« Avec un sens si subtil », etc. — Cette histoire fut racontée par le Maître, alors qu’il vivait dans la Bambouseraie, du prince Ajātasattu. Au moment de sa conception, sa mère, fille du roi du Kosala, ressentit un désir ardent de boire le sang du genou droit du roi Bimbisāra [^51] (son époux). Interrogée par ses suivantes, elle leur raconta ce qu’elle ressentait. Le roi, apprenant cela, appela ses astrologues et dit : « La reine est possédée de tel désir. Quelle en sera l’issue ? » Les astrologues dirent : « L’enfant conçu dans le ventre de la reine vous tuera et s’emparera de votre royaume. » « Si mon fils », dit le roi, « me tue et s’empare de mon royaume, quel mal y a-t-il ? » Alors il se fit ouvrir le genou droit avec une épée et, laissant couler le sang dans un plat en or, il le donna à boire à la reine. Elle pensa : « Si le fils qui naît de moi tue son père, que m’importe de lui ? » et tenta de provoquer une fausse couche. [122] Le roi, apprenant la nouvelle, l’appela et dit : « Ma chère, on dit que mon fils me tuera et s’emparera de mon royaume. [ p. 81 ] Mais je ne suis pas exemptée de la vieillesse et de la mort : permettez-moi de contempler le visage de mon enfant. Désormais, n’agissez plus de la sorte. » Mais elle continua d’aller au jardin et d’agir comme auparavant. Le roi, apprenant la nouvelle, lui interdit de s’y rendre, et lorsqu’elle eut achevé son temps libre, elle donna naissance à un fils. Le jour de son baptême, parce qu’il avait été l’ennemi de son père alors qu’il n’était pas encore né, on le nomma prince Ajātasattu. Alors qu’il grandissait dans son environnement princier, le Maître, accompagné de cinq cents Frères, arriva un jour au palais du roi et s’assit. L’assemblée des Frères, Bouddha à leur tête, fut régalée par le roi avec des mets raffinés, tantôt durs, tantôt mous. Après avoir salué le Maître, le roi s’assit pour écouter la loi. À ce moment, ils habillèrent le jeune prince et l’amenèrent au roi. Le roi accueillit l’enfant avec une grande affection, le plaça sur ses genoux et le caressa avec l’amour naturel d’un père pour son enfant, sans écouter la loi. Le Maître, constatant son inattention, dit : « Grand roi, autrefois, les rois, soupçonneux à l’égard de leurs fils, les faisaient garder dans un lieu secret et donnèrent l’ordre qu’à leur mort, ils soient amenés et placés sur le trône. » Et, à la demande du roi, il lui raconta une légende ancienne.
Il était une fois, alors que Brahmadatta régnait à Bénarès, le Bodhisatta était un professeur réputé à Takkasilā et formait de nombreux jeunes princes et fils de brahmanes aux arts. Or, le fils du roi de Bénarès, à l’âge de seize ans, vint le trouver et, après avoir acquis les trois Védas et tous les arts libéraux et y être parvenu à la perfection, il prit congé de son maître. Le professeur, le considérant par son don de prédiction, pensa : « Un danger menace cet homme par son fils. Par mon pouvoir magique, je l’en délivrerai. » Et, composant quatre strophes, il les donna au jeune prince et dit : « Mon fils, après être assis sur le trône, lorsque ton fils aura seize ans, prononce la première strophe en mangeant ton riz ; répète la deuxième strophe au moment du grand lever ; le troisième, lorsque vous montez sur le toit du palais, en vous tenant en haut de l’escalier, et le quatrième, [123] lorsque vous entrez dans la chambre royale, en vous tenant sur le seuil.
Le prince acquiesça sans hésiter et, saluant son maître, s’en alla. Après avoir exercé les fonctions de vice-roi, il monta sur le trône à la mort de son père. Son fils, à seize ans, voyant le roi sortir prendre plaisir au jardin, observant la majesté et la puissance de son père, fut saisi du désir de le tuer et de s’emparer de son royaume. Il en parla à ses serviteurs. Ils dirent : « C’est vrai, Seigneur, à quoi bon acquérir du pouvoir quand on est vieux ? Il faut, d’une manière ou d’une autre, tuer le roi et s’emparer de son royaume. » Le prince répondit : « Je le tuerai en empoisonnant sa nourriture. » Il prit donc du poison et s’assit pour dîner avec son père. Le roi, alors que le riz était servi dans le bol, prononça la première strophe :
Avec un sens si agréable, les cosses de riz
Les rats sont capables de faire la distinction :
Ils ne se souciaient pas beaucoup de toucher les cosses,
Mais ils mangeaient le riz grain par grain.
[ p. 82 ]
« Je suis découvert », pensa le prince. N’osant pas administrer le poison contenu dans le bol de riz, il se leva et s’inclina devant le roi. Il raconta l’histoire à ses serviteurs et dit : « Aujourd’hui, je suis découvert. Comment vais-je le tuer ? » À partir de ce jour, ils restèrent cachés dans le jardin et, se concertant à voix basse, dirent : « Il reste un expédient. Au moment de la grande levée, ceignez votre épée et, vous tenant parmi les conseillers, lorsque vous verrez le roi désarmé, vous lui porterez un coup d’épée et le tuerez. » Ainsi convinrent-ils. Le prince accepta volontiers et, au moment de la grande levée, ceignit son épée et, se déplaçant de lieu en lieu, guettait une occasion de frapper le roi. À ce moment, le roi prononça la deuxième strophe :
Le conseil secret pris dans les bois
Par moi, on entend :
Le complot du village murmurait doucement à l’oreille
Cela aussi, je l’entends.
Le prince pensa : « Mon père sait que je suis son ennemi », et il s’enfuit pour prévenir ses serviteurs. Sept ou huit jours plus tard, ils lui dirent : « Prince, votre père ignore vos sentiments à son égard. Vous imaginez cela dans votre tête. Mettez-le à mort. » Un jour, il prit son épée et se tint en haut de l’escalier du cabinet royal. Le roi, debout en haut de l’escalier, prononça la troisième strophe :
Un singe a un jour pris des mesures cruelles
Sa tendre progéniture est impuissante à faire.
Le prince pensa : « Mon père veut m’enlever. » Terrifié, il s’enfuit et raconta à ses serviteurs qu’il avait été menacé par son père. Au bout de quinze jours, ils dirent : « Prince, si le roi savait cela, il n’aurait pas supporté cela si longtemps. Votre imagination vous le suggère. [125] Mettez-le à mort. » Un jour, il prit son épée et, entrant dans la chambre royale à l’étage du palais, il s’allongea sous le lit, avec l’intention de tuer le roi dès son arrivée. À la fin du repas du soir, le roi renvoya sa suite, souhaitant se coucher. En entrant dans la chambre royale, debout sur le seuil, il prononça la quatrième strophe :
Tes voies prudentes et rampantes
Comme une chèvre borgne dans un champ de moutarde qui s’égare,
Et qui es-tu, toi qui rôdes ici-bas,
Cela aussi, je le sais.
Le prince pensa : « Mon père m’a découvert. Maintenant, il va me faire mourir. » Pris de peur, il sortit de sous le lit, jeta son épée aux pieds du roi et dit : « Pardonnez-moi, mon seigneur », il s’agenouilla devant lui. Le roi dit : « Vous pensiez que personne ne savait ce que je fais. » Après l’avoir réprimandé, il ordonna qu’on l’attache, qu’on le mette en prison et qu’on le garde. Le roi médita alors sur les vertus du Bodhisatta. Et il mourut peu après. Après avoir célébré ses funérailles, on fit sortir le jeune prince de prison et on le plaça sur le trône.
Le Maître termina ainsi sa leçon et dit : « Ainsi, Sire, les rois d’autrefois soupçonnaient les cas où la suspicion était justifiée », et il raconta cet incident, [126] mais le roi ne prêta aucune attention à ses paroles. Le Maître identifia ainsi la Naissance : « À cette époque, le célèbre professeur de Takkasilā était moi-même. »
[^51] : 80 : 1 Comparez les Contes tibétains vi. Prince Jivaka.