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« Rends le Gange calme », etc.—Le Maître raconta cette histoire alors qu’il résidait à Jetavana, au sujet d’un Frère rétrograde. Le Maître lui demanda : « Frère, l’histoire est-elle vraie, que tu rechutes ? » « Oui, Seigneur. » « Quelle en est la cause ? » « Le pouvoir du désir. » « Frère, les femmes sont ingrates, traîtresses, indignes de confiance : les sages d’autrefois ne pouvaient satisfaire une femme, même en lui donnant mille pièces par jour ; et un jour, comme elle n’obtenait pas les mille pièces, elle les fit prendre par le cou et jeter dehors : [475] les femmes sont si ingrates : ne tombez pas sous le pouvoir du désir pour une telle cause », et il raconta une vieille histoire.
Il était une fois, alors que Brahmadatta régnait à Bénarès, son fils, le jeune Brahmadatta, et le jeune Mahādhana, fils d’un riche marchand de Bénarès, étaient camarades et compagnons de jeu, et furent éduqués dans la maison du même maître. Le prince devint roi à la mort de son père, et le fils du marchand demeurait près de lui. Il y avait à Bénarès une certaine courtisane, belle et prospère. Le fils du marchand lui donnait [ p. 283 ] mille pièces par jour, et prenait constamment plaisir à elle. À la mort de son père, il succéda au riche marchand et ne l’abandonna pas, lui donnant toujours mille pièces par jour. Trois fois par jour, il allait servir le roi. Un jour, il alla le servir le soir. Alors qu’il parlait avec le roi, le soleil se coucha et la nuit tomba. En quittant le palais, il pensa : « Je n’ai pas le temps de rentrer et de revenir : j’irai directement chez la courtisane. » Il congédia donc ses suivantes et entra seule chez elle. Lorsqu’elle le vit, elle lui demanda s’il avait apporté les mille pièces. « Mon cher, j’étais très en retard aujourd’hui ; j’ai donc renvoyé mes suivantes sans rentrer et je suis venue seule ; mais demain, je vous donnerai deux mille pièces. » Elle pensa : « Si je l’admets aujourd’hui, il viendra les mains vides les autres jours, et ainsi ma fortune sera perdue : je ne l’admettrai pas cette fois. » Elle dit alors : « Monsieur, je ne suis qu’une courtisane ; je ne donne pas mes faveurs sans mille pièces : vous devez apporter la somme. » « Mon cher, j’apporterai le double de la somme demain », et il la supplia sans cesse. La courtisane donna des ordres à ses servantes : « Ne laissez pas cet homme rester là à me regarder ; prenez-le par le cou, chassez-le et fermez la porte. » Elles obéirent. Il pensa : « J’ai dépensé pour elle quatre-vingts millions de dollars ; et pourtant, le jour où je reviens les mains vides, elle me saisit par le cou et me jette dehors. Oh, les femmes sont méchantes, sans vergogne, ingrates, traîtresses ! » Il médita ainsi sans cesse sur les défauts des femmes, jusqu’à ressentir de l’aversion et du dégoût, et se laissa aller à la vie de laïc. « Pourquoi devrais-je mener une vie de laïc ? Je vais partir aujourd’hui et devenir ascète », pensa-t-il. Sans retourner chez lui ni revoir le roi, il quitta la ville et s’enfonça dans la forêt. Il construisit un ermitage sur les rives du Gange, et y fit sa demeure d’ascète, atteignant la Perfection de la Méditation, se nourrissant de racines et de fruits sauvages.
Le roi regrettait son ami et le demanda. La conduite de la courtisane était connue dans toute la ville ; on en informa donc le roi, ajoutant : « Ô roi, on dit que votre ami, par honte, n’est pas rentré chez lui, mais s’est fait ascète dans la forêt. » Le roi convoqua la courtisane et lui demanda si l’histoire concernant son traitement envers son ami était vraie. Elle avoua : « Femme vile et méchante, va vite chercher mon ami ; si tu échoues, tu risques la vie. » Elle prit peur aux paroles du roi ; elle monta sur un char et quitta la ville avec une nombreuse suite. Elle chercha sa demeure et, l’ayant appris par la rumeur, s’y rendit, salua et pria : « Seigneur, supportez le mal que j’ai fait dans mon aveuglement et ma folie ; je ne le referai plus jamais. » « Très bien, je vous pardonne ; je ne vous en veux pas. » « Si vous me pardonnez, montez sur le char avec moi : nous irons à la ville, et dès que nous y serons entrés, je vous donnerai tout l’argent de ma maison. » Lorsqu’il l’entendit, [ p. 284 ] il répondit : « Madame, je ne peux pas vous accompagner maintenant : mais quand quelque chose qui ne peut arriver en ce monde arrivera, alors peut-être pourrai-je y aller » ; et il prononça donc la première strophe : «
Rendez le Gange calme comme un bassin de lotus, des coucous d’un blanc nacré à voir,
faites que les pommiers portent les fruits des palmiers : peut-être alors se pourrait-il que ce soit alors.
» Mais elle répéta : « Viens, je m’en vais. » Il répondit : « J’irai. » « Quand ? » « À telle et telle heure », dit-il et il prononça les strophes restantes : « Quand vous voyez un tissu triple tissé en
poils de tortue,
pour vous protéger du froid en hiver, peut-être alors se pourrait-il que ce soit alors. »
Quand, avec des dents de moustique, tu construiras une tour si habilement
qu’elle ne tremblera ni ne chancellera de sitôt, peut-être alors.
Quand, avec des cornes de lièvre, tu fabriqueras une échelle habilement,
des escaliers qui graviront les cieux, peut-être alors alors.
Quand des souris s’accorderont pour gravir ces escaliers et dévorer la lune,
et feront descendre Rāhu du ciel, peut-être alors, la chose arrivera.
Quand des essaims de mouches dévoreront des boissons fortes dans des cruches pleines et libres,
et s’abriteront dans des charbons ardents, peut-être alors, la chose arrivera.
Quand les ânes auront des lèvres rouges et des visages beaux à voir,
et démontreront leur talent en chant et en danse, peut-être alors, la chose arrivera.
Quand corbeaux et hiboux se rencontreront pour converser en secret,
et se courtiser, comme des amoureux, peut-être alors, la chose arrivera.
[478] Quand les ombrelles, faites de tendres feuilles d’arbres de la forêt,
seront solides contre la pluie battante, peut-être alors, la chose arrivera.
Quand les moineaux prendront possession de l’Himalaya dans toute sa majesté
et le porteront dans leur petit bec, la chose se réalisera peut-être.
Et quand un garçon pourra porter la lumière, avec toute sa bravoure,
Un navire tout gréé pour des mers lointaines, peut-être.
Le Grand Être prononça donc ces onze strophes pour résoudre des conditions impossibles (aṭṭhāna). La courtisane, l’entendant, obtint son pardon et retourna à Bénarès. Elle raconta l’affaire au roi et implora sa vie, qui lui fut accordée.
Après la leçon, le Maître dit : « Ainsi, Frères, les femmes sont ingrates et traîtres. » Puis il déclara les Vérités et identifia la Naissance : — Après les Vérités, le Frère apostat fut établi dans la réalisation du Premier Chemin : — « À cette époque, le roi était Ānanda, l’ascète était moi-même. »