« Votre cadavre mutilé » — Cette histoire fut racontée par le Maître, alors qu’il était à la Bambouseraie, à propos des efforts de Devadatta pour se faire passer pour un Bouddha à Gayāsīsa [^201]. Car, lorsque sa vision spirituelle le quitta et qu’il perdit l’honneur et le profit qui lui appartenaient autrefois, il, perplexe, demanda au Maître de lui concéder les Cinq Points. Face à ce refus, il créa un schisme au sein de la Confrérie et partit pour Gayāsīsa avec cinq cents jeunes Frères, élèves des deux principaux disciples du Bouddha, mais encore ignorants de la Loi et de la Règle. Fort de cela, il accomplit les actes d’une Confrérie distincte réunie dans le même espace. Sachant bien le moment où la connaissance de ces jeunes Frères mûrirait, le Maître leur envoya les deux Anciens. Voyant cela, Devadatta se mit joyeusement au travail, exposant ses enseignements jusque tard dans la nuit avec (comme il se flattait) la puissance magistrale d’un Bouddha. Puis, se faisant passer pour un Bouddha, il dit : « L’assemblée, révérend Sāriputta, est encore éveillée et sans sommeil. Auriez-vous la bonté de penser à un discours religieux à adresser aux Frères ? Mon dos me fait mal à cause de mes efforts, et je dois me reposer un moment. » Ce disant, il s’éloigna pour se coucher. Puis ces deux principaux disciples enseignèrent aux Frères, les éclairant sur les Fruitements et les Sentiers, jusqu’à ce qu’ils finissent par les convaincre tous de retourner à la Bambouseraie.
Trouvant le monastère vide de ses frères, Kokālika alla trouver Devadatta et lui raconta comment les deux disciples avaient dispersé sa suite et laissé le monastère vide ; « Et pourtant, tu dors encore ici », dit-il. En disant cela, il retira le vêtement de Devadatta et lui donna un coup de pied dans la poitrine avec aussi peu de remords que s’il s’était contenté d’enfoncer un piquet de toit dans un mur de terre. Le sang jaillit de la bouche de Devadatta, et il souffrit à jamais des effets du coup [1].
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Le Maître demanda à Sāriputta : « Que faisait Devadatta quand tu es arrivé ? » Sāriputta répondit que, bien que se faisant passer pour un Bouddha, un malheur lui était arrivé. Le Maître dit : « De même qu’aujourd’hui, Sāriputta, Devadatta m’a imité autrefois, à son propre détriment. » Puis, à la demande de l’Ancien, il raconta cette histoire du passé.
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Un jour, alors que Brahmadatta régnait à Bénarès, le Bodhisatta était un lion à crinière qui résidait à la Grotte d’Or, dans l’Himalaya. Un jour, bondissant hors de sa tanière, il regarda vers le nord, l’ouest, le sud et l’est, et rugit à la recherche d’une proie. Tuant un grand buffle, il en dévora la majeure partie, puis descendit vers un étang et, après avoir bu à satiété d’eau cristalline, se retourna pour rejoindre sa tanière. Or, un chacal affamé, rencontrant soudain le lion et ne pouvant s’échapper, se jeta à ses pieds. Interrogé sur sa demande, le chacal répondit : « Seigneur, permettez-moi d’être votre serviteur. » « Très bien », dit le lion ; « servez-moi et vous vous nourrirez de viande de première qualité. » Ainsi parlant, il partit avec le chacal à la Grotte d’Or. Dès lors, les restes du lion tombèrent sur le chacal, qui engraissa.
Un jour, couché dans sa tanière, le lion ordonna au chacal de scruter les vallées depuis le sommet de la montagne pour voir s’il y avait des éléphants, des chevaux, des buffles ou tout autre animal qu’il affectionnait. Si l’un d’eux était en vue, le chacal devait le signaler et dire avec obéissance : « Seigneur, brille par ta puissance. » Le lion promit alors de tuer et de manger, donnant une part au chacal. Le chacal grimpait donc sur les hauteurs et, chaque fois qu’il apercevait des bêtes à son goût, il le signalait au lion et, tombant à ses pieds, disait : « Seigneur, brille par ta puissance. » Alors, le lion bondissait agilement et tuait la bête, même s’il s’agissait d’un éléphant en rut, et partageait la chair de la carcasse avec le chacal. Rassasié de son repas, le chacal se retirait alors dans sa tanière et dormait.
Le temps passant, le chacal grandit de plus en plus, jusqu’à devenir hautain. « N’ai-je pas quatre pattes ? » se demanda-t-il. « Pourquoi suis-je un pensionné au jour le jour, au détriment des autres ? Désormais, je tuerai des éléphants et d’autres bêtes pour ma propre consommation. Le lion, roi des bêtes, ne les tue qu’à cause de la formule : « Seigneur, brille par ta puissance. » Je ferai en sorte que le lion m’appelle : « Seigneur, brille par ta puissance », et alors je tuerai un éléphant pour moi. » Il alla donc trouver le lion et, lui faisant remarquer qu’il avait longtemps vécu de ce qu’il avait tué, lui fit part de son désir de manger un éléphant qu’il avait lui-même tué, concluant en demandant au lion de le laisser, lui, le chacal, se réfugier dans le coin des lions de la Tanière d’Or, pendant qu’il grimperait sur la montagne à la recherche d’un éléphant. La proie trouvée, il demanda au lion de venir à lui dans la tanière et de lui dire : « Scintille dans ta force, chacal. » Il supplia le lion de ne pas lui en vouloir autant. Le lion dit : « Chacal, seuls les lions peuvent tuer des éléphants, et le monde n’a jamais vu de chacal capable de les vaincre. Abandonne cette fantaisie et continue de te nourrir de ce que je tue. » Mais quoi qu’il en dise, le lion ne céda pas et insista. Finalement, le lion céda et, ordonnant au chacal de se coucher dans la tanière, escalada le pic et de là aperçut un éléphant en rut. De retour à l’entrée de la grotte, il dit : « Scintille dans ta force, chacal. » Alors, du Repaire d’Or, le chacal bondit prestement, regarda autour de lui et, hurlant trois fois, bondit sur l’éléphant, voulant s’en prendre à sa tête. Mais, manquant son coup, il atterrit aux pieds de l’éléphant. Furieux, la brute leva sa patte droite et écrasa la tête du chacal, réduisant les os en poudre. Puis, écrasant la carcasse en une masse et s’y jetant de ses excréments, l’éléphant s’élança dans la forêt en barrissant. Voyant tout cela, le Bodhisatta observa : « Maintenant, brille de toute ta puissance, chacal », et prononça cette stance :
Ton cadavre mutilé, ton cerveau réduit en argile,
Prouvez à quel point vous avez brillé dans votre puissance aujourd’hui.
Ainsi parla le Bodhisatta, et vivant jusqu’à un âge avancé, il mourut dans la plénitude des temps pour accomplir ses mérites.
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Sa leçon terminée, le Maître identifia la Naissance en disant : « Devadatta était le chacal de cette époque, et moi le lion. »