Auteur : Albert C. Knudson
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Jusqu’ici, nous avons principalement traité du domaine général de la théologie, et notre argumentation positive a été relativement simple. Nous avons défini la théologie comme l’exposition systématique et la justification rationnelle du contenu intellectuel de la religion. À l’appui de cette définition, nous avons soutenu, premièrement, que la religion possède un contenu intellectuel valable et, deuxièmement, que ce contenu, dans sa forme chrétienne, admet, dans une certaine mesure, une justification rationnelle. Nous avons défendu la première position contre l’illusionnisme et la seconde contre un irrationalisme à la fois autoritaire et romantique. Il est vrai que la religion, comme tout intérêt fondamental de l’esprit humain, doit, en dernière analyse, se justifier elle-même. Mais l’autojustification n’exclut pas la justification rationnelle. Au contraire, les deux devraient aller de pair. Si la religion s’auto-évalue, elle doit également trouver appui dans la raison commune. Et c’est cette vision qui a été défendue par le courant dominant de la pensée chrétienne.
Certains ont tenté de trouver un fondement rationnel à la religion dans la science, en transformant la théologie en science empirique et en lui conférant ainsi le même statut intellectuel reconnu que toute science particulière. Mais cette tentative, comme nous l’avons vu, a conduit à la confusion et à l’auto-contradiction. La science, dans son interprétation traditionnelle du sens commun [ p. 172 ], est un mélange confus de philosophie et de science empirique, et dans son acception positiviste, elle exclut totalement la théologie. Car il ne peut y avoir de théologie sans métaphysique. La croyance religieuse, par sa nature même, implique la métaphysique. C’est donc seulement dans la métaphysique que la religion peut trouver son fondement rationnel ultime. Une telle métaphysique religieuse peut être fondée soit sur le plan éthique, soit sur le plan théorique, soit sur les deux. Seule cette double base répond aux besoins de l’esprit et du cœur religieux.
La théologie entretient donc des relations étroites avec la philosophie métaphysique. Elle en diffère en ce qu’elle concentre son attention sur le sujet de la religion. À cet égard, elle ressemble à la philosophie de la religion. Elle diffère cependant de cette dernière en ce qu’elle est conditionnée par sa relation à l’Église. La théologie s’est développée en lien avec l’Église ; elle en a été l’enfant et le reste dans une large mesure. Elle est au service de l’Église ; et elle ne peut guère renier cette relation, du moins pas dans les conditions actuelles. On peut la concevoir comme liée uniquement à une communion religieuse particulière, comme le faisait Schleiermacher ; il définissait la théologie comme « la science qui systématise la doctrine prévalant dans une Église chrétienne à un moment donné »[1]. On peut aussi étendre sa relation à l’ensemble du protestantisme ou à l’Église chrétienne tout entière. Mais dans tous les cas, elle reste liée à l’Église. Elle a une place au sein de l’Église et a une fonction à y exercer. Ce fait la différencie de la philosophie générale de la religion.
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En ce qui concerne la validation des croyances religieuses, les deux se situent sur le même plan. Autrefois, la théologie faisait appel à une autorité extérieure pour authentifier au moins une grande partie de son enseignement. Elle distinguait la théologie naturelle de la théologie révélée. La première était composée d’« articles mixtes » (articuli mixti), c’est-à-dire d’articles fondés à la fois sur la révélation et sur la raison ; la seconde concernait les « articles purs » (articuli puri), c’est-à-dire d’articles fondés sur la seule révélation. Mais cette distinction entre théologie naturelle et théologie révélée est aujourd’hui largement tombée en désuétude. La tendance actuelle est de ne pas tracer de ligne de démarcation nette entre la révélation et la raison naturelle, mais de considérer les plus hautes intuitions de la raison comme des révélations divines. Quoi qu’il en soit, il n’existe aucun corpus fixe de vérité révélée, accepté par autorité, qui s’oppose aux vérités de la raison. Toute vérité aujourd’hui repose sur son pouvoir d’attraction sur l’esprit humain. Il n’existe pas de critère externe de vérité. Le seul critère réside dans l’esprit humain lui-même. À ce stade, il n’y a donc aucune différence entre la théologie et la philosophie de la religion. Les deux ont le même fondement. Mais, si cela est vrai, la théologie, compte tenu de ses liens avec l’Église, a sa propre vocation. Elle concentre son attention sur l’enseignement de la Bible et de l’Église, cherchant à l’interpréter et à le recommander à l’esprit moderne, contrairement à la philosophie de la religion. Elle a donc sa propre approche du problème religieux. Elle l’aborde au sein même de l’Église chrétienne. Ce fait lui confère un contenu et un caractère plus ou moins distinctifs, et soulève certaines questions relatives aux sources et à la méthode qui méritent d’être examinées. C’est à ces questions que s’intéresse le présent chapitre.
La question des sources de la théologie était autrefois étroitement liée à l’idée d’une révélation infaillible, issue d’un livre ou d’une Église divinement inspirés, ou des deux. Nous ne partageons plus cette idée. Nous ne croyons ni à l’infaillibilité biblique ni à l’infaillibilité ecclésiastique. Mais la question des sources conserve pour nous son intérêt et sa signification. En effet, le problème est, du moins théoriquement, aussi vital et important que jamais. Pour déterminer ce qu’est le christianisme et exposer ses doctrines, nous devons nous mettre d’accord sur la ou les sources normatives d’information le concernant ; et nous devons également nous mettre d’accord sur la méthode d’interprétation.
Que la Bible soit, ou devrait être, la principale source et norme de la théologie chrétienne serait probablement généralement admis. Mais qu’elle soit la seule source et norme est sujet à caution. Certains théologiens protestants insistent sur ce point, mais ce faisant, ils me semblent refléter l’influence d’un exclusivisme ecclésiastique et surnaturaliste antérieur. On peut attribuer à l’Écriture un degré d’inspiration tout à fait unique sans nier que le christianisme a également appris d’importantes vérités d’autres sources ; et on peut croire que les Réformateurs protestants étaient justifiés d’opposer l’autorité de la Bible à celle de l’Église sans nier que des contributions originales et significatives au dépôt [ p. 175 ] de la vérité chrétienne ont été apportées par les Pères de l’Église. Il est indéniable que les grandes idées créatrices de la foi chrétienne proviennent des Écritures, mais il semble tout aussi vrai qu’elles aient été complétées et développées par les credo et confessions des Églises, ainsi que par la raison et l’expérience des croyants. Pour comprendre le christianisme, il faut donc prendre en compte non seulement l’enseignement des Écritures, mais toute l’histoire de l’Église chrétienne. En effet, il ne suffit pas d’étudier la seule Église chrétienne. Il nous faut élargir nos recherches afin d’appréhender la vie religieuse et les croyances des hommes en général. Ce n’est qu’en prenant en compte les autres religions et en les mettant en relation avec elles que le christianisme peut être pleinement compris. À notre étude de l’exégèse biblique et de l’histoire de l’Église, il nous faut donc ajouter celle de la psychologie et de l’histoire des religions. Tous ces sujets, auxquels s’ajoute la philosophie de la religion, peuvent être considérés comme contribuant à la théologie chrétienne.
Pourtant, c’est la Bible qui, dans un sens particulier et prééminent, constitue la source et la norme de la foi chrétienne. Elle nous offre le témoignage le plus ancien et le plus fiable de cette révélation unique de Dieu, transmise au monde par l’histoire juive et chrétienne primitive, et qui constitue le fondement de la foi chrétienne. C’est à ce témoignage que nous devons nous référer aux documents originaux de notre religion, à son expression classique. On pourrait beaucoup plaider en faveur de l’inspiration unique de ces documents, mais indépendamment de cette question, ils occupent historiquement une position de primauté dont ils ne peuvent être délogés. Ils sont à la fois la plus ancienne incarnation littéraire [ p. 176 ] de notre foi et le seul témoignage original et authentique de la révélation particulière de Dieu. À ce dernier égard, on peut à juste titre parler de Parole de Dieu et, à ce premier égard, ils contiennent les seules données adéquates pour déterminer scientifiquement la nature du christianisme primitif. À ces deux égards, ils sont uniques, ce qui constitue un motif suffisant pour attribuer à la Bible une position d’importance transcendante. C’est donc à elle, plus qu’à toute autre source, que la théologie chrétienne puisera nécessairement ses sources et sa validation. L’histoire entière de l’Église en fournit amplement la confirmation. La seule question concerne l’exclusivité de son autorité et les limites de son contenu normatif. Sur ces deux points, des controverses historiques ont eu lieu.
En ce qui concerne les limites du canon biblique, il existe une différence entre protestants et catholiques romains. Ces derniers incluent les Apocryphes, tandis que les premiers ne les incluent pas. Mais cette différence n’a pas de portée doctrinale importante. En ce qui concerne la doctrine, il n’y a eu qu’un seul débat important concernant les limites du canon, et il concernait l’Ancien Testament. Les gnostiques de l’Église primitive, et en particulier Marcion, ont sérieusement tenté d’éliminer l’Ancien Testament du canon chrétien. Ils soutenaient que le Dieu de l’Ancien Testament différait par son caractère de celui du Nouveau. Il était juste et droit, et non miséricordieux et aimant comme le Dieu de Jésus, un Juge, et non un Père. Mais ce à quoi ils reprochaient particulièrement en lui était qu’il était le créateur du présent monde mauvais, duquel le Christ est venu nous racheter. Un tel être, estimaient-ils, devait, par nature, être imparfait, voire mauvais, un démiurge, et non le vrai Dieu. Ils distinguaient donc le Dieu Créateur de l’Ancien Testament et le Dieu Rédempteur du Nouveau Testament. Ils n’accordaient aucune place au premier dans la foi chrétienne.
Cette tentative de limiter le canon au Nouveau Testament échoua, et ce pour des raisons évidentes. Elle allait à l’encontre de l’enseignement de Jésus et de Paul, ainsi que de la tradition chrétienne en général. Elle négligeait l’importante part chrétienne de l’Ancien Testament, notamment dans les Psaumes et les livres prophétiques. Et elle contredisait directement une conviction chrétienne fondamentale concernant le monde présent et sa relation à Dieu. Aussi imparfait que soit le monde, il n’en demeure pas moins, selon l’enseignement chrétien, son œuvre et le champ de son action providentielle et rédemptrice. La rédemption ne nie pas la création ; elle l’achève. De plus, seul celui qui est Créateur peut être Rédempteur. Les deux fonctions ne s’excluent pas ; elles vont de pair. Telle était la conviction profonde de l’Église primitive, et sous son influence, l’enseignement gnostique fut rejeté comme héréditaire. Depuis lors, une attitude hostile ou peu appréciative envers l’Ancien Testament a parfois été exprimée par d’éminents penseurs chrétiens, mais aucune tentative de s’en passer n’a été comparable en vigueur et en portée à celle des gnostiques. [2] L’Église dans son ensemble a été tout au long de son histoire [ p. 178 ] persuadée qu’il existe un lien organique entre les deux Testaments, que le Nouveau est implicite dans l’Ancien et l’Ancien explicite dans le Nouveau, et que la foi chrétienne exige les deux pour être pleinement comprise.
Mais si l’Ancien Testament occupe une place bien établie dans le canon chrétien, il ne saurait être placé au même niveau que le Nouveau Testament. Sur ce point, l’ancienne théorie de l’infaillibilité biblique était erronée. Elle attribuait, du moins formellement, un degré égal d’inspiration et d’autorité à toutes les parties de la Bible. Cette vision va à l’encontre de l’idée d’une révélation progressive, est incompatible avec les prétentions du Nouveau Testament et est totalement réfutée par la critique moderne. En tant que présupposé historique du Nouveau Testament et source indépendante de vérité religieuse impérissable, les Écritures hébraïques ont une valeur permanente et sont dûment intégrées au canon chrétien. Cependant, beaucoup d’entre elles sont sous-chrétiennes ou extra-chrétiennes, ce qui doit être distingué de l’élément chrétien. Ce qui est véritablement chrétien ne peut être déterminé qu’en faisant appel au Nouveau Testament. C’est la révélation faite en et par le Christ qui est la source et la norme de la vérité chrétienne. [3] L’Ancien Testament n’a d’autorité pour nous qu’à titre complémentaire, préparatoire et corroboratif, mais à cet égard, il remplit une fonction importante. C’est dans le contexte de l’Ancien Testament que Jésus a accompli son œuvre, et une grande partie de ce contexte a été intégrée à son propre enseignement [ p. 179 ], de sorte qu’il en est devenu une partie intégrante. Ce serait donc faire violence au Nouveau Testament que de le détacher de l’Ancien. Les deux vont ensemble, de fait comme par l’autorité du Maître. Tel peut être considéré comme le jugement réfléchi de l’Église chrétienne.
Hormis la tentative des gnostiques de dissocier l’Ancien Testament du Nouveau, aucun effort sérieux n’a été entrepris pour réduire matériellement le canon chrétien. La relégation moderne de l’Ancien Testament à une position subalterne au sein du canon n’a pas non plus de grande signification doctrinale. Mais on observe actuellement une tendance à limiter l’autorité du Nouveau Testament et de la Bible dans son ensemble au Jésus synoptique, ou à ce que l’on suppose être « le Jésus de l’histoire », ce qui implique un changement doctrinal très important. On soutient que le Jésus de Paul et de Jean, et de l’Église chrétienne ultérieure, est le « Christ de la foi » et qu’en tant que tel, il est le produit de l’imagination chrétienne. Il n’a jamais existé. C’est le Jésus de l’histoire, et lui seul, qui a une importance décisive pour nous. Notre tâche, par conséquent, aujourd’hui, est de « reconstruire notre christianisme, non à la lumière de Paul ou de Jean, ou de croyances officielles acceptées ultérieurement, mais à la lumière de l’expérience religieuse de Jésus lui-même ». [4] L’image la plus authentique du Jésus historique se trouve dans les Évangiles synoptiques. Ils revêtent donc une importance particulière. Ils constituent le Saint des Saints du canon chrétien [ p. 180 ]. Le reste du Nouveau Testament et l’Ancien Testament dans son ensemble appartiennent aux parvis extérieurs.
Cette vision est souvent présentée comme allant de soi, comme une conséquence nécessaire de la méthode historique. Or, il s’agit plutôt d’un exemple de ce que les Allemands appellent « historicisme ». Elle place le processus humain au-dessus du contenu divin. En fait, elle tend à exclure complètement ce dernier. Elle suppose que notre seul intérêt est, ou devrait être, « la religion de Jésus ». « La religion de Jésus », c’est-à-dire la croyance en sa divinité, est traitée comme une ramification dégénérée du pur Évangile. Or, c’est cette foi qui a créé l’Église chrétienne et qui l’a maintenue depuis. Le christianisme doit son origine à l’impression que la personnalité de Jésus a laissée à ses disciples. Cette impression était double. Les disciples voyaient en Jésus et en son œuvre non seulement une quête humaine de Dieu, mais une quête divine de l’homme. Ils voyaient en lui non seulement la sainteté parfaite d’un homme, mais l’avènement gracieux de la Déité. Ils entendaient dans le message de sa vie et de sa mort non seulement la voix de l’homme, mais aussi la voix de Dieu. Que cette double impression ait été faite sur eux est incontestable. Tout le Nouveau Testament en témoigne. Et c’est là que se trouve le point de vue typiquement chrétien. On ne peut le réduire à quelque chose de plus simple sans le dissoudre. La double impression était originelle et ultime.
Construire une image de Jésus, sans le facteur divin, et représenter un tel Jésus comme la source du christianisme, pur et non dissimulé, c’est aller à l’encontre de l’histoire. Ce n’est pas sur le prétendu « Jésus historique » que l’Église a été fondée, mais sur le véritable Jésus, un homme qui avait le pouvoir d’éveiller chez les autres la foi en lui-même comme médiateur de la grâce divine. C’est ce « Christ de la foi » qui a réellement existé et de qui la religion chrétienne a pris son origine. Le « Jésus de l’histoire », dont la signification s’est épuisée dans son enseignement et dans son expérience religieuse exemplaire, est une invention de l’imagination moderne, un produit du mode de pensée naturaliste. Le Jésus véritablement historique a été un générateur de foi en lui-même, à la fois comme homme parfait et, en un sens, comme incarnation du Divin. Supposer qu’à ce dernier égard, une impression erronée ait été produite sur Paul et Jean, et que sur un point aussi fondamental, l’Église chrétienne se soit trompée pendant dix-neuf siècles, discréditerait grandement non seulement la conscience chrétienne tout entière, mais aussi la nature religieuse de l’homme dans son ensemble. Quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute que la croyance en Jésus, plus qu’un grand maître ou un parfait exemple moral et religieux, est un élément essentiel du christianisme historique, et qu’exclure cette croyance des articles de notre foi impliquerait une reconstruction du système chrétien presque aussi radicale que celle du rejet gnostique du Dieu Créateur de l’Ancien Testament. De même que ce dernier mouvement a échoué en rompant avec la tradition et la conscience chrétiennes, il en sera de même pour le mouvement moderne, si l’on peut l’appeler ainsi, qui rejetterait la conception paulinienne et johannique d’un Christ divin, [ p. 182 ] et limiterait l’autorité de l’Écriture à un nébuleux « Jésus de l’histoire ». C’est l’ensemble du Nouveau Testament, et non des portions choisies des Évangiles synoptiques, qui constitue et demeurera la principale source et norme de la théologie chrétienne.
Mais la Bible est-elle, en tout ou en partie, la source et la norme exclusives de la théologie ? Cette question, déjà évoquée, a occupé une place importante dans les débats du passé. La controverse a pris trois formes principales. Certains ont soutenu que l’Église, d’autres que la raison, et d’autres encore que l’expérience chrétienne est une source complémentaire, égale, voire supérieure, de vérité religieuse.
La question du rapport entre l’autorité de l’Église et celle de l’Écriture a été l’un des principaux sujets de discorde entre protestants et catholiques romains. Ces derniers soutiennent que l’activité révélatrice de l’Esprit divin se poursuit dans et par l’Église, ce qui, en principe, ne soulève aucune objection valable. L’inspiration de la Bible n’exclut pas nécessairement celle du grand credo et des autres déclarations de l’Église. Le fait que nous ayons en Christ la révélation suprême de Dieu n’exclut pas non plus d’autres révélations supplémentaires à l’Église. Mais les catholiques romains vont plus loin. Ils soutiennent que l’Église est la seule interprète autorisée de l’Écriture, et que le fondement ultime de l’acceptation de l’autorité de l’Écriture doit être trouvé dans l’autorité de l’Église. Nous sommes ici en présence d’un conflit profond entre les points de vue catholique et protestant. La caractéristique [ p. 183 ] Ce qui distingue le protestantisme, ce n’est pas sa croyance en l’inspiration de la Bible, mais sa croyance en l’inspiration de l’individu. Face à l’autorité tyrannique de l’Église, il revendique pour l’individu le droit et le devoir d’interpréter lui-même les Écritures. Il trouve également le fondement ultime de l’acceptation de la révélation biblique dans sa capacité à séduire l’âme individuelle ou, pour reprendre le langage de l’ancien protestantisme, dans le testimonium spiritus. Il rejette ainsi l’autorité de l’Église dans la mesure où elle entre en conflit avec la conscience et l’intelligence du croyant. Mais il est, bien sûr, impossible à l’individu de se détacher complètement de l’influence de l’Église. C’est par l’Église qu’il apprend à connaître la Bible, et il ne pourrait, même s’il le voulait, échapper à l’influence du passé dans son interprétation. En effet, aucun exégète sensé ne souhaiterait le faire. L’Église, par l’intermédiaire de ses érudits, a apporté d’importantes contributions à l’interprétation correcte des Écritures, qu’aucun étudiant honnête ne pouvait ou ne voulait ignorer. Ainsi, malgré nous, nous voyons la Bible à travers les yeux de l’Église. Ces contributions, elle les a apportées non seulement par ses études philologiques, mais aussi par la nouvelle perspective qu’elle a donnée à l’enseignement biblique. Elle a mis l’accent sur les éléments chrétiens et laissé les autres relégués au second plan. Le processus a varié d’une génération à l’autre, reflétant l’évolution de la pensée de l’Église. Les progrès n’ont pas été constants. Il y a eu des mouvements réactionnaires auxquels seul un retour aux Écritures a permis de répondre. Mais c’est une vision radicalement erronée que de voir [ p. 184 ] dans le courant dominant du développement doctrinal de l’Église une défection de la foi. C’est dans et à travers son histoire que le christianisme se développe et s’exprime.et c’est seulement en prenant en compte son histoire dans son ensemble que nous pouvons déterminer sa véritable nature. Son histoire complète ainsi l’Écriture et règle notre interprétation. Par conséquent, l’Église, avec ses credo et ses confessions, peut être considérée à juste titre comme une source secondaire de la théologie.
Le fondement sur lequel la raison est distinguée comme source supplémentaire de la théologie chrétienne est quelque peu différent. Il s’agit ici des contributions de la philosophie théiste à la foi chrétienne. Ces contributions, principalement grecques, ont, comme nous l’avons vu, été évaluées très différemment par les penseurs chrétiens. Certains les ont hautement appréciées, tandis que d’autres les ont qualifiées d’importations étrangères ayant fait plus de mal que de bien. Naturellement, ces derniers n’ont pas été disposés à voir dans la raison une véritable source de la théologie chrétienne. Mais les premiers ont manifestement tout à fait raison de le faire. Pour eux, la raison naturelle apparaît à la fois comme un complément et un soutien à l’enseignement biblique ; et le fait qu’elle représente le courant principal de la pensée chrétienne a été clairement démontré dans les chapitres précédents.
La raison, cependant, n’a pas toujours voulu servir de simple source complémentaire à la théologie chrétienne. Elle a parfois prétendu être la seule source ultime. Dans le mouvement déiste, par exemple, on soutenait que toute vraie religion repose sur la raison naturelle et que le christianisme n’est vrai que dans la mesure où il n’est pas « mystérieux », seulement dans la mesure où il est aussi ancien que la création ou une réédition de la religion de la nature. [5] Hegel défendait également à peu près le même point de vue, bien qu’il s’exprime différemment. Il considérait les doctrines fondamentales de l’Église chrétienne non pas comme des échos d’une religion naturelle antérieure, mais comme des symboles des vérités absolues de la raison. Le christianisme, soutenait-il, est vrai dans la mesure, et seulement dans la mesure, où il préfigure et symbolise les principes abstraits supérieurs de la philosophie idéaliste. Ces deux formes historiques de rationalisme ont ainsi pratiquement mis de côté la Bible comme source indépendante de vérité religieuse et lui ont substitué la raison. Ce faisant, elles ont rompu avec le point de vue chrétien. Le christianisme est disposé à reconnaître la raison comme source complémentaire et régulatrice ou formelle de la théologie, mais il ne peut, sans renoncer à son caractère distinctif, la reconnaître comme la source principale, et encore moins comme la seule source ultime.
En ce qui concerne l’expérience religieuse comme source de la théologie, la situation est quelque peu différente de celle de l’Église et de la raison naturelle. Ces dernières ont toutes deux apporté des contributions ou des ajouts distincts au contenu de la théologie chrétienne. Mais on peut difficilement dire que ce soit le cas de l’expérience religieuse considérée comme directe et immédiate. Les mystiques ont revendiqué une appréhension immédiate du Divin, mais ils ont admis que, si cette expérience leur a donné une plus grande assurance de la réalité de Dieu, elle n’a pas accru leur compréhension de ce qu’il est. Dans la mesure où [ p. 186 ] l’expérience mystique a eu un contenu précis, elle l’a tiré d’une formation antérieure. Cela est également manifestement vrai de la « conscience chrétienne » que Schleiermacher a érigée en source principale de la théologie. Il est indéniable qu’il existait une conscience chrétienne avant le Nouveau Testament et que le Nouveau Testament en était dans une large mesure l’expression. Il est également vrai qu’en réaction à un biblicisme dogmatique, d’une part, et à un rationalisme stérile, d’autre part, l’accent mis par Schleiermacher sur l’expérience chrétienne a marqué une étape importante dans l’histoire de la théologie, fondant l’empirisme théologique. Mais si cette insistance est interprétée comme signifiant que la conscience chrétienne d’aujourd’hui est indépendante de l’Écriture, il est évident que nous sommes en présence d’une grave erreur. La conscience chrétienne est, dans une large mesure, le produit de l’enseignement biblique et de la société qu’il a créée. Sans eux, elle ne pourrait, sans miracle, naître. Son contenu est donc dérivé, et non original. La conscience chrétienne reflète l’enseignement de l’Église. Mais elle ne se contente pas de le refléter, elle exerce une fonction sélective en opposition à lui. Elle sélectionne les vérités qui lui semblent les plus précieuses et en néglige les autres. De cette manière, elle modifie dans une certaine mesure l’enseignement chrétien traditionnel et lui donne une nouvelle orientation. Mais on ne peut pas dire qu’elle ait ajouté quoi que ce soit à son contenu en vertu d’une quelconque expérience transcendantale propre. Sa fonction est régulatrice, et non créatrice, et c’est seulement en ce sens qu’elle peut être considérée comme une source de la théologie chrétienne.
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Nous avons donc, comme définition du domaine unique ou spécial de la théologie, une source principale, la Bible, et particulièrement le Nouveau Testament, et trois sources supplémentaires qui peuvent être décrites comme supplémentaires ou régulatrices ; à savoir, l’Église, la raison naturelle telle qu’elle est exprimée dans les philosophies théistes, et l’expérience chrétienne.
La question de la méthode théologique a été largement débattue au cours du siècle dernier. Cela s’explique par l’effondrement de l’ancienne méthode dogmatique et rationaliste et l’incapacité à s’accorder sur une méthode pour la remplacer. On entend parler des méthodes « théocentrique » et « anthropocentrique », « spéculative » et « empirique », « religio-historique » et « religio-psychologique », et ces dernières années, la méthode « dialectique » a suscité un vif intérêt. Cette diversité de méthodes est à première vue assez déroutante et a conduit certains à conclure que la question de la méthode revêt aujourd’hui une importance théologique fondamentale, que tout, en effet, en dépend. Le grand besoin actuel en théologie, nous dit-on, est de parvenir à une « méthode unifiée et sans ambiguïté ». [^6] Dans un sens, c’est peut-être vrai. L’établissement d’une méthode théologique clairement définie et communément acceptée serait hautement souhaitable. Elle apporterait de l’unité dans ce qui est actuellement un domaine quelque peu dispersé [ p. 188 ]. Mais cet idéal est peu susceptible de se réaliser dans un avenir proche. La raison en est que la méthode est, après tout, secondaire, le reflet d’un point de vue philosophique ou théologique. Ce n’est pas la méthode qui détermine les conclusions théologiques, mais bien l’inverse. Les différentes méthodes mentionnées ci-dessus sont toutes le résultat de certaines convictions théologiques ou philosophiques. Les méthodes « empiriques » et « religio-psychologiques » doivent leur origine à une théorie de la connaissance plus ou moins empiriste. Les méthodes « théocentriques » et « spéculatives » sont dues à la persistance ou à la renaissance des anciens points de vue dogmatiques et rationalistes, et le terme « anthropocentrique » est appliqué. à toute méthode mettant l’accent sur les conditions humaines de la connaissance religieuse. La méthode « religio-historique » découle de la philosophie moderne de l’histoire, et la méthode « dialectique » de Earth et Brunner est le complément naturel de leur épistémologie néokantienne. Un accord complet sur la méthode théologique est donc pratiquement impossible sans accord sur les présupposés philosophiques et théologiques, et il est peu probable que cet accord soit atteint avant un certain temps. Néanmoins, la question de la méthode est une question que l’étudiant en théologie devrait comprendre et sur laquelle il devrait être clair.
La distinction fondamentale dans la méthode théologique est celle entre la méthode « dogmatique » et ce que l’on pourrait appeler la méthode « critique ». C’est Schleiermacher qui, le premier, a clairement établi le contraste entre ces deux méthodes. La méthode dogmatique implique une norme faisant autorité, considérée comme objective et plus ou moins auto-opérante. Cette norme peut être la Bible ou l’Église, voire la raison elle-même, si cette dernière est conçue comme impliquant certaines croyances religieuses définies et nécessaires. Avec une telle norme objective, la méthode de construction d’une théologie consistera à systématiser et, dans la mesure du possible, à justifier ce qui est enseigné dans la norme acceptée, sans tenir suffisamment compte des facteurs subjectifs qui conditionnent son acceptation et des influences réelles qui déterminent la croyance religieuse. Ces facteurs subjectifs et empiriques ont été développés de manière approfondie par Kant en philosophie et par Schleiermacher en théologie. Kant mettait l’accent sur le fondement moral et Schleiermacher sur le fondement émotionnel de la croyance religieuse, mais tous deux insistaient sur l’aspect pratique de la religion, au détriment de l’aspect théorique. Ils rendaient secondaire l’aspect doctrinal et intellectuel, représenté par la théologie biblique, les credo de l’Église et le théisme spéculatif, le considérant comme un effet de la religion plutôt que comme sa cause. Ils sapaient ainsi la méthode dogmatique et rationaliste antérieure et la remplaçaient par la méthode « critique ».
Par méthode critique, on entend donc la méthode qui commence par une enquête sur les conditions subjectives de la connaissance ou de la croyance et qui rend cette enquête fondamentale. Dans sa forme la plus caractéristique, cette méthode est appelée « anthropocentrique », « empirique », « scientifique », « religio-historique » et « religio-psychologique ». Tous ces termes soulignent le caractère inductif de la théologie et l’approche humaine qui la traite. De ce point de vue, la théologie [ p. 190 ] trouve son point de départ dans la foi plutôt que dans l’objet ou les objets de la foi. Il s’agit d’une Glaubenslehre, une science ou une doctrine de la foi, plutôt que d’une doctrina de deo et rebus divinis. Cette dernière était la conception de la théologie courante jusqu’à l’époque de Schleiermacher. Il la rejeta au profit de la méthode critique. C’est ce fait que Néander avait à l’esprit lorsqu’en annonçant sa mort en 1834, il déclara : « Nous avons maintenant perdu un homme de qui datera désormais une nouvelle ère dans l’histoire de la théologie. »
La méthode critique, cependant, ne doit pas être identifiée à celle introduite par Schleiermacher, ni à une période spécifique. Le terme pourrait, il est vrai, s’appliquer au sens kantien d’une théologie non métaphysique. Mais il n’existe pas d’usage établi à cet effet. Ici, le terme est utilisé dans un sens large pour désigner toute méthode excluant une autorité extérieure et définitive et prenant sérieusement en compte les conditions subjectives de la connaissance et de la croyance. Pratiquement toutes les méthodes théologiques actuelles le font, à l’exception des méthodes purement traditionnelles ; elles peuvent donc être qualifiées de « critiques » de manière générale. Elles renoncent à l’idée d’infaillibilité biblique et s’accordent également à reconnaître la nécessité de fonder leur position particulière sur une forme d’épistémologie religieuse. Cependant, cet accord général comporte plusieurs différences importantes, dont deux méritent un bref examen. Nous y avons déjà fait référence. L’une d’elles est la différence entre les méthodes anthropocentriques et théocentriques. Français Erich Sehaeder, [^7] [ p. 191 ] et encore plus radicalement Emil Brunner, [^8] ont soutenu que la théologie protestante avait été détournée par Schleiermaeher, que le point de vue humain avait été substitué à tort au point de vue divin, et que l’espoir de l’avenir réside dans un retour à l’accent théocentrique des temps anciens. La théologie, nous dit-on, doit redevenir objective. Le subjectivisme de la pensée moderne doit être surmonté, et la révélation doit être rétablie à sa place centrale et suprême. Au lieu de fixer l’attention sur la religion ou la foi en tant qu’expérience humaine, nous devons fixer l’attention sur Dieu. L’intérêt doit être centré sur l’objet de la foi plutôt que sur la foi elle-même.
Cette réaction contre la tendance anthropocentrique et subjectiviste de la théologie moderne est justifiée. La religion risque de perdre son emprise sur l’éternel et le transcendant et de devenir purement humaniste. Pour parer à ce danger, l’accent théocentrique est nécessaire. Mais prise isolément, comme déterminante de tout un système théologique, la méthode théocentrique signifierait une renaissance, sous une forme modifiée, de l’ancien dogmatisme. Car, tout en excluant l’infaillibilité biblique, elle s’accroche à l’idée de la révélation comme corpus objectif et faisant autorité de vérité. Elle reconnaît que des facteurs subjectifs interviennent dans la détermination du contenu exact de ce corpus de vérité, mais lorsqu’on lui attribue un caractère absolu déterminé, la théologie redevient une doctrina de deo et rebus divinis. Elle perd dans une large mesure son caractère critique et devient dogmatique. Elle ne voit pas qu’à notre époque [ p. 192 ] La théologie doit être anthropocentrique dès son point de départ. Sinon, elle n’aurait aucun point de contact avec la pensée moderne. Elle doit, bien sûr, transcender ce point de vue anthropocentrique. Dans son résultat, elle doit être théocentrique, si elle est fidèle à elle-même. Les deux méthodes doivent être combinées dans toute théologie complète et adéquate.
La deuxième différence dans la méthode théologique moderne qui mérite attention à ce propos est celle entre la méthode spéculative et la méthode empirique. Dans sa forme la plus extrême, la méthode spéculative subordonne les faits concrets de l’histoire et de l’expérience chrétiennes aux idées ou vérités générales qu’ils symbolisent. Par exemple, la personne du Christ n’a de signification que dans la mesure où elle incarne le principe du christianisme ; [^9] seul ce dernier est absolu ; il en va de même pour l’histoire biblique et chrétienne dans son ensemble. Ce n’est pas dans ses événements ou personnages concrets, mais dans les idées qui y sont à l’œuvre que se trouve la vérité ultime dont s’occupe la théologie. Développer et fonder ces idées est donc la tâche principale du théologien, et sa méthode doit donc être fondamentalement spéculative.
La principale objection à cette méthode est qu’elle implique une conception intellectualiste de la religion et marque un retour en principe au rationalisme discrédité d’il y a environ un siècle. À l’opposé se trouve la méthode empirique ou scientifique, méthode théologique populaire de nos jours. L’accent est ici mis sur l’individuel plutôt que sur l’universel, sur le concret plutôt que sur l’abstrait, sur l’expérience plutôt que sur la raison. Mais l’expérience est un terme vague, utilisé dans des sens variés. Pour en déterminer plus précisément le sens, il convient d’abord de noter qu’il n’existe pas d’« expérience pure ». Toute expérience articulée est interprétée comme une expérience ; c’est-à-dire qu’elle implique l’activité de la pensée ou de la raison. Il existe néanmoins une différence entre la connaissance de type perceptif concret et la connaissance abstraite ou conceptuelle ; le terme « expérience » peut être appliqué à la première. Mais l’expérience n’est pas purement cognitive, elle est aussi appréciative. Elle a non seulement une fonction d’enregistrement, mais aussi d’évaluation. Il existe aussi une expérience passée et présente, et le passé est irrévocable. Dans le cas individuel, l’expérience passée peut être remémorée, mais dans le cas de l’espèce, ce n’est qu’au figuré que l’on peut parler d’une mémoire du passé. Tout souvenir est individuel ; mais même remémoré, le passé n’est pas vécu. Il a été vécu une fois et, à ce titre, appartient à l’expérience, mais en tant que passé, il est irrévocable et séparé de nous par un gouffre qu’aucune magie ne peut combler. Un enregistrement peut nous en être transmis et, dans certaines limites, il peut être rappelé en mémoire, mais en tant qu’expérience passée, il est irremplaçable. Il appartient à l’histoire. L’expérience qui sous-tend ou constitue l’histoire est donc différente, pour nous, de l’expérience présente. Le terme « expérience » a donc trois sens différents : le sens purement perceptif, le sens évaluatif et le sens historique.
Chacun de ces différents aspects de l’expérience a servi de base à un groupe particulier de sciences empiriques [ p. 194 ]. Les sciences naturelles se fondent sur le côté purement perceptif de l’expérience, les sciences normatives sur son côté évaluatif, et les sciences historiques sur les expériences enregistrées du passé. Et chacune de ces formes de science empirique a été transposée en théologie. Nous avons un type de théologie empirique qui met l’accent sur l’histoire, un autre type qui met l’accent sur les jugements de valeur, et un troisième qui met l’accent sur le caractère perceptif de l’expérience religieuse. Ces trois types ne s’excluent pas mutuellement. Ils sont souvent fusionnés sans distinction apparente. Ils se prétendent tous empiriques, et en ce sens anti-spéculatifs et anti-métaphysiques. Mais une confusion fondamentale est généralement inhérente à leur conception de l’expérience. Nous avons vu que la pensée populaire oscille entre une interprétation positiviste et métaphysique de l’expérience ; et cette incertitude et cette confusion vicient une grande partie de la théologie empirique actuelle. Si l’expérience religieuse est interprétée dans un sens positiviste, l’empirisme théologique dégénère en psychologisme et en historicisme. Il abandonne toute réalité transcendante et, avec elle, l’essence même de la foi religieuse. Si, en revanche, l’expérience religieuse est interprétée dans un sens métaphysique, nous avons dans la théologie empirique un mélange confus de science et de philosophie ; et sous le couvert de cet empirisme hybride, les anciens types de pensée métaphysique sont ravivés sous une forme diluée ou modifiée. Dans le positivisme historique du ritschlianisme, nous avons une forme atténuée de l’ancien autoritarisme ; dans la théorie ritschlienne [ p. 195 ] des jugements de valeur, nous avons une forme abrégée de l’ancien rationalisme ; et dans la théorie perceptive de l’expérience religieuse, nous avons une version modernisée du mysticisme et du piétisme plus anciens. Si l’histoire biblique était dénuée de toute autorité, si les jugements de valeur étaient dénués de toute référence objective et existentielle, et s’il n’existait pas d’appréhension mystique d’un Être divin, tout recours à l’expérience religieuse, passée ou présente, évaluative ou perceptive, serait totalement vain. Seule une expérience interprétée métaphysiquement peut servir les objectifs de la théologie.
La méthode empirique actuelle en théologie est donc complexe et confuse. Il en va de même pour la pensée contemporaine en général, en ce qui concerne l’« expérience », la « science » et la « métaphysique ». Et c’est à cette confusion que l’empirisme théologique doit en grande partie sa vogue actuelle. Il cherche à conquérir la théologie comme science reconnue sans s’interroger pleinement sur les implications d’une telle tentative et sans analyser, clarifier et définir ses propres concepts fondamentaux.
Le fait est que la quête théologique actuelle d’une méthode « unifiée », et en particulier d’une méthode entièrement « scientifique », est dans une large mesure erronée. La théologie est de nature composite. Elle est en partie science et en partie philosophie ; et sa méthodologie devrait correspondre à ce caractère composite. Vouloir réduire la théologie dans son ensemble à une science empirique est aussi erroné que de tenter de la réduire à une philosophie métaphysique. Cette dernière est l’erreur de la méthode spéculative, et la première l’erreur de la méthode scientifique ou empirique. Les deux méthodes sont essentielles à une théologie complète et adéquate. De plus, la théologie a un but pratique, celui de répondre aux besoins réels de l’Église, et cela devrait également être pris en compte dans sa méthodologie, de sorte qu’une méthode théologique solide devrait être en partie scientifique, en partie philosophique et en partie pratique.
La première tâche de la théologie est de déterminer et d’exposer la nature et le contenu essentiels de la foi chrétienne. Pour ce faire, sa méthode doit être celle d’une science normative. Elle rassemblera les données pertinentes provenant de diverses sources reconnues, mais ne se contentera pas ensuite de généraliser à partir de ces données, comme le font les sciences naturelles. Elle érigera à partir de ces données une norme ou un standard permettant de les évaluer et de les classer selon une échelle graduée selon leur importance. Certaines seront rejetées comme étrangères à la véritable nature du christianisme, d’autres comme des éléments accessoires de son histoire. Cette méthode sera suivie dans l’utilisation des Écritures comme dans celle de l’histoire chrétienne dans son ensemble. La norme acceptée pour déterminer ce qui est véritablement chrétien et ce qui ne l’est pas se trouvera en Jésus-Christ. Mais qu’est-ce qui est réellement normatif en lui ? Est-ce son enseignement ? Est-ce le principe du christianisme incarné en lui ? Est-ce sa vie intérieure ? Ou est-ce le fait transcendant qu’il est le Fils de Dieu incarné ? Ce sont là autant de jugements de valeur. Dans une certaine mesure, leur exactitude peut être déterminée par une étude de l’histoire biblique et chrétienne. Mais la question à laquelle elles répondent ne peut être tranchée par des considérations purement objectives. Un facteur subjectif est impliqué dans toute réponse. Il en va de même pour la détermination des normes pratiques partout dans le monde. Ce facteur est valable dans toute science normative. Le fait qu’il soit présent dans la théologie chrétienne ne remet donc pas en cause son caractère scientifique. Dans la mesure où la théologie a pour fonction de déterminer la nature et le contenu intellectuel du christianisme, et dans la mesure où elle le fait par une étude impartiale des faits pertinents, elle est une science normative au sens strict du terme, même si elle ne peut se départir totalement de critères subjectifs.
Mais la théologie a aussi pour tâche d’établir la validité de la foi chrétienne, et elle ne peut le faire sans envahir le champ de la philosophie. On peut certes dire que la foi chrétienne se vérifie d’elle-même et n’a besoin d’aucune défense, mais cette affirmation même a besoin d’être justifiée et ne peut la trouver que dans une théorie de la connaissance qui établisse clairement que les intérêts moraux, religieux, esthétiques et intellectuels fondamentaux de l’esprit humain sont, dans une certaine mesure, indépendants les uns des autres et se suffisent à eux-mêmes, de sorte qu’aucun ne peut être renversé par les autres. Mais la théologie a aussi le devoir d’élaborer le contenu intellectuel du christianisme et de montrer sa profonde unité intérieure, et dans la mesure où elle le fait, elle rend un important service apologétique. Car ce n’est pas seulement en tant que vague conviction subjective, mais en tant que « système profond et homogène » que le christianisme est, comme l’a dit William Shedd, « sa meilleure défense ». [^10] Ainsi, pour présenter la croyance chrétienne, comment [ p. 198 ] exige toujours un haut degré de capacité spéculative. De plus, le système chrétien doit être mis en harmonie avec le champ général de la philosophie, ce qui exige également le recours à la méthode spéculative. Cette dernière est donc aussi incontournable en théologie que la méthode scientifique.
Un objectif pratique sous-tend le travail des scientifiques et des philosophes en général, mais il est particulièrement proche de celui du théologien. Car celui-ci s’inscrit dans une organisation définie et a le devoir de répondre à ses besoins. Cela ne doit en aucun cas le détourner de sa quête fondamentale de la vérité, mais doit orienter ses recherches et déterminer dans une certaine mesure sa méthode d’exposition. Il ne peut s’affranchir de la terminologie du passé ni rompre avec la continuité historique de la foi sans compromettre, dans une certaine mesure, le but même de son travail. Une méthode pratique solide doit donc, en théologie, compléter la méthode purement scientifique et spéculative.
La question de l’ordre dans lequel les différentes doctrines chrétiennes doivent être traitées a suscité une attention considérable. Elle ne me semble pas revêtir une importance particulière. On peut, si l’on le souhaite, suivre l’ordre psychologique dans lequel le système chrétien semble se développer naturellement, ou adopter l’ordre logique dans lequel les différentes doctrines se présentent les unes par rapport aux autres. Ce dernier, plus clair et moins sujet à controverse, me paraît préférable d’un point de vue pédagogique. C’est ainsi que nous abordons dans ce volume la doctrine de Dieu. Puis, dans un volume ultérieur, mentionné dans la Préface, [ p. 199 ], nous traiterons du monde et du péché, ainsi que du Christ et de la rédemption. Ces trois thèmes constituent en tout cas les principaux sujets à considérer dans toute théologie chrétienne ; et sous ces thèmes généraux se trouve une place naturelle et appropriée pour tout ce qui doit être dit concernant le contenu intellectuel de la foi chrétienne.
[^6] : Ainsi Georg Wobbermin, Die Religionspsychologische Methode in Religionswissenschaft und Theologie, pp. VIIf.
[^7] : Theozentrische Theologie.
[^8] : Die Mystik unci das Wort.
[^9] : Cf. AB Biedermann, Christliche Dogmatik.
[^10] : Histoire de la doctrine chrétienne, I, pv
La foi chrétienne, p. 88. ↩︎
Voir An Outline of Christianity, Vol. IV, pp. 339f., 365ff., où j’ai discuté le sujet plus en détail. ↩︎
Cf. L’utilisation des Écritures en théologie, par William Newton Clarke. ↩︎
Ce programme est élaboré avec une compétence, un savoir et un enthousiasme marqués par le professeur Walter E. Bundy, de l’Université DePauw, dans deux volumes intéressants intitulés La religion de Jésus et Notre rétablissement de Jésus. ↩︎
Voir John Toland, Le christianisme n’est pas mystérieux, 1696 ; Matthew Tindal, Le christianisme aussi vieux que la création, ou l’Évangile, une réédition de la religion de la nature, 1730. ↩︎