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« Dans une terreur incessante » — Cette histoire fut racontée par le Maître alors qu’il était à Jetavana, à propos d’un conseiller avisé. Les incidents seront relatés dans le douzième livre, en lien avec le Bhaddasāla-jātaka [^198].
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Un jour, alors que Brahmadatta régnait à Bénarès, le Bodhisatta naquit corbeau. Un jour, le chapelain du roi quitta la ville pour se rendre à la rivière, s’y baigna, puis, après s’être parfumé et paré de guirlandes, revêtit son plus bel apparat et revint en ville. Sur l’arche de la porte de la ville se tenaient deux corbeaux ; l’un d’eux dit à sa compagne : « J’ai l’intention de souiller la tête de ce brahmane. » « Oh, ne fais rien de tel », dit l’autre ; « car ce brahmane est un grand homme, et c’est une mauvaise chose d’encourir la haine des grands. Si tu le mets en colère, il pourrait détruire toute notre race. » « Je le dois absolument », dit le premier. « Très bien, tu seras certainement découvert », dit l’autre, et il s’envola rapidement. Juste au moment où le brahmane était sous les remparts, les ordures s’abattèrent sur lui comme si le corbeau déposait une guirlande. Le brahmane enragé conçut aussitôt de la haine contre tous les corbeaux.
Or, à ce moment-là, il arriva qu’une esclave, responsable d’un grenier, étalait le riz au soleil à la porte du grenier et s’asseyait là pour le surveiller, lorsqu’elle s’endormit. Juste à ce moment, une chèvre hirsute apparut et se mit à manger le riz jusqu’à ce que la jeune fille se réveille et la chasse. Deux ou trois fois, la chèvre revint aussitôt endormie et mangea le riz. [485] Alors, après avoir chassé la créature pour la troisième fois, elle se dit que des visites répétées de la chèvre consommeraient la moitié de sa réserve de riz et qu’il fallait prendre des mesures pour effrayer l’animal une fois pour toutes et ainsi lui éviter une si grande perte. Elle prit alors une torche allumée et, s’asseyant, fit semblant de s’endormir comme d’habitude. Et tandis que la chèvre mangeait, elle se releva brusquement et frappa son dos hirsute avec sa torche. Aussitôt, la peau hirsute de la chèvre s’embrasa et, pour apaiser sa douleur, elle se précipita dans un hangar à foin près de l’écurie des éléphants et se roula dans le foin. Le hangar prit feu et les flammes se propageèrent aux écuries. Lorsque ces écuries prirent feu, les éléphants commencèrent à souffrir, et nombre d’entre eux furent gravement brûlés, au-delà des capacités des médecins. Lorsque la nouvelle fut rapportée au roi, il demanda à son chapelain s’il savait ce qui guérirait les éléphants. « Certainement, sire », répondit le chapelain. Pressé de s’expliquer, il affirma que son remède était la graisse de corbeau. Le roi ordonna alors de tuer les corbeaux et de prélever leur graisse. Il y eut aussitôt un grand massacre de corbeaux, mais on ne trouva jamais de graisse sur eux, et ils continuèrent ainsi à tuer jusqu’à ce que les cadavres s’accumulent partout. Et une grande crainte s’empara de tous les corbeaux.
En ces jours-là, le Bodhisatta résidait dans un grand cimetière, à la tête de quatre-vingt mille corbeaux. L’un d’eux lui apporta la nouvelle de la peur qui régnait sur les corbeaux. Le Bodhisatta, sentant que lui seul pouvait s’y essayer, résolut de libérer sa famille de leur grande terreur. Passant en revue les Dix Perfections et choisissant la Bonté comme guide, il vola sans s’arrêter jusqu’au palais du roi, y pénétra par la fenêtre ouverte et se posa sous son trône. Aussitôt, un serviteur tenta d’attraper l’oiseau, mais le roi le lui empêcha d’entrer dans la chambre.
Reprenant ses esprits en un instant, le Grand Être, se souvenant de la Bonté, sortit de dessous le trône du Roi et lui parla ainsi : « Sire, un roi devrait se rappeler la maxime selon laquelle les rois ne doivent pas se laisser guider par la luxure et autres passions mauvaises dans la conduite de leur royaume. Avant d’agir, il convient d’examiner et de comprendre toute la question, puis de faire seulement ce qui est salutaire. Si les rois font ce qui n’est pas salutaire, ils inspirent à des milliers de personnes une grande peur, voire la peur de la mort. [486] Et en prescrivant de la graisse de corbeau, votre chapelain a été poussé par vengeance à mentir ; car les corbeaux n’ont pas de graisse. »
Par ces mots, le cœur du roi fut conquis. Il ordonna au Bodhisatta d’être placé sur un trône d’or, d’y oindre les ailes des huiles les plus raffinées et de servir dans des récipients d’or les mets et boissons du roi. Puis, lorsque le Grand Être fut rassasié et à l’aise, le roi dit : « Sage, tu dis que les corbeaux n’ont pas de graisse. Comment se fait-il qu’ils n’en aient pas ? »
« De cette façon », répondit le Bodhisatta d’une voix qui remplit tout le palais, et il proclama la Vérité dans cette strophe :
Dans une terreur incessante, avec toute l’humanité pour ennemis,
Leur vie est terminée, et c’est pourquoi les corbeaux n’ont plus de graisse.
Cette explication donnée, le Grand Être l’enseigna au Roi, en disant : « Seigneur, les rois ne devraient jamais agir sans examiner et connaître toute l’affaire. » Satisfait, le Roi déposa son royaume aux pieds du Bodhisatta, mais celui-ci le restitua au Roi, qu’il avait établi dans les Cinq Préceptes, le suppliant de protéger toutes les créatures vivantes du mal. Et le Roi, poussé par ces paroles, accorda l’immunité à toutes les créatures vivantes, et en particulier il était sans cesse généreux envers les corbeaux. Chaque jour, il leur faisait cuire six boisseaux de riz délicatement parfumé, et on le donnait aux corbeaux. Mais au Grand Être, on donnait une nourriture telle que Bing seul en mangeait.
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Sa leçon terminée, le Maître identifia la Naissance en disant : « Ananda était roi de Bénarès à cette époque, et moi-même le roi des corbeaux. »