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Il poursuit le même sujet : il explique la prière d’union par une comparaison délicate et parle des effets qu’elle produit sur l’âme. Ce chapitre mérite une grande attention.
1. L’âme comparée à un papillon. 2. Les grandeurs de la création. 3. Symbole de l’âme et du ver à soie. 4. Préparation de l’âme à la demeure de Dieu. 5. Mort mystique du ver à soie. 6. Effets de l’union divine. 7. Augmentation de la ferveur et du détachement. 8. Épreuves succédant à la prière d’union. 9. Désir de mort et zèle pour l’honneur de Dieu. 10. Ce zèle surnaturel. 11. Dieu seul opère cette grâce. 12. Le même zèle que celui ressenti par notre Seigneur sur terre. 13. Les plus vives souffrances du Christ.
1. Vous pouvez imaginer qu’il n’y a plus rien à décrire du contenu de cette demeure, mais il reste beaucoup à dire, car, comme je l’ai dit, elle contient des faveurs de divers degrés. Je pense qu’il n’y a rien à ajouter sur la prière d’union, mais lorsque l’âme à qui Dieu accorde cette grâce se dispose à les recevoir, je pourrais vous raconter beaucoup de merveilles que notre Seigneur y accomplit. J’en décrirai quelques-unes à ma manière, ainsi que l’état dans lequel elles laissent l’âme, et j’utiliserai une comparaison appropriée pour éclairer le sujet, expliquant que, bien que nous ne puissions prendre aucune part active à cette œuvre de Dieu en nous, [1] nous pouvons néanmoins faire beaucoup pour nous préparer à recevoir cette grâce. Vous avez entendu dire comment la soie est merveilleusement fabriquée – d’une manière que Dieu seul pouvait concevoir – comment tout cela provient d’un œuf ressemblant à un minuscule grain de poivre. Ne l’ayant pas vu moi-même, je ne le sais que par ouï-dire ; si les faits sont inexacts, ce ne sera donc pas ma faute. Lorsque, par temps chaud, les mûriers [ p. 130 ] commencent à feuiller, le petit œuf, inerte avant que sa nourriture ne soit prête, commence à vivre. La chenille se nourrit des feuilles de mûrier jusqu’à ce que, lorsqu’elle a grandi, on place près d’elle de petites brindilles sur lesquelles, d’elle-même, elle file de la soie de sa petite bouche jusqu’à ce qu’elle ait formé un petit cocon étroit dans lequel elle s’enfouit. Puis ce gros et laid ver quitte le cocon sous la forme d’un joli petit papillon blanc.
2. Si nous n’avions pas vu cela, mais en avions seulement entendu parler comme d’une vieille légende, qui pourrait y croire ? Pourrions-nous nous persuader que des insectes aussi dépourvus de raison qu’un ver à soie ou une abeille travaillent avec tant d’application et d’habileté à notre service que le pauvre petit ver à soie y perd la vie ? Cela suffirait pour une courte méditation, mes sœurs, sans que j’en rajoute davantage, car vous pouvez y apprendre les merveilles et la sagesse de Dieu. Et si nous connaissions les propriétés de toutes choses ? Il est très profitable de méditer sur les grandeurs de la création et de se réjouir d’être les épouses d’un Roi aussi sage et puissant.
3. Revenons à notre sujet. Le ver à soie symbolise l’âme qui commence à vivre lorsque, enflammée par le Saint-Esprit, elle commence à utiliser les secours ordinaires donnés par Dieu à tous et à appliquer les remèdes qu’il a laissés dans son Église, tels que la confession régulière, les accroches religieuses et les sermons ; ce sont là les remèdes d’une âme morte par sa négligence et ses péchés, et sujette à la tentation. Alors elle reprend vie et continue à se nourrir de cette nourriture et de pieuses méditations jusqu’à ce qu’elle ait atteint sa pleine vigueur, ce qui est le point essentiel, [ p. 131 ] car je n’attache aucune importance au reste. Lorsque le ver à soie est adulte, comme je vous l’ai dit dans la première partie de ce chapitre, il commence à filer la soie et à construire la maison où il doit mourir. Par cette maison, en parlant de l’âme, j’entends le Christ. Je crois avoir lu ou entendu quelque part, soit que notre vie est cachée en Christ, soit en Dieu (ce qui veut dire la même chose), soit que Christ est notre vie. [^173] Peu importe pour moi laquelle de ces citations est correcte.
4. Ceci montre, mes filles, combien, par la grâce de Dieu, nous pouvons contribuer, en préparant cette demeure pour nous-mêmes, à faire de Lui notre demeure, comme Il l’est dans la prière d’union. Vous supposerez que je veux dire que nous pouvons retirer ou ajouter quelque chose à Dieu quand je dis qu’Il est notre demeure, et que nous pouvons la construire et l’habiter par nos propres forces. En effet, nous le pouvons : bien que nous ne puissions rien priver Dieu ni rien lui ajouter, nous pouvons pourtant nous retirer et nous ajouter à nous-mêmes, comme les vers à soie. Le peu que nous pouvons faire sera à peine accompli que cette œuvre insignifiante, qui n’est rien du tout, sera unie par Dieu à sa grandeur et ainsi enrichie d’une valeur si immense que notre Seigneur lui-même sera la récompense de notre labeur. Bien qu’il y ait eu la plus grande part, il unira nos petites peines aux amères souffrances qu’il a endurées pour nous et les unira.
5. En avant donc, mes filles ! Hâtons-nous de travailler et de construire le petit cocon. Renoncez à l’amour-propre et à la volonté propre, ne vous souciez de rien de ce qui est terrestre, faites pénitence, priez, mortifiez-vous, soyez obéissantes et accomplissez toutes les autres bonnes œuvres que vous connaissez. Agissez selon votre lumière ; on vous a enseigné vos devoirs. Mourez ! mourez comme le ver à soie lorsqu’il a rempli l’office de sa création, et vous verrez Dieu et serez immergées dans sa grandeur, comme le petit ver à soie est enveloppé dans son cocon. Comprenez que lorsque je dis « vous verrez Dieu », je veux dire de la manière décrite, par laquelle il se manifeste dans ce genre d’union.
6. Voyons maintenant ce qu’il advient du « ver à soie », car tout ce que j’ai dit mène à cela. Dès que, par cette prière, l’âme est devenue entièrement morte au monde, elle surgit comme un charmant petit papillon blanc ! [2] Oh, que Dieu est grand ! Que l’âme est belle après avoir été immergée dans la grandeur de Dieu et unie à Lui étroitement pendant un court instant ! En vérité, je ne pense pas que ce soit jamais aussi long qu’une demi-heure. [3] Vraiment, l’esprit ne se reconnaît pas, étant aussi différent de ce qu’il était que le papillon blanc l’est de la chenille repoussante. Il ne sait pas comment il a pu mériter un si grand bien, ou plutôt, d’où lui vient cette grâce [4] qu’il sait bien ne pas mériter. L’âme désire louer notre Seigneur Dieu et aspire à se sacrifier et à mourir mille morts pour Lui. Elle éprouve un désir invincible de grandes croix et voudrait accomplir les plus sévères pénitences ; elle soupire après la solitude et voudrait que tous les hommes connaissent Dieu, tout en étant amèrement affligée de les voir l’offenser. Ces choses seront décrites plus en détail dans la prochaine demeure ; elles y sont de même nature, mais à un état plus avancé, les effets sont bien plus forts, car, comme je vous l’ai dit, si, après avoir reçu ces faveurs, l’âme s’efforce de faire encore de plus grands progrès, elle éprouvera de grandes choses. Oh ! de voir l’inquiétude de ce charmant petit papillon, quoique jamais de sa vie il n’ait été plus tranquille et plus paisible ! Dieu soit loué ! Il ne sait où s’arrêter ni où prendre son repos ; tout sur la terre le dégoûte après ce qu’il a éprouvé, surtout lorsque Dieu lui a souvent donné ce vin qui laisse de nouvelles grâces à chaque gorgée.
7. Elle méprise le travail qu’elle a accompli lorsqu’elle était encore chenille – le lent tissage de son cocon, fil par fil – ses ailes ont poussé et elle peut voler ; pourrait-elle se contenter de ramper ? Tout ce qu’elle peut faire pour Dieu ne lui paraît rien comparé à son désir. Elle ne s’étonne plus de ce que les saints ont enduré pour Lui, sachant par expérience comment Notre-Seigneur aide et transforme l’âme jusqu’à ce qu’elle ne paraisse plus la même, de caractère et d’apparence. Autrefois, elle craignait la pénitence, maintenant elle est forte : elle n’a pas eu le courage d’abandonner ses parents, ses amis ou ses biens : ni ses actions, ni ses résolutions, ni la séparation d’avec ceux qu’elle aimait ne pouvaient détacher l’âme, mais semblaient plutôt accroître son affection. Maintenant, elle trouve même leurs droits légitimes un fardeau, [5] craignant tout contact avec eux de peur d’offenser Dieu. Il se lasse de tout, réalisant qu’aucun véritable repos ne peut être trouvé dans les créatures.
8. Il me semble que j’ai étendu ce sujet, mais on pourrait en dire bien davantage ; ceux qui ont reçu cette faveur trouveront que je l’ai traité trop brièvement. Il n’est pas étonnant que ce joli papillon, étranger aux choses terrestres, cherche le repos ailleurs. Où peut aller le pauvre petit être ? Il ne peut retourner d’où il est venu, car, comme je vous l’ai dit, cela n’est pas au pouvoir de l’âme, quoi qu’elle fasse, mais dépend du bon plaisir de Dieu. Hélas ! que de nouvelles épreuves commencent à affliger l’esprit ! Qui s’attendrait à cela après une grâce si sublime ? [6] En fait, d’une manière ou d’une autre, nous devons porter la croix toute notre vie. Si l’on me disait que depuis qu’ils sont parvenus à la prière d’union, ils ont joui d’une paix et d’une consolation constantes, je répondrais qu’ils n’ont jamais pu atteindre cet état, mais que, tout au plus, s’ils étaient arrivés jusqu’à la dernière demeure, leur émotion a dû être une satisfaction spirituelle jointe à une faiblesse physique. Il se pourrait même qu’il s’agisse d’une fausse douceur, causée par le diable, qui accorde la paix pour un temps, pour ensuite livrer une guerre bien plus féroce. Je ne veux pas dire que ceux qui atteignent ce stade ne possèdent aucune paix ; ils la possèdent à un très haut degré, car leurs chagrins, bien qu’extrêmement intenses, sont si bénéfiques et proviennent d’une source si bonne qu’ils procurent à la fois paix et bonheur.
9. Le mécontentement de ce monde donne un désir si douloureux de le quitter que, si le cœur trouve du réconfort, c’est uniquement à la pensée que Dieu souhaite qu’il demeure ici-bas en exil. Même cela ne suffit pas à le réconcilier avec le destin, car après tous les dons reçus, il n’est pas encore aussi entièrement soumis à la volonté de Dieu qu’il le deviendra par la suite. Ici, bien que conforme à sa volonté, l’âme ressent une réticence invincible à se soumettre, car notre Seigneur ne lui a pas accordé de grâce supérieure. Pendant la prière, cette douleur éclate en torrents de larmes, probablement à cause de la grande douleur ressentie en voyant Dieu offensé et en pensant à combien d’âmes, hérétiques et païennes, sont perdues éternellement, et la plus vive de toutes, des chrétiens aussi ! L’âme réalise la grandeur de la miséricorde de Dieu et sait que, aussi méchants soient-ils, les hommes peuvent toujours se repentir et être sauvés ; mais il craint que beaucoup ne se précipitent en enfer.
10. Ô grandeur infinie de Dieu ! Il y a quelques années – peut-être quelques jours seulement – cette âme ne pensait qu’à elle-même. Qui lui a fait ressentir des soucis aussi tourmentants ? Si nous essayions pendant de nombreuses années d’obtenir une telle douleur par la méditation, nous n’y parviendrions pas.
11. Dieu me vienne en aide ! Si, pendant de longues journées et de longues années, je réfléchissais à l’immense tort que représente l’offense de Dieu, et que les âmes perdues sont ses enfants et mes frères ; si je méditais sur les dangers de ce monde et sur le bonheur que je ressentirais en quittant cette misérable vie, cela ne suffirait-il pas ? Non, mes filles, la douleur ne serait pas la même. Car, avec l’aide de Dieu, nous pouvons y parvenir par une telle méditation ; mais elle ne semble pas pénétrer au plus profond de notre être comme cette autre qui semble mettre l’âme en pièces et la réduire en poussière sans aucune action – parfois même sans volonté – de sa part. Quelle est donc cette douleur ? D’où vient-elle ? Je vais vous le dire. N’avez-vous pas entendu (je vous ai cité ces paroles tout à l’heure, mais je ne leur ai pas donné ce sens) [7] comment l’Épouse dit que Dieu « l’a conduite dans la cave à vin et a établi en elle la charité » ? [^181] C’est ce qui se passe ici. L’âme s’est si entièrement abandonnée entre ses mains et est si soumise à son amour pour lui qu’elle ne sait ni ne se soucie que de ce que Dieu en dispose selon sa volonté. Je crois qu’il n’accorde cette grâce qu’à ceux qu’il prend entièrement pour siens. Il désire que, sans savoir comment, l’esprit sorte marqué de son sceau, car en effet il ne fait rien de plus que la cire imprimée par le sceau. Il ne se moule pas lui-même, mais a seulement besoin d’être dans un état approprié – doux et malléable ; même alors, il ne s’adoucit pas, mais doit simplement rester immobile et se soumettre à l’empreinte.
12. Que Tu es bon, ô Dieu ! Tout est fait pour nous par Toi, qui ne nous demande que de Te donner notre volonté pour que nous soyons plastiques comme de la cire entre Tes mains. Voyez, mes sœurs, ce que Dieu fait à cette âme pour qu’elle sache qu’elle est à Lui. Il lui donne quelque chose de Sien – ce que Son Fils possédait lorsqu’il vivait sur terre – il pouvait nous faire un plus grand don. Qui aurait pu désirer plus ardemment quitter cette vie que le Christ ? [ p. 137 ] Comme Il l’a dit lors de la Dernière Cène : « J’ai désiré avec désir » [^182] cela. Ô Seigneur ! cette mort amère que Tu vas subir ne se présente-t-elle pas à Tes yeux dans toute sa douleur et son horreur ? « Non, car Mon ardent amour et Mon désir de sauver les âmes sont infiniment plus forts que les tourments. Cette douleur plus profonde que j’ai soufferte et que je souffre encore en vivant ici sur terre, fait que les autres douleurs ne semblent rien en comparaison.
13. J’ai souvent médité là-dessus, et je sais que la torture qu’une de mes amies [8] a éprouvée, et éprouve encore, en voyant Notre-Seigneur pécher contre lui, est si insupportable qu’elle préférerait mourir plutôt que de rester dans une telle angoisse. Alors je pensais que si une âme dont la charité est si faible comparée à celle du Christ – on pourrait même dire qu’en comparaison de la sienne, cette charité n’existe pas – éprouve cette douleur insupportable, quels ont dû être les sentiments de Notre-Seigneur Jésus-Christ et quelle a dû être sa vie ? Car tout était présent devant ses yeux et il était le témoin constant des grandes offenses commises contre son Père. Je crois sans aucun doute que cela l’a peiné bien plus que sa très sainte Passion. Là, du moins, il a trouvé la fin de toutes ses épreuves, tandis que son agonie a été apaisée par la consolation d’obtenir notre salut par sa mort et d’avoir prouvé combien il aimait son Père en souffrant pour lui. Ainsi, ceux qui, poussés par un amour fervent, accomplissent de grandes pénitences [ p. 138 ] les ressentent à peine, mais veulent en faire davantage et considèrent même cela comme peu de chose. Qu’a donc dû ressentir Sa Majesté en manifestant ainsi publiquement sa parfaite obéissance à son Père et son amour pour ses frères ? Quelle joie de souffrir en faisant la volonté de Dieu ! Pourtant, je pense que la vue constante des nombreux péchés commis contre Dieu et des innombrables âmes en route vers l’enfer a dû lui causer une telle angoisse que, s’il n’avait pas été plus qu’un homme, un seul jour de tel tourment aurait détruit non seulement sa vie, mais bien d’autres vies, si elles avaient été les siennes.
[^173] : 131 : 2 Col. 3 : « Vita vestra est abscondita cum Christo in Deo. » Fille. ii. w: 'Vivo autem, confiture sur l’ego; vivit vero en moi Christus.
[^181] : 136:10 Je ne peux pas. ii. 4. ‘Introduxit-moi in cellam vinariam, ordinavit in me caritatem.’
[^182] : 137 : 11 Saint Luc xxii. 15 : « Desiderio desideravi hoc pascha manducare vobiscum, antequam patiar. »
129:1 Voie de la Perfection ch. xxv. 3. ↩︎
132:4 Sainte Thérèse a dû penser à cette comparaison lorsqu’elle a choisi « papillons » comme pseudonyme pour ses religieuses dans ses lettres à l’époque où elle était obligée d’être prudente à cause des troubles de la Réforme. ↩︎
132:5 Vie, ch. xviii. 16. ↩︎
132:6 Vie, ch. xviii. 5-7. ↩︎
133:7 Rel. ix, 11. ↩︎
134:8 Chemin de Perf. ch. xviii. 1-4. Château, M. vi ch. i. 3, sqq. M. vii. ch. iv. 7. ↩︎
136:9 Cinquième Demeure, ch. i. 10. ↩︎
137:12 Cette amie est, bien sûr, sainte Thérèse elle-même. Voir Vie, ch. xiii. 14 ; xxxii. 9. Chemin de Perf, ch. i. 3. Château, M. vii. ch. i. 5, 6. Excl. x. 9. ↩︎