« Son aveuglement et sa flagellation. » — Le Maître raconta cette histoire à propos de Devadatta, alors qu’il était à la Bambouseraie. On apprend que les Frères, réunis dans la Salle de la Vérité, discutèrent entre eux, affirmant que, de même qu’une torche d’un bûcher, carbonisée aux deux extrémités et brûlée au milieu, ne sert de bois ni à l’arbre de la forêt ni au foyer du village, de même Devadatta, en renonçant au monde pour suivre cette foi salvatrice, n’avait commis qu’un double échec : il avait manqué le confort de la vie laïque, tout en manquant à sa vocation de Frère.
En entrant dans la salle, le Maître demanda et on lui expliqua de quoi les Frères parlaient ensemble. « Oui, Frères », dit-il, « et c’est ainsi que Devadatta, autrefois, avait connu un double échec. » Ce disant, il raconta cette histoire du passé.
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Un jour, alors que Brahmadatta régnait à Bénarès, le Bodhisatta naquit Esprit des Arbres. Il y avait un village où vivaient des pêcheurs à la ligne. L’un d’eux, prenant son matériel, partit avec son petit garçon et jeta son hameçon dans les eaux les plus propices connues de ses compagnons pêcheurs. Or, [483] un obstacle accrocha son hameçon et le pêcheur ne put le remonter. « Quel beau poisson ! » pensa-t-il. « Je ferais mieux de renvoyer mon garçon chez ma femme et de lui dire de se disputer et de garder les autres à la maison, afin que personne ne veuille partager mon prix. » Il dit donc au garçon de courir à la maison raconter à sa mère quel gros poisson il avait attrapé et comment elle devait attirer l’attention des voisins. Craignant que sa ligne ne se casse, il jeta son manteau et se précipita dans l’eau pour récupérer sa prise. Mais en tâtonnant, il heurta l’obstacle et se creva les deux yeux. De plus, un voleur lui vola ses vêtements. Atrocement douloureux, les mains pressées contre ses yeux aveuglés, il sortit, tremblant de tous ses membres, et tenta de retrouver ses vêtements.
Pendant ce temps, sa femme, pour distraire les voisins par une querelle, s’était parée d’une feuille de palmier derrière l’oreille et s’était poignardé un œil avec la suie de la casserole. Sous ce déguisement, allaitant un chien, elle sortit rendre visite à ses voisins. « Dieu merci, vous êtes devenue folle », lui dit une femme. « Pas folle du tout », rétorqua la femme du pêcheur ; « vous m’insultez sans raison avec vos propos calomnieux. Suivez-moi au zemindar et je vous ferai payer une amende de huit pièces [^196] pour calomnie. »
C’est avec colère qu’ils se rendirent au zemindar. Mais une fois l’affaire réglée, ce fut la femme du pêcheur qui fut condamnée à une amende ; on l’attacha et on la battit pour la faire payer. Voyant le malheur qui s’était abattu sur la femme au village et sur le mari dans la forêt, l’Esprit de l’Arbre se tint à la fourche de son arbre et s’exclama : « Ah pêcheur, dans l’eau comme sur terre, ton travail est vain, et ton échec est double. » Ce disant, il prononça cette strophe :
Son aveuglement et ses coups montrent clairement
Un double échec et un double malheur [1].
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[484] Sa leçon terminée, le Maître identifia la Naissance en disant : « Devadatta était le pêcheur de cette époque, et moi l’Esprit de l’Arbre. »
299:1 Le mot pali ici, comme au n° 137, est kahāpaṇa. Mais le contexte indique qu’il s’agit d’une pièce d’or ; alors qu’ici, la pauvreté des pêcheurs appuie l’idée que la pièce était en cuivre, comme c’est souvent le cas. Il semble que le mot kahāpaṇa, comme d’autres noms de pièces indiennes, indiquait principalement le poids de tout métal frappé, qu’il s’agisse d’or, d’argent ou de cuivre. ↩︎