant l’accord fondamental entre les deux chez chaque frère. En cas de conflit apparent entre elles, la raison devait céder le pas à la révélation. Cela semblait la procédure logique, et c’était de plus la ligne de conduite naturellement requise par l’autorité reconnue de l’Église. Mais avec le déclin moderne de l’autorité ecclésiastique, la raison avait tendance non seulement à affirmer son indépendance, mais aussi à assumer l’hégémonie. Au lieu de se laisser subordonner à la foi, elle la subordonna désormais à elle-même, et cela, avec la conviction qu’une harmonie fondamentale existe entre elles, bien comprise. Pour parvenir à cette harmonie, deux méthodes sont possibles : soit restreindre la foi pour l’adapter à la raison, soit élargir la raison pour l’adapter à la foi. La première méthode fut adoptée par le mouvement « déiste », et le résultat fut un tel rétrécissement de la foi que le « déisme » finit par devenir pratiquement synonyme d’athéisme. L’autre méthode fut adoptée par Hegel, qui trouva dans la raison un fondement non seulement pour la foi en la réalité transcendante de l’esprit, mais aussi pour la foi dans les doctrines chrétiennes de la Trinité et de l’Incarnation. En développant cette position et en la soutenant avec toutes les ressources de son génie, il rendit pendant un temps un service considérable à la foi chrétienne historique. Il lui donna une stature intellectuelle qu’elle semble avoir définitivement perdue sous l’influence désintégratrice du rationalisme du XVIIIe siècle. Mais ce faisant, il a transformé sa véritable nature en la subordonnant à une « raison » plus ou moins étrangère et en lui donnant une nouvelle interprétation symbolique.
La théorie symbolique de la croyance religieuse en tant que telle ne soulève aucune objection. Une vérité symbolique vaut sans doute mieux que pas de vérité du tout. Mais lorsque la vérité supposée symbolisée se révèle radicalement différente de celle que le symbole désignait à l’origine, la question se pose de savoir si l’interprétation symbolique rend un service durable à la cause de la foi ou de la raison. Et cette question peut légitimement être soulevée en référence à l’interprétation hégélienne de la religion, et en particulier du christianisme. Sa distinction entre la vérité sous forme de Vorstellung (représentation imaginative) et la vérité sous forme de Begriff (concept) est suggestive et décrit assez bien la différence entre la religion ou la théologie, d’une part, et une grande partie de la philosophie, d’autre part. Mais lorsqu’on soutient que la Vorstellung de la foi religieuse théiste n’a qu’une validité temporaire, qu’elle n’a qu’un caractère préliminaire et qu’elle est vouée à céder la place à la Begriff d’un idéalisme absolu panthéiste, [8] il est évident que nous avons affaire à un point de vue qui implique une reconstruction fondamentale de la foi chrétienne. La foi devient alors un pâle reflet ou une vague anticipation de la raison et tire toute sa justification [ p. 79 ] de cette relation. En elle-même, en tant que corps de croyance unique, elle n’a aucune validité ultime. Sa vérité ne se trouve pas en elle-même, mais dans la philosophie idéaliste et panthéiste qu’elle est censée esquisser. En d’autres termes, la vérité de la foi est la raison.
Cette conception hégélienne des relations entre foi et raison est manifestement insatisfaisante du point de vue de la foi ; on peut en dire autant des conceptions platonicienne et aristotélicienne du point de vue de la raison. L’hégélianisme nie à la foi son unicité et son caractère absolu et l’intellectualise à outrance. Le platonisme augustinien et l’aristotélisme scolastique, en revanche, n’ont pas permis à la raison d’atteindre pleinement ses droits. Ils l’ont subordonnée à la foi en cas de conflit entre les deux et n’ont pas défini de manière satisfaisante la nature de chacune. Ils ont trop étroitement lié la foi à l’autorité ecclésiastique et, en même temps, lui ont donné une connotation trop intellectualiste. De plus, l’augustinisme n’a pas clairement distingué la raison humaine de l’illumination divine, tandis que le thomisme les a trop nettement distinguées et a tenté de tracer une ligne de démarcation fixe entre le domaine de la raison et celui de la foi, attribuant la première à la théologie naturelle et la seconde à la théologie révélée. Cette solution thomiste du problème de la foi et de la raison a eu une grande influence historique et n’est pas encore obsolète, mais sa persistance est due à son utilité pratique dans la conservation de l’idée d’une autorité religieuse objective plutôt qu’à sa propre adéquation à traiter les données complexes impliquées dans le problème.
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La pensée moderne a apporté trois contributions importantes à une définition plus satisfaisante des relations entre foi et raison. Elle a libéré la foi de son lien traditionnel avec une autorité extérieure et plus ou moins coercitive, et lui a conféré, ainsi qu’à la raison, une place autonome dans la vie humaine. Elle a ensuite interprété la foi dans un sens plus volontariste qu’auparavant et a montré qu’à cet égard, elle constitue un présupposé permanent de la raison plutôt qu’une ébauche temporaire de celle-ci ou une étape transitoire de son développement. Enfin, elle a défini la raison plus précisément et montré sous quels angles elle est et sous quels angles elle n’est pas une alliée de la foi.
C’est Schleiermacher qui, le premier, a clairement et catégoriquement fondé la foi religieuse sur l’âme humaine elle-même et lui a accordé une place coordonnée, voire supérieure, à l’intellect et à la nature morale. La foi, ainsi comprise, n’incluait certes pas nécessairement la foi chrétienne dans sa plénitude. Mais dans la mesure où cette dernière représente la religion dans sa forme la plus pure et la plus élevée, elle a droit, à un degré prééminent, à la force logique ou à la valeur apologétique qui s’attachent à l’affirmation de Schleiermacher selon laquelle une validité autonome doit être attribuée à la nature religieuse de l’homme. Un tel fondement de la foi dispense de l’idée d’une autorité extérieure et absolue. Pour certains, cela peut paraître une perte. Mais cette perte est largement compensée par la nouvelle indépendance qui la libère de l’esclavage de la tradition et de la raison et lui permet de se défendre pleinement. Nous avons ici une sorte de justification naturaliste de la foi qui remplace l’apologétique surnaturaliste et autoritaire plus ancienne.
La deuxième contribution de la pensée moderne à la solution de notre problème nous amène plus loin. Elle affirme non seulement que la foi religieuse est coordonnée à la raison en ce sens qu’elle est valable de manière autonome, mais elle nous montre aussi pourquoi elle peut être considérée comme telle. La pensée religieuse ancienne tenait peu compte des présupposés de la connaissance. Notre connaissance ordinaire, transmise par les sens et l’intellect, était plutôt tenue pour acquise, comme évidente et manifestement valable, du moins dans certaines limites prescrites. Le fait que cette connaissance implique des intérêts et des idéaux pratiques et soit conditionnée par eux n’a guère retenu l’attention. Certes, aucune importance particulière n’y a été attachée. Mais depuis l’énonciation de la doctrine kantienne de la primauté de la raison pratique, l’accent a été mis de plus en plus sur les facteurs volitifs et vitaux qui conditionnent notre connaissance commune ou supposée. Cette insistance a été poussée à l’extrême par les pragmatistes et les instrumentalistes, mais le fait fondamental que la connaissance est enracinée dans notre nature pratique, dans nos intérêts et nos idéaux, n’en est pas pour autant discrédité. Prenons, par exemple, nos sciences naturelles. Ils supposent que le monde est intelligible et que nous sommes capables de le comprendre. Aucune de ces hypothèses ne peut être démontrée. Elles reposent sur une foi instinctive en la raison et en la validité de notre idéal cognitif. S’il était nécessaire de démontrer leur vérité à l’avance, les sciences naturelles ne verraient jamais le jour. Elles doivent tout leur développement à la foi. En effet, sans foi, il ne pourrait y avoir de connaissance. Dans un sens plus profond et plus universel qu’Augustin ou Anselme ne l’ont compris, nous devons croire pour pouvoir connaître.
La foi qui sous-tend la connaissance scientifique n’est pas, il est vrai, une foi religieuse. Mais d’un point de vue épistémologique, les deux types de foi sont en principe similaires, puisqu’ils consistent tous deux à présumer la réalité objective d’idéaux dont l’existence ne peut être démontrée. L’idéal est cognitif dans un cas, éthique dans l’autre. Mais tous deux sont présumés réels. Et le fait que cet élément présupposé sous-tende à la fois la science et la religion, constituant en quelque sorte leur dénominateur commun, est un fait d’une importance capitale. Car si l’hypothèse de la réalité d’un idéal est légitime et valable dans un cas, il n’y a aucune raison valable pour qu’elle ne le soit pas dans l’autre. Logiquement, la foi, sous sa forme religieuse, a une base aussi solide que la foi sous sa forme scientifique. Et puisque cette dernière est communément acceptée, aucune objection de principe valable ne peut être formulée à l’encontre de la première. Il n’y a donc pas d’antithèse entre la foi et la raison. La raison présuppose bel et bien la foi ; elle ne la remplacera jamais.
Ceci, cependant, n’est vrai de la raison et de la foi que dans leurs aspects les plus généraux. Il est possible d’interpréter la raison de manière à la rendre antithétique, dans son contenu, sinon dans son principe, à la foi religieuse. Et c’est ici que la pensée moderne a apporté sa troisième contribution à notre problème. Elle a défini la raison plus précisément et ainsi clarifié sa relation à la croyance religieuse. [ p. 83 ] Mais cela ne signifie pas qu’une définition unique de la raison ou de la connaissance ait fait consensus. Il existe trois définitions de ce type, chacune impliquant une attitude différente envers la foi chrétienne. L’une peut être qualifiée de nécessitariste ou déterministe, une autre de positiviste ou agnostique, et la troisième de téléologique. Aucune de ces définitions n’est moderne au sens où elle était inconnue auparavant, mais toutes trois ont été formulées plus clairement et plus nettement différenciées dans la pensée moderne.
La conception déterministe de la raison a trouvé son expression la plus aboutie chez Spinoza et s’est largement répandue sous l’influence d’une interprétation matérialiste de la science. Une telle vision est manifestement en désaccord avec la foi chrétienne et, lorsqu’elle est appliquée logiquement, l’exclut totalement. La conception positiviste ou agnostique de la connaissance doit en grande partie sa vogue actuelle à Hume, Kant et aux sciences empiriques en général. Théoriquement, cette vision laisse la porte ouverte à la foi, et certains théologiens, comme nous l’avons vu, ont cherché à établir une alliance entre les deux. Mais une telle alliance ne saurait perdurer. Le ton et le tempérament dominants du positivisme sont naturalistes, et associer la théologie chrétienne à ce positivisme revient à l’associer inégalement à l’incroyance. Une raison qui nie toute connaissance du supramonde finira par supprimer également la foi.
Il ne reste alors que la conception téléologique de la raison, seule cohérente avec la foi chrétienne. Et l’on peut ajouter qu’elle est aussi la seule cohérente avec elle-même. Une raison positiviste [ p. 84 ] qui nie les catégories de substance et de cause ne parvient jamais à s’en passer. D’une manière ou d’une autre, elle les introduit subrepticement dans ses propres opérations et nie ainsi son propre principe fondamental. En revanche, une raison qui voit dans le monde un système absolument nécessaire, qu’il soit logique ou mécanique, se détruit elle-même. Car seule une intelligence libre peut distinguer la vérité de l’erreur et ainsi rendre la connaissance possible. Si la raison veut donc échapper à l’auto-contradiction et à l’autodestruction, elle doit s’élever au-dessus du plan positiviste et aussi nécessitarien et être conçue comme libre et finaliste. Une telle raison sera non seulement cohérente avec elle-même, mais elle nous offrira une vision de l’univers compatible avec la croyance religieuse. Elle trouvera un sens non seulement en elle-même, mais aussi dans le monde, elle nous montrera que la personnalité est la seule clé satisfaisante de la réalité ultime et fournira ainsi un fondement solide à la foi chrétienne.
La raison, ainsi conçue, est autonome, mais elle n’en est pas moins l’alliée de la foi, et la foi, à son tour, est l’alliée de la raison. Les deux vont de pair. Il n’y a pas de raison sans une certaine dose de foi, et il n’y a pas de raison cohérente sans une part plus ou moins grande de foi religieuse. D’autre part, il n’y a pas de foi sans une certaine raison, et il n’y a certainement pas de foi cohérente sans un apport considérable de raison. La connaissance n’est pas une bureaucratie où la raison et la foi gouvernent séparément des provinces indépendantes. C’est une monarchie gouvernée par la foi rationnelle ou par la raison croyante. Dans certains cas ou à certains égards, le facteur rationnel peut être dominant, et dans d’autres, le facteur croyant. Mais les deux ne peuvent être complètement séparés. Seule une abstraction illicite peut les séparer. Aucune frontière nette ne peut donc être tracée entre la théologie de la raison et celle de la révélation. L’une implique l’autre, et aucune théologie n’est complète sans les deux. La « théologie révélée » est fondée sur la « théologie naturelle », et cette dernière tire son contenu dynamique et vivant de la théologie révélée. C’est donc une erreur de vouloir limiter la théologie à une simple exposition de la foi chrétienne. Une théologie adéquate doit également en rechercher la justification rationnelle. Mais « rationnel », dans ce contexte, doit être compris au sens téléologique plus large de « raisonnable ». Un rationalisme purement logistique ou empiriste ne peut fournir aucun fondement à la foi religieuse. Un tel fondement ne peut être trouvé que dans un rationalisme qui reconnaît la finalité comme une catégorie fondamentale de la pensée.
Outre la raison, il existe une autre source de connaissance religieuse à laquelle tant chrétiens que non chrétiens ont fait appel. Nous y avons déjà fait référence : l’expérience mystique, l’appréhension directe du Divin par un acte suprasensible et suprarationnel de l’âme.
Le terme « suprarationnel », employé à ce propos, n’est pas totalement exempt d’ambiguïté. Il peut désigner une supériorité sur la simple raison formelle ou discursive, ou sur toute raison. Ce dernier point de vue a été défendu par de nombreux mystiques, parmi les plus influents. Ils ont attribué à l’homme une faculté totalement distincte de la raison, par laquelle il peut entrer en union avec Dieu et acquérir une « perception expérimentale » de sa présence. Cette faculté a été désignée de diverses manières : l’étincelle de l’âme, son essence, son centre, son apex, son fondement, sa partie virginale, le fond de l’esprit, le sommet de l’esprit et la synteresis. Mais quel que soit le nom qu’on lui donne, il s’agit de la capacité, supposée de l’âme, de contempler et d’embrasser directement l’Infini. Cette « contemplation » a un caractère spécifique. Dans sa forme la plus élevée et la plus pure, elle se manifeste par l’extase, un état d’esprit dans lequel le sujet ne fait plus qu’un avec son Objet divin. « L’œil avec lequel je vois Dieu », disait Maître Eckhart, « est le même œil avec lequel il me voit. » [9] Pour le connaître, « je dois devenir complètement lui et lui moi ; afin que ce lui et ce moi deviennent et soient un seul moi. » [10] Une telle expérience unitive peut être qualifiée, avec Plotin, de « raison non plus, mais plus que raison, et avant la raison, et après la raison. » [11]
En excluant toute différenciation et toute altérité, la contemplation extatique transcende non seulement la pensée discursive, mais la pensée articulée elle-même et devient par nature ineffable. On pourrait en dire long à son sujet. On peut l’analyser et la systématiser en une sorte de science, comme les mystiques depuis Hugues et Richard de Saint-Victor ont cherché à le faire ; et de ce point de vue, on pourrait, avec Harnack, définir le mysticisme comme « le rationalisme appliqué à une sphère supérieure à la raison », et dire avec Goethe qu’il est « la scolastique du cœur, la dialectique des sentiments » ; mais par essence, l’expérience contemplative ou mystique est quelque chose d’à part de la raison, unique et indépendante, voire antithétique à elle. Tel est peut-être le sens dans lequel sa suprarationalité est le plus communément comprise.
Il y a cependant ceux qui cherchent à rapprocher la raison et l’expérience mystique et qui soutiennent que cette dernière ne doit être considérée comme suprarationnelle qu’au sens où elle transcende la raison discursive. Si la raison est interprétée comme « la logique de la personnalité tout entière », comme elle devrait l’être, le mystique, nous dit-on, n’aurait aucun intérêt à faire appel à une faculté supérieure à la raison. Il pourrait considérer sa propre expérience unique comme « le summum de la rationalité ». [12] Au lieu d’accepter la définition du mysticisme donnée par Harnack, telle que donnée ci-dessus, nous pourrions, avec Dean Inge, l’inverser et dire que le mysticisme est « la raison appliquée à une sphère supérieure au rationalisme ». [13] Cette interprétation de la relation entre le mystique et le rationnel est tout à fait défendable, à condition d’entendre par « mystique » la forme la plus modérée de ce type d’expérience.
Mais ce qui nous intéresse ici n’est pas la relation du mysticisme à la raison, mais sa relation à la foi. Le problème de la foi et du mysticisme n’a jamais été aussi aigu que celui de la foi et de la raison. L’expérience mystique a été un facteur moins perturbateur dans la pensée chrétienne [ p. 88 ] que la raison naturelle. Il y a eu une théologie « mystique » ainsi qu’une théologie « naturelle » ou rationaliste, mais son influence a été beaucoup plus limitée et a affecté la théologie « dogmatique » beaucoup moins sérieusement. Le principe en jeu, cependant, dans les deux cas a été substantiellement le même. L’expérience mystique et la raison appartiennent toutes deux à l’homme « naturel » en ce sens qu’elles ont toutes deux occupé une place reconnue dans les religions dites « naturelles », et la question s’est donc posée de la relation qu’elles entretiennent ou devraient entretenir avec la foi chrétienne « révélée ». Nous avons longuement examiné cette question, dans la mesure où elle touche à la raison. Il nous appartient maintenant de l’aborder dans sa dimension mystique. Dans le chapitre précédent, nous avons distingué le type mystique de piété, tel qu’il est incarné dans diverses religions non chrétiennes, du type prophétique incarné par le christianisme, et souligné certaines différences fondamentales entre eux. Mais il s’agit ici d’une forme modifiée de mysticisme, du mysticisme au sein de l’Église chrétienne, et le problème de son rapport à la foi est bien différent du problème général des relations entre les types mystique et prophétique de piété.
De même que l’on a tenté d’établir une antithèse entre foi et raison, une tentative similaire a été menée dans le cas de la foi et du mysticisme. Mais l’approche du problème a été quelque peu différente. Ritschl et certains de ses disciples ont, par exemple, soutenu que le mysticisme est la forme caractéristique de la piété catholique et qu’il n’a pas sa place dans la véritable foi chrétienne, telle qu’elle est illustrée par le protestantisme. Emil Brunner et d’autres représentants de la théologie dite de « crise » ou « dialectique » soutiennent qu’il existe un mysticisme protestant et un mysticisme catholique, et que le premier comme le second s’opposent à la véritable « foi » paulinienne et réformatrice. Nous aborderons brièvement ces deux conceptions du mysticisme et son rapport à la foi.
La vision ritschlienne a été exprimée avec la plus grande vigueur par Wilhelm Herrmann. [14] Il entend par mysticisme le type néoplatonicien de piété, « une piété qui ressent comme pesant ce qui est historique dans les religions positives et le rejette ». Cette piété est purement subjective, fondée sur le sentiment, et conduit à une conception vague et vide de la Déité : Dieu est la simple négation du monde. Une telle expérience religieuse, nous dit-on, appartient « hors du christianisme ». Là, elle surgira partout « comme la fleur même du développement religieux ». Mais le chrétien doit la déclarer « illusion ». Car ce qui fait de nous des chrétiens, c’est qu’« en la personne de Jésus, nous avons découvert un fait incomparablement plus riche en contenu que tous les sentiments qui naissent en nous, et qui nous rend si certains de Dieu que notre conviction d’être en communion avec lui peut se justifier devant la raison et la conscience. » [^15] Le problème du mysticisme, selon Herrmann, est sa subjectivité et le vide et l’incertitude qui en découlent. Il ne parvient pas à accorder une place adéquate au Christ, ni dans notre expérience religieuse [ p. 90 ] ni dans notre conception de Dieu. Il peut sans doute le considérer comme le chemin vers Dieu, mais il pense que la communion avec Dieu est possible au-delà de lui et sans lui. Et cela, Herrmann le considère comme « non chrétien ». Le chrétien ne « vient pas simplement à Dieu par le Christ », il ne trouve « en Dieu rien d’autre que le Christ ». Dans la vie personnelle de Jésus-Christ, il a une vision positive de Dieu, et cette vision est définitive et absolue ; elle domine toute son expérience religieuse. Telle est la position distinctive du protestantisme, et par conséquent, il n’y a pas de place pour le mysticisme et ses présupposés néoplatoniciens. « Il ne sera jamais possible », dit Harnack, « de rendre le mysticisme protestant sans aller à l’encontre de l’histoire et du catholicisme. . . . Un mystique qui ne devient pas catholique est un dilettante. » [15]
En réponse à cet enseignement ritschlien, on peut soutenir que le mysticisme ne doit pas être identifié à sa forme néoplatonicienne. Son élément essentiel est la « conscience directe et immédiate de la Présence Divine », et cela est tout à fait indépendant du type particulier de philosophie auquel on adhère. C’est un fait religieux élémentaire, « commun à toute religion ». La religion comporte trois éléments fondamentaux : l’historique ou institutionnel, l’intellectuel ou spéculatif, et le mystique ou expérimental. [16] L’un d’eux peut être mis en avant plus que l’autre, et ainsi différents types de religion peuvent surgir. Mais chacun a sa place dans toute religion concrète ou positive, et la différence du mysticisme ne réside pas dans un quelconque élément nouveau qu’il contient, mais dans l’accent particulier qu’il accorde au facteur subjectif ou expérientiel de la religion. Ce facteur peut connaître un développement unique sous l’influence stimulante d’une philosophie ou d’une théologie particulière, comme la néoplatonicienne. Mais ce qui constitue le mysticisme n’est pas ce développement unique, mais l’expérience religieuse commune sur laquelle il se fonde. Partout où nous avons le sentiment d’une communion directe avec Dieu, nous avons une expérience mystique. Le mysticisme n’est donc pas « une espèce particulière de “religion », comme le souligne Herrmann, mais plutôt un aspect de la religion universelle ou une importance particulière qu’elle accorde. Et de ce point de vue, Herrmann était lui-même un mystique. Il se sentait « intimement saisi par Dieu » et insistait sur le fait qu’il ne différait du mystique néoplatonicien que par la manière dont il prenait conscience que Dieu le touchait. 18 Cependant, le contact divin, tel qu’il l’a vécu, il refusait de le qualifier de « mystique » ; mais la différence entre lui et les autres à ce stade n’était guère plus que verbale.
Plus important encore était son insistance unilatérale sur l’élément éthique du christianisme. C’était sans doute l’accent majeur de l’enseignement de Jésus et des prophètes. Ils en appelaient au caractère absolu de la Loi morale, à l’impératif catégorique, comme moyen d’éveiller chez les hommes le sens de l’Éternel. Mais outre la Bonté, il existe d’autres idéaux qui nous révèlent le Divin, les idéaux de Beauté et de Vérité. Et dans toute religion globale, ceux-ci doivent également être reconnus. Il existe un danger, il est vrai, que, sous l’influence de l’esthétique et de l’idéal intellectuel, la religion dégénère en un sentimentalisme vague ou en un dogmatisme sans vie ; c’est pourquoi l’accent éthique ou prophétique sera toujours nécessaire en religion. Mais cet accent peut devenir unilatéral, et dans ce cas, la religion peut dégénérer en un moralisme sec et superficiel. Nous avons besoin d’une religion pour toute la vie ; et cela signifie que la Vérité et la Beauté ainsi que la Bonté doivent être considérées comme des voies d’accès à l’Éternel, et cela signifie aussi que le sens mystique sera associé à chaque révélation de l’idéal. La conception ritschlienne de la « foi » est trop étroite, trop exclusivement éthique.
De nouveau, Ritschl et Herrmann, en réaction à la subjectivité du mysticisme, cherchèrent à établir une impossible objectivité historique. Ils mirent en avant la réalité concrète du Christ, opposée aux sables mouvants du sentiment. Voilà, nous dit-on, une donnée historique immuable d’âge en âge. Et non seulement elle est plus sûre que nos sentiments mystiques, mais elle est incomparablement plus riche en contenu. En Christ, nous possédons une richesse de vérité religieuse qui le distingue de tout autre enseignant religieux et lui confère une place tout à fait unique dans l’histoire humaine. Par lui, et par lui seul, nous parvenons à Dieu. Il n’y a pas d’autre nom donné parmi les hommes par lequel nous puissions être sauvés.
Dans l’insistance ritschlienne sur ce point, nous trouvons, de toute évidence, une authentique note chrétienne ; mais il est tout aussi évident que cette note chrétienne ne nous autorise pas à condamner la vie religieuse du monde non chrétien ou sous-chrétien comme étant sans valeur. Sans une capacité humaine innée à reconnaître Dieu, la vie du Christ ne serait pas appréciée et aucune valeur unique ne lui serait attribuée. En effet, la conception même du christianisme comme couronnement et sommet du développement religieux de l’homme présuppose quelque chose en dessous, dont il est le couronnement et le sommet. La religiosité vague et diffuse de l’homme naturel est le fondement sur lequel se construit la vie concentrée et véritablement spirituelle du chrétien. Entre les deux, il n’y a pas d’antithèse fondamentale ; au contraire, ils s’impliquent l’un l’autre. Car il ne peut y avoir de véritable subjectivité sans plus ou moins d’objectivité, et il ne peut y avoir de véritable objectivité sans plus ou moins de subjectivité. Le mysticisme subjectif de l’homme naturel ne peut trouver son accomplissement que dans l’objectivité de la foi chrétienne, et la réalité objective du Christ présuppose les aspirations profondes et natives de l’âme humaine. On peut, par respect pour la prétention absolutiste du christianisme, affirmer avec une certaine justesse que c’est le Christ, et lui seul, qui confère aux autres religions leur vérité et leur valeur permanentes ; mais, d’un autre côté, on peut aussi affirmer avec tout autant de vérité que seuls les besoins et les intuitions religieuses innés des hommes permettent d’apprécier et de reconnaître la dignité unique du Christ.
La tentative de l’école ritschlienne de tracer une ligne de démarcation nette entre foi et mysticisme doit donc être déclarée un échec. Il existe un mysticisme exclusif qui doit être rejeté comme non chrétien. Mais dans sa réaction contre lui, Herrmann [ p. 94 ] est tombé dans un « christocentrisme excessif », une sorte de « panchristisme » et a développé une vision de la foi chrétienne que Von Hugel a assez justement décrite comme « un amalgame exclusif de moralisme et d’histoire ». [17] Une telle conception de la « foi » peut servir les intérêts d’un protestantisme partisan en le différenciant nettement du catholicisme, mais ce faisant, elle restreint le protestantisme et tend à en éliminer l’une des forces les plus vigoureuses et les plus saines qui se soient manifestées dans toute son histoire. Je fais référence au piétisme sous ses diverses formes allemandes et anglaises. Vers la fin de sa vie, Ritschl consacra dix ans à la rédaction d’un important ouvrage en trois volumes sur l’Histoire du piétisme. Il y affirmait que le piétisme n’était ni un retour à l’enseignement de Luther, ni une avancée au-delà, mais un retour au type de piété mystique courant dans le catholicisme médiéval. Harnack lui-même condamna cette attaque contre le piétisme, la qualifiant de « partiale, étroite et partisane ». Il existe, il est vrai, une certaine parenté entre le piétisme et le mysticisme ; tous deux insistent sur l’élément subjectif ou émotionnel de la religion. Mais ce point commun, insistent-ils tous deux, remonte non seulement au Moyen Âge, mais aussi à l’enseignement de Paul et de Jean. Dans le Nouveau Testament, il n’y a pas d’antithèse entre « foi » et expérience mystique. [18]
Plus récemment, Emil Brunner et d’autres représentants de la théologie de la « crise » ont cherché à établir une distinction encore plus radicale entre la foi et le mysticisme que celle prônée par l’école ritschlienne. Non seulement ils répudient le mysticisme dans sa forme la plus extrême, mais ils rejettent le principe expérientiel sur lequel repose tout mysticisme. Ce à quoi ils s’opposent principalement dans le mysticisme n’est pas sa doctrine extrême de la transcendance divine, ni son indifférence à l’histoire, mais sa doctrine de l’immanence divine, sa conviction que Dieu se manifeste dans l’expérience humaine et que, par le sentiment ou une autre forme d’activité psychique, l’homme est capable de saisir le Divin. S’inspirant de Sören Kierkegaard (1813-1855), qu’ils considèrent comme « le plus grand penseur chrétien du siècle dernier », [19] ils insistent sur l’existence d’une « différence qualitative infinie entre le temps et l’éternité », et ainsi, d’un seul coup, ils coupent le souffle non seulement à tout mysticisme, mais aussi à tout rationalisme et à tout moralisme. Ni dans la volonté humaine, ni dans la raison humaine, ni dans le sentiment humain, on ne peut trouver Dieu. Il est l’antithèse de tout ce qui est humain. Toute l’aventure du mysticisme est donc une erreur, oui, plus qu’une erreur, une « présomption impie ». Il suppose que par notre propre expérience nous pouvons nous saisir de Dieu, que les hommes peuvent réellement construire une tour assez haute pour atteindre le ciel.
Cette hypothèse, selon Brunner et Barth, est la négation même de tout ce qui est spécifiquement chrétien. Ce que le christianisme met en avant, c’est la « révélation » et la « foi », et celles-ci sont diamétralement opposées à « l’union-intuition » du mysticisme et à toute tentative de combler le fossé entre l’humain [ p. 96 ] et le divin du côté humain. L’expérience religieuse, avec ou sans ses intuitions et ses extases, ne peut nous éloigner du rivage humain. Seules la révélation et la foi le peuvent, et toutes deux viennent de Dieu. Elles ne font pas partie de l’expérience humaine. « Croire en Dieu est l’antithèse de l’expérience de Dieu… Notre foi s’oppose à toute expérience, tout comme elle s’oppose à la mort et au Diable. » [20] Nous croyons malgré la contradiction de l’expérience. En effet, c’est le caractère contradictoire de l’expérience qui rend la foi nécessaire ; et pour cette raison, la foi est elle-même supra-empirique, supra-humaine, à tel point que nous ne savons pas quand nous l’avons ; nous ne pouvons que « croire que nous croyons ». [21] Il n’y a donc aucun moyen d’allier la foi à l’expérience mystique ou à une expérience quelle qu’elle soit. Dans la foi et le mysticisme, nous avons deux types distincts de relation à Dieu. L’un est chrétien, l’autre païen ; et les deux s’excluent logiquement. Aucun compromis réel n’est possible entre les deux. La foi ne peut être traduite en expérience religieuse sans être déformée. C’est pourquoi le mysticisme chrétien, ainsi appelé, est un hybride. C’est « un mélange de foi et de mysticisme, de paganisme et de christianisme, tout comme l’est le catholicisme dans son ensemble. Cela vaut également pour la religion de Schleiermacher » [22] et pour la piété « moderne » en général. Le grand besoin de notre époque est donc de démêler les deux et d’établir leur antithèse essentielle.
Tel est le programme de la théologie barthienne. [ p. 97 ] On ne peut nier qu’elle ait une valeur considérable en réaction à l’accent unilatéral mis sur l’immanence divine et à l’humanisme laxiste de notre époque. Mais la tentative d’établir une antithèse nette non seulement entre la foi et le mysticisme, mais entre la foi et l’expérience religieuse dans son ensemble doit être considérée comme une mésaventure théologique. D’une part, la prétendue, ou plutôt présupposée, « différence qualitative infinie entre le temps et l’éternité » est une hypothèse arbitraire. La religion exige sans aucun doute un contraste entre l’humain et le divin, mais elle exige aussi une parenté entre eux, si nous voulons que nos besoins soient pleinement satisfaits. Insister sur le contraste au détriment de la parenté, c’est faire violence à la foi comme à la raison. De plus, « révélation » et « foi » n’ont leur place et ne trouvent leur véritable sens que dans l’expérience religieuse. Les en détacher, voire les lui opposer, revient à les réduire à de vaines abstractions. Et si nous cherchons ensuite à leur donner contenu et réalité en les important de manière miraculeuse dans le courant de l’histoire ou de la conscience humaine, nous n’avons aucun moyen de les distinguer de leur environnement humain immédiat, si ce n’est en faisant appel à une norme humaine, objective ou subjective. En faire le test de leur propre divinité, c’est les laisser dans un isolement surhumain. En réalité, il est impossible de tracer une frontière nette entre l’humain et le divin. Opposer la foi à l’expérience mystique sous prétexte que l’une est divine et l’autre humaine, c’est tomber dans un surnaturalisme obsolète.
[ p. 98 ]
Comme dans le cas de la foi et de la raison, de même dans le cas de la foi et du mysticisme, nous devons donc affirmer une parenté. Mais de même qu’il nous a semblé nécessaire de distinguer différentes sortes de « raison », il est nécessaire de distinguer différentes sortes de mysticisme, et en particulier deux : un type plus extrême et un type plus modéré. Le type le plus extrême fut introduit dans le christianisme en grande partie grâce à l’influence du pseudo-Denys, dont les écrits datent du début du VIe siècle. Ils furent traduits en latin au IXe siècle par Jean Scot Érigène, mais ne devinrent apparemment en vogue qu’au XIIe siècle. Dès lors, ils devinrent la grande source de la théologie mystique. [23] Leur enseignement essentiel a été décrit comme celui de « la philosophie néoplatonicienne légèrement aspergée d’eau baptismale provenant des fonts baptismaux ». Ils soulignaient particulièrement l’extrême transcendance de la Réalité ultime. Le langage était presque épuisé pour en faire ressortir le caractère ineffable. On ne pouvait la décrire qu’en termes négatifs, et pourtant on disait qu’elle transcendait toute pensée humaine, tant en valeur qu’en être. On supposait que le plus haut degré d’universalité, et aussi le plus haut degré de valeur, correspondait au plus haut degré de réalité. Mais la notion dominante dans la conception de la réalité ultime était celle d’universalité absolue, un concept dénué de contenu positif et identique à la simple unité. Or, une Réalité aussi négative et abstraite, même avec une majuscule, pouvait difficilement remplir la fonction de la Déité chrétienne, et c’est pourquoi Maître Eckhart [ p. 99 ] faisait une distinction entre la Divinité et Dieu. Cette idée devint populaire dans les cercles mystiques. [^26] Dieu était considéré comme la personnalisation de la Divinité, sa manifestation et sa réalisation, et donc comme un Être dérivé ou secondaire. Par conséquent, parmi les mystiques, la pensée chrétienne de Dieu était éclipsée par la pensée d’une Réalité plus ultime, et donc supérieure à lui.
Sous l’influence de cette conception panthéiste, inhérente au mysticisme philosophique et à sa forme la plus extrême, naquit une tendance à attribuer à la théologie dogmatique un caractère purement symbolique et à considérer son théisme strict comme essentiellement métaphorique. Une indifférence à l’histoire biblique se développa également, conséquence de l’immédiateté de l’expérience mystique. Si Dieu était appréhendé directement et immédiatement par l’intuition du mystique, quel besoin d’une révélation historique ? L’important est de connaître Dieu et d’être sûr de lui, et si cela peut être atteint par la vision mystique et l’extase, pourquoi devrions-nous nous préoccuper des faits historiques ? Un tel raisonnement était un accompagnement quasi inévitable du mouvement mystique, d’où une nette divergence entre celui-ci et le christianisme historique. Ce dernier plaçait la personne du Christ et la personnalité de Dieu au cœur de son enseignement, tandis que le premier, sous l’influence du néoplatonisme, tendait à les occulter.
[ p. 100 ]
Ce n’est cependant que le mysticisme, sous sa forme la plus négative et la plus abstraite, qui a ainsi établi un parallèle avec la foi chrétienne. La forme la plus douce et la plus courante du mysticisme n’avait aucun lien conscient avec la métaphysique néoplatonicienne. Elle apparaît, comme nous l’avons vu, dans l’enseignement de Paul et de Jean et, tout au long de l’histoire chrétienne, s’est généralement rapprochée de l’enseignement traditionnel de l’Église. Elle a cherché à vivifier cet enseignement. Elle a souligné l’importance de l’expérience religieuse, une expérience qui saisit réellement Dieu. Or, une telle expérience n’implique aucune rupture avec le passé, ni aucune union extatique avec une Réalité « supraessentielle ». Elle est liée à la foi en Jésus historique et au Dieu de Jésus. Au lieu d’être indépendante de cette foi, elle la présuppose. Et à ce propos, on peut souligner que toute expérience mystique implique une foi d’une certaine forme. Le mysticisme chrétien le plus extrême repose sur la foi en la philosophie néoplatonicienne, et le mysticisme le plus doux sur notre foi chrétienne traditionnelle. Mais dans les deux cas, c’est la foi qui donne naissance à l’expérience. Mysticisme et foi ne s’excluent donc pas, ni ne sont indépendants l’un de l’autre. Sans foi, il ne pourrait y avoir d’expérience mystique ou véritablement religieuse, et sans une telle expérience, la foi serait dépourvue de vitalité. La foi produit l’expérience mystique, et l’expérience mystique, à son tour, vivifie la foi. Cela est vrai aussi bien pour la foi chrétienne que pour la foi néoplatonicienne.
Mais ce qui nous préoccupe ici principalement, c’est de savoir si les expériences mystiques peuvent être considérées comme un complément à la foi chrétienne [ p. 101 ], soit en la validant, soit en enrichissant son contenu. Ce dernier type de complément est sans doute théoriquement possible, mais compte tenu de ce qui précède, il ne faut guère s’attendre à des ajouts positifs au contenu de la foi de la part des expériences des mystiques. De telles expériences, comme nous l’avons vu, sont constituées par la foi et la reflètent donc naturellement plutôt qu’elles ne l’enrichissent. Et c’est, dans l’ensemble, ce qui s’est réellement produit dans l’histoire de la mystique chrétienne. Çà et là, des mystiques se sont éloignés de la foi traditionnelle, mais ils ne l’ont pas fait à cause de nouvelles révélations de vérité qui leur auraient été apportées par leurs expériences mystiques. Ils l’ont fait parce qu’ils avaient une foi implicite en une philosophie non chrétienne comme le néoplatonisme, et parce que cette foi a modelé leurs expériences en conformité avec certaines conceptions de Dieu et de la vie spirituelle, différentes de celles défendues par la tradition chrétienne. En général, cependant, cet écart par rapport à la foi chrétienne de la part des mystiques a été largement négatif. Il a consisté à brouiller les contours positifs de la croyance chrétienne plutôt qu’à lui substituer quelque chose de précis. En règle générale, les mystiques s’accordent à dire qu’à la suite de leurs expériences, ils étaient certains que Dieu existe, mais qu’ils ignoraient ce qu’il est. Nous n’attendons donc naturellement pas d’eux des ajouts positifs au contenu de la foi chrétienne. Ce ne sont pas des vérités particulières ou nouvelles qu’ils ont cherché à nous transmettre. [24]
[ p. 102 ]
Le mysticisme a principalement cherché à valider la foi, à en fournir une vérification expérimentale. « La contemplation », disait Bernard, « s’intéresse à la certitude des choses. » [25] Et il est évident qu’elle a atteint ce but dans le cas des multitudes. Mais cette prétendue vérification était-elle digne de confiance ? Les expériences mystiques appréhendent-elles réellement une réalité objective et nous fournissent-elles ainsi une sorte de preuve perceptive de la vérité de la religion ? Ou bien l’objectivité de l’expérience religieuse n’est-elle qu’une projection illusoire dans la réalité de ce qui est donné par la foi elle-même ? À ce stade, la confusion règne, faute de prendre en compte le fait que foi et expérience mystique sont interdépendantes. Il n’existe pas d’appréhension directe et immédiate de Dieu, contrairement à ce que certains mystiques ont prétendu. Mais il n’existe pas non plus d’appréhension d’une quelconque réalité objective. Toute expérience perceptive est une expérience interprétée ; elle est conditionnée par l’esprit qui l’appréhende. Nulle part nous ne trouvons d’objectivité pure et immédiate. Sans les catégories de la pensée, nous ne pourrions avoir aucune connaissance du monde extérieur, et sans la foi, nous ne pourrions avoir aucune connaissance de Dieu. Notre expérience mystique est conditionnée par la foi, à peu près de la même manière que notre expérience sensorielle est conditionnée par les catégories. Mais dans aucun des cas, la validité de l’expérience n’est remise en question par la condition sur laquelle elle repose. Toute expérience et toute connaissance ont nécessairement leurs facteurs de conditionnement. Il n’y a donc aucune raison intrinsèque pour que l’expérience mystique ne soit pas objectivement valide.
Une telle expérience, cependant, peut difficilement être considérée comme une validation indépendante de la foi. Il s’agit plutôt d’une auto-validation de la foi elle-même. L’expérience mystique confère à la foi une telle vivacité et une telle richesse émotionnelle que son objectivité s’apparente à celle de la vision. Elle confère à la foi une certitude qui se rapproche de celle de la vue. Mais ce faisant, elle n’ajoute rien à la foi, mais elle en évoque plutôt ce qu’elle contient déjà. Autrement dit, l’expérience mystique ne se résume pas tant à une justification extra-fiduciale de la foi qu’à son pouvoir d’auto-évidence. À cet égard, il est important de noter que la foi se justifie par l’expérience. On a cherché à maintes reprises à trouver un fondement purement objectif à la foi. Ce motif sous-tendait la vieille doctrine de l’infaillibilité biblique et a récemment refait surface dans l’affirmation barthienne selon laquelle la révélation est un fait ultime et auto-fondateur et que la foi en est une réponse divine. La foi n’appartient pas à notre expérience et n’est pas justifiée par elle. Elle est supra-empirique et trouve sa justification, ou son autojustification, uniquement dans le Deus dixit de l’Écriture. On nous dit que nous ne pouvons aller au-delà.
Dans cette perspective, nous avons une conception très raréfiée de la foi, qui cherche à atteindre une objectivité pure en éliminant tout alliage humain. Cette conception, cependant, est difficilement acceptable pour la pensée critique. Sa séparation nette entre foi et expérience doit être écartée comme une abstraction illicite, et la vision essentiellement autoritaire de la révélation qu’elle implique doit être rejetée comme à la fois « irrationnelle » et arbitraire. Il est impossible d’échapper complètement à la subjectivité. L’acceptation même de la révélation est un acte subjectif, tout comme la détermination de son contenu. De plus, la foi ne peut devenir concrète et réelle qu’en s’incarnant dans l’expérience. Dans l’abstrait, nous pouvons distinguer les deux, et de ce point de vue, nous pouvons considérer l’expérience mystique comme complétant et confirmant la foi. Mais du point de vue concret, nous devons la concevoir comme l’expression d’une certitude inhérente à la foi elle-même.
Cela ne signifie cependant pas que l’expérience mystique n’a pas de fondement objectif et qu’elle est illusoire. Cela signifie plutôt que la foi et l’expérience mystique ont toutes deux un tel fondement et sont dignes de confiance. Toutes deux ont une source divine. Mais on néglige souvent que la foi soit produite ou occasionnée par l’Esprit divin de manière à révéler un ordre objectif ; et donc, si la foi ne reçoit pas une sorte de vérification perceptive indépendante dans l’expérience mystique, on en tire parfois la conclusion sceptique que tant elle que l’expérience mystique sont dépourvues de signification cognitive. Afin de répondre à cette objection, on a donc affirmé que les expériences mystiques sont fondamentalement indépendantes de la foi ou, du moins, peuvent l’être. Elles sont venues à des hommes qui se disaient incroyants. Tel était le cas de Richard Jefferies (1848-1887), « le grand mystique de la nature du XIXe siècle ». [26] Il accepta la [ p. 105 ] philosophie naturaliste de son temps et se proclamait « agnostique » et même « athée ». Pourtant, il eut des expériences mystiques qui lui révélèrent « l’existence d’une entité inexprimable infiniment supérieure à la Déité » 30, ce qui le conduisit à s’exprimer en des termes étonnamment similaires à ceux de Denys, de saint Jean de la Croix et d’autres grands mystiques. En effet, vers la fin de sa vie, ses intuitions mystiques le conduisirent à accepter la foi chrétienne. Or, qu’un incroyant comme lui ait eu ces visions et ces expériences extatiques constitue, nous dit-on, une « justification convaincante des principes fondamentaux de la théologie et du mysticisme catholiques ». Cela prouve que l’intuition du mystique n’est pas « le reflet d’une croyance précédemment acceptée », mais la révélation indépendante d’une réalité objective.
À cela, on peut répondre que Jefferies devait en réalité avoir une foi plus profonde que le credo agnostique ou athée qu’il professait verbalement, et que c’est cette foi plus profonde qui a donné naissance à ses expériences mystiques. Quoi qu’il en soit, ces expériences étaient des expressions de foi plutôt que des visions désintéressées d’une « existence indicible infiniment supérieure à la Déité ». Ce qu’il en dit le démontre. Il est néanmoins significatif que, dans son cas, elles aient préparé la voie à la foi chrétienne. Son expérience à cet égard illustre la véritable relation entre la nature et la grâce. La grâce, comme le disait Thomas d’Aquin, ne détruit pas la nature, mais la présuppose et la perfectionne. Sans aucun doute, le mysticisme naturel de l’âme est gravement défectueux et appelle une critique drastique, tout comme la raison naturelle. Mais ni l’un ni l’autre n’est antithétique à la religion « révélée ». Bather est la foi chrétienne, la couronne des deux.
Jusqu’ici, nous avons soutenu que le christianisme entretient une relation organique avec la raison commune et l’expérience religieuse commune, et que la théologie a pour fonction non seulement d’exposer la foi chrétienne, mais aussi de la justifier à la lumière de notre vie intellectuelle et religieuse commune. La vision dualiste et surnaturaliste ancienne est donc erronée. Le christianisme ne se distingue pas du reste de la vie humaine comme étant exclusivement divin. Il n’est pas une île séparée du grand continent humain. Il est plutôt un pic montagneux s’élevant au-dessus du vaste plan des besoins et des aspirations humaines. Il est l’apogée du naturel, et non son antithèse. Il existe, nous dit-on, une lumière qui éclaire tout homme venant au monde. Et c’est cette lumière que nous avons dans le christianisme, une lumière qui a atteint son apogée la plus vive et la plus éclatante dans la personne du Christ. Entre la lumière que nous avons en lui et celle que nous avons dans la raison et l’expérience religieuse de l’homme « naturel », il n’y a pas de contraste absolu. La différence est une différence de degré. Mais cette différence de degré est si grande qu’elle constitue pratiquement une différence de nature. Quelles que soient les reconnaissances de la vérité et de la valeur des autres religions émanant de penseurs chrétiens représentatifs, [ p. 107 ] ils ont toujours attribué à Jésus une signification tout à fait unique. Ils ont vu en lui le seul révélateur parfait de Dieu. Qu’il y ait eu ou non d’autres révélations de Dieu, il a révélé le Père dans un sens si exclusif et à un degré si prééminent qu’il mérite d’être appelé « la Parole de Dieu ». En lui, nous avons la vérité finale ou absolue. Telle a été la prétention de l’Église chrétienne depuis le début. C’est sur cette prétention que l’Église a été fondée, et c’est de là que découle en grande partie le contenu distinctif de sa théologie.
La prétention chrétienne à l’absolu était d’abord spontanée, fruit d’une conscience irréfléchie. On pourrait la qualifier de « naïve » dans le sens où elle ne relevait pas d’une conclusion raisonnée. C’était plutôt une conviction instinctive. Cela était vrai de l’opinion que Jésus avait de lui-même et de sa mission, ainsi que de celle qu’avaient ses disciples immédiats. Ni lui ni eux n’ont procédé à une comparaison scientifique entre la nouvelle foi et les autres religions, pour ensuite conclure à sa supériorité et, par conséquent, à son absolu. Son caractère absolu, ou finalité, était immédiatement affirmé dans la conscience de Jésus et dans la foi de ses disciples. Sa prétention messianique l’impliquait, tout comme, bien sûr, l’acceptation de cette prétention par d’autres. Certains érudits, il est vrai, ont nié que Jésus ait formulé une telle prétention. Mais elle est si profondément ancrée dans les Évangiles que l’éliminer reviendrait à détruire leur crédibilité historique. Si l’on doit se fier au portrait évangélique de Jésus, il faut lui attribuer « la conscience d’être l’Accomplisseur, de régner sur le trône de l’histoire » [27]. Et que cette conception de lui ait été acceptée par ses disciples n’a pas besoin d’être prouvée. Pour eux, il était, dès le début, le point culminant de la révélation, l’inaugurateur du royaume de Dieu sur terre.
On pourrait, et on le fait généralement, distinguer le message et le messager, mais dans le cas de Jésus, les deux étaient indissociables. La perfection du messager garantissait la perfection du message, et la perfection du message annonçait la perfection du messager. Tous deux conférèrent au mouvement chrétien un caractère unique et définitif. Jésus était plus qu’un prophète ; il était le Fils, seul à connaître le Père et à le révéler aux hommes (Matthieu 11.27). Et son message était l’accomplissement de la Loi et des Prophètes. En un sens, il était plus que cela. Il introduisait, selon Paul, un nouveau royaume de grâce, distinct et en quelque sorte opposé à l’ancien règne de la loi. Le christianisme ne se contentait pas alors de compléter le judaïsme, il ne s’en différenciait pas seulement quantitativement ; il s’en différenciait qualitativement, il l’abrogeait. Et plus encore, il se distinguait des autres religions et les éclipsait. Aucun croyant ne remettait en question sa suprématie absolue. Son caractère absolu était tenu pour acquis. Mais c’est précisément pour cette raison qu’elle n’a pas fait l’objet d’une étude particulière au départ, ni d’un fondement théorique approfondi.
Deux tendances se sont manifestées très tôt. L’une consistait à fonder l’absolu du christianisme sur son [ p. 109 ] isolement, l’autre sur ce que l’on pourrait appeler sa relation culminante avec les autres religions. Ces tendances, comme nous l’avons vu, trouvent leur origine dans la longue discussion sur la foi et la raison, ainsi que sur celle relative à la foi et au mysticisme. En examinant ces controverses, nous avons opté pour la seconde conception, celle de la synthèse de la foi chrétienne avec la raison et le mysticisme, plutôt que pour sa diastasis. Mais ces deux conceptions ont reçu des formulations si précises et distinctes en lien avec le problème de l’absolu du christianisme qu’elles méritent un examen plus approfondi. Elles ont été représentées tout au long de la quasi-totalité de l’histoire chrétienne. Mais c’est la première, la croyance en l’isolement du christianisme, qui a finalement pris le dessus dans la théologie occidentale. La religion chrétienne s’y est alors distinguée de toutes les autres religions par sa prétendue origine miraculeuse. Elle, et elle seule, était déclarée fondée sur la révélation divine. Les autres religions étaient référées à des sources humaines ou démoniaques et condamnées comme fausses. On croyait que l’homme, dans son état naturel, issu de la chute, était totalement incapable d’accéder à la connaissance salvifique de Dieu. La vraie religion doit donc être divinement communiquée aux hommes. Et nous avons une telle communication dans la Bible. Elle a été miraculeusement inspirée, et cette inspiration garantit sa vérité. Si elle n’était pas inspirée, elle pourrait être vraie, mais ce ne serait pas une vérité divine. Ce qui la rend divine, c’est son inspiration miraculeuse. Le miracle est donc le présupposé de la révélation, et c’est aussi sa seule authentification adéquate. La véracité divine d’un message est confirmée par le ou les miracles [ p. 110 ] qui l’accompagnent. Ce n’est qu’ainsi, soutenait-on, que nous pouvons être assurés de la vérité du christianisme. Mais une telle authentification se trouve en abondance dans son origine, et elle seule. C’est donc la religion unique, inspirée, révélée, divinement vraie, absolue et éternelle.
Cette méthode exclusivement surnaturaliste pour fonder la finalité de la religion chrétienne est proche de la pensée religieuse populaire. Développée au Moyen Âge, elle était largement défendue, dans sa forme la plus prononcée, par les théologiens protestants jusqu’à il y a un ou deux siècles. Elle s’est toutefois effondrée devant l’avancée de la critique biblique, des sciences naturelles et de la philosophie moderne de l’immanence divine, et représente aujourd’hui un « point de vue dépassé ». D’importantes modifications ou modernisations en sont certes apparues au cours du siècle dernier. La célèbre « École d’Erlanger », par exemple, représentée par des hommes comme Hofmann et Frank, a fait du miracle de la nouvelle naissance la donnée fondamentale de la théologie, cherchant à en déduire l’historicité des miracles bibliques. Ritschl et Herrmann ont attribué à la vie intérieure de Jésus un caractère essentiellement miraculeux et l’ont rendue normative et, en ce sens, faisant autorité en théologie. Karl Barth et Emil Brunner mettent actuellement l’accent sur le miracle de la révélation comme fondement de la théologie, mais ils en déterminent le contenu de manière tout à fait subjective, rejetant totalement la doctrine de l’infaillibilité biblique. Ces différentes écoles ont toutes cherché à établir l’absolutisme du christianisme par une sorte d’isolement plus ou moins miraculeux, [ p. 111 ], mais elles répudient toutes l’ancien autoritarisme surnaturaliste. Elles ne reconnaissent aucune authentification purement miraculeuse de la vérité devant laquelle la raison humaine devrait s’incliner. Pour elles, la révélation est une évidence ; elle se justifie elle-même. En cela, elles sont modernistes.
Avec la chute de l’ancien surnaturalisme exclusif et rationaliste, une nouvelle méthode d’établissement du caractère absolu du christianisme fut introduite par Hegel et Schleiermacher, en particulier le premier. Cette méthode marquait un retour à la tendance de l’Église primitive qui reconnaissait une parenté entre l’Évangile et la pensée et la vie supérieures du paganisme, qui voyait dans la supériorité de l’Évangile sur toutes les autres religions une différence de degré plutôt que de nature, et qui soutenait que le Logos, incarné en Jésus, illuminait également l’esprit des hommes en général. Il existe cependant une différence entre l’enseignement antique et celui de Hegel : ce dernier mettait l’accent sur l’idée de développement, affirmant que le christianisme n’est pas un fait isolé ou sans rapport, mais l’aboutissement d’un processus évolutif, l’incarnation la plus haute et la plus complète de l’idée de religion. L’enseignement hégélien est donc qualifié d’« apologétique évolutionniste » par distinction avec les formes antérieures de pensée chrétienne. Elle différait également de l’apologétique plus ancienne, en particulier de celle de type particulariste, en ce qu’elle mettait l’accent sur le contenu et l’essence du christianisme plutôt que sur son authentification miraculeuse. En fait, elle excluait cette dernière. Elle voyait partout dans l’histoire religieuse de l’humanité un seul et même processus. Aucun miracle ne différencie une religion des autres. Elle considérait toutes les religions comme divines. Mais elles représentent des stades différents de développement, et le stade culminant, le couronnement logique de tout le processus, elle le trouvait dans la foi chrétienne. Le christianisme est donc la religion absolue. En lui, nous avons la pleine réalisation de Dieu dans la conscience humaine.
Cette apologétique est le substitut moderne du surnaturalisme dogmatique plus ancien. Son idée sous-jacente est impressionnante et recèle sans aucun doute une vérité importante. Mais, sous la forme logico-dialectique développée par Hegel, il s’agissait d’une construction imaginaire largement déconnectée de la réalité historique. L’histoire n’est pas un domaine dominé par des idées générales qui œuvrent avec une nécessité logique pour atteindre une fin. C’est un domaine de liberté, de finalité et de personnalité, et en tant que tel, il échappe à toute réduction à un schéma de développement prédéterminé. C’est, en outre, un domaine du concret et de l’individuel, si infiniment varié dans sa vie en perpétuel changement qu’aucun concept ni système de concepts ne saurait en exprimer pleinement le sens et la valeur. Chaque être est sans doute lié à d’autres êtres, mais au-delà de ces relations, il possède sa propre individualité, qui est, dans une certaine mesure, unique et inexplicable. Cela était particulièrement vrai pour Jésus ; et même, à un degré superlatif, si l’on s’en tient au caractère absolu de sa mission. Hegel le reconnut et chercha à y pourvoir en faisant de lui l’incarnation parfaite de l’Idée. Mais attribuer une importance aussi suprême à un seul individu semblait peu compatible avec la logique du système dans son ensemble. Ainsi, une tendance naquit parmi les théologiens hégéliens à subordonner la personne du Christ au principe ou à l’idée qu’il incarnait et à trouver dans ce dernier l’essence et l’absolu du christianisme. L’idée, par exemple, représentée par Jésus, était celle de l’union de l’humain et du divin. C’est l’idée la plus élevée qui puisse être conçue, et puisqu’elle constitue l’essence de la foi chrétienne, elle imprime au christianisme son statut de religion absolue. Mais la question de savoir dans quel sens et dans quelle mesure cette idée était incarnée dans la personne du Christ est sujette à de larges divergences d’opinion. Hegel lui-même voyait en Jésus le véritable Dieu-Homme, la manifestation de l’Absolu dans le domaine du fini. Mais son disciple Strauss déclara que l’Idée n’aime pas verser toute sa plénitude dans un seul exemple par jalousie envers tous les autres et dans sa Vie de Jésus il chercha à montrer que le Jésus historique réel était une personne très différente du Dieu-Homme de la foi chrétienne.
Schleiermacher a davantage insisté que Hegel sur le particulier et le spécifiquement religieux. Au lieu de partir de l’idée générale de religion et de chercher à démontrer qu’elle a trouvé son incarnation la plus complète dans la personne du Christ ou dans le christianisme, il est parti de l’expérience chrétienne concrète, parfaitement exprimée dans la personne de Jésus, l’homme archétypique, et a cherché à démontrer qu’elle représente le type de religion le plus élevé qui soit et, à ce titre, la religion universelle et absolue. Hegel a déduit le caractère absolu du christianisme du fait qu’il incarne l’idée universelle et parfaite de religion ; [ p. 114 ] Schleiermacher, quant à lui, a déduit le caractère absolu et universel du christianisme de sa propre perfection morale et spirituelle. En d’autres termes, selon Hegel, la perfection absolue du christianisme découlait de l’idée universelle de perfection et était authentifiée par elle, tandis que, selon Schleiermacher, la perfection absolue du christianisme était inhérente à lui-même et donc, dans une large mesure au moins, auto-vérifiable. Mais ni l’auto-vérification ni l’authentification par un critère universel ne fournissaient de fondement logique à l’absolu du christianisme au sens de son « insurpassabilité ». Toutes deux impliquaient des facteurs subjectifs dans leur évaluation, excluant toute possibilité de conviction objective. Il est impossible de démontrer que le christianisme ne sera jamais supplanté par une autre religion supérieure. Origène, Nicolas de Cues et, plus récemment, Troeltsch ont soutenu qu’il serait ainsi supplanté, ou du moins pourrait l’être, et diverses sectes chrétiennes, telles que les montanistes de l’Église primitive et les joachimites de l’Église médiévale, ont proclamé un nouvel âge de l’Esprit transcendant celui du Fils. La possibilité théorique d’une telle avancée au-delà de l’Évangile chrétien est indéniable. Ni l’évolutionnisme de Hegel et de Schleiermacher, ni le surnaturalisme exclusif de la théologie dogmatique ne constituent une barrière efficace contre cela.
La question de l’« insurpassabilité » du christianisme n’est cependant qu’une phase du problème de son caractère absolu, et cette phase est d’une importance secondaire du point de vue pratique. Aucun intérêt immédiat ou vital de l’Église n’est en jeu. Par le passé, on a communément supposé que la révélation de Dieu en Christ ne serait jamais transcendée, et c’est sans doute encore la croyance générale. Mais si l’on devait conclure avec Origène et Nicolas de Cues qu’un « Évangile éternel », une « religion éternelle de vision immédiate », finira par supplanter le christianisme historique, aucun mal grave n’en résulterait. Le seul effet défavorable, s’il en est, serait d’atténuer légèrement l’auréole de sainteté absolue qui entoure actuellement la foi chrétienne. Sa supériorité et son autorité actuelles ne seraient pas remises en question.
Un aspect plus important du problème concerne la question de savoir si l’on peut affirmer l’absoluité d’un phénomène historique. Troeltsch [^32] et GB Foster [28] ont vigoureusement soutenu que l’histoire est par nature relative et qu’aucune personne ou institution historique ne peut par conséquent être absolue. Et, face au surnaturalisme dualiste plus ancien, cette considération a du poids. Jésus et la Bible n’ont pas été miraculeusement isolés du reste du monde. Ils étaient liés à d’autres religions et à d’autres chefs religieux et leur nature était, dans une large mesure, déterminée par cette relation. Jésus était, au sens propre, un homme de son temps. Mais si tel est le cas, comment peut-on lui attribuer l’absoluité ? Il est courant de distinguer les éléments permanents et transitoires de son enseignement [ p. 116 ] et de celui des Écritures, et il est difficile de voir comment cette distinction pourrait être évitée. Mais est-elle vraiment valable au sens strict ? Y a-t-il des éléments dans l’enseignement et l’expérience de Jésus qui soient permanents, au sens d’être éternellement et absolument vrais ? Troeltsch semble le penser. Il semble soutenir que la distinction entre le transitoire et le permanent, ou entre l’enveloppe et le noyau, n’est qu’un procédé apologétique et ne résout absolument pas le problème considéré. « L’absoluité réelle du noyau », dit-il, « absolutise aussi l’enveloppe, et la relativité réelle de l’enveloppe relativise aussi le noyau. » [29] Il semblerait donc que nous devions choisir entre un surnaturalisme absolu, d’une part, et un relativisme englobant, d’autre part.
Mais cette opposition radicale entre l’absolu et le relatif me paraît abstraite et trompeuse. Elle suggère que par absolu nous devons entendre quelque chose de statique et d’immuable, et que pour que le christianisme soit réellement absolu, il doit posséder un noyau dur, immuable d’âge en âge. L’existence d’un tel noyau dur étant incompatible avec le changement incessant de l’histoire et sa relativité, on en conclut que l’histoire et l’absolu s’excluent mutuellement. Mais une telle interprétation statique de l’absolu est injustifiée. Dans le domaine de la religion, Dieu est l’absolu, et il est loin d’être un Être statique. Il est la source dynamique du monde ; et c’est par la communion de l’homme avec lui que la religion prend un caractère absolu. Cela est vrai de la religion [ p. 117 ] en général, et c’est particulièrement vrai du christianisme. En Jésus-Christ, nous croyons avoir un exemple d’union et de communion parfaites entre Dieu et l’homme, et dans cette union parfaite, nous avons quelque chose d’absolu et de définitif. La nature exacte de cette union et le contenu précis de la révélation qu’elle transmet ne peuvent être réduits à des formules fixes et immuables. Ils ne peuvent pas non plus être pleinement appropriés par les hommes. L’appropriation humaine de l’Évangile sera toujours relative et sujette à croissance. Mais à l’Évangile lui-même, tel qu’il est incarné dans la vie et l’enseignement de Jésus, rien ne nous empêche de lui attribuer un caractère définitif. Si en Christ nous nous trouvons face à Dieu comme nulle part ailleurs, ce fait même confère à lui et à sa mission un caractère que l’on peut qualifier à juste titre d’« absolu ». [30]
L’absoluité, appliquée au christianisme, a donc pour nous un double sens. Elle signifie qu’en Christ nous avons une révélation réelle de l’Absolu, de Dieu, et elle signifie aussi que cette révélation est la plus haute que l’homme connaisse. [31] Dans le premier sens, l’absoluité est une question d’expérience chrétienne ; nous avons ce qui nous semble une connaissance immédiate de Dieu par le Christ. Dans le second sens, elle implique une étude comparative des religions du monde. Une telle étude pourrait à première vue sembler conduire à une complexité infinie. Mais en examinant le champ religieux dans son ensemble, il s’avère qu’il y a très peu de religions qui doivent être prises en compte [ p. 118 ] pour traiter de la question de la suprématie du christianisme. « Il est étonnant », dit Troeltsch, « de voir combien peu d’idées l’humanité a vécu en vérité » ; [32] et cela est particulièrement vrai dans le domaine religieux. Parmi les grandes religions éthiques et spirituelles qui méritent seules d’être prises en considération dans ce contexte, nous trouvons, d’une part, le judaïsme, le christianisme et l’islam, qui partagent une racine commune et représentent un type commun. D’autre part, nous avons les grandes religions orientales, le brahmanisme et surtout le bouddhisme, qui représentent un autre type. Parallèlement à celles-ci, diverses formes de religions spéculatives ou rationnelles ont existé, tant en Orient qu’en Occident, mais celles-ci n’ont eu aucun pouvoir indépendant ni autonome. Elles sont issues des religions historiques et en ont tiré leur vitalité. C’est seulement dans ces dernières que « la puissance productive de la religion vibre ».
On peut donc dire que les religions du monde se réduisent essentiellement à deux : la religion prophétique chrétienne et la religion bouddhique orientale. Entre ces deux religions, il n’est peut-être pas possible d’établir la supériorité du christianisme de manière suffisamment objective pour convaincre le bouddhiste. Lorsqu’il s’agit de la vision ultime du monde, des facteurs subjectifs interviennent, échappant à tout contrôle logique. Néanmoins, il existe des normes dans la vie religieuse qui nous permettent de déterminer avec un degré d’objectivité raisonnable le rang relatif des différentes religions, et sur la base de ces normes, nous sommes fondés à affirmer que le christianisme est supérieur au bouddhisme et à toute autre religion, supérieur par son contenu théologique, supérieur par son enseignement éthique, supérieur par sa capacité à répondre aux besoins les plus profonds de l’âme. Cette conclusion est justifiée par l’étude comparative des religions ; mais la décision finale sur la question ne peut, bien sûr, être obtenue par la simple étude. On ne peut y parvenir que dans l’histoire elle-même, décrite comme le champ de bataille des normes de valeur. C’est là que la lutte se déroule. L’optimisme personnel et éthique du christianisme s’oppose au pessimisme impersonnel et quiétiste de l’Orient, et il est probable que, de même que la science occidentale s’impose en Orient, elle finira par le faire avec la foi chrétienne. Sa supériorité intrinsèque semble garantir son triomphe ultime, et en ce sens, nous pouvons affirmer son caractère absolu.
La foi chrétienne, cependant, à laquelle on attribue l’absoluité, ne peut être identifiée à aucun des credo historiques, ni à l’enseignement de l’Écriture dans son ensemble. Seule l’essence du christianisme peut être qualifiée d’absolue. Mais quelle est cette essence ? Comment la définir ? Il y a un peu plus d’un siècle que ce problème, dans son acception technique, a été soulevé pour la première fois. Auparavant, le dogmatisme était dominant. Il a pris diverses formes : l’ecclésiastique, le biblicisme et le rationalisme. Le premier attribuait l’absoluité ou l’infaillibilité à l’Église, le second à la Bible, et le troisième à certaines vérités abstraites de la raison. Aucun d’eux n’avait une juste appréciation du principe du développement historique. Tous identifiaient le christianisme à un corps défini [ p. 120 ] de la vérité, et ne cherchaient donc pas à en déterminer la véritable nature par une étude empirique de son histoire. Pour eux, l’essence de la foi chrétienne était déjà donnée par la norme objective de vérité acceptée, et, par conséquent, il n’était pas nécessaire de la définir plus précisément. Cette attitude dogmatique a dominé dans l’Église jusqu’à la fin du XVIIIe siècle ; et ce n’est qu’après son dépassement et l’introduction d’un véritable esprit historique qu’une véritable recherche scientifique sur la nature essentielle de la religion chrétienne a pu être menée.
C’est Schleierinacher qui nous a donné la première définition importante du christianisme, fondée sur l’étude de son histoire et de ses relations avec les autres religions. Il rejetait catégoriquement le rationalisme, le moralisme et le dogmatisme plus anciens. Pour lui, la religion n’était pas un simple savoir ou une simple action. C’était quelque chose de plus profond, un sentiment, une expérience vitale. Elle était aussi concrète et individuelle, une croissance historique spontanée. Il n’avait guère de patience envers la soi-disant « religion naturelle » de son époque, la religion de la raison. Il n’y voyait qu’une image évanouie de la vraie religion. Celle-ci, il la retrouvait uniquement dans les religions positives ou historiques. Ces religions étaient liées les unes aux autres, mais chacune avait aussi sa propre nature distinctive, et toute définition complète de celle-ci devait prendre en compte ces deux facteurs : son caractère unique et ses relations avec les autres religions. Ces deux facteurs apparaissent dans la définition du christianisme de Schleiermacher. « Le christianisme », dit-il, « est une foi monothéiste de type téléologique, et se distingue essentiellement des autres religions de ce type par le fait que tout en lui est lié à la rédemption accomplie par Jésus [ p. 121 ] de Nazareth. » [33] Dans cette définition, il convient de noter la place centrale accordée à Jésus de Nazareth. Il convient également de noter que cette place centrale lui est accordée en raison de sa relation à la rédemption. C’est l’expérience rédemptrice rendue possible par lui qui différencie la religion chrétienne de toutes les autres. Il convient, en outre, de noter que le christianisme est placé dans la même classe que certaines autres religions dans la mesure où il est une foi monothéiste et téléologique.
Ritschl a défini la religion chrétienne à peu près de la même manière que Schleiermacher. « Le christianisme », disait-il, « est la religion monothéiste, entièrement spirituelle et éthique, qui, fondée sur la vie de son Auteur en tant que Rédempteur et Fondateur du royaume de Dieu, consiste en la liberté des enfants de Dieu, implique l’impulsion à agir par amour, vise à l’organisation morale de l’humanité et fonde la béatitude sur la relation de filiation avec Dieu, ainsi que sur le royaume de Dieu. » [34] L’élément nouveau de cette définition est l’accent mis sur l’aspect éthique de la vie chrétienne, représenté par l’idée du royaume de Dieu. Jésus est lié non seulement à l’œuvre de rédemption, mais aussi à l’organisation morale de l’humanité. Ces deux axes d’activité sont essentiels à la foi chrétienne. Ritschl disait que la vérité chrétienne n’est pas un cercle avec un centre, mais une ellipse avec deux foyers ; les foyers sont la rédemption et le royaume de Dieu. Mais à part l’accent particulier qu’il met sur cette dernière idée, sa définition [ p. 122 ] du christianisme ne diffère pas beaucoup de celle de Schleiermacher.
Troeltsch s’opposait à ces définitions et à d’autres similaires, affirmant qu’elles supposaient que l’essence du christianisme était la même depuis ses origines. Il soutenait que son essence avait changé d’époque en époque, et qu’aucun concept ni aucune impulsion identiques n’avait persisté tout au long de son histoire et n’était à l’origine de son expansion. Cette vision « est le corollaire naturel du relativisme historique de Troeltsch et ne repose pas sur une meilleure base que sa théorie relativiste en général. En tant que mouvement historique vivant, il est indéniable que le christianisme résiste à tout carcan conceptuel et à toute réduction à une seule impulsion ou à une paire d’impulsions. C’est un mouvement trop vaste et trop riche pour être exprimé de manière exhaustive dans une formule ; mais cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de continuité dans la foi chrétienne. Le christianisme possède son propre élan vital, et rien ne permet de penser qu’il ne soit pas resté essentiellement le même à travers les âges. De fait, Troeltsch lui-même, lorsqu’il définit l’essence du christianisme, adopte substantiellement le même point de vue que Schleiermacher et Ritschl. « La foi chrétienne », dit-il, « est la foi en la régénération divine de l’homme qui, appartenant au monde, est aliéné de Dieu ; régénération opérée par la connaissance de Dieu en Christ et aboutissant à l’union avec Dieu et à la communion sociale dans le royaume de Dieu. » [35]
[ p. 123 ]
Nous qualifions ces définitions modernes du christianisme de « scientifiques », mais elles ne le sont que dans un sens général, par contraste avec les conceptions dogmatiques d’une époque antérieure. Elles ne sont pas au sens strictement empirique du terme « scientifique ». Elles ne résultent pas d’une simple généralisation. Nous ne pouvons déterminer l’essence du christianisme par des moyens purement inductifs. Nous devons faire appel à un critère objectif qui nous permettra de distinguer l’essentiel de ce qui est accidentel, pervers ou propre à un individu ou à un groupe. Et ce critère a nécessairement une origine subjective. Si une personne est hostile à la religion chrétienne, elle est susceptible d’en trouver l’essence dans un dogme ou une conception obsolète. En revanche, si elle est chrétienne, elle en trouvera naturellement l’essence dans un idéal qui séduit l’homme pensant d’aujourd’hui et qui a un caractère permanent. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons échapper à une certaine équation personnelle dans notre définition du christianisme. L’objectivité pure est impossible. Mais cela ne doit pas nous conduire à violer l’histoire. Cela devrait simplement nous mettre en garde contre un dogmatisme prématuré.
L’« essence » du christianisme est le substitut moderne du livre infaillible ou de l’Église infaillible du passé. Même lorsque l’infaillibilité biblique ou ecclésiastique stricte était généralement acceptée, les théologiens étaient toujours implicitement guidés par une conception plus ou moins clairement définie de la nature essentielle de la foi chrétienne. Ils n’ont jamais réellement attribué une autorité égale à toutes les parties de la Bible ni à tous les décrets dogmatiques de l’Église. Ils ont toujours distingué [ p. 124 ] ce qui attirait leur conscience et leur intelligence et ce qui ne les attirait pas, et ce faisant, ils suivaient consciemment ou inconsciemment ce qu’ils croyaient être l’essence de l’enseignement chrétien. Mais depuis que l’infaillibilité de la Bible ou de l’Église a été abandonnée, cette « essence » est devenue la source et la norme reconnues de la théologie.
Elle n’est pas aussi clairement définie que les normes plus anciennes, mais elle en dérive et conserve ce qui faisait réellement autorité en elles. L’Écriture et l’histoire de l’Église nous apprennent ce qu’est la foi chrétienne dans son essence ; et la tâche de la théologie chrétienne est d’en exposer le contenu intellectuel et de le justifier autant que possible du point de vue de la raison commune et de l’expérience religieuse commune. Elle doit trouver sa justification ultime en elle-même.
[^15] : édition allemande, 1892, pp. 27f
[^26] : Comparer Theologia Germanica, chap. XXXI : « À Dieu, en tant que Divinité, n’appartiennent ni volonté, ni connaissance, ni manifestation, ni rien que nous puissions nommer, dire ou concevoir. Mais à Dieu en tant que Dieu, il appartient de s’exprimer, de se connaître, de s’aimer et de se révéler à lui-même. »
[^32] : Die Absolutheit des Christentums. Pour une exposition des vues de Troeltsch en anglais, voir H.S. Sleigh, The Sufficiency of Christianity, et A.C. Bouquet, Is Christianity the Final Religion? pp. 189-240.
La nature de la religion, pp. 324-36. ↩︎
Ainsi Théodore Haering, La foi chrétienne, I, p. 103. ↩︎
« Celui qui supprime la raison, dit John Locke, pour faire place à la révélation, éteint la lumière de l’une et de l’autre. » Essai sur l’entendement humain, IV, XIX, 4. ↩︎
Sermon XLIII, p. 9. ↩︎
Épître CXX, 3. ↩︎
Proslogium, Chap. ET. ↩︎
Pour une excellente exposition de la conception médiévale de la relation entre la foi et la raison ou la philosophie et la théologie, voir Duns Scotus, par CPS Harris (1927), en particulier Vol. I. ↩︎
Hegel lui-même, il est vrai, s’opposait à être qualifié de panthéiste, mais dans le sens où il ne laissait pas de place à la libre relation de Dieu au monde, son système serait généralement admis comme panthéiste. ↩︎
Voir Studies in Mystical Religion, p. 231, par Rufus M. Jones. ↩︎
Voir Mysticism, p. 502, par Evelyn Underbill. ↩︎
Ennéade VI, 9, 10. ↩︎
Études sur la religion mystique, p. xxi, par Ruf us M. Jones. ↩︎
Mysticisme chrétien, p. 21. ↩︎
La communion du chrétien avec Dieu, pp. 19-56. ↩︎
Cité par WR Inge dans Christian Mysticism, p. 345. ↩︎
Voir Baron von Hügel, L’élément mystique dans la religion, I, pp. 50-82, ↩︎
L’élément mystique de la religion, II, pp. 263-69, 332f. ↩︎
Pour une déclaration bien équilibrée de la relation entre le mysticisme et la vie chrétienne, voir Humanisme et christianisme, par l’évêque Francis J. McConnell, pp. 96-124. ↩︎
E. Brunner, Mysticisme et la Parole, p. 99. ↩︎
E. Brunner, ibid., p. 188. ↩︎
K. Terre, Römerbief, p. 128. ↩︎
E. Brunner, Mysticisme et la Parole, p. 388. ↩︎
Voir Dom Cuthbert Butler, Western Mysticism, pp. 180f. ↩︎
Voir A Philosophical Study of Mysticism, pp. 70-82, par Charles A. Bennett. ↩︎
De Consid. II, 5, traduit par G. Lewis. ↩︎
Voir La philosophie du mysticisme, pp. 371-88, par Edward I. Watkin. ↩︎
Voir Le christianisme est-il la religion finale ? p. Ill, par AC Bouquet. ↩︎
La finalité de la religion chrétienne. ↩︎
L’absolu du christianisme, p. 35. ↩︎
Voir L’originalité du message chrétien, pp. 161-91, par HR Mackintosh. ↩︎
Voir Walter Scheller, The Absoluteness of Christianity (1929), où il est soutenu que le christianisme est une religion absolue mais pas la religion absolue. ↩︎
L’absolu du christianisme, p. 61. ↩︎
La foi chrétienne, Par. 11. ↩︎
Justification et Réconciliation, p. 13. ↩︎
Écrits complets, II, p. 512; RS Sleigh, La suffisance du christianisme, p. 134; American Journal of Theology, 1913, p. 13. ↩︎