Auteur : Albert C. Knudson
PARTIE II LA DOCTRINE DE DIEU
[ p. 203 ]
L’existence de Dieu est un présupposé fondamental non seulement de la religion chrétienne, mais de toute religion dans ses formes les plus développées. Il existait probablement une forme de religion antérieure à l’essor de la croyance en un ou plusieurs êtres divins, mais nous en savons très peu. Le bouddhisme originel était athée, mais la question est de savoir s’il s’agissait ou non d’une religion. Il représentait assurément une expression très unilatérale et inadéquate de la nature religieuse, et ce n’est que lorsqu’il s’est transformé en polythéisme qu’il est devenu une religion véritablement populaire et vitale. À l’époque moderne, divers efforts ont été déployés pour instaurer une religion sans Dieu, mais les résultats n’ont pas été encourageants. Aucun de ces efforts ne pourrait aboutir sans un changement radical de la nature religieuse des hommes. Tant que la religion impliquera un sentiment confiant de dépendance absolue et un profond désir de rédemption, elle tendra inévitablement non seulement vers la croyance en un supramonde, mais aussi vers la croyance en un Être personnel transcendant.
Le théisme du christianisme ne le distingue donc pas des autres religions du monde ; il constitue plutôt un lien d’union avec elles. Car, aussi vagues, impersonnelles et agnostiques que soient ces dernières, elles contiennent un théisme implicite. Il y a en elles [ p. 204 ] une aspiration naturelle vers quelque chose de plus clair et de plus adéquat. Leur impersonnalisme et leur agnosticisme ne sont pas des finalités ; ce sont plutôt des étapes sur la route vers une vision du monde plus précise et plus satisfaisante. Et cette vision du monde plus adéquate, le christianisme les leur offre dans son propre théisme clair et net. Il leur dit ce que Paul disait aux Athéniens sur l’Aréopage : « Celui que vous adorez par ignorance, je vous l’annonce. » Il ne nie donc pas leurs prétentions ; il les affirme et les accomplit. Et cela est possible parce que toute religion, par sa nature même, est implicitement théiste. C’est dans la pensée ou l’hypothèse d’une réalité transcendante et divine que toute religion prend racine. Le christianisme ne fait que rendre plus explicite et pousser jusqu’à ses conséquences logiques ce qui est impliqué dans la nature de la religion en général. De même qu’il est dit de l’Ancien et du Nouveau Testament que le Nouveau est latent dans l’Ancien et que l’Ancien est manifeste dans le Nouveau, de même on peut dire du christianisme, dans ses relations avec les autres religions, qu’il est latent en elles, et qu’elles y sont manifestes. Un intérêt théiste commun les lie toutes.
En commençant donc notre exposé de la foi chrétienne par sa doctrine de Dieu, nous adoptons une méthode suggérée non par le caractère unique de l’enseignement chrétien, mais par la structure logique de la croyance religieuse en général. Toute religion fondamentale repose en définitive sur la foi en Dieu. Mais Dieu est conçu différemment selon les religions et les philosophies. Le problème fondamental de la théologie est donc de déterminer, si possible, quelle est la véritable conception de Dieu. Certains s’opposent à de telles tentatives [ p. 205 ] et les condamnent d’avance. Ils le font non seulement parce qu’ils les considèrent comme futiles, incapables d’aboutir, mais parce qu’ils les considèrent comme plus ou moins en désaccord avec la véritable nature de la religion. Pour eux, c’est le flou, l’indéfinissabilité de la Divinité qui les attire le plus. Si son être porte en lui la notion vague d’une valeur surnaturelle, ils s’en contentent. Rien de plus précis ne leur importe. Ils n’ont aucun intérêt à définir sa nature plus précisément. En fait, ils voient d’un mauvais œil toute tentative de ce genre, la qualifiant de « rationaliste », de « scolastique » ou de quelque chose d’encore plus répréhensible. Mais aussi intelligible que soit tout cela en réaction à un intellectualisme excessif, cela ne peut satisfaire les besoins religieux permanents des hommes. Si Dieu est réel et s’il signifie quelque chose pour nous, il doit être possible de se forger une conception plus ou moins précise de son être. Sinon, la religion dégénérerait en un sentiment amorphe et, pour la masse des hommes, perdrait à la fois sa crédibilité et sa valeur. Que Dieu puisse être connu est implicite dans l’idée de révélation sur laquelle se fondent les religions historiques, et c’est sur cette hypothèse que les hommes ont construit leurs diverses conceptions de Dieu. Ces conceptions ont sans doute parfois été analysées et définies par leurs adeptes avec une minutie et une précision excessives ; mais il n’en reste pas moins vrai que c’est dans la netteté de sa conception de Dieu que le génie et la force d’une religion se révèlent le plus clairement. Tel a manifestement été le cas du christianisme. Dans l’histoire de la théologie chrétienne, trois problèmes principaux relatifs à Dieu ont été abordés. Le premier concerne son être ou son existence ; il s’agit en grande partie d’un problème apologétique. Le deuxième concerne ses attributs, et le troisième la doctrine de la Trinité. Le dernier est une doctrine typiquement chrétienne ; c’est en lui que l’élément unique de la vision chrétienne de Dieu trouve son expression la plus claire et la plus complète. L’être et les attributs de Dieu sont des problèmes que le christianisme partage avec les autres religions et avec le théisme philosophique.
Dans la discussion sur les attributs divins, les théologiens ont connu des divergences d’opinion considérables. Ils ne se sont pas mis d’accord sur ce qu’est un attribut. Certains théologiens plus anciens semblaient considérer les attributs comme étant en relation externe à l’être ou à la nature divine, comme des épingles plantées dans un coussin. C’est manifestement une erreur. Les attributs n’ont d’existence que dans l’être de Dieu, et l’être de Dieu n’a de réalité que dans ses attributs. Les deux vont de pair. Pris séparément, ce sont des abstractions. Les attributs ne sont que des expressions de la nature de Dieu. En revanche, certains des théologiens les plus profonds ont nié que les attributs expriment de réelles différences au sein de la nature divine. Augustin, par exemple, a dit : « Dieu est vraiment appelé de multiples manières grand, bon, sage, bienheureux, vrai, et tout ce qu’on semble dire de lui n’est pas indignement ; mais sa grandeur est la même que sa sagesse ; car il n’est pas grand par sa masse, mais par sa puissance ; et sa bonté est la même que sa sagesse et sa grandeur, et sa vérité la même que toutes ces choses ; et en lui, ce n’est pas une chose d’être [ p. 207 ] bienheureux, et une autre d’être grand, ou sage, ou vrai, ou bon, ou, en un mot, d’être lui-même. » [^1] Un peu plus explicitement encore, Schleiermacher a dit : « Tous les attributs que nous attribuons à Dieu doivent être considérés comme dénotant non pas quelque chose de spécial en Dieu, mais seulement quelque chose de spécial dans la manière dont le sentiment de dépendance absolue doit être lié à lui. . . . La pensée divine est la même que la volonté divine, et l’omnipotence et l’omniscience sont une seule et même chose. » [^2] Ces déclarations de Schleiermacher et d’Augustin, prises strictement, conduiraient à un agnosticisme virtuel. Car si les attributs divins sont subjectifs chez nous et ne représentent aucune distinction en Dieu lui-même, il est évident que nous n’avons aucune connaissance valable de lui, puisque ce n’est qu’à travers ses attributs qu’il peut être connu. Nous devons donc considérer les attributs divins comme une véritable expression de la nature divine ; et de ce point de vue, nous pouvons, avec OA Curtis, définir un attribut comme « toute caractéristique que nous devons attribuer à Dieu pour exprimer ce qu’il est réellement », [1] ou nous pouvons, avec HB Smith, le définir comme « toute conception qui est nécessaire à l’idée explicite de Dieu, toute conception distinctive qui ne peut être résolue en aucune autre ». [2]
Si ces définitions d’un attribut sont acceptées, la question se pose encore de savoir quels aspects spécifiques de l’Être divin doivent être distingués comme attributs et comment les classer. Là encore, il n’y a pas d’accord général, mais les différences ne sont pas d’une importance particulière. Pourtant, pour déterminer comment nous devrions penser à Dieu, il est important de distinguer les caractéristiques les plus significatives en elles-mêmes et dans leur relation à la pensée actuelle. Autrefois, il n’était pas rare d’enchaîner les différents attributs sans chercher à les relier logiquement les uns aux autres. Richard Watson, par exemple, a analysé les attributs suivants dans l’ordre indiqué : unité, spiritualité, éternité, omnipotence, ubiquité, omniscience, immutabilité, sagesse, bonté, sainteté. [3] Plus récemment, il est devenu courant de distinguer les attributs métaphysiques des attributs éthiques ; et cette distinction est valable et importante. [4] Mais au-delà de cela, aucun schéma des attributs divins n’a été convenu. Bather a eu tendance à s’opposer à une telle schématisation, ainsi qu’à une multiplication des attributs. L’intérêt se concentre désormais sur quelques caractéristiques ou attributs fondamentaux de la Déité, tels que l’absolu, la personnalité et la bonté. Dieu doit-il être considéré comme absolu, personnel, bon, et, si oui, en quel sens ? Telles sont les questions qui attirent désormais l’attention, et c’est d’elles que nous allons nous occuper. Elles n’excluent pas l’étude plus ancienne et plus exhaustive des attributs divins. Mais elles abordent le problème d’un point de vue plus large, cherchant à le simplifier et à le relier plus étroitement à la pensée contemporaine.
On soutient parfois que la discussion de l’existence de Dieu devrait suivre l’exposé de la conception chrétienne de sa nature, au motif que ce n’est qu’après avoir compris cette conception que nous sommes prêts à la justifier. [5] Mais on peut répondre qu’en cherchant à justifier la croyance en Dieu, nous ne nous intéressons qu’aux aspects les plus généraux de son être, et que l’argumentation ne requiert pas une connaissance complète de la doctrine chrétienne. Une connaissance générale, telle que celle que tout chrétien instruit est censé posséder, suffira. Nous commençons donc notre étude de la doctrine de Dieu par une enquête sur la question de son existence, suivie de trois chapitres consacrés respectivement à l’absolu, à la personnalité et à la bonté de Dieu, et concluons par un exposé et une critique de l’enseignement trinitaire de l’Église.
En abordant le problème de l’existence divine, nous sommes d’emblée confrontés à la question de savoir ce que signifie l’existence ou la réalité. L’homme ordinaire répond à cette question en désignant les choses. Mais il a été découvert depuis longtemps que les choses ne sont pas ce qu’elles paraissent, et une distinction a donc été faite entre apparence et réalité. « Seule dans l’opinion », disait Démocrite, « se composent la douceur, l’amertume, la chaleur, le froid, la couleur ; en vérité, il n’y a que des atomes et le vide. » Platon rejeta cette limitation de la réalité aux atomes ou aux choses matérielles. Il trouva un domaine de réalité supérieur dans les Idées immatérielles ou âmes. [ p. 210 ] Et au début de l’ère moderne, Descartes réduisit toute réalité finie à deux modes radicalement différents d’être étendu et de penser des substances, ou choses matérielles et esprits. Mais Berkeley nia la réalité substantielle de la matière, et un peu plus tard Hume nia la substantialité de l’âme. Ainsi, l’ancienne conception métaphysique de la réalité, à la fois matérielle et immatérielle, physique et mentale, statique et dynamique, fut remise en question ; et à sa place ou à côté d’elle apparut une vision positiviste, qui rejette les notions de substance et de cause et réduit en principe toute réalité au plan phénoménal. Ce type de pensée n’a jamais été appliqué avec une cohérence absolue, mais en tant que tendance, il constitue peut-être le trait le plus caractéristique de la philosophie contemporaine ; et, par son alliance avec l’empirisme courant et certaines formes impersonnelles d’idéalisme, il a tellement modifié ou brouillé la conception de la réalité que les éléments subjectifs de l’expérience et de la pensée humaines sont souvent déclarés aussi réels que les objets de l’expérience sensible. Ces derniers, nous dit-on, n’ont aucune réalité substantielle ou causale en eux ou derrière eux, et ne sont donc réels que dans la mesure où ils entrent dans l’expérience ou dans un réseau de relations insubstantiel.
Sous l’influence de cette vision positiviste de la réalité, des efforts ont été déployés pour redéfinir Dieu de manière à éliminer les anciennes implications métaphysiques du terme tout en conservant l’idée de son existence réelle. On dit, par exemple, qu’il est réel au même titre qu’Alma Mater, l’Oncle Sam et l’Humanité, quoique à un degré « plus ». Il est [ p. 211 ] « réalité idéalisée », il est « la réalité vécue de manière socialisée », il est « l’Esprit du monde des êtres vivants, pris dans leur expérience associée et idéale ». [6] Ou, d’un point de vue légèrement différent, il est identifié à une partie ou un aspect de la nature. On dit qu’il est « cette complexité la plus subtile et la plus intime de la nature environnementale qui produit le plus grand bien lorsqu’un ajustement approprié est effectué ». [7]
Dans cette redéfinition de Dieu, il est évident qu’il n’est pas considéré comme réel au même titre que la Nature plus vaste dont il fait partie. Il est certes affirmé que « sa réalité est aussi démontrable que le monde lui-même », mais le monde, ou la nature, est manifestement considéré comme la réalité la plus inclusive et originelle. Il est réel au sens métaphysique du terme, tandis que Dieu n’est réel qu’à un sens secondaire, en tant que partie ou produit de la nature. Aucune individualité ni activité indépendante ne lui est attribuée. On peut le qualifier de « Puissance qui conduit à la justice », mais ce n’est qu’en un sens accommodé. Il est plutôt une loi ou un processus, et il n’est réel qu’au sens où une loi ou un groupe social est réel. Si une réalité plus profonde lui est attribuée, c’est dans un sens panthéiste. Cependant, le système considéré, si tant est qu’on puisse le qualifier de système, est loin d’être un panthéisme cohérent. C’est un mélange de positivisme, de naturalisme, de panthéisme et de sociologie, avec une pointe d’idéalisme platonicien et une profession de foi persistante en l’empirisme. Dans une telle fusion, voire confusion, de points de vue différents, il n’est pas toujours facile de déterminer exactement ce que signifient les différentes affirmations concernant Dieu. Mais il est clair qu’il ne doit pas être considéré comme le fondement ultime de l’univers. Il en est une partie, un aspect ou une expression.
Dans la mesure où il est identifié à un processus social, à un groupe social, à un idéal social, ou à une phase observable de la nature, on peut peut-être affirmer à juste titre qu’il est aussi manifestement réel que le monde qui nous entoure, mais il n’est pas réel au seul sens où la religion s’intéresse à sa réalité. Seule la religion se préoccupe d’une volonté juste et aimante dont le monde dépend. Aucun processus social, aucune phase de l’ordre naturel, aucun univers vague ne peut compléter l’idée religieuse de la Déité. Pour la religion, Dieu doit être un Être individuel, absolu et personnel. Telle est du moins la vision chrétienne. Et la question fondamentale de la religion est de savoir si un tel Être existe. L’existence, telle qu’elle lui est appliquée, signifie donc une existence métaphysique, un mode d’être indépendant, dynamique et spirituel.
L’existence d’un tel Dieu est l’affirmation banale de la foi chrétienne. Mais sur quoi repose cette affirmation ? Elle nous vient de la tradition. Nous l’acceptons comme faisant partie de notre héritage religieux, ou nous la rejetons. La question se pose alors de savoir comment déterminer sa validité.
Une méthode ancienne pour traiter le problème, et qui n’est pas encore obsolète, consistait à s’interroger sur l’origine de la croyance. Si la croyance avait une origine louable, elle devait être acceptée ; sinon, elle devait être rejetée. Partant de ce postulat, les partisans de la religion remontaient à une source divine, à la révélation, [ p. 213 ], tandis que ses adversaires insistaient sur le fait qu’elle avait non seulement une origine purement humaine, mais qu’elle provenait d’un élément ou d’un aspect indigne de la nature ou de la vie humaine, comme la peur/le désir égoïste, la sexualité perverse, la prêtrise et l’art de gouverner, l’injustice sociale, les rêves, les transes ou la croyance aux fantômes. Les théories soutenant cette dernière thèse ont été longuement examinées au chapitre I. Il me suffit ici de rappeler au lecteur qu’une croyance ou une institution n’est pas nécessairement discréditée en raison de ses antécédents historiques. L’astronomie, la chimie et le travail manuel ne perdent ni leur validité ni leur dignité parce qu’ils sont issus respectivement de l’astrologie, de l’alchimie et de l’esclavage. Il en va de même pour la croyance en Dieu. Elle a pu être précédée de diverses superstitions et son développement a pu être influencé par des motivations indignes ou des états pathologiques de quelque nature que ce soit, mais la question de sa validité ne peut être tranchée par de telles considérations. Sa véracité ou sa fausseté ne peuvent être déterminées que par sa rationalité et sa valeur intrinsèques, ou par son absence de ces qualités.
Les critiques ont beaucoup insisté sur l’origine humaine de la croyance en Dieu et sur le caractère anthropomorphique de notre conception de la Déité. On a dit que « Dieu est la plus noble œuvre de l’homme » ; et c’est à Heine que nous devons cette remarque sarcastique : « Si Dieu a créé l’homme à son image, l’homme s’est empressé de lui rendre la pareille. » Aux premiers temps de la philosophie grecque, Xénophane satirisa les anthropomorphismes de son époque en déclarant que « les Éthiopiens font leurs dieux aux cheveux noirs et au nez plat, et les Thraces aux cheveux roux et aux yeux bleus. » « Oui », ajouta-t-il, « et si les animaux avaient des mains et savaient peindre et sculpter, les chevaux feraient leurs dieux comme des chevaux, et les bœufs feraient les leurs comme des bœufs. » L’hypothèse qui sous-tend de telles déclarations, répétées au fil des siècles, est que l’idée d’un Dieu personnel est une création de l’homme, le reflet gigantesque de sa propre personnalité, et que, de ce fait, elle ne peut avoir de validité objective. Mais en réponse, on peut d’abord souligner que rien ne peut exister pour nous si ce n’est comme nous le pensons. Notre idée du monde est notre création tout autant que notre idée de Dieu, et la seule question importante dans les deux cas est de savoir si l’idée est correcte ou non. Qu’elle ait une source humaine ne compromet pas plus sa validité dans un cas que dans l’autre. Et quant à l’élément anthropomorphique dans la conception de Dieu, il convient de noter que « l’homme est organique à la nature » et qu’il y a par conséquent autant de bonnes raisons d’attribuer une signification cosmique à la personnalité qu’à toute autre forme d’existence. En effet, de solides raisons, comme nous le verrons plus loin, peuvent être avancées pour soutenir l’idée que ce n’est que dans et par la personnalité qu’une compréhension rationnelle de la réalité ultime est possible. Il n’y a donc rien dans l’accusation d’anthropomorphisme ni dans l’accusation selon laquelle l’idée de Dieu aurait une origine humaine qui invalide la croyance théiste. [8]
D’un autre côté, on ne peut justifier la croyance en Dieu en attribuant son origine à la révélation divine, car la révélation implique l’existence de Dieu. Sans Dieu, il ne pourrait y avoir de révélation. Fonder la croyance en Dieu sur la révélation reviendrait donc à tourner en rond ; car la révélation elle-même repose à son tour sur la croyance en Dieu. Le fait est que la croyance en la révélation n’est qu’une expression de la croyance en Dieu. Si nous connaissons réellement Dieu, il doit s’être révélé. La révélation est un corollaire de la foi religieuse. Elle ne fonde pas la foi, elle la présuppose. Aucun argument en faveur d’une révélation surnaturelle n’aurait la moindre force en dehors de la croyance en Dieu. Toute la raison d’être de la révélation repose sur la foi théiste.
Il est également important de noter que la révélation ne s’oppose pas à ce que l’on pourrait appeler le mode « humain » ou « naturel » d’acquisition de la connaissance ; elle n’implique pas nécessairement le miraculeux. L’histoire et la psychologie pourraient vraisemblablement décrire le processus exact par lequel la croyance en Dieu est née, mais cela n’exclurait pas une intervention divine. L’activité révélatrice de l’Esprit divin est en parfaite harmonie avec l’activité synchrone de l’esprit humain. En effet, les deux s’impliquent mutuellement ; ce sont des aspects différents d’un seul et même processus. D’un point de vue, la quête de Dieu est une quête humaine, un effort humain, mais d’un autre point de vue, c’est une révélation divine.
Cela ne signifie cependant pas que tout soit également divin et qu’il n’y ait pas de degrés dans la proximité divine avec les hommes. Dieu s’est révélé plus pleinement à certains peuples et à certains individus [ p. 216 ] qu’à d’autres. [9] C’est sur cette base que repose la prétention chrétienne à une révélation divine particulière, et on peut dire beaucoup de choses à l’appui de l’unicité et du caractère élevé de la vision prophétique-chrétienne de Dieu. [10] Nulle part ailleurs nous ne trouvons une conception aussi pure et aussi élevée de la justice et de l’amour divins, et nulle part ailleurs nous ne voyons l’idée monothéiste se développer et se maintenir dans des circonstances aussi fâcheuses. Il est significatif que ce ne soit pas dans un empire mondial comme l’Assyrie ou l’Égypte, mais dans les deux petits royaumes hébreux, et au moment même où ils sombraient dans la ruine politique, que l’idée d’un Dieu unique, Dieu de justice, émergea dans la conscience humaine. Ceci est si contraire à tout calcul humain naturel que l’esprit religieux peut difficilement résister à la conviction que l’histoire d’Israël a été marquée de manière unique par le doigt de Dieu. Israël fut également la seule nation dont la religion survécut à la chute nationale. Lorsque d’autres nations antiques tombèrent, elles jetèrent leurs dieux, comme le dit Isaïe, aux taupes et aux chauves-souris, et Israël aurait probablement fait de même sans l’œuvre de ses prophètes. De plus, sa religion fut la seule en Asie du Sud-Ouest à résister aux empiètements du naturalisme hellénique. Ces faits remarquables confèrent à la religion d’Israël et à la religion chrétienne qui en découle leur caractère unique, et nous autorisent à y voir une révélation particulière de Dieu. Mais [ p. 217 ] il s’agit, après tout, d’un jugement religieux. Rien dans l’histoire israélite ou chrétienne n’exclut, pour un esprit non religieux, une interprétation naturaliste. On ne trouve donc aucune raison logique d’accepter ou de rejeter la croyance théiste dans les diverses théories de son origine historique. Ces théories sont secondaires, et non primaires, les effets de la foi ou de l’infidélité, et non leurs causes. On pourrait, comme le sage dont nous parle Von Hugel, faire remonter l’origine de la religion au « grattage d’une vache par une démangeaison sur le dos », [11] sans pour autant remettre en cause la croyance religieuse d’aujourd’hui ; ou, à l’inverse, on pourrait trouver la source ultime de la religion dans une révélation primitive et la laisser avec aussi peu de justification rationnelle que jamais.
Nous revenons donc à la tradition religieuse chrétienne de départ, source immédiate de notre croyance en Dieu. Le caractère traditionnel de cette croyance joue, dans une certaine mesure au moins, en sa faveur. Qu’elle ait été éprouvée au fil des siècles, qu’elle ait constitué la conviction constante de générations d’hommes, qu’elle ait traversé les flammes de la critique, sept fois surchauffée à l’époque moderne, tout cela est manifestement à son honneur. Il y a sans doute eu des erreurs vieilles de plusieurs siècles, sans doute des mensonges ont-ils parfois été tenaces. Mais cela était dû à des préjugés, à un égoïsme sous une forme ou une autre, ou à une inertie mentale. Dans la croyance chrétienne en Dieu, en revanche, nous avons une conception qui s’élève au-dessus du plan sensible, qui transcende tout égoïsme, individuel et collectif, et qui a été soumise à l’examen critique le plus approfondi et le plus minutieux. Qu’elle ait persisté à travers les âges et qu’elle persiste encore comme la foi professée par les principaux peuples du monde est donc un argument de poids en faveur de sa véracité. Mais elle suscite des désaccords, des désaccords croissants ; et l’homme moderne est par principe opposé à fonder sa foi sur la seule autorité de la tradition. Il ne reconnaît en la religion aucune autorité extérieure, ni humaine ni divine. La tradition, insiste-t-il, doit lui présenter ses lettres de créance. Elle doit se justifier, et elle ne peut le faire qu’en éveillant en lui la conviction profonde de sa vérité. Un simple assentiment ne suffira pas. Il doit exister une conviction personnelle plus profonde, authentique ; et la question fondamentale en religion est de savoir comment cette conviction peut naître. Sur quels fondements valables, s’il en existe, repose la croyance chrétienne en Dieu ?
La pensée religieuse actuelle commence sa défense du théisme par ce que l’on pourrait appeler l’argument religieux. Elle passe ensuite à l’argument moral, puis à l’argument théorique ou « rationnel ». Cette analyse et cet ordre de traitement seront adoptés dans la discussion qui suit.
L’argument religieux repose sur l’unicité de la nature religieuse de l’homme. On soutient non pas qu’il existe une faculté religieuse distincte dans l’esprit humain, mais que l’homme possède une aptitude à la religion aussi originale et distincte que son aptitude à l’art, à la morale et à la science, et que cette aptitude, lorsqu’elle est pleinement et systématiquement développée, conduit à la croyance en Dieu. La seconde partie de cette affirmation a déjà été suffisamment développée ; la première a été formulée clairement et définitivement par Schleiermacher. Avant lui, l’unicité de la religion était dans une certaine mesure implicite dans la conception surnaturelle et autoritaire de la révélation et de la foi, mais elle n’était ni développée ni fondée scientifiquement. Schleiermacher fut le premier à distinguer clairement et explicitement la religion psychologiquement des autres formes de vie mentale. Il insistait sur le fait que la religion n’est ni un savoir ni une action, mais un sentiment unique, celui d’une dépendance absolue. En tant que tel, il est ultime et se justifie lui-même. Mais la méthode d’autojustification a été conçue différemment.
Certains soutiennent que la religion s’apparente à un instinct ou à une autre faculté humaine naturelle permettant de s’adapter à son environnement. L’existence d’une telle faculté instinctive présuppose l’existence de l’objet vers lequel elle est dirigée. Le vol automnal des oiseaux migrateurs implique l’existence des terres chaudes du Sud, [12] l’œil implique la lumière, l’oreille le son, la faim la nourriture, la raison un monde rationnel ; de même, soutient-on, la religion implique la réalité de l’Objet divin vers lequel elle tend. Sans une telle correspondance entre le monde intérieur et organique et le monde extérieur, la vie serait impossible. Le fait même de la vie humaine exige donc qu’à chaque pouvoir ou besoin humain profond corresponde une contrepartie objective [ p. 220 ]. Et cette conclusion n’est pas seulement impliquée dans une analyse des conditions de la vie humaine, elle est génétiquement fondée. Car nos facultés humaines, nos sens, nos instincts et autres capacités tirent leur origine de leur environnement. Elles se sont développées en réponse aux réalités qui les entouraient. De manière causale comme analytique, elles renvoient donc à des existences réelles qui leur correspondent. Cela est vrai aussi bien pour les capacités religieuses que pour les autres. Notre désir de Dieu implique qu’il existe à la fois comme cause et comme objet de notre désir. [13]
Cet argument, si l’on peut le qualifier ainsi, n’est pas « religieux » au sens strict du terme. Il ne trouve pas ses racines dans la conscience religieuse, ni n’en est l’expression directe. Il s’agit plutôt d’un argument théorique, fondé sur la genèse et la structure de la nature religieuse. Son principal argument est que la religion, comme les autres capacités humaines naturelles, est une réponse à une réalité objective et que, pour elle, cette réalité est Dieu. Sans Dieu, la religion serait inexplicable en tant que facteur normal de la vie humaine.
Dans cette ligne de pensée, on suppose qu’il doit exister une correspondance entre le monde intérieur et le monde extérieur ; et une telle correspondance, il est clair, doit être admise pour que la connaissance soit possible. Mais l’erreur et l’illusion sont des faits patents de la vie humaine ; et la question se pose de savoir si la religion ne pourrait pas remplir une fonction biologique importante, même si son contenu idéationnel est trompeur. La perception, telle qu’appliquée [ p. 221 ] au monde physique, est, nous le savons, en grande partie une tromperie. Les choses ne sont pas ce qu’elles paraissent. Et il peut en être de même dans le domaine spirituel. Il se peut qu’il n’y ait pas de Dieu, même si la foi religieuse semble l’exiger ; et pourtant, la foi en l’idéal peut être d’une valeur pratique capitale, tout comme notre perception normale. Il est douteux que la foi en l’idéal soit définitivement dissociable de la croyance en Dieu. Mais par le passé, la foi populaire dans le supramonde a été si variée et souvent si vague et confuse qu’on peut largement plaider en faveur de l’idée selon laquelle l’utilité de la religion ne dépend pas d’un théisme clair et net. Le simple principe d’adaptation à l’environnement, tel que nous le voyons illustré dans le monde organique, ne garantit pas la véracité de la croyance religieuse. L’adaptation, il est vrai, serait plus complète et notre vision du monde plus harmonieuse si nos croyances religieuses les plus élevées correspondaient à la réalité ; mais rien dans l’analogie biologique n’exige nécessairement un tel parallélisme. En tant que simple instinct ou mode de comportement, en tant que simple adaptation à l’environnement, la religion pourrait vraisemblablement s’intégrer à un système naturaliste. La question est de savoir combien de temps elle conserverait sa dynamique dans un tel système. Mais tant qu’elle le ferait, elle remplirait une fonction sociale. Et lorsque sa dynamique s’effondrerait, elle deviendrait, comme d’autres institutions obsolètes, une sorte d’appendice social vermiforme qu’il vaudrait mieux exciser.
Face à une telle possibilité, s’oppose le sentiment profond que la religion a joué un rôle si important dans l’histoire humaine et a été d’une valeur si suprême dans la vie humaine que nous ne pouvons la considérer comme une simple phase transitoire du développement humain. Nous pensons qu’elle doit être permanente. Mais cette conviction est bien plus profondément ancrée que le principe d’adaptation sociale ou tout ce qu’il contient logiquement. Si ce n’était pas le cas, elle pourrait difficilement être considérée comme allant de soi.
Une manière plus profonde de présenter l’argument religieux en faveur du théisme est celle de Schleiermacher, Troeltsch et Otto. Ils se tournent, pour l’auto-vérification de la religion, non pas vers une analogie biologique plus ou moins douteuse, mais vers la structure même de l’esprit humain. Schleiermacher, par exemple, dit que « le sentiment de dépendance absolue, dans lequel notre conscience de soi en général représente la finitude de notre être, n’est pas un élément accidentel, ou une chose qui varie d’une personne à l’autre, mais est un élément universel de la vie ; et la reconnaissance de ce fait remplace entièrement, pour le système de doctrine, toutes les prétendues preuves de l’existence de Dieu. » [^16] En affirmant ainsi l’universalité du sentiment de dépendance absolue, Schleiermacher peut aller au-delà de ce que les faits justifient ; mais dans la mesure où il entend affirmer que l’expérience religieuse est structurelle dans la nature humaine, qu’elle « prend place à côté de la science et de la pratique, comme un tiers nécessaire, indispensable, comme leur contrepartie naturelle, non moins précieuse et splendide que l’une ou l’autre », [^17] de sorte qu’elle se tient à part entière aussi pleinement qu’elles, il est sur un terrain solide. Aucune « preuve » morale ou rationnelle n’est nécessaire pour donner validité à la croyance religieuse [ p. 223 ]. La religion est aussi indépendante, aussi ultime et aussi irréductible que tout autre facteur ou élément de notre nature mentale, et par conséquent elle peut être considérée comme se vérifiant elle-même.
Troeltsch a précisé quelque peu cette ligne de pensée en la reliant à la doctrine kantienne des catégories et en soutenant qu’il existe un a priori religieux, tout comme il existe un a priori moral, esthétique et intellectuel. [^18] Le terme « a priori » suggère le logique ou le rationnel ; et Troeltsch parle bien d’un « a priori rationnel de la religion » et d’un « noyau rationnel de la religion ». Il considère la religion comme relevant de la « raison ». Mais il utilise le mot « raison » au sens large, comme équivalent à l’esprit humain dans son activité normale et normative. « Rationnel » ne signifie donc pas pour lui « intellectuel » ; il ne désigne pas la raison théorique. En effet, l’a priori religieux, bien que rationnel, est dit « anti-intellectualiste ». Il possède une nature propre, unique et distinctive. Mais au-delà, il ne peut être défini. Il est de caractère « formel », comme les autres catégories, et ne se manifeste que dans et par l’expérience. L’expérience religieuse présuppose un a priori religieux, et sans lui elle serait impossible. Mais cet a priori, ou principe immanent, n’a pas d’existence propre et détachable. Il est la condition de la conscience religieuse, mais n’en constitue pas un facteur distinct. Il dénote une capacité rationnelle, « une validité autonome » ; et c’est là que réside son importance. Fondée sur un a priori rationnel, la religion, [ p. 224 ] comme la science, la morale et l’art, porte en elle la loi de son être et n’a besoin d’aucune validation extérieure.
Rudolf Otto accepte l’idée d’un a priori religieux, mais sa conception diffère quelque peu de celle de Troeltsch, et il l’a analysée plus en détail. [14] Il distingue, par exemple, un a priori rationnel et un a priori irrationnel. Le premier se manifeste dans les conceptions que nous nous faisons de la Divinité, telles que son caractère absolu, sa personnalité et sa bonté ; le second se manifeste dans ce qu’Otto appelle le sentiment « numineux », la conscience du divin. Tous deux plongent leurs racines dans les profondeurs cachées de l’esprit et sont, en ce sens, a priori. Mais non seulement ils sont a priori, mais il existe un lien entre eux, et celui-ci a également un caractère a priori. Le sentiment numineux et la conception de la bonté divine sont liés par une union intérieure et nécessaire, de sorte que lorsque le caractère moral de Dieu est affirmé, l’esprit religieux le ratifie instinctivement. On en trouve une illustration frappante vers la fin du deuxième livre de la République de Platon, où Socrate dit : « Dieu est donc simple et vrai en actes et en paroles, et ne se change ni ne trompe les autres », ce à quoi Adimante répond : « Maintenant que tu le dis, c’est aussi tout à fait clair pour moi. » Ce à quoi il n’avait pas pensé auparavant, le caractère moral élevé de la Déité, lui apparut comme une évidence dès l’instant où Socrate l’énonça. Il en fut de même pour les Hébreux auxquels Amos s’adressa. Leur conscience religieuse, presque malgré eux, reconnaissait la validité de sa conception de Jéhovah comme un Dieu de justice absolue, bien qu’il s’agisse d’une doctrine nouvelle. Il existe donc trois a priori religieux : l’un rationnel, l’autre irrationnel, et le troisième le lien d’union entre les deux autres. Aussi intéressante et suggestive que soit cette analyse, on ne saurait prétendre qu’elle fasse avancer concrètement le problème apologétique. Que l’a priori religieux soit unique ou triple, clairement défini ou non, la vérité fondamentale qui le sous-tend est celle de la validité autonome de notre nature religieuse. La religion est aussi structurelle de la raison ou de notre personnalité totale que la science, l’art et la morale, et peut donc être considérée comme tout aussi permanente et digne de confiance. De même que ces autres intérêts se justifient, la religion et la croyance en Dieu le font aussi.
On peut encore brièvement envisager une autre forme d’argumentation religieuse. Celle-ci, plus empiriste, consiste à soutenir que l’existence de Dieu est donnée immédiatement par l’expérience religieuse. Elle ne constitue pas l’explication d’un a priori caché, ni un simple postulat de notre nature morale, ni une inférence expérimentale. Elle possède la même objectivité que le monde matériel. C’est une réalité intuitive et vérifiable. On peut donc dire que nous connaissons Dieu par notre expérience religieuse de la même manière directe que nous connaissons le monde physique par nos sens.
À cette présentation du cas, il y a deux objections principales. La première repose sur la critique berkeleyenne et humienne de l’expérience sensible, et la seconde sur la critique kantienne de la connaissance métaphysique et religieuse en général. Berkeley et Hume ont montré une fois pour toutes que la matière, en tant que réalité substantielle et causale, n’est pas une donnée empirique. Nous pouvons attribuer notre expérience sensible à une telle matière hypothétique, mais il est important de garder à l’esprit que la matière, dans ce sens métaphysique, est hypothétique et non une réalité immédiatement expérimentée ou pressentimentée. L’analogie de l’expérience sensible échoue donc à établir la réalité de l’objet métaphysique dans l’expérience religieuse. Dans cette dernière, la croyance en Dieu est un plus ajouté aux données empiriques originales, de la même manière que la matière l’est dans l’expérience sensible. Et nous avons dans chaque cas le même problème de décider si l’ajout est valide ou non.
Kant a également clairement indiqué que nous ne pouvons connaître Dieu ni aucun objet métaphysique de la même manière que nous connaissons le monde sensible. 20 Notre connaissance de la réalité ultime est conditionnée subjectivement. Des facteurs volitifs et moraux y entrent en jeu, de sorte qu’il serait plus juste de l’appeler foi que connaissance. La foi, il est vrai, peut devenir si vive qu’elle prend une forme perceptive ; mais cela n’est vrai que pour le type le plus extrême de mysticisme. En règle générale, elle évolue sur un plan différent, et une confusion peut résulter d’une assimilation trop étroite à la perception sensorielle et à la connaissance scientifique. Certes, notre perception ou connaissance de Dieu est très différente de notre perception ou connaissance de l’ordre phénoménal. La première est conditionnée volontairement et moralement d’une manière dont la seconde ne l’est pas. Que la foi ait un objet est tout à fait vrai, et de ce point de vue, nous [ p. 227 ] peut parler de perception religieuse, d’expérience religieuse ou de connaissance religieuse. Mais il faut se garder de se laisser tromper par ces termes. Ils ne garantissent en rien la validité de notre foi. Quels que soient le nom ou les termes utilisés pour désigner la foi, elle n’en demeure pas moins une foi et, en tant que telle, elle se distingue de la simple perception. Elle ne devient ni plus objective, ni plus certaine, ni plus immédiate du fait de l’analogie partielle qui existe entre elle et l’expérience sensible.
La vérité et la force de l’argument religieux ne résident pas dans la magie d’une nouvelle nomenclature religieuse ni dans l’immédiateté mystique de la connaissance religieuse, mais dans l’indépendance fondamentale de la foi religieuse, dans son caractère a priori. Tous les intérêts idéaux de l’humanité – science, art, morale et religion – reposent en définitive sur la foi ; [15] et la foi sous une forme est logiquement aussi bonne que la foi sous n’importe quelle autre forme. La foi religieuse n’a rien à craindre à cet égard. Elle occupe une position aussi imprenable que la foi qui sous-tend la science, la morale et l’art. Elle ne peut être délogée par de simples considérations théoriques. Elle est autonome. Telle est la vérité invincible de l’argument religieux en faveur de l’existence divine. [16] Partout où la foi en Dieu est spontanée, vigoureuse et sincère, comme elle l’est, par exemple, dans l’Écriture, elle se justifie.
L’argument moral est étroitement lié à l’argument religieux. J’ai traité ailleurs [17] les deux comme des parties ou des aspects d’un seul et même argument, auquel j’ai donné le nom d’« argument évaluatif ». On lui a également appliqué le terme « pneumatologique », au motif qu’il relève de la logique de l’esprit plutôt que de celle de la raison pure [^24]. Une telle fusion des arguments religieux et moral est naturelle compte tenu de leur étroite relation. Mais il existe encore une différence suffisante entre eux pour justifier que nous les traitions séparément.
Le principal clivage entre eux réside dans le fait que l’argument religieux souligne l’immédiateté avec laquelle la foi ou l’expérience religieuse s’empare de son objet. Dieu nous est donné dans un acte de foi ou une intuition mystique qui ressemble à la perception, tant par son objectivité que par sa certitude. Nous le connaissons directement ou avons une conviction ou une conscience de sa réalité apparentée à celle avec laquelle nous appréhendons la présence d’autrui. L’argument moral, en revanche, souligne la nécessité spirituelle de la croyance en Dieu. De ce point de vue, nous n’avons aucune expérience immédiate de lui. Mais sans lui, la conscience entrerait en contradiction avec elle-même. Si nous voulons donc éviter toute incohérence éthique, nous devons affirmer son existence. Notre nature morale l’exige. Dieu est une implication, un postulat de notre raison pratique.
Cet argument moral a revêtu plusieurs formes. On peut en distinguer trois. Le premier, le plus simple, part de l’existence de la loi morale et s’appuie sur elle pour aboutir à un législateur. L’essence de la moralité, nous dit-on, consiste dans la reconnaissance d’une loi objective et contraignante, et cette loi implique un dirigeant moral. Sans dirigeant, il ne pourrait y avoir de loi. Mais ce raisonnement repose manifestement sur une conception naïve, hétéronome et monarchique de la vie morale. Dans notre expérience réelle, le devoir ne se présente pas comme un commandement extérieur. Il est autonome, il naît en nous, il s’impose de soi. Qu’il fournisse un fondement à la croyance en un juge suprême est peut-être vrai. Mais l’existence d’un tel Être n’est pas donnée directement par la conscience morale elle-même, et elle n’est pas non plus une déduction logique nécessaire du fait du devoir ou de la loi morale. La loi, dans le domaine moral, n’implique pas nécessairement un législateur extérieur. Ni la psychologie ni l’éthique n’apportent de soutien à une telle affirmation.
La forme la plus célèbre de l’argument moral est celle de Kant. Le grand Königsberger, après avoir détruit, croyait-il, les « preuves » théistes traditionnelles, chercha à rétablir le théisme sur une base purement éthique. La nature morale, soutenait-il, implique deux choses : premièrement, une loi morale a priori à laquelle une obéissance inconditionnelle est due, et, deuxièmement, « la répartition du bonheur en exacte proportion de la moralité ». Mais une telle répartition proportionnelle est inexistante dans le monde tel que nous le connaissons. Par conséquent, soutenait-il, nous devons supposer ou postuler un Être suprême qui [ p. 230 ] la réalisera ; et, de plus, puisque la vertu complète ne peut être atteinte en un temps fini, nous devons supposer pour l’homme une vie sans fin. On a objecté à cet argument qu’il présuppose une vision eudémoniste de la moralité. Mais c’est une erreur. Kant a vigoureusement soutenu le point de vue contraire. La vertu ne consiste pas à rechercher le bien-être. Elle est plutôt indépendante et autosuffisante. Elle est elle-même le bien suprême. Mais, bien que ce soit le bien suprême, elle n’est ni le seul bien ni le summum bonum. Ce dernier inclut le bonheur ; cela signifie que notre aspiration morale est orientée vers la fortune extérieure aussi bien que vers la valeur intérieure. La bonne volonté est primordiale, mais elle n’est pas la seule chose importante. Pour être bonne, elle doit vouloir le bien ; et cela signifie qu’il existe un bien objectif qu’elle peut vouloir. Autrement dit, cela signifie que l’univers n’est pas indifférent à la distinction entre le bien et le mal. Cela signifie qu’il doit y avoir, comme le dit Kant, « une harmonie entre la nature et la morale ». Sinon, la nature morale serait renvoyée à elle-même. Elle n’aurait ni objet, ni fin, et se contredirait ainsi. Elle serait étrangère au monde, rebelle à tout ce qui est ; et la conséquence ultime serait son élimination de la vie humaine comme essentiellement fausse.
Kant considérait cependant cela comme une réduction à l’absurde. La loi morale est structurelle dans la raison humaine, c’est un a priori rationnel et, à ce titre, doit être aussi permanente que la raison elle-même. Nous pouvons donc partir d’elle comme d’un fait universel et nécessaire, et en déduire tout ce qu’elle implique logiquement. Elle exige, par exemple, que l’homme vertueux bénéficie d’une approbation morale et soit traité en conséquence. Mais une telle approbation et un tel traitement, dans l’ordre mondial actuel, sont incertains et limités en étendue, et ne seront jamais pleinement réalisés sans un Souverain suprême qui mettra en harmonie la nature et la morale, ou le bonheur et la vertu. Nous sommes donc moralement et rationnellement justifiés d’affirmer l’existence d’un tel Euler. Car la conscience ne peut se contenter d’une obéissance sans but à une loi formelle. Au-delà de la loi, il faut une fin à atteindre, et dans cette fin l’homme doit trouver « quelque chose qu’il puisse aimer ». Notre nature morale l’exige, et nous pouvons donc dire avec Kant que « la morale mène inévitablement à la religion ».
Cette argumentation pourrait être considérablement renforcée en soulignant les conséquences éthiques désastreuses d’un refus de tirer une conclusion religieuse ou théiste. [18] L’athéisme réduit les hommes à des automates, et les automates pourraient difficilement avoir des devoirs tels qu’on les conçoit habituellement. Ils pourraient peut-être reconnaître les principes moraux formels, mais ceux-ci sont conditionnés dans leur application par notre vision générale du monde et par notre conception de la personnalité humaine, de sa nature et de sa destinée. Si nous avions une vision athée ou naturaliste du monde et de la vie humaine, nos jugements moraux formels pourraient facilement être appliqués de manière à saper notre code éthique existant ; et dans une telle vision du monde, il n’y aurait certainement aucune base pour un idéalisme éthique. La vie morale perdrait son inspiration et sombrerait à un niveau inférieur d’opportunisme individuel ou social. Ce n’est que dans une vision théiste du monde que l’on peut trouver une base rationnelle pour une moralité élevée et noble. Sans une telle vision du monde, la vie n’aurait aucun sens, ses idéaux s’effondreraient et ses ressorts d’action seraient brisés. [19] Tel serait du moins le résultat logique. Par conséquent, pour celui qui croit au caractère sacré de la vie morale et qui considère son renversement comme un acte déraisonnable, la conclusion théiste doit paraître inévitable.
Kant considérait cette ligne de pensée comme le seul fondement valable de la croyance en Dieu, et nombre de ses disciples ont partagé ce point de vue. Certains, cependant, ont estimé qu’il interprétait la morale de manière trop étroite et formelle. Définir la religion comme « la reconnaissance de tous les devoirs comme des commandements divins » ne rend pas justice à son caractère unique et à son ampleur. Si la conscience morale doit devenir la source et la justification uniques de la croyance religieuse, elle doit être élargie à la vie dans son ensemble. Elle doit être comprise comme incluant « la conscience de toutes les fins ultimes des désirs, quels qu’ils soient ». [20] Mais cela donne une nouvelle interprétation au mot « moral » et transforme virtuellement l’argument moral en ce que j’ai appelé l’argument « évaluatif ». Si toutes les valeurs idéales de la vie sont incluses dans l’aspiration « morale », il n’y a, bien sûr, aucune objection à déduire la religion de la morale. Mais dans ce cas, la morale perd son caractère distinctif et devient synonyme de foi et de dévotion à l’idéal en général. Que la religion trouve sa source et son fondement ultimes dans une telle foi est indéniable. Au-delà de la foi, en ce sens, nous ne pouvons prétendre à la validation d’un quelconque intérêt idéal. Mais il est important de noter que cela vaut également pour la connaissance. Toute connaissance repose sur la foi. La quête de la vérité est une quête d’une valeur idéale tout autant que la quête du bien, de la beauté et de Dieu ; et chacune de ces quêtes trouve sa justification ultime dans une foi immanente. La religion se situe à côté des autres quêtes, voire les transcende, tout en les intégrant. Elle a le même fondement fondamental qu’elles, et que nous qualifiions ce fondement de « moral », de « pratique » ou d’« évaluatif » importe peu, pourvu que nous gardions à l’esprit ce que cela signifie. Toutefois, compte tenu du fait qu’il est d’usage d’utiliser le mot « moral » dans son sens le plus étroit, il semble préférable de conserver la distinction entre les arguments moraux et religieux et d’utiliser un autre terme pour désigner leur élément commun. Par argument moral, nous entendons donc sa forme kantienne, telle qu’exposée ci-dessus. Il consiste à souligner la nécessité morale de la religion. L’argument religieux, quant à lui, insiste sur le pouvoir d’évidence de la foi religieuse. Tous deux voient dans la religion le produit d’un processus d’évaluation, et tous deux impliquent une confiance dans la validité de ce processus. [21]
[ p. 234 ]
L’argument ou les arguments théoriques se distinguent nettement des arguments pratiques ou évaluatifs précédents. Nous avons déjà vu que la raison théorique, ou pure, n’est pas exempte de présupposés. Elle est guidée par un idéal. Elle suppose que le monde est intelligible et que nous sommes capables de le comprendre ; et cette compréhension du monde constitue pour elle une fin idéale. Elle vise à satisfaire un intérêt subjectif, tout comme nos natures morale, religieuse et esthétique. Par son fondement et son objectif fondamentaux, elle est donc pratique, et il est donc permis de parler de la primauté de la raison pratique. C’est dans cette dernière que la raison théorique trouve à la fois son fondement et sa justification. Mais si la raison théorique présente ainsi certains points communs avec la quête du bien, de la beauté et de Dieu, elle possède ses propres lois, sa propre logique distinctive ; et ces lois ont un caractère quasi mécanique. Elles opèrent avec une sorte de nécessité intrinsèque et semblent concerner plus directement la réalité objective que la raison pratique. Nous mettons donc à part la raison théorique et nous nous demandons ce qu’elle a à dire sur la croyance en Dieu.
Jusqu’à Kant, l’accent était mis principalement sur l’argumentation théorique, ce qui était justifié du point de vue de la logique pure. En logique stricte, nous ne pouvons passer de ce qui devrait être à ce qui est, et pourtant c’est ce que nous faisons dans les arguments moraux et religieux. Si nous souhaitons alors une démonstration logique de l’existence divine, nous devons nous tourner vers la raison théorique ; dans les arguments théistes traditionnels, une telle démonstration était tentée. Mais depuis Kant, il est évident que ces arguments visaient l’impossible. Il ne peut y avoir de démonstration strictement logique en dehors du domaine des mathématiques et de la logique formelle. Dans le domaine objectif et concret, la loi que nous suivons est de supposer que tout ce que l’esprit exige pour satisfaire ses besoins et tendances subjectifs est réel, sauf réfutation positive. [22] Cette loi constitue la base des arguments moraux et religieux, et elle sous-tend également les arguments théoriques. Ces derniers comme les premiers ne fournissent aucune démonstration de l’existence divine. Mais la validité objective de la raison théorique est plus généralement acceptée que celle de la raison pratique, et c’est pourquoi, par le passé, il était d’usage de commencer la défense du théisme par des considérations qui en étaient tirées. Récemment, cependant, la tendance s’est inversée, et nombreux sont ceux, sous l’influence de la doctrine kantienne, qui sont allés jusqu’à nier toute force et validité aux arguments théoriques.
On a beaucoup insisté sur le fait que l’Écriture n’offre aucune « preuve » de l’existence de Dieu. [23] L’Ancien Testament fait parfois référence aux cieux et aux merveilles de la création en général comme preuves de la sagesse, de la puissance et de la gloire divines, mais il le fait non pas pour prouver l’existence de Dieu, mais plutôt pour illustrer et rendre plus vivante une croyance déjà existante en lui. Dans le Nouveau Testament, on trouve quelques passages tels que Rom. 1. 19-20, Actes 17. 24-28 [ p. 236 ] et 14. 15-17 qui impliquent que Dieu s’est révélé dans la nature afin que nous puissions non seulement déduire son existence, mais aussi le connaître. En effet, le premier de ces passages déclare que la révélation est si indubitablement claire que personne n’a d’excuse pour ignorer Dieu. Mais cette idée n’est développée nulle part. Dans les Écritures, la croyance en Dieu est spontanée. Lorsqu’elle n’est pas simplement traditionnelle, elle est une expression immédiate de la nature religieuse et morale, et sa validité est tenue pour acquise sans argument d’aucune sorte. Mais cela ne signifie pas que les arguments théistes sont sans valeur. Cela signifie simplement que dans l’ancien Israël, ils étaient peu ou pas nécessaires. Les gens acceptaient généralement la croyance en Dieu sans se poser de questions. Même l’insensé, qui, selon les Psaumes 14 et 53, disait en son cœur qu’il n’y avait pas de Dieu, ne voulait pas nier l’existence divine. Ce qu’il voulait dire, c’est qu’il agissait lui-même comme s’il n’y avait pas de Dieu ; Il ne tenait aucun compte de son existence. Son athéisme était pratique et non théorique. [24] Il faut également noter que l’esprit sémitique n’était pas spéculatif. Il n’y a dans la Bible aucune philosophie au sens théorique du terme. La croyance chez les anciens Juifs et les chrétiens des temps apostoliques était immédiate et instinctive. Ils n’avaient pas besoin d’arguments formels pour soutenir leur foi. Mais ce fait n’a aucune signification dogmatique pour nous. Il ne nous impose aucune obligation de sémitiser l’esprit moderne. Nous sommes grecs autant qu’hébraïques dans notre héritage intellectuel et religieux, et de toute façon la valeur des arguments théoriques [ p. 237 ] en faveur de l’existence divine doit être déterminée par les normes rationnelles actuelles et non par un appel à l’autorité biblique.
Nous avons déjà vu que nos natures morale et religieuse ne peuvent trouver satisfaction ultime que dans la croyance en Dieu, et il serait en harmonie avec l’unité de notre personnalité qu’une affirmation similaire puisse être formulée en référence à notre nature intellectuelle. La plupart des esprits les plus profonds de l’histoire de la pensée chrétienne ont été convaincus du bien-fondé d’une telle affirmation. À l’appui de cette conviction, divers arguments ont été développés. D’un point de vue historique, ces arguments peuvent être réduits à deux groupes : les arguments conceptuels et les arguments causaux [25], ces derniers incluant les arguments cosmologiques et téléologiques, et les premiers les arguments ontologiques et autres arguments connexes fondés sur le réalisme platonicien. Du point de vue de la pensée moderne, cependant, les arguments conceptuels ont perdu, dans une large mesure, leur pertinence, et ont été remplacés par l’argument épistémologique.
Cet argument prend deux formes principales. La première attire l’attention sur le dualisme et le parallélisme de la pensée et de la chose, ou de l’idée et de l’objet, impliqués dans la connaissance. Il est impossible d’échapper à ce dualisme. Identifier l’idée et l’objet, c’est non seulement bafouer notre conviction fondamentale d’une altérité objective, mais aussi subvertir la véritable nature de la connaissance et nous priver d’une conception ou d’une explication défendable de l’erreur. [26] Le dualisme de la pensée [ p. 238 ] et de la chose, nous devons donc l’accepter, mais la connaissance exige aussi qu’il y ait un parallélisme entre elles, et ce parallélisme ne peut s’expliquer que par un monisme théiste. Si un Être intelligent a moulé le monde dans le moule de la pensée et nous a ensuite créés à son image, nous pouvons comprendre comment la série de la pensée pourrait saisir correctement la série des choses, mais sans cette hypothèse, le parallélisme des deux séries doit rester une énigme insoluble.
La seconde forme de l’argument épistémologique s’appuie sur l’intelligibilité du monde et en déduit un Auteur intelligent. Si le monde est intelligible, il doit y avoir une intelligence sous-jacente. Le langage ne peut exprimer la pensée que s’il est lui-même produit par la pensée, et il en va de même pour le monde. Logiquement, c’est probablement l’argument le plus solide en faveur de l’existence divine. Borden P. Bowne le considérait ainsi, et la toute dernière phrase qu’il a écrite en est une expression. « Le problème de la connaissance », disait-il, « implique une pensée aux deux extrémités – la pensée à l’extrémité opposée pour faire de la nature le porteur de significations, et la pensée à l’extrémité la plus proche pour recevoir et repenser le sens. » [27]
L’argument causal a également pris deux formes principales. Traditionnellement, ces arguments se sont distingués par leur nature cosmologique et téléologique ; mais aucune démarcation nette ne peut être maintenue entre eux. Du point de vue moderne, une forme de l’argument causal cherche à établir l’unité du fondement du monde, tandis que l’autre cherche à en établir l’intelligence. La première forme est une modification [ p. 239 ] de l’argument cosmologique plus ancien, et la seconde une continuation ou un développement de l’argument téléologique plus ancien.
L’argument en faveur d’un fondement unitaire du monde part du constat d’une interaction systématique et consiste à démontrer qu’un système interactif tel que l’univers matériel est reconnu ne peut être rationnellement conçu que comme l’œuvre d’un Un coordonnateur. Il n’y a et ne peut y avoir de transfert réel d’états ou de conditions d’une chose indépendante à une autre, ni de forces jouant entre elles, ni d’influences passant de l’une à l’autre. Ce ne sont là que des figures de style. La véritable explication de l’interaction systématique ne peut se trouver que dans l’action immanente d’un Un sous-jacent. Des choses indépendantes ne peuvent, en elles-mêmes, former un système interactif. L’idée même d’un tel système exclut un pluralisme fondamental. Si un tel système existe, il doit exister un Agent unitaire qui médiatise l’interaction de la multitude ou constitue le fondement dynamique de leur existence. Seul un monisme fondamental peut donc rendre compte d’un univers tel que celui que nous révèle la science, ou, plus exactement, qu’elle suppose. Autrement dit, la science soutient le monothéisme par opposition au polythéisme. [28]
Mais l’Un sous-jacent pourrait être une énergie impersonnelle et aveugle. Nous avons donc besoin de preuves de son intelligence, et nous la trouvons dans l’ordre de l’univers matériel, les indications de dessein dans le monde organique et l’existence d’esprits finis. [ p. 240 ] L’ordre, qui est la marque de la raison, pointe vers un fondement rationnel du monde ; les merveilleuses adaptations des moyens aux fins dans la nature animée pointent vers un but sous-jacent ; et l’intelligence de l’homme pointe vers l’intelligence de son Créateur.
« Celui qui a planté l’oreille n’entendra-t-il pas ?
Celui qui a formé l’œil ne verrait-il pas ?
Ces lignes de réflexion n’ont été infirmées ni par la physique moderne ni par la théorie darwinienne de l’évolution. Elles créent, aujourd’hui comme hier et demain, une forte présomption en faveur de la vision théiste du monde.
Il existe une troisième forme d’argument causal, que l’on peut évoquer brièvement. Elle consiste à montrer que la causalité ne peut être conçue clairement et systématiquement que sur le plan de l’intelligence libre. Sur le plan impersonnel, la cause disparaît dans la production de l’effet, et la prédication métaphysique devient, par conséquent, impossible. Nous avons soit un sujet sans prédicat, soit un prédicat sans sujet. Autrement dit, il n’existe pas de cause persistante ou durable qui produise des effets d’une sorte ou d’une autre et demeure pourtant la même. Ce n’est que sur le plan personnel que nous avons l’identité associée au changement et l’unité à la pluralité. Ici, l’agent conscient et libre se constitue un et le même, tout en accomplissant une multitude de choses différentes. Comment, au milieu de ses activités changeantes et plurielles, il maintient son identité et son unité, nous l’ignorons. Mais qu’il en soit ainsi, c’est un fait manifeste de l’expérience ; et c’est [ p. 241 ] C’est dans ce fait empirique que nous détenons la seule et unique clé de la nature de la réalité ultime. Le fondement causal du monde doit être conscient de lui-même et libre pour être rationnellement concevable.
Ces arguments théoriques, épistémologiques et causaux, ne démontrent pas l’existence de Dieu. Une telle démonstration, comme nous l’avons vu, est impossible. Mais, à bien y réfléchir, ils montrent clairement que la vision théiste du monde constitue « la ligne de moindre résistance » pour l’intellect comme pour la nature morale et religieuse. Et la foi chrétienne ne demande pas plus. Elle se contente de cela, pourvu que le mur de séparation entre la raison théorique et la raison pratique soit brisé et que les deux soient perçues comme pointant vers une interprétation spirituelle commune de l’univers.
[^1] : De Trinitate, VII, 7 ; Traduction anglaise par AW Haddan, pp. 173L
[^2] : Der Christliche Glaube, Pars. 50 et 55 ; Traduction anglaise, PP. 194, 221.
[^16] : Der Christliche Glaube, Par. 33 ; Traduction anglaise, pp. 133f.
[^17] : Sur la religion ; discours à ses méprisants cultivés, traduit par J. Oman, pp. 37f.
[^18] : Psychologic und Erkenntnistheorie in der Re ligionswissenzchaft ; Gesammelte Schriften, pp. 754-68, 805-36.
[^20] : Cf. Georg Wobbermin, Das Wesen der Religion, pp. 374-95.
[^24] : Adolf Fricke, Darstellung und KritiTc tier Beweise fur Gottes personliches Dasein.
La foi chrétienne, p. 474. ↩︎
Système de théologie chrétienne, p. 12. ↩︎
Instituts théologiques, Pt. II, Chap. II-VTI. ↩︎
Biedermaun substitue « psychologique » à « éthique ». D’autres ont distingué les attributs « positifs » et « négatifs », « propres » et « métaphoriques », « communicables » et « incommunicables », « internes » et « externes », « immanents » et « transitoires », « quiescents » et « opératifs », « absolus » et « relatifs ». Mais aucune de ces distinctions n’a de valeur particulière. ↩︎
Ainsi WN Clarke, La doctrine chrétienne de Dieu, pp. 357 et suivantes. ↩︎
BS Ames, Religion, pp. 133f., 154. ↩︎
Henry N. Wieman, La lutte de la religion avec la vérité, p. vi. ↩︎
Le chanoine Streeter a souligné que si le théisme est anthropomorphique, le matérialisme est « mécanomorphique ». Il façonne l’Infini à l’image d’une machine, et cette conception est « essentiellement mythique ». La vision mécaniste, comme il le montre, est « doublement anthropomorphique », car elle dérive de constructions humaines faites à des fins humaines (Reality, pp. 9 et suivantes). ↩︎
Cf. L’Immanence Divine, par Francis J. McConnell. ↩︎
Cf. La valeur probante de la prophétie, par EA Edghill ; La croyance en Dieu, chap. IV, par l’évêque Charles Gore. ↩︎
Essais et discours sur la philosophie de la religion, p. 141. ↩︎
Voir Jér. 8. 7, où la religion est comparée à l’instinct des oiseaux de passage. ↩︎
Pour une élaboration de cet argument, voir WN Clarke, The Christian Doctrine of God, pp. 402-28. ↩︎
L’Idée du Sacré, pp. 116-20, 140-46. ↩︎
Il est intéressant de noter que même les auteurs naturalistes commencent à admettre que la science trouve ses racines dans la foi et qu’elle est elle-même une foi. Voir, par exemple, le chapitre III de Religion and the Modern World, par J.H. Randall et J.H. Randall, Jr. Ces auteurs ne semblent cependant pas saisir les profondes implications de cet aveu. ↩︎
Je ne connais pas d’exposé plus efficace de cet argument que celui que l’on trouve dans l’introduction au Théisme de Borden P. Bowne, pp. 1-43. ↩︎
La philosophie du personnalisme, pp. 306-14. ↩︎
Pour une déclaration vigoureuse et convaincante de ces conséquences, voir Theism de BP Bovrne, pp. 291-314. ↩︎
Pour une exposition suggestive et utile des implications religieuses de l’optimisme moral, voir DC Macintosh, The Reasonableness of Christianity, pp. 40-133. ↩︎
Cf. L’interprétation de la religion, pp. 256f., par John Baillie. ↩︎
Pour une exposition concrète et vitale des arguments moraux et religieux, voir The Meaning of God, par le professeur HF Rail. ↩︎
Voir Theism de BP Bowne, p. 18. ↩︎
Voir mon Enseignement religieux de l’Ancien Testament, pp. 51f . ↩︎
Cf. La philosophie du personnalisme, pp. 258 et suivantes. ↩︎
Ibid., pp. 104 et suivantes. ↩︎
The Methodist Review, mai 1922, p. 369. Voir aussi la Vie de Borden Parker Bowne, pp. 122 et suivantes, par l’évêque Francis J. McConnell. ↩︎
Voir Theism de BP Bowne, pp. 44-63, et ma Philosophy of Personalism, pp. 197 et suivantes. ↩︎