Auteur : Albert C. Knudson
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La philosophie ne jouit plus du même prestige qu’autrefois. À l’époque moderne, elle a cédé un champ de recherche après l’autre aux sciences empiriques, si bien que certains prédisent un destin comparable à celui du roi Lear, qui partagea ses biens entre ses enfants avant d’être lui-même jeté à la rue. Ses perspectives actuelles ne sont certes pas aussi décourageantes. Mais il est vrai que son droit à une place dans le cursus universitaire, aux côtés des sciences spécialisées, a été remis en question, et il est également vrai que, parmi les philosophes eux-mêmes, de larges divergences d’opinion existent quant à sa véritable nature et à sa fonction. Il n’existe pas en philosophie de corpus de connaissances généralement accepté comme en science. De fait, la question se pose de savoir si les conclusions auxquelles parvient la philosophie peuvent être qualifiées de connaissances au sens propre du terme.
Pourtant, malgré ces incertitudes, on ne peut se passer de philosophie. Nous avons tous une philosophie, qu’on le veuille ou non. Le rejet de la métaphysique est en soi une métaphysique. Nul ne peut échapper à une vision du monde, quelle qu’elle soit, et ce qui est peut-être le plus significatif chez lui est la vision du monde qu’il défend consciemment ou inconsciemment. Les hommes luttent pour leur vision du monde. Ils le font [ p. 147 ] sur le champ de bataille, ils le font dans leur vie culturelle. En effet, la culture est en grande partie le résultat de la lutte pour différentes visions du monde. Les individus soutiennent leur propre vision du monde par des arguments divers, et c’est ainsi que naît la philosophie, au sens le plus spécialisé du terme. Un type de philosophie, comme par exemple la philosophie aristotélicienne, peut devenir pendant un temps si dominant qu’il devient synonyme de philosophie elle-même, et dans ce cas une réaction peut s’élever contre toute philosophie, [1] mais cette réaction s’avère n’être elle-même qu’un autre type de philosophie. D’un autre côté, le fait qu’il y ait souvent tant de désaccords entre philosophes peut donner naissance à un préjugé contre la philosophie en général, mais ce préjugé, une fois approfondi, se révèle être lui-même une philosophie. Seule la philosophie peut supplanter la philosophie. Même si la philosophie a alors perdu une partie de son prestige antérieur, il ne s’ensuit nullement que son pouvoir soit brisé. Elle demeure, consciemment ou inconsciemment, une force aussi puissante que jamais dans la vie intellectuelle du monde, et il est donc important de déterminer la relation de la théologie à elle ainsi qu’à la science.
Dans le chapitre précédent, nous avons distingué la philosophie, ainsi que la théologie, de la science en affirmant qu’elle s’intéresse à la réalité métaphysique, tandis que la science s’intéresse au monde phénoménal. Appliquée à une grande partie de la philosophie du passé, cette [ p. 148 ] façon d’énoncer la distinction serait peut-être généralement acceptée comme substantiellement correcte. Mais elle ne s’applique pas à une grande partie de la philosophie actuelle. De même qu’il existe une interprétation positiviste et une interprétation métaphysique de la science, il existe une conception positiviste et une conception métaphysique de la philosophie. Le type positiviste est très en vogue actuellement ; c’est la philosophie populaire du moment. Il dénonce la métaphysique. Il se veut empirique et scientifique dans sa méthode, et ne prétend différer des sciences spécialisées que par son champ d’application. Son objectif est une systématisation des sciences. [2] Mais il en diffère également sur un autre point important : il est dogmatique. Elle affirme que la connaissance se limite aux sciences empiriques et cesse ainsi d’être scientifique. La science pure n’a rien à dire sur les limites de la connaissance humaine. De telles affirmations sont philosophiques au sens ancien du terme.
La philosophie, dans sa forme traditionnelle, est communément divisée en épistémologie, ou théorie de la connaissance, et métaphysique, ou théorie de la réalité. Ces deux théories sont nominalement rejetées par le « moderniste » philosophique. Mais en réalité, l’épistémologie est un présupposé de la philosophie positiviste autant que de la philosophie métaphysique. Aucune philosophie n’est complète sans une théorie de la connaissance. L’épistémologie est le fondement nécessaire de la métaphysique comme de l’anti-métaphysique. Nul n’est autorisé à affirmer ou à nier la possibilité d’une connaissance transcendant l’expérience avant d’avoir examiné la nature, les conditions et les limites de la pensée humaine. À ce stade, les philosophies positiviste et métaphysique s’accordent. Elles sont antithétiques dans leurs conclusions ; mais tous deux, dans la mesure où ils sont logiques et critiques, commencent nécessairement par une étude du problème de la connaissance et transcendent à cet égard la sphère des sciences empiriques.
La philosophie de type positiviste diffère donc de la science pure par sa portée plus large, par sa prise en compte du problème épistémologique et par son dogmatisme antimétaphysique. Ce dernier trait est le plus caractéristique. S’il constitue un point de différence avec la science, il est aussi un point de parenté avec elle, de sorte que le positivisme, sous ses diverses formes, est devenu la « philosophie scientifique » de l’époque. Il limite la connaissance au domaine couvert par les sciences empiriques et, par son épistémologie, érige cette limitation en dogme. Il brise ainsi la distinction traditionnelle entre la méthode de la philosophie et celle de la science. La même méthode, nous dit-on, doit être suivie dans les deux cas. [^3] La philosophie, comme la science, n’a en fin de compte à voir qu’avec la relation et la corrélation des faits, avec la description. Car elle, comme l’écrit Paul Natorp [ p. 150 ] a dit : « Le chemin est tout, le but n’est rien. » Elle ne reconnaît aucun but ni aucun pouvoir au monde de l’expérience. Elle ne voit dans l’ordre phénoménal qu’une « draperie flottante, suspendue à aucune forme solide, mais repliée autour de la silhouette vide d’un fantôme ». [3] Une telle philosophie ne peut manifestement apporter aucun soutien positif à la théologie chrétienne. De manière négative et indirecte, cependant, son aide a parfois été invoquée par des théologiens. On a, par exemple, souligné que le positivisme implique le renversement du matérialisme ; et puisque le matérialisme a été dans le passé le grand ennemi de la religion, son renversement, nous dit-on, est un service distinct rendu à la foi. Mais invoquer l’aide du positivisme pour renverser le matérialisme revient à chasser les démons par le moyen de Belzébuth. Un groupe de démons est ainsi éliminé, mais un autre démon prend sa place. Car le positivisme, avec son attitude négative envers le supramonde, est tout aussi hostile à la religion que le matérialisme. Karl Pearson va même jusqu’à dire : « Aussi étrange que cela puisse paraître, il n’en est pas moins vrai que c’est dans le matérialisme que réside le prochain souffle de vie de la théologie. » [4] Il entend apparemment par là que le matérialisme affirme la réalité d’un quelque chose de métaphysique appelé matière. Ce qu’est ce « quelque chose », nous l’ignorons, et puisqu’il est inconnaissable, le théologien peut s’y réfugier en toute sécurité. Il peut revendiquer pour lui le soutien du matérialisme philosophique, puis, avec l’aide de la révélation, le transformer en objet de culte. [^6] Mais qu’une telle alliance [ p. 151 ] entre la théologie et l’agnosticisme matérialiste soit possible ou non, le positivisme, en tant que opposé au matérialisme, n’offre aucune aide ni aucun réconfort réels à la religion.
Une autre façon pour certains théologiens de détourner le positivisme à leur profit a été de considérer son agnosticisme comme une preuve de la faillite métaphysique de l’esprit humain et, par conséquent, comme une preuve du besoin de l’homme d’une révélation divine et autoritaire. Si les hommes étaient capables, par leur propre raison, de parvenir à la connaissance de Dieu, une révélation divine ne semblerait guère nécessaire ; tout au plus, elle servirait de complément, plus ou moins précieux, à la perspicacité naturelle de l’homme. Mais si les hommes sont totalement incapables, par leur raison, de parvenir à la connaissance de Dieu, comme c’est le cas selon la philosophie positiviste, il est évident qu’une révélation surnaturelle est absolument nécessaire pour qu’il soit connu. Ceux qui s’intéressent à la nécessité d’une autorité objective en religion trouvent donc dans le scepticisme philosophique un contrepoids naturel à leur autoritarisme. Il en a souvent été ainsi dans l’histoire de la pensée chrétienne. La tendance en ce sens était forte à l’époque de la Réforme. Luther a dénoncé sans ménagement la philosophie aristotélicienne dominante, voyant dans l’impuissance de la raison un motif d’affirmation de la nécessité et de l’autorité exclusive de la Révélation. Cette tendance a réapparu dans la théologie moderne, notamment en Allemagne, où elle a été étroitement associée au positivisme néo-kantien. Un tel usage du positivisme philosophique, cependant, n’a jamais été complet et a toujours impliqué une transformation du positivisme lui-même. Serviteur de la théologie, le positivisme arbore une allure bien différente de celle qu’il affiche dans son terroir d’origine. Le positivisme pur et simple est naturaliste, dogmatiquement et avec arrogance. Il ne laisse aucune place à la révélation divine, et son attelage avec cette dernière le place dans une position étrangère à son but et à son esprit originels. Entre les deux, il n’y a et ne peut y avoir aucun lien intime d’union. Ce n’est que lorsque la philosophie positiviste abandonne son arrogance et son caractère antithéiste, ce n’est que lorsqu’elle assume le rôle de l’humilité intellectuelle, qu’elle peut devenir l’alliée de l’autoritarisme biblique, et à ce moment-là, elle a perdu une grande partie de son caractère distinctif en tant que philosophie.
La théologie à laquelle le positivisme, sous cette forme modifiée, a été associé est à la fois conservatrice et libérale. Dans un cas, le principe positiviste a servi à soutenir l’idée d’une autorité objective, biblique ou ecclésiastique ; dans l’autre, il a été employé dans l’intérêt de l’indépendance et de la primauté de la nature émotionnelle ou pratique. Cette dernière est illustrée par la théologie ritschlienne. Ici, l’idée d’une autorité externe et coercitive est renoncée, et la révélation est interprétée dans un sens vital et pratique plutôt qu’intellectuel. Un certain caractère normatif et autoritaire est attribué à la révélation, mais tant l’autorité que le contenu de la révélation reposent sur la capacité spirituelle et la réceptivité de l’homme plutôt que sur quoi que ce soit d’objectivement miraculeux. En d’autres termes, la foi remplace le miracle comme fondement de la vérité chrétienne. Elle donne à l’homme la compréhension qui [ p. 153 ] sur une base positiviste ne peut être atteinte par l’intellect. Elle n’a pas en elle-même de caractère miraculeux, et par conséquent le contraste entre la vision du monde qu’elle implique et celle du positivisme naturaliste peut ne pas sembler aussi net que dans le cas du surnaturalisme plus ancien. Mais le contenu et l’esprit des deux visions du monde sont totalement différents, et tenter de les maintenir toutes deux en rendant l’une indépendante de l’autre aboutit à un dualisme intolérable. Aucun accord fonctionnel satisfaisant ne peut être établi entre l’agnosticisme positiviste et la foi chrétienne, que ce soit dans sa forme autoritaire ou libérale.
Nous nous tournons ensuite vers la philosophie de type métaphysique. Nous distinguons ici une métaphysique fondée sur l’intellect et une métaphysique fondée sur la morale ou la spiritualité. C’est à Kant que nous devons principalement cette distinction. Il a rejeté la métaphysique dans sa forme intellectualiste ancienne et a cherché à la rétablir sur une base morale. Il a trouvé dans la conscience un fondement suffisant pour affirmer Dieu, la liberté et l’immortalité. Ces affirmations ne s’élèvent pas au niveau de la connaissance au sens strict du terme. Elles expriment plutôt une foi ; mais il s’agit d’une foi fondée sur la raison, une foi inhérente à la raison pratique.
Cette métaphysique fondée sur la morale, ou métaphysique de la « foi », a été développée de diverses manières depuis l’époque de Kant. Ces dernières années, elle est devenue la philosophie de la valeur et a été représentée de manière particulièrement visible par le pragmatisme de William [ p. 154 ] James et l’idéalisme transcendantal de Windelband et Kickert. Aucun de ces mouvements philosophiques ne propose une métaphysique claire et cohérente. Mais tous deux insistent sur l’idée que les besoins et les aspirations des hommes justifient nos affirmations concernant la réalité. Ces affirmations peuvent ne pas être objectivement valables, mais elles sont au moins justifiées en principe ; et si l’on peut démontrer qu’elles représentent des besoins permanents de l’esprit humain, elles peuvent être acceptées comme vérifiées. Ainsi s’ouvre la voie à une philosophie métaphysique.
La philosophie ainsi élaborée se situe à mi-chemin entre le positivisme moderne et l’intellectualisme platonico-aristotélicien. Le premier, par son dogmatisme antimétaphysique, nie le caractère de véritable philosophie, tandis que le second est accusé d’attribuer à la raison pure des pouvoirs qu’elle ne possède pas. Le positivisme, pour autant qu’il soit vrai, est science, et non philosophie ; et le théisme intellectualiste traditionnel est nié par la critique kantienne. Kant nous a enseigné que la connaissance au sens strict du terme se limite à l’expérience. Ce qui se trouve au-delà ne peut être qu’objet de foi. Telle est, nous dit-on, sa grande contribution à la philosophie. Il l’a transformée en une philosophie de la foi. Sa doctrine de l’activité créatrice de la pensée, souvent présentée comme sa plus grande réussite, est de nature intellectualiste et appartient véritablement à la philosophie du passé. L’élément nouveau et le plus significatif de son enseignement était sa doctrine de la primauté de la raison pratique. C’est elle qui a inauguré une ère nouvelle dans l’histoire de la philosophie. Désormais, affirme-t-on, toute vraie philosophie doit être une philosophie de la valeur ou de la foi, une philosophie dont « le but est tout, le chemin rien ». [^7] Mais la foi exprimée en philosophie est une foi qui se traduit constamment en formes logiques et en convictions raisonnées, et la philosophie revêt ainsi un caractère à la fois scientifique et religieux. Elle « se distingue de la religion », dit Kaftan, « en ce qu’elle est science, et de la science en ce qu’elle est religion ». [5]
Une telle vision pratique de la philosophie est naturellement compatible avec la religion chrétienne, notamment dans sa forme protestante. En effet, on a soutenu que ce type particulier de philosophie était « la philosophie du protestantisme » ; et en raison de sa prétendue défense de cette philosophie, Kant a été qualifié de « philosophe du protestantisme ». L’accent a été mis à ce propos sur le caractère pratique de la conception protestante de la foi. Dans le catholicisme romain, la foi signifiait l’assentiment intellectuel. C’était la vision qui s’accordait naturellement avec son système dogmatique et autoritaire. Par opposition à elle, les réformateurs ont mis l’accent sur la nature volitive et émotionnelle de la foi. Pour eux, la foi signifiait décision, confiance, quelque chose de bien plus profond que le simple assentiment de l’esprit. Et dans cette conception, la foi étant l’organe de la connaissance religieuse, il était sous-entendu que les intuitions les plus profondes nous parviennent par la volonté et le sentiment, plutôt que par la faculté perceptive et logique. Kant s’est emparé de cette vérité et, dans sa doctrine de la primauté de la raison pratique, l’a placée au cœur de son système. Une nouvelle approche de la philosophie a ainsi été introduite, ainsi qu’une nouvelle conception de sa nature. Aujourd’hui, dit Windelband, « nous n’attendons pas tant de la philosophie ce qu’elle était autrefois censée donner, un schéma théorique du monde, une synthèse des résultats des sciences individuelles, ou, les transcendant selon ses propres lignes, un schéma harmonieusement complet en lui-même ; ce que nous attendons de la philosophie aujourd’hui, c’est une réflexion sur ces valeurs permanentes qui ont leur fondement dans une réalité spirituelle supérieure, au-dessus des intérêts changeants de l’époque. » [^9] Une philosophie de ce type, qu’elle aboutisse ou non à une métaphysique clairement définie, est manifestement favorable à la croyance religieuse. Elle adhère à l’objectivité des valeurs et fait ainsi au moins un pas important vers le théisme personnaliste.
À ce stade, une divergence d’opinions apparaît quant à la manière d’accéder à la connaissance du monde supérieur des valeurs. La tradition kantienne privilégie ce que l’on pourrait appeler la méthode postulatoire. Selon elle, nous n’avons pas d’expérience directe du monde suprasensible. L’existence d’un tel monde est implicite dans notre nature morale et spirituelle, mais elle ne nous est pas donnée par l’expérience. C’est un postulat, un objet de foi, et non une intuition. Kant considérait comme fanatique l’idée d’une expérience immédiate du Divin. Mais malgré Kant, cette vision « mystique » a été largement répandue dans les milieux protestants et concurrence aujourd’hui la théorie postulatoire ou « de la foi ». À première vue, il pourrait sembler que ces deux théories soient nécessairement opposées, et ce serait le cas si l’expérience mystique était totalement immédiate. Mais il n’en est rien. Toute expérience, articulée et subjective, est conditionnée, et il en va de même pour l’expérience mystique. Elle est conditionnée par la foi. Sans foi, il n’y aurait pas d’état mystique, et sans l’immédiateté du mysticisme, l’état de foi ne deviendrait jamais une conviction vitale. Il est donc possible de combiner la théorie mystique de la connaissance religieuse avec la théorie de la « foi », implicite dans la doctrine kantienne de la primauté de la raison pratique.
Cette philosophie éthique ou éthico-mystique a eu une influence marquée sur la théologie moderne. La théologie ritschlienne s’appuie en grande partie sur elle. En effet, le ritschlianisme pourrait être considéré comme la philosophie de la valeur appliquée au domaine de la théologie chrétienne. Sa distinction entre jugements d’être et jugements de valeur présuppose une métaphysique fondée sur l’éthique. Grâce à cette distinction, une nouvelle lumière a été jetée sur la nature de la foi religieuse et un nouveau lien a été établi entre elle et les croyances supérieures des hommes en général. Toutes ces croyances sont des processus idéalisants et reposent toutes sur la conviction fondamentale que l’idéal brillant est le réel éternel. C’est cette conviction que Lotze avait à l’esprit lorsqu’il a déclaré : « Le véritable commencement de la métaphysique réside dans l’éthique. … Je cherche dans ce qui devrait être le fondement de ce qui est. » [6] Une philosophie ainsi fondée a manifestement une dimension religieuse [ p. 158 ] motif et s’apparente fondamentalement à la religion. Elle justifie en principe la croyance religieuse et laisse place à une théologie chrétienne indépendante, une théologie qui se tient à part entière et qui n’a besoin d’aucun autre soutien que celui fourni par la religion chrétienne elle-même.
Mais aussi réconfortante qu’une telle philosophie puisse être d’un point de vue religieux, elle soulève de sérieuses objections lorsqu’elle est considérée comme complète en elle-même. D’une part, elle suppose un contraste trop marqué entre la raison théorique et la raison pratique. La raison théorique est censée se suffire à elle-même, être libre de tout intérêt subjectif et être guidée uniquement par ses propres catégories et par la pression des événements objectifs. Elle reconnaît simplement l’ordre factuel et le règne de la loi en lui. Elle est donc mécaniste et déterministe. La raison pratique, quant à elle, s’inspire de la volonté et des idéaux de vie. Elle met l’accent sur la liberté et un ordre moral objectif. Elle va donc directement à l’encontre du naturalisme de la raison théorique. Or, une telle conception de la raison théorique est totalement erronée. La raison théorique ne se suffit pas à elle-même. Elle ne peut faire le premier pas vers la connaissance sans la foi en l’intelligibilité du monde et en notre capacité à le comprendre, et cette foi est de nature pratique. C’est une hypothèse dont la véracité ne peut être démontrée. De plus, la raison théorique n’est pas déterministe. Le déterminisme, s’il était appliqué logiquement, signifierait le renversement de toute connaissance. Seule la liberté peut concilier la possibilité de la connaissance avec la réalité de l’erreur. C’est donc une grave erreur de supposer qu’il existe une nette antithèse entre la raison théorique et la raison pratique, et que la première est totalement désintéressée et nécessairement mécaniste dans sa vision du monde. L’unité même de l’esprit humain rend une telle vision dualiste intrinsèquement improbable.
Une autre objection à une philosophie ou à une métaphysique exclusivement fondée sur la nature morale ou spirituelle est qu’elle limite indûment la portée et la fonction de l’intellect. Elle suppose ou maintient que la raison théorique est incapable de transcender l’ordre phénoménal. Avec sa seule aide, nous ne pouvons jamais connaître la chose en soi. La spéculation ne nous donne aucun aperçu de la réalité ultime. Mais une telle limitation dogmatique de la connaissance est, comme nous l’avons vu, injustifiée. Nous ne pouvons guère échapper à l’idée qu’il existe une puissance ou une énergie derrière le monde des apparences, ni éviter d’y réfléchir. Et si nous sommes fondés à y réfléchir, il ne semble y avoir rien de violent dans l’hypothèse qu’il existe une manière plus ou moins correcte de le concevoir. Aussi déroutant que soit l’univers, nous croyons instinctivement et inévitablement qu’il est intelligible. Toute science présuppose qu’il en est ainsi ; et, partant de cette hypothèse, nous devons affirmer qu’elle est conforme aux lois de la raison. Nous devons croire que la réalité est rationnelle. Et si tel est le cas, non seulement nous sommes justifiés de chercher à nous forger une vision cohérente de la réalité, mais il est de notre devoir, en tant que philosophes, de le faire. Tracer une ligne à la porte de la réalité ultime et dire à l’intellect humain : « Tu peux aller jusqu’ici, mais pas plus loin », est un acte de caprice, non de raison.
On a encore objecté à une philosophie exclusive de la valeur qu’elle mène à l’illusionnisme. Cette objection n’est valable que dans une certaine mesure. Il est vrai que notre première et plus ferme conviction de la réalité provient des perceptions sensorielles et des déductions logiques qui en découlent, et que les sciences naturelles, par conséquent, sont devenues pour beaucoup la signature de la vérité. En revanche, le royaume de l’idéal et toute philosophie qui s’en inspire semblent irréels. En science, la réalité nous est imposée et nous sommes contraints de l’accepter, bon gré mal gré ; en revanche, dans la philosophie de la valeur ou de la foi, nous avons affaire à des espoirs et des souhaits, qui peuvent être très éloignés de la réalité. Fonder une philosophie ou une théologie exclusivement sur des jugements de valeur semble donc abandonner le fondement solide de la réalité objective et se lancer dans un océan de rêves. Mais si cette apparence est justifiée et si la philosophie de la valeur est affaiblie par son détachement complet de la raison théorique, c’est une erreur de supposer qu’elle mène logiquement à l’illusionnisme. L’élément de foi ou de valeur dans la connaissance ne la discrédite en rien. Car toute connaissance de la réalité implique la foi. Et la foi de la science n’est logiquement pas plus valable que la foi de la religion. Chacune est ultime et indépendante. Nous pouvons donc, en toute bonne conscience, fonder notre philosophie de la réalité sur la nature morale et spirituelle de l’homme ; mais si nous la fondons exclusivement sur cette nature, nous perdons dans une certaine mesure la note d’objectivité caractéristique de la raison théorique et nous exposons inutilement à l’accusation de subjectivisme.
De la métaphysique purement éthique, nous passons maintenant au troisième type de philosophie, que nous avons décrit comme une métaphysique fondée sur l’intellect. Cette dernière a pris trois formes principales : le matérialisme, le panthéisme et le théisme. Le matérialisme nie à la fois la réalité et la valeur de l’esprit et nie ainsi la religion. La foi ne peut s’allier à lui. Nous n’avons donc pas besoin d’en tenir compte. Le panthéisme, dans sa forme la plus radicale et la plus distinctive, détruit également la foi, car il nie la liberté et réduit l’esprit au niveau des choses. Il ne fait pratiquement plus qu’un avec la matière et, ce faisant, s’engage sur la voie du matérialisme ; car lorsque l’esprit et la matière sont placés sur le même plan, cette dernière se révèle toujours plus forte. [^11] Par conséquent, nous n’avons pas besoin de nous en préoccuper ici. Le théisme, avec ses implications téléologiques et idéalistes, est la seule forme de métaphysique à laquelle la foi chrétienne puisse s’allier. Toute autre métaphysique mène finalement au scepticisme et au désespoir.
En parlant du théisme comme d’une métaphysique intellectuellement fondée, il ne faut cependant pas supposer qu’il repose sur une base purement théorique. Aucune philosophie ne le fait, pas même le matérialisme ou le panthéisme. Toute philosophie repose dans une certaine mesure sur des considérations pratiques. Que ce soit négativement ou positivement, elle est dans une certaine mesure une philosophie de la valeur, qu’elle en soit consciente ou non. Chaque philosophe, malgré lui, a ses préjugés. Mais une distinction peut néanmoins être établie entre une pure philosophie de la valeur et une philosophie qui se fonde sur la raison aussi bien théorique que pratique. C’est dans ce dernier sens que nous parlons du théisme comme d’une métaphysique intellectuellement fondée. Il n’exclut pas les considérations pratiques ; il accorde une large place aux valeurs morales ; mais il fait également appel à la raison théorique et s’appuie sur elle.
Le théisme, dans son acception traditionnelle, est fréquemment accusé d’« intellectualisme ». Par intellectualisme, on entend l’idée selon laquelle la vérité de la religion peut être établie par des arguments de nature purement théorique. Il est indéniable qu’une telle conception des « preuves » théistes était fréquemment adoptée par le passé. On croyait que l’existence de Dieu pouvait être « démontrée ». Mais depuis Kant, cette conception a été généralement abandonnée par les auteurs théistes. On constate aujourd’hui qu’une démonstration stricte est impossible lorsqu’elle touche à la réalité objective. Toute connaissance repose sur la foi. Cela est vrai de Dieu comme de la réalité objective en général. Et dans le cas de Dieu, c’est principalement la foi morale sur laquelle repose la connaissance. Mais la foi morale peut et doit être complétée par des considérations théoriques ; et de cette manière, les arguments inductifs et spéculatifs à l’appui de la croyance religieuse ont une valeur permanente. Telle est la position adoptée par le théisme philosophique actuel. Néanmoins, on continue à lui reprocher l’intellectualisme et la scolastique [p. 163]. On semble partir du principe que, dans le domaine de la croyance religieuse, la raison théorique, sous quelque forme que ce soit, est un intrus et qu’il faut la bannir sans délai si l’on ne veut pas que l’évangile de la nature purement pratique de la religion soit contaminé.
Diverses objections ont été soulevées contre toute tentative de fondement intellectuel de la religion. D’une part, un tel fondement est considéré comme nécessairement inadéquat. Et cela est sans doute vrai dans la mesure où aucune preuve théorique ne peut fournir l’idée religieuse complète de Dieu. Mais aucun théiste aujourd’hui, à ma connaissance, n’avance une telle affirmation. De plus, on objecte que le théisme philosophique accorde une importance excessive à l’élément doctrinal de la religion, comme la croyance en Dieu et en l’immortalité personnelle. La religion, nous dit-on, est autre chose et plus ancienne que ces croyances. Et cela aussi peut être vrai. Mais la religion, dans sa forme actuelle et la plus élevée, s’est si pleinement exprimée dans ces croyances que, sans elles, elle n’aurait plus grand-chose de valable. La foi chrétienne se maintient ou s’effondre avec elles ; et si tel est le cas, le théisme traditionnel n’a pas pu se tromper en focalisant son attention sur elles.
Une autre objection à la justification théorique de la religion est qu’elle ne cadre pas avec les fondements mêmes de la croyance religieuse. En réalité, les gens ne croient pas en Dieu à cause des preuves de son existence. Chez eux, la foi est instinctive. Elle surgit spontanément dans leur vie. Diverses causes contribuent à sa genèse, mais elle trouve sa justification en elle-même. Elle est évidente. Elle repose sur une intuition spirituelle directe. Telle est du moins la forme qu’elle prend dans la piété vitale ; et si, à cet égard, elle est erronée, elle ne peut prétendre à la vérité. Si elle n’est pas en elle-même digne de confiance, aucun argument ne peut la rendre telle. Nous devons donc présumer la validité de la foi ou sombrer dans le scepticisme. Et si tel est le cas, notre tâche de théologiens devrait être, non pas de prouver la vérité de la religion, mais de montrer comment la foi se produit réellement, d’en exposer la nature profonde et les fondements. Une fois produit, il se justifie.
Le problème de cette position est qu’elle ne distingue pas les causes psychologiques de la foi de ses fondements logiques. Les causes psychologiques sont nombreuses et, d’un point de vue pratique, méritent une étude approfondie. Dans la vie religieuse réelle des hommes, elles sont bien plus importantes que les fondements logiques de la foi. Mais cela ne signifie pas qu’elles se suffisent à elles-mêmes ni qu’elles justifient la foi. Cela ne signifie pas non plus que la foi n’a pas de fondements logiques, ou n’en a pas besoin. Ces fondements n’ont peut-être pas la signification qu’on leur attribuait autrefois ; ils ne sont certainement pas essentiels à la foi ; ils ne remettent pas en cause son pouvoir d’auto-vérification. Mais ils lui servent de compléments ; et le fait que l’attention portée à eux ait historiquement suivi plutôt que précédé la foi ne porte pas atteinte à leur valeur.
On objecte cependant à un théisme fondé intellectuellement qu’il est superflu, tant sur le plan logique que pratique. [7] L’argument de la conscience morale, nous dit-on, représente la source réelle de la foi religieuse. Lui seul, [ p. 165 ], a donc une réelle valeur pratique. De plus, s’il est valable, il établit l’existence de Dieu ainsi que sa bonté, et il n’est donc pas nécessaire d’avoir un argument purement théorique pour prouver son existence et son intelligence. Ces deux éléments sont impliqués dans son caractère moral. Le seul argument tiré de l’expérience morale est donc suffisant. Nous n’en avons pas besoin d’autre.
Mais ce raisonnement implique une vision très partiale de la nature humaine et de l’expérience religieuse. L’esprit humain a d’autres intérêts que l’éthique, et la religion aussi. Aucun facteur de la vie humaine n’est suffisamment isolé pour se suffire à lui-même. La conscience morale peut être la principale source de la foi religieuse, mais même si elle était la seule source, ce qu’elle n’est pas, elle ne rendrait pas la foi religieuse suffisamment indépendante pour se passer de l’appui de la raison théorique. Le fait même que la philosophie chrétienne, tout au long de l’histoire de l’Église, ait été fondée à la fois sur la théorie et sur l’éthique, constitue en soi la preuve la plus convaincante que le fondement théorique de la foi n’a pas été dénué de valeur pratique. Certains y ont sans doute réagi plus facilement que d’autres, et beaucoup y ont peut-être été réticents ; mais l’exclure comme inutile et superflue est une procédure arbitraire et doctrinaire, totalement injustifiée par l’expérience réelle et par la nature humaine. Les hommes sont des êtres unitaires et leurs actions religieuses doivent trouver un écho dans l’activité parallèle de la pensée. Une maison divisée contre elle-même ne peut pas tenir.
Telle a été la conviction de l’Église durant la plus grande partie de son histoire, malgré l’influence [ p. 166 ] de l’obscurantisme autoritaire et des sophismes épistémologiques ; de ce fait, une alliance efficace s’est maintenue assez régulièrement entre la théologie et la raison théorique. La philosophie à laquelle le courant dominant de la pensée chrétienne s’est allié a été naturellement de type théiste. Mais le théisme a pris diverses formes. Au cours de son développement, il a traversé quatre étapes principales : la philosophie platonicienne ou néoplatonicienne, l’aristotélicienne, la cartésienne et l’idéaliste moderne. Il serait intéressant et instructif de retracer en détail la relation de chacune de ces philosophies théistes avec la foi chrétienne, mais cela nous entraînerait trop loin.
Il suffira, pour notre propos actuel, de souligner deux ou trois aspects communs aux systèmes théistes qui ont tendu à confirmer la foi chrétienne. [^13] L’un concerne le problème de la connaissance. Le christianisme implique manifestement que l’humanité ne se limite pas au plan sensible, qu’elle est capable de transcender l’empirique, de s’emparer du métaphysique. Il ne définit pas comment cela peut se faire. Il parle de « révélation » et de « foi », mais ce sont des termes religieux qui n’éclairent pas le processus mental par lequel le transcendantal est appréhendé. Ils impliquent cependant que, d’une manière ou d’une autre, l’esprit humain a le pouvoir de saisir le suprasensible. Ce pouvoir est parfois conçu dans un sens anti-intellectualiste, et une distinction nette est, par conséquent, établie entre foi et connaissance. Mais cette distinction nette est, comme nous l’avons vu, injustifiée. Car il n’y a pas de connaissance sans foi, [ p. 167 ] et pas de foi sans plus ou moins de connaissance. Les deux s’impliquent mutuellement. Et si l’on insiste sur le fait que la foi religieuse est entièrement différente de la foi intellectuelle, on peut répondre que logiquement l’une vaut l’autre, et que la tendance naturelle sera que les deux se maintiennent ou s’effondrent ensemble. Si l’on nie la foi dans la capacité métaphysique de l’intellect, il n’y a aucune bonne raison pour que la foi dans la capacité métaphysique de la nature religieuse ne soit pas également rejetée.
Par conséquent, toute philosophie qui attribue des pouvoirs transcendantaux à l’intellect humain soutient dans cette mesure la foi religieuse. Et c’est ce qu’a toujours fait le théisme, sous ses quatre formes principales. Il a fourni de bonnes raisons, bien que celles-ci diffèrent quelque peu selon chacune de ses formes principales, de croire que la raison humaine est dotée de la capacité de penser correctement la réalité ultime, et, dans la mesure où il l’a fait, il a créé une présomption en faveur de la validité de la foi religieuse. Si notre nature intellectuelle est digne de confiance, il est fort probable que notre nature religieuse l’est aussi.
Un deuxième problème philosophique qui intéresse profondément la théologie chrétienne est celui du « moi ». Le christianisme affirme la réalité du soi, de la personnalité. C’est l’une de ses doctrines les plus caractéristiques, tant pour l’homme que pour Dieu. Il soutient la survie de la personnalité humaine après la mort et accorde une importance primordiale à la personnalité de Dieu. Il a également consacré une attention particulière à la question de savoir comment concevoir la personnalité du Christ. La réalité [ p. 168 ] de la personnalité est donc un sujet de préoccupation majeur. Ses intérêts premiers, ici comme ailleurs, sont, bien sûr, pratiques. Mais la pratique a besoin du soutien de la théorie, et c’est particulièrement vrai pour un problème comme celui de la personnalité. Car, de toute évidence, le soi humain n’est qu’une simple bulle sur le vaste océan d’énergie cosmique ; il n’a aucune réalité durable. Cette conclusion a été maintes fois proclamée par les philosophies matérialistes et positivistes. Face à leurs négations, il est donc primordial d’apporter une réponse adéquate, si l’on veut que la foi soit rationnelle. Et cette réponse se trouve dans les philosophies théistes. Elles ont compris que s’il n’y a pas d’esprit dans le microcosme, il ne peut y en avoir dans le macrocosme ; c’est pourquoi, par un effort commun, elles ont cherché à établir la réalité de l’esprit humain.
Deux grandes contributions ont été apportées à cette fin. La première est l’affirmation platonicienne selon laquelle l’esprit, ou la personnalité, est immatériel. Il est donc, dans son être intérieur, indépendant du corps et ne cesse pas nécessairement d’exister lorsque ce dernier est dissous. La seconde contribution est la compréhension moderne du fait que seule la personnalité complète la notion d’être ou de réalité. Le réel doit permettre le changement, car nous vivons dans un monde en mutation ; mais s’il est véritablement réel, il doit aussi, en un certain sens, demeurer identique à lui-même. En un mot, il doit combiner en lui-même identité et changement, unité et pluralité ; et cela, en réalité, ne se produit que dans la personnalité. Nous changeons et faisons bien des choses différentes, mais par la mémoire nous restons ou nous constituons un et [ p. 169 ] le même. Dans ce fait unique de la conscience de soi, nous avons donc la clé de la réalité. Cette intuition et l’intuition connexe de l’immatérialité de l’esprit démentent nos préjugés sensoriels et préparent ainsi la voie aux affirmations de la foi et les confirment. [8] En effet, sans ces intuitions, la foi trouverait ses hypothèses personnalistes sans rapport avec la raison, sinon directement contredites par elle ; et cet état de fait ne pourrait que s’avérer finalement préjudiciable à la foi.
Un troisième problème philosophique, étroitement lié à la théologie chrétienne, est celui de la causalité. L’idée d’une cause réelle est implicite dans la conception chrétienne de Dieu Créateur et dans la croyance chrétienne en la Providence. Dissoudre le principe de causalité en le réduisant de manière positiviste à un simple ordre de succession ou de coexistence reviendrait alors à saper ces doctrines chrétiennes fondamentales. Pour conserver sa rationalité, la foi doit s’allier à une philosophie qui accorde une place à la causalité réelle et à la causalité sous sa forme volitive. Une telle philosophie se retrouve dans un théisme profond. Il est non seulement clairement démontré ici que l’idée d’une cause réelle est essentielle pour répondre à l’exigence mentale de fondement et de connexion, mais il est également démontré que seule sa forme personnelle permet de penser la causalité sans contradiction. Car la causalité implique le changement et aussi la permanence. Il doit exister un être permanent qui produit le changement ; sinon, celui-ci ne serait pas expliqué. Et cette union de permanence et de [ p. 170 ] changement inhérente à la causalité ne se retrouve, comme nous l’avons vu, que dans la personnalité. Une philosophie personnaliste résout ainsi le problème de la causalité métaphysique et fournit en même temps un fondement à la croyance chrétienne en la création et la providence divines. [9] De la discussion précédente, il est évident qu’il ne peut y avoir de théologie sans métaphysique, et il est également évident qu’il ne peut y avoir de théologie adéquate sans une métaphysique fondée à la fois théoriquement et éthiquement. Mais si la théologie est ainsi étroitement liée à la philosophie métaphysique, elle ne doit pas lui être identifiée. Elle a son propre caractère distinctif et sa propre méthode. Cela sera expliqué clairement dans le chapitre suivant.
[^3] : « La philosophie, dit Bertrand Russell, ne se distingue de la science que par son caractère plus critique et plus général » (Philosophie, p. 297). Elle est, ou devrait être, aussi éthiquement désintéressée que la science pure. Elle ne peut rien faire pour fonder les espoirs les plus élevés des hommes (Notre connaissance du monde extérieur, p. 37).
[^6] : Voir Die Gottesbeweise in der neueren deutschen philosophischen Literatur, par le Dr Franz Schulte, p. 20.
[^7] : J. Kaftan, Die Philosophic des Protestantismus, p. 388.
[^9] : Die Philosophie im deutschen Geistesleben des XIX Jahrhunderts, p. 119.
[^11] : Voir E. Troeltsch, Glaubenslehre, p. 68.
[^13] : Cf. . Georg Wobbermin, Théologie et métaphysique, p. 1901.
Ceci est illustré par le protestantisme primitif. Comparer Georg Wobbermin, Theologie und Metaphysik, p. 5. ↩︎
Selon John Dewey, la philosophie est « un agent de liaison entre les conclusions de la science et les modes d’action sociale et personnelle par lesquels les possibilités atteignables sont projetées et recherchées ». Sa véritable fonction n’est pas la « connaissance de la réalité ». Lorsqu’elle assume ce rôle, elle devient un « rival plutôt qu’un complément des sciences » (The Quest for Certainty, pp. 309, 311). ↩︎
James Martineau, Types de théorie éthique, Vol. I, p. 6. ↩︎
L’éthique de la libre pensée, p. 40. ↩︎
Ibid., p. 241. ↩︎
Métaphysique, p. 536. ↩︎
Comparez John Baillie, The Interpretation of Religion, pp. 92f., où ce point de vue est catégoriquement approuvé. ↩︎
Voir ma Philosophie du personnalisme, pp. 237-46. ↩︎
Cf. ma Philosophie du personnalisme, pp. 210-225. ↩︎