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Le prince Siddhartha vécut heureux avec sa femme, la princesse. Et le roi, dont l’amour pour son fils frisait désormais l’adoration, prenait un soin infini à lui épargner la vue de quoi que ce soit qui puisse le troubler. Il lui fit construire trois magnifiques palais : un pour l’hiver, un pour l’été, et le troisième pour la saison des pluies ; il lui était interdit de les quitter à jamais, pour errer sur la vaste surface de la terre.
Dans ses palais, blancs comme les nuages d’automne et brillants comme les chars célestes des Dieux et des Déesses, le prince savourait la coupe des plaisirs. Il menait une vie de volupté ; il passait des heures à écouter la musique jouée par la princesse et ses servantes, et lorsque de belles danseuses souriantes apparaissaient devant lui et se produisaient au son des timbales dorées, il les regardait avec délice se balancer avec une grâce et une beauté rares, même chez les heureuses Apsaras.
Les femmes lui jetaient des regards furtifs : leurs yeux, offerts avec audace ou suppliés avec malice, et leurs cils tombants promettaient un plaisir ineffable. Leurs jeux l’amusaient, leurs charmes le captivaient, et il se contentait de rester dans ces palais si remplis de leurs rires et de leurs chants. Car il ignorait tout de la vieillesse et de la maladie ; il ignorait tout de la mort.
Suddhodana se réjouissait de la vie que menait son fils, même s’il jugeait sa propre conduite avec la plus grande sévérité. Il s’efforçait de garder son âme sereine et pure ; il s’abstenait de faire le mal et prodiguait des dons aux vertueux. Il ne cédait jamais à l’indolence ni au plaisir ; il ne se laissait jamais brûler par le poison de l’avarice. Comme on soumet les chevaux sauvages au joug, de même il maîtrisait ses passions et surpassait en vertu ses proches et ses amis. Il mettait le savoir qu’il avait acquis au service de ses semblables et n’étudiait que les sujets utiles à tous. Il ne recherchait pas seulement le bien-être de son peuple, mais aussi le bonheur du monde entier. Il purifiait son corps avec l’eau des étangs sacrés et son âme avec l’eau bénite de la vertu. Il ne prononçait jamais une parole agréable qui fût à la fois mensongère ; les vérités qu’il disait n’offensaient ni ne blessaient. Il s’efforçait d’être juste, et c’est par l’honnêteté, et non par la force, qu’il vainquit l’orgueil de ses ennemis. Il ne frappait pas, il ne regardait même pas avec colère ceux qui méritaient la peine de mort ; au contraire, il leur donnait de précieux conseils, puis leur rendait la liberté.
Le roi était un exemple pour tous ses sujets, et [ p. 40 ] Kapilavastu était le plus heureux et le plus vertueux des royaumes.
La belle Gopa donna alors au prince un fils, qui reçut le nom de Rahula. Le roi Suddhodana fut heureux de voir sa famille prospérer et il était aussi fier de la naissance de son petit-fils qu’il l’avait été de celle de son fils.
Il continua dans le chemin de la vertu, il vécut presque comme un ermite, et ses actions furent saintes ; cependant il ne cessait d’exhorter son fils bien-aimé à de nouveaux plaisirs, tant était grande sa peur de le voir quitter le palais et la ville et chercher le refuge austère des forêts saintes.