« Nos destins divers. » — Cette histoire fut racontée par le Maître alors qu’il était à Jetavana, à propos d’un brahmane retenu par le roi du Kosala en raison de son pouvoir de prédire si les épées portaient bonheur ou non. On nous dit que lorsque les forgerons du roi avaient forgé une épée, ce brahmane pouvait, rien qu’en la sentant, dire si elle était porte-bonheur ou non. Et il se faisait une règle de ne louer que le travail des forgerons qui lui offraient des cadeaux, tandis qu’il rejetait celui de ceux qui ne le soudoyaient pas.
Un forgeron fabriqua une épée et mit dans son fourreau du poivre finement moulu. Il l’apporta ainsi au roi, qui la remit aussitôt au brahmane pour qu’il l’examine. Le brahmane dégaina la lame et la renifla. Le poivre lui monta au nez et le fit éternuer, si violemment qu’il se fendit le nez sur le tranchant de l’épée [^182].
L’incident du brahmane parvint aux oreilles des Frères, et un jour, alors qu’ils en parlaient dans la Salle de la Vérité, le Maître entra. Apprenant le sujet de leur conversation, il dit : « Ce n’est pas la première fois, Frères, que ce brahmane se tranche le nez en reniflant des épées. Le même sort lui était déjà arrivé autrefois. » Ce disant, il raconta cette histoire du passé.
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Un jour, alors que Brahmadatta régnait à Bénarès, il avait à son service un brahmane qui prétendait prédire si les épées portaient chance ou non, et tout se passa comme dans l’histoire introductive. Le roi fit alors venir les chirurgiens et lui fit poser un faux nez, astucieusement peint comme un vrai nez ; le brahmane reprit alors ses fonctions auprès du roi. Brahmadatta n’avait plus de fils, seulement une fille et un neveu, qu’il avait élevés sous ses yeux. En grandissant, ils tombèrent amoureux l’un de l’autre. Le roi convoqua alors ses conseillers et leur dit : « Mon neveu est l’héritier du trône. Si je lui donne ma fille pour épouse, il sera sacré roi. »
[456] Mais, après réflexion, il décida que, comme son neveu était comme un fils, il valait mieux le marier à une princesse étrangère et donner sa fille à un prince d’une autre maison royale. Car, pensait-il, ce projet lui donnerait davantage de petits-enfants et investirait sa lignée des sceptres de deux royaumes distincts. Après avoir consulté ses conseillers, il résolut de les séparer, et ils durent vivre séparément. Ils avaient maintenant seize ans et étaient très amoureux, et le jeune prince ne pensait qu’à enlever la princesse du palais de son père. Finalement, l’idée lui vint de faire venir une femme sage, à qui il donna une somme d’argent.
« Et à quoi ça sert ? » dit-elle.
Il lui raconta alors sa passion et pria la sage femme de le conduire à sa chère princesse.
Et elle lui promit le succès, et dit qu’elle dirait au roi que sa fille était sous l’influence de la sorcellerie, mais que, comme le démon l’avait possédée si longtemps qu’il n’était plus sur ses gardes, elle emmènerait un jour la princesse en calèche jusqu’au cimetière avec une forte escorte sous les armes, et là, dans un cercle magique, elle étendrait la princesse sur un lit avec un mort dessous, et avec cent huit douches d’eau parfumée la laverait du démon. « Et lorsque, sous ce prétexte, j’amènerai la princesse au cimetière », continua la sage femme, « fais attention que tu atteignes le cimetière juste avant nous dans ta calèche avec une escorte armée, emportant du poivre moulu avec toi. Arrivé au cimetière, tu laisseras ta calèche à l’entrée et enverras tes hommes au bosquet du cimetière, tandis que tu iras toi-même au sommet du tertre et t’allongeras comme si tu étais mort. Ensuite, je viendrai dresser un lit sur toi, sur lequel j’étendrai la princesse. Puis viendra le moment où tu devras renifler le poivre jusqu’à en éternuer deux ou trois fois, et quand tu éternueras, nous quitterons la princesse et prendrons la fuite. Là-dessus, toi et la princesse, vous prendrez un bain complet, et vous la ramènerez chez vous. — Parfait, dit le prince ; une excellente idée.
La sage femme se rendit donc chez le roi, qui accepta son idée, tout comme la princesse lorsqu’elle le lui expliqua. Le jour venu, la vieille femme expliqua leur mission à la princesse et dit aux gardes sur la route, pour les effrayer : « Écoutez. Sous le lit que je vais dresser, il y aura un mort ; et ce mort éternuera. Et sachez bien que, dès qu’il aura éternué, il sortira de dessous le lit et s’attaquera à la première personne qu’il trouvera. Alors, soyez tous prêts. »
Le prince était déjà arrivé à l’endroit et s’était glissé sous le lit comme cela avait été convenu.
La vieille femme emmena ensuite la princesse et la déposa sur le lit, lui murmurant de ne pas avoir peur. Aussitôt, le prince renifla le poivre et se mit à éternuer. À peine eut-il commencé à éternuer que la sage femme quitta la princesse et, avec un grand cri, s’enfuit plus vite que tous. Aucun homme ne résista ; tous jetèrent leurs armes et s’enfuirent pour sauver leur vie. Le prince s’avança alors et emmena la princesse chez lui, comme convenu. La vieille femme se rendit auprès du roi et lui raconta ce qui s’était passé.
« Eh bien », pensa le roi, « je l’ai toujours destinée à lui, et ils ont grandi ensemble comme du ghee dans du porridge de riz. » Il ne se laissa donc pas emporter par la colère, mais, avec le temps, il fit de son neveu le roi du pays, avec sa fille comme reine consort.
Le nouveau roi garda à son service le brahmane qui prétendait deviner la dureté des épées. Un jour, alors qu’il se tenait au soleil, le faux bout de son nez se détacha et tomba. Il resta là, la tête basse, honteux. « Peu importe, peu importe », dit le roi en riant. « Éternuer est bon pour certains, mauvais pour d’autres. Un éternuement [ p. 280 ] vous a fait perdre votre nez [458] ; tandis que moi, je dois à un éternuement à la fois mon trône et ma reine. » Ce disant, il prononça cette strophe :
Nos destins divers, ce spectacle moral,
— Ce qui m’apporte du bien peut vous apporter du malheur.
Ainsi parla le roi, et après une vie consacrée à la charité et à d’autres bonnes œuvres, il mourut pour vivre selon ses mérites.
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C’est ainsi que le Maître enseigna que le monde avait tort de croire que les choses étaient définitivement et absolument bonnes ou mauvaises dans tous les cas. Enfin, il identifia la Naissance en disant : « Le même homme qui prétend aujourd’hui savoir si les épées portent chance ou non, professait la même compétence en ces temps-là ; et j’étais moi-même le prince qui hérita du royaume de son oncle. »