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[404] « Sage à juste titre, très sage à tort. » — Cette histoire fut racontée par le Maître à Jetavana, à propos d’un marchand frauduleux. Il y avait à Sāvatthi deux marchands associés, dit-on, qui voyageaient avec leurs marchandises et revenaient avec le produit de leur vente. Le marchand frauduleux pensa : « Mon associé a été mal nourri et mal logé pendant tant de jours qu’il va mourir d’indigestion maintenant qu’il est de retour chez lui et peut se régaler de mets variés. Mon plan est de diviser ce que nous avons gagné en trois parts, en donnant une à ses orphelins et en gardant les deux pour moi. » Et dans ce but, il inventait jour après jour des excuses pour retarder le partage des bénéfices.
Constatant qu’il était vain d’insister pour obtenir un partage, l’honnête partenaire alla trouver le Maître au monastère, le salua et fut reçu avec bienveillance. « Il y a bien longtemps », dit le Bouddha, « que vous n’êtes pas venu me voir. » Sur ce, le marchand raconta au Maître ce qui lui était arrivé.
« Ce n’est pas la première fois, disciple laïc », dit le Maître, « que cet homme est un marchand frauduleux ; il l’était tout autant autrefois. De même qu’il tente de vous escroquer aujourd’hui, il a tenté d’escroquer les sages et les bons d’autrefois. » Sur ces mots, à la demande du marchand, le Maître raconta cette histoire du passé.
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Un jour, alors que Brahmadatta régnait à Bénarès, le Bodhisatta naquit dans une famille de marchands et, le jour de sa fête, fut nommé « Sage ». Grandi, il s’associa à un autre marchand nommé « Sage » et commerça avec lui. Tous deux emportèrent cinq cents chariots de marchandises de Bénarès vers les campagnes, où ils écoulent leurs marchandises, avant de revenir en ville avec le produit de la vente. Au moment du partage, Sage dit : « Il me faut une double part. » « Pourquoi ? » demanda Sage. « Car si tu n’es que Sage, je suis Sage. Et Sage ne devrait avoir qu’une part contre les deux de Sage. » « Mais nous avions tous deux un intérêt égal dans le fonds de commerce, les bœufs et les chariots. Pourquoi aurais-tu deux parts ? » « Parce que je suis Sage. » Ils continuèrent à discuter jusqu’à se quereller.
« Ah ! » pensa le Plus Sage, « j’ai un plan. » Il fit cacher son père dans un arbre creux, enjoignant au vieil homme de dire, lorsqu’ils arriveraient : « Le Plus Sage devrait avoir une double part. » Ceci fait, il alla trouver le Bodhisatta et lui proposa de soumettre la demande de double part à la décision compétente de l’Esprit de l’Arbre. Puis il lança son appel en ces termes : « Seigneur Esprit de l’Arbre, tranche notre cause ! » Sur ce, le père, caché dans l’arbre, leur demanda d’une voix altérée de présenter l’affaire. Le tricheur s’adressa à l’arbre en ces termes : « Seigneur, ici se tient le Plus Sage, et ici se tient le Plus Sage. Nous avons été partenaires commerciaux. Déclarez quelle part chacun doit recevoir. »
« Le sage devrait recevoir une part et le plus sage deux », fut la réponse.
En entendant cette décision, le Bodhisatta résolut de découvrir s’il s’agissait bien d’un Esprit des Arbres. Il remplit donc le tronc creux de paille et y mit le feu. Le père du Sage, à moitié brûlé par les flammes montantes, remonta en s’agrippant à une branche. Tombant à terre, il prononça cette stance :
Sage à juste titre, le plus sage a eu tort d’avoir son nom ;
Grâce à Wisest, je suis presque brûlé par les flammes.
Alors les deux marchands firent un partage égal et chacun prit la moitié, et à leur mort ils s’en allèrent vivre selon leurs mérites.
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« Vous voyez donc », dit le Maître, « que votre partenaire était autrefois un aussi grand tricheur qu’aujourd’hui. » Ayant terminé son récit, il identifia la Naissance en disant : « Le marchand tricheur d’aujourd’hui était le marchand tricheur de l’histoire, et moi, le marchand honnête nommé Sage. »