« Travaille, mon frère. » — Cette histoire fut racontée par le Maître à Jetavana, à propos d’un Frère qui avait renoncé à tout effort sérieux. Interrogé par le Maître sur la véracité de la rumeur selon laquelle il était un rétrograde, le Frère répondit par l’affirmative. « Comment peux-tu, Frère », dit le Maître, « refuser une foi aussi salvatrice ? Même lorsque les sages et les bons d’autrefois avaient perdu leur royaume, leur résolution était si inébranlable qu’ils finirent par reconquérir leur souveraineté. » Et, ce disant, il raconta cette histoire du passé.
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Un jour, alors que Brahmadatta régnait à Bénarès, le Bodhisatta revint à la vie comme l’enfant de la reine ; et le jour de sa fête, on lui donna le nom de Prince Bonté. À seize ans, son éducation fut achevée ; plus tard, à la mort de son père, il devint roi et gouverna son peuple avec justice sous le titre de grand Roi Bonté. À chacune des quatre portes de la ville, il construisit une aumônerie, une autre au cœur de la ville, et une autre encore aux portes de son propre palais, soit six en tout ; et à chacune, il distribua des aumônes aux voyageurs pauvres et aux nécessiteux. Il observait les commandements et les jours de jeûne ; il abondait en patience, en bonté et en miséricorde ; et il gouverna le pays avec justice, chérissant toutes les créatures avec l’amour tendre d’un père pour son petit garçon.
Or, l’un des ministres du roi avait trahi son harem, et le sujet devint monnaie courante. Les ministres le rapportèrent au roi. Après avoir examiné l’affaire lui-même, le roi constata que la culpabilité du ministre était évidente. Il fit donc venir le coupable et dit : « Ô aveuglé par la folie ! Tu as péché et tu n’es pas digne de résider dans mon royaume ; prends tes biens, ta femme et ta famille, et va-t’en. » Ainsi chassé du royaume, ce ministre quitta le pays de Kāsi et, entrant au service du roi du Kosala, devint progressivement son conseiller confidentiel. Un jour, il dit au roi du Kosala : « Sire, le royaume de Bénarès est comme un beau rayon de miel, préservé des mouches ; son roi est la faiblesse même ; et une force insignifiante suffirait à conquérir tout le pays. »
Le roi du Kosala songea alors à l’immensité du royaume de Bénarès et, considérant cela comme un signe qu’une force insignifiante pouvait le conquérir, il soupçonna son conseiller d’être un mercenaire soudoyé pour le mener dans un piège. « Traître », s’écria-t-il, « tu es payé pour dire cela ! »
« Certainement pas », répondit l’autre ; « je dis la vérité. Si vous doutez de moi, envoyez des hommes massacrer un village de l’autre côté de sa frontière, et voyez si, une fois capturés et amenés devant lui, le roi ne les laisse pas s’en tirer sans peine et ne les comble pas de présents. »
« Il fait preuve d’une grande audace dans ses déclarations », pensa le roi ; « je vais mettre ses conseils à l’épreuve sans délai. » Il envoya donc quelques-unes de ses créatures harceler un village de l’autre côté de la frontière de Bénarès. Les bandits furent capturés et conduits devant le roi de Bénarès, qui leur demanda : « Mes enfants, pourquoi avez-vous tué mes villageois ? »
« Parce que nous ne pouvions pas gagner notre vie », ont-ils dit.
« Alors pourquoi n’es-tu pas venu me voir ? » demanda le roi. « Prends garde de ne plus recommencer. »
Il leur offrit des présents et les renvoya. Ils retournèrent raconter cela au roi du Kosala. Mais cette preuve ne suffisait pas à le motiver à partir ; une seconde bande fut envoyée massacrer un autre village, cette fois au cœur du royaume. Eux aussi furent renvoyés avec des présents par le roi de Bénarès. Mais même cette preuve ne fut pas jugée suffisante ; un troisième groupe fut envoyé piller les rues de Bénarès ! Et ceux-ci, comme leurs prédécesseurs, [ p. 130 ] furent renvoyés avec des présents ! Enfin convaincu que le roi de Bénarès était un roi tout à fait bon, le roi du Kosala résolut de s’emparer de son royaume et partit à sa rencontre avec des troupes et des éléphants.
À cette époque, le roi de Bénarès disposait d’un millier de vaillants guerriers, capables d’affronter même un éléphant en rut, que la foudre lancée par Indra ne pouvait effrayer. Une troupe incomparable de héros invincibles, prêts, sur ordre du roi, à soumettre toute l’Inde à sa domination ! Apprenant que le roi du Kosala venait prendre Bénarès, ils vinrent annoncer la nouvelle à leur souverain et prièrent qu’ils soient envoyés contre l’envahisseur. « Nous le vaincrons et le capturerons, Sire », dirent-ils, « avant qu’il ne franchisse la frontière. »
« Non, mes enfants », dit le roi. « Personne ne souffrira à cause de moi. Que ceux qui convoitent les royaumes s’emparent du mien, s’ils le veulent. » Et il refusa de les laisser marcher contre l’envahisseur.
Le roi du Kosala franchit alors la frontière et gagna le centre du pays. Les ministres revinrent le trouver pour le supplier à nouveau. Mais le roi refusa toujours. Le roi du Kosala apparut alors à l’extérieur de la ville et envoya un message au roi, lui ordonnant soit de céder le royaume, soit de livrer bataille. « Je ne combats pas », répondit le roi de Bénarès ; « qu’il s’empare de mon royaume. »
Une troisième fois, les ministres du roi vinrent le trouver et le supplièrent de ne pas laisser entrer le roi du Kosala, mais de leur permettre de le renverser et de le capturer devant la ville. Refusant toujours, le roi ordonna l’ouverture des portes de la ville, [264] et s’assit solennellement sur son trône royal, entouré de ses mille ministres.
Entrant dans la ville et ne trouvant personne pour lui barrer la route, le roi du Kosala se rendit avec son armée au palais royal. Les portes étaient grandes ouvertes ; là, sur son trône somptueux, entouré de ses mille ministres, siégeait le grand roi Bonté, en grande pompe. « Emparez-vous d’eux tous ! » s’écria le roi du Kosala ; « Liez-leur fermement les mains derrière le dos et emmenez-les au cimetière ! Creusez des trous et enterrez-les vivants jusqu’au cou, afin qu’ils ne puissent plus bouger ni pieds ni mains. Les chacals viendront la nuit et leur donneront un sépulcre ! »
Sur l’ordre du roi tyrannique, ses partisans lièrent le roi de Bénarès et ses ministres et les emmenèrent. Mais même à ce moment-là, le grand roi Bonté n’éprouvait aucune colère contre les bandits ; et aucun de ses ministres, même emmenés enchaînés, ne pouvait désobéir au roi, tant la discipline de ses partisans était, paraît-il, parfaite.
Le roi Bonté et ses ministres furent donc emmenés et enterrés jusqu’au cou dans des fosses du cimetière, le roi au milieu et les autres de chaque côté. Le sol fut piétiné sur eux, et ils restèrent là. Toujours doux et exempt de colère contre son oppresseur, le roi Bonté exhorta ses compagnons en disant : « Que vos cœurs ne soient remplis que d’amour et de charité, mes enfants. »
À minuit, les chacals arrivèrent en foule au festin de chair humaine ; et à la vue des bêtes, le roi et ses compagnons poussèrent tous ensemble un puissant cri, effrayant les chacals. S’arrêtant, la meute regarda en arrière et, ne voyant personne les poursuivre, s’avança de nouveau. Un second cri les repoussa, mais pour revenir comme la première fois. Mais la troisième fois, voyant que personne parmi eux ne les poursuivait, les chacals pensèrent : « Ce sont des hommes condamnés à mort. » Ils avancèrent hardiment ; même lorsque le cri retentit de nouveau, ils ne tournèrent pas les talons. Ils continuèrent leur route, chacun choisissant sa proie : le chef chacal se dirigeant vers le roi, et les autres chacals vers ses compagnons. [265] Débordant de ressources, le roi remarqua l’approche de la bête et, levant la gorge comme pour recevoir la morsure, lui enfonça ses dents dans la gorge avec une poigne de fer. Incapable de libérer sa gorge de l’étreinte puissante des mâchoires du roi et craignant la mort, le chacal poussa un hurlement puissant. À son cri de détresse, la meute comprit que leur chef avait dû être capturé par un homme. N’ayant plus le courage d’approcher leur proie, ils s’enfuirent tous pour sauver leur peau.
Cherchant à se libérer des dents du roi, le chacal pris au piège plongea frénétiquement, ameublissant ainsi la terre au-dessus du roi. Alors, lâchant le chacal, déploya sa force et, en plongeant de tous côtés, libéra ses mains ! Puis, agrippé au bord du gouffre, il se redressa et sortit tel un nuage emporté par le vent. Appelant ses compagnons Le à la bonne humeur, il s’attela à ameublir la terre autour d’eux et à les faire sortir, jusqu’à ce qu’avec tous ses ministres, il se retrouve libre dans le cimetière.
Or, il se trouva qu’un cadavre avait été exposé dans la partie du cimetière qui se trouvait entre les domaines respectifs de deux ogres ; et les ogres se disputaient le partage du butin.
« Nous ne pouvons pas le partager nous-mêmes », dirent-ils ; « mais ce Roi Bonté est juste ; il le partagera pour nous. Allons le trouver. » Ils traînèrent donc le corps par les pieds jusqu’au roi et dirent : « Sire, partagez cet homme et donnez-nous chacun notre part. » « Certainement, mes amis », répondit le roi. « Mais, comme je suis sale, je dois d’abord me laver. »
Aussitôt, par leur pouvoir magique, les ogres apportèrent au roi l’eau parfumée préparée pour le bain de l’usurpateur. Lorsque le roi se fut baigné, ils lui apportèrent les robes qui avaient été préparées pour l’usurpateur. Lorsqu’il les eut revêtues, ils apportèrent à Sa Majesté une boîte contenant les quatre sortes de parfums. Lorsqu’il se fut parfumé, ils apportèrent des fleurs de diverses espèces disposées sur des éventails ornés de pierres précieuses, dans un coffret en or. Lorsqu’il se fut paré de ces fleurs, les ogres demandèrent s’ils pouvaient encore les aider. Le roi leur fit comprendre qu’il avait faim. Les ogres s’en allèrent donc et revinrent avec du riz parfumé de toutes les meilleures saveurs, qui avait été préparé pour la table de l’usurpateur. Et le roi, baigné et parfumé, habillé et paré, mangea de ce mets délicat. Là-dessus, les ogres apportèrent l’eau parfumée de l’usurpateur pour qu’il la boive, dans son propre bol d’or, sans oublier la coupe d’or. Lorsque le roi eut bu, se fut lavé la bouche et les mains, ils lui apportèrent du bétel parfumé à mâcher et lui demandèrent si Sa Majesté avait d’autres ordres. « Apportez-moi, dit-il, par votre pouvoir magique, l’épée d’État qui repose près de l’oreiller de l’usurpateur. » Et aussitôt l’épée fut apportée au roi. Alors le roi prit le corps, le redressa, le coupa en deux le long de l’échine, donnant une moitié à chaque ogre. Cela fait, le roi lava la lame et la ceignit à son côté.
Ayant mangé à leur faim, les ogres furent de joie et, dans leur gratitude, demandèrent au roi ce qu’ils pouvaient faire de plus pour lui. « Gardez-moi, par votre pouvoir magique », dit-il, « dans la chambre de l’usurpateur, et que chacun de mes ministres retourne chez lui. » « Certainement, sire », répondirent les ogres ; et ce fut fait aussitôt. À cette heure-là, l’usurpateur dormait sur le lit royal de sa chambre d’État. Et tandis qu’il dormait paisiblement, le bon roi le frappa au ventre du plat de son épée. S’éveillant de peur, l’usurpateur vit à la lueur de la lampe qu’il s’agissait du grand roi Bonté. Rassemblant tout son courage, il se leva de son lit et dit : « Sire, il fait nuit ; une garde est postée ; les portes sont barricadées ; et nul ne peut entrer. Comment donc êtes-vous venu à mon chevet, l’épée à la main et vêtu de robes splendides ? » Le roi lui raconta alors en détail toute l’histoire de son évasion. Alors le cœur de l’usurpateur fut ému et il s’écria : « Ô roi, moi, bien que doté de la nature humaine, je n’ai pas connu votre bonté ; mais la connaissance en a été donnée aux ogres féroces et cruels, dont la nourriture est la chair et le sang. Désormais, sire, je ne comploterai plus contre une vertu aussi éclatante que la vôtre. » Ce disant, il jura d’amitié sur son épée et implora le pardon du roi. Et il le fit s’allonger sur le lit d’apparat, tandis que lui-même s’étendait sur un petit divan.
Le lendemain, à l’aube, lorsque le soleil fut levé, toute son armée, de tout rang et de tout grade, fut rassemblée au son du tambour sur l’ordre de l’usurpateur ; en leur présence, il exalta le Roi Bonté, comme s’il élevait la pleine lune au plus haut dans le ciel ; et juste devant eux tous, il demanda de nouveau pardon au roi et lui rendit son royaume, en disant : « Désormais, que ce soit ma charge de m’occuper des rebelles ; gouverne ton royaume, avec moi pour veiller et te protéger. » Et en disant cela, il prononça la sentence contre le traître calomniateur, et avec ses troupes et ses éléphants, il retourna dans son propre royaume.
Assis en majesté et splendeur sous un dais blanc de souveraineté [ p. 133 ] sur un trône d’or aux jambes de gazelle, le grand Roi Bonté contemplait sa propre gloire et pensait ainsi en lui-même : « Si je n’avais pas persévéré, je ne jouirais pas de cette magnificence, et mes mille ministres ne seraient plus parmi les vivants. C’est par la persévérance que j’ai recouvré la royauté que j’avais perdue et que j’ai sauvé la vie de mes mille ministres. En vérité, nous devrions lutter sans relâche, le cœur intrépide, tant le fruit de la persévérance est excellent. » Et le roi s’exclama avec émotion :
Continue à travailler, mon frère ; garde toujours espoir ;
Ne laisse pas ton courage faiblir et se fatiguer.
Je me vois, moi qui, tous mes malheurs passés,
Je suis maître du désir de mon cœur.
Ainsi parla le Bodhisatta, le cœur plein de plénitude, déclarant combien il est certain que l’effort sincère du bien parviendra à maturité. Après une vie consacrée à la bonne action, il mourut pour vivre selon ses mérites.
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Sa leçon terminée, le Maître prêcha les Quatre Vérités, à la fin desquelles le Frère apostat obtint l’état d’Arahant. Le Maître démontra le lien et identifia la Naissance en disant : « Devadatta était le ministre traître de cette époque, les disciples du Bouddha étaient les mille ministres, et moi-même, le grand Roi Bonté. »
[Note. Cf. la Volsung-Saga dans Helden Sagen de Hagen, iii. 23, et Journ. de Philol. XII. 120.]