[170] « J’ai trouvé les empreintes. » Cette histoire fut racontée par le Maître lors d’un pèlerinage d’aumônes à travers le Kosala, alors qu’il était arrivé au village de Naḷaka-pāna (Boisson de Canne) et qu’il résidait à Ketaka-vana, près du Bassin de Naḷaka-pāna, à propos de bâtons de canne. En ce temps-là, les Frères, après s’être baignés dans le Bassin de Naḷaka-pāna, demandaient aux novices d’aller chercher des bâtons de canne pour leurs étuis à aiguilles [1], mais, les trouvant creux de part en part, ils allèrent trouver le Maître et lui dire : « Seigneur, nous avons fait venir des bâtons de canne pour fabriquer des étuis à aiguilles ; et de haut en bas, ils sont complètement creux. Comment est-ce possible ? »
« Frères, dit le Maître, telle était ma coutume autrefois. » Et, ce disant, il raconta cette histoire du passé.
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On raconte qu’autrefois, à cet endroit, se trouvait une épaisse forêt. Dans le lac vivait un ogre aquatique qui dévorait tous ceux qui s’y baignaient. À cette époque, le Bodhisatta était devenu le roi des singes, aussi grand qu’un faon de cerf rouge ; il vivait dans cette forêt à la tête d’une troupe de pas moins de quatre-vingt mille singes [ p. 55 ] qu’il protégeait du danger. Voici ce qu’il conseillait à ses sujets : « Mes amis, dans cette forêt, il y a des arbres venimeux et des lacs hantés par les ogres. N’hésitez pas à me demander conseil avant de manger un fruit que vous n’avez jamais mangé ou de boire une eau que vous n’avez jamais bue. » « Certainement », répondirent-ils volontiers.
Un jour, ils arrivèrent à un endroit qu’ils n’avaient jamais visité auparavant. Cherchant de l’eau à boire après leur journée d’errance, ils tombèrent sur ce lac. Mais ils ne burent pas ; au contraire, ils s’assirent, guettant l’arrivée du Bodhisatta.
Lorsqu’il est arrivé, il a dit : « Eh bien, mes amis, pourquoi ne buvez-vous pas ? »
« Nous avons attendu que tu viennes. »
« Tout à fait, mes amis », dit le Bodhisatta. Puis il fit le tour du lac et examina les empreintes de pas, constatant que toutes descendaient dans l’eau et qu’aucune ne remontait. « Sans aucun doute, pensa-t-il, c’est le repaire d’un ogre. » Il dit alors à ses disciples : « Vous avez parfaitement raison, mes amis, de ne pas boire cette eau ; car le lac est hanté par un ogre. »
Lorsque l’ogre aquatique réalisa qu’ils n’entraient pas dans son domaine, [171] il prit la forme d’un horrible monstre au ventre bleu, au visage blanc et aux mains et pieds rouge vif ; sous cette forme, il sortit de l’eau et dit : « Pourquoi es-tu assis ici ? Descends dans le lac et bois. » Mais le Bodhisatta lui dit : « N’es-tu pas l’ogre de cette eau ? » « Si, je le suis », fut la réponse. « Prenez-vous pour proie tous ceux qui descendent dans cette eau ? » « Oui, je le fais ; depuis les petits oiseaux jusqu’aux plus grands, je ne laisse jamais rien tomber de ce qui descend dans mon eau. Je vous mangerai tous aussi. » « Mais nous ne vous laisserons pas nous manger. » « Bois simplement l’eau. » « Oui, nous boirons l’eau, sans pour autant tomber en ton pouvoir. » « Comment comptez-vous boire l’eau, alors ? » « Ah, tu penses que nous devrons descendre dans l’eau pour boire ; Nous, nous n’entrerons pas du tout dans l’eau, mais nous, les quatre-vingt mille, prendrons chacun une canne et boirons l’eau de votre lac aussi facilement qu’à travers la tige creuse d’un lotus. Ainsi, vous ne pourrez pas nous manger. » Et il répéta la seconde moitié de la strophe suivante (la première moitié ayant été ajoutée par le Maître lorsque, en tant que Bouddha, il se souvint de l’incident) :
J’ai trouvé des empreintes de pas qui pointaient toutes vers le bas, aucune vers l’arrière.
Nous boirons avec des cannes ; tu ne me prendras pas la vie.
Ce disant, le Bodhisatta se fit apporter une canne. Puis, se rappelant les Dix Perfections qu’il avait manifestées, il les récita dans une affirmation solennelle [2] et souffla sur la canne. [172] Aussitôt, la canne devint creuse de part en part, sans qu’il ne reste un seul nœud sur toute sa longueur. De la même manière, il en fit apporter une autre, puis une autre, et les souffla sur elles. (Mais s’il en était ainsi, il n’aurait jamais pu terminer ; et par conséquent, la phrase précédente ne doit pas être comprise dans ce sens – littéral.) Ensuite, le Bodhisatta fit le tour du lac et ordonna : « Que toutes les cannes qui poussent ici deviennent creuses de part en part. » Or, grâce aux grandes vertus de la bonté salvatrice des Bodhisattas, leurs ordres sont toujours exécutés. Et dès lors, chaque canne qui poussait autour de ce lac devint creuse de part en part.
(Dans ce Kappa, ou Ère, il y a quatre miracles qui perdurent pendant toute l’Ère. Quels sont ces quatre ? Eh bien, ce sont : premièrement, le signe du lièvre dans la lune [3], qui durera pendant toute l’Ère ; deuxièmement, l’endroit où le feu a été éteint comme le raconte le Vaṭṭaka Jātaka [4], qui restera intact pendant toute l’Ère ; troisièmement, sur le site de la maison de Ghaṭīkāra [^67] aucune pluie ne tombera jamais pendant toute la durée de cette Ère ; et enfin, les cannes qui poussent autour de ce lac seront creuses pendant toute la durée de l’Ère. Tels sont les quatre miracles de l’Ère, comme on les appelle.)
Après avoir donné cet ordre, le Bodhisatta s’assit, une canne à la main. Les quatre-vingt mille autres singes s’assirent également autour du lac, chacun une canne à la main. Et au moment même où le Bodhisatta aspirait l’eau avec sa canne, ils burent tous de la même manière, assis sur la berge. C’est ainsi qu’ils burent, et l’ogre aquatique ne put en atteindre aucun ; il regagna donc sa demeure, furieux. Le Bodhisatta, lui aussi, retourna dans la forêt avec sa suite.
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Lorsque le Maître eut terminé sa leçon et répété ce qu’il avait dit concernant la vacuité des cannes, qui résultait d’une ordonnance antérieure de sa part, il montra le lien et identifia la Naissance en disant : « Devadatta était l’ogre aquatique de ces jours-là ; mes disciples étaient les quatre-vingt mille singes ; et j’étais le roi des singes, si fertile en ressources. »
[^67] : 56 : 3 Voir le (non publié) Ghaṭīkāra Sutta (n° 81 du Majjhima Nikāya), Dhammapada, p. 349, et Milinda-pañha, p. 222.
54:1 Dans le Vinaya, (Cullav. v. 11), le Bouddha est amené à autoriser « l’utilisation d’un étui à aiguilles en bambou ». ↩︎
55:1 Littéralement « fait un acte de vérité ». Si cela est fait avec intention, un miracle s’ensuit instantanément. Cf. n° 35 &c. ↩︎
56:1 Voir Jātaka No. 316, et Kathā-Sarit-Sāgara de Tawney, Vol. II. p. 66, où un certain nombre de passages portant sur ce symbole sont mentionnés, et Pañca-Tantra de Benfey, i. 349. Voir aussi Cariyā-Piṭaka, p. 82. ↩︎