Ce chapitre poursuit le même sujet et parle d’une autre sorte d’union que l’âme peut obtenir avec l’aide de Dieu. Il souligne l’importance de l’amour du prochain dans ce domaine. C’est très utile à lire.
_1. Zèle pour les âmes laissées par l’union divine. 2. L’âme peut déchoir d’un tel état. 3. Comment l’union divine peut toujours être obtenue. 4. L’union avec la volonté de Dieu, base de toute union surnaturelle. 5. Avantage de l’union obtenu par la mortification de soi. 6. Défauts qui entravent cette union. 7. Union divine obtenue par l’amour parfait de Dieu et du prochain. 8. L’amour de Dieu et du prochain sont proportionnés. 9. Vertus réelles et imaginaires. 10. Bonnes résolutions illusoires. 11. Ce sont les œuvres, et non les sentiments, qui procurent l’union. 12. La charité fraternelle gagnera certainement cette union.
1. Revenons maintenant à notre petite colombe et voyons quelles grâces Dieu lui accorde dans cet état. Cela implique que l’âme s’efforce de progresser dans le service de notre Seigneur et dans la connaissance d’elle-même. Si elle reçoit la grâce de l’union et n’en fait plus, se croyant en sécurité, et mène ainsi une vie insouciante, s’écartant du chemin du ciel (c’est-à-dire de l’observance des [ p. 139 ] commandements), elle partagera le sort du papillon né du ver à soie, qui pond des œufs qui en produisent d’autres, puis meurt à jamais. Je dis qu’elle laisse des œufs, car je crois que Dieu ne permettra pas qu’une si grande faveur soit perdue, mais que si celui qui la reçoit n’en profite pas, d’autres le feront. Car tant qu’elle reste sur le droit chemin, cette âme, avec ses désirs ardents et ses grandes vertus, aide les autres et attise leur ferveur par la sienne. Mais même après avoir perdu cela, il peut encore désirer profiter aux autres et se réjouir de faire connaître les miséricordes manifestées par Dieu envers ceux qui l’aiment et le servent. [1]
2. J’ai connu une personne à qui cela est arrivé. Bien que profondément égarée, elle désirait que d’autres profitent des faveurs que Dieu lui avait accordées et enseignait la voie de la prière à ceux qui l’ignoraient, les aidant ainsi énormément. Dieu lui a ensuite apporté une nouvelle lumière ; en effet, la prière d’union n’avait pas encore produit en elle les effets mentionnés ci-dessus. Combien de personnes doivent être à qui Notre-Seigneur se communique, qui, comme Judas, sont appelées à l’apostolat et faites rois par lui, comme le fut Saül, et qui perdent ensuite tout par leur propre faute ! Nous devrions apprendre de cela, mes sœurs, que si nous voulons mériter de nouvelles faveurs et éviter de perdre celles que nous possédons déjà, notre seul salut réside dans l’obéissance et dans la pratique de la loi de Dieu. Je dis cela, aussi bien à ceux qui ont reçu ces grâces qu’à ceux qui ne les ont pas reçues. [2]
3. Malgré tout ce que j’ai écrit, il semble encore difficile de comprendre cette demeure. L’avantage d’y entrer est si grand qu’il est bon que personne ne désespère d’y entrer, car Dieu ne lui accorde pas les dons surnaturels décrits ci-dessus. Avec l’aide de la grâce divine, la véritable union peut toujours être atteinte en s’efforçant de renoncer à sa propre volonté et en suivant la volonté de Dieu en toutes choses. [3]
4. Oh, combien d’entre nous affirment agir ainsi, et croient ne rien rechercher d’autre ; nous mourrions même pour la vérité de ce que nous disons ! Si tel est le cas, je ne peux que déclarer, comme je crois l’avoir déjà fait, et je le répéterai sans cesse, que nous avons déjà obtenu cette grâce de Dieu. Nous n’avons donc pas besoin de souhaiter cette autre union délicieuse décrite plus haut, car sa principale valeur réside dans la soumission de notre volonté à celle de Dieu, sans laquelle elle ne pourrait être atteinte. [^187] Oh, combien cette union est désirable ! L’âme heureuse qui l’a atteinte vivra en ce monde et dans l’autre sans souci d’aucune sorte. Aucun événement terrestre ne peut la troubler, à moins qu’elle ne se voie en danger de perdre Dieu ou ne soit témoin d’une offense qui lui soit faite. Ni la maladie, ni la pauvreté, ni la perte de qui que ce soit par la mort ne l’affectent, sauf celle des personnes utiles à l’Église de Dieu, car l’âme comprend parfaitement que les dispositions de Dieu sont plus sages que ses propres désirs.
5. Il faut savoir qu’il existe différentes sortes de [ p. 141 ] tristesse : il y a des chagrins et des joies qui naissent d’un élan de la nature ou d’une charité qui nous fait plaindre notre prochain, comme celle ressentie par notre Sauveur lorsqu’il ressuscita Lazare d’entre les morts. [^188] Ces sentiments ne détruisent pas l’union avec la volonté de Dieu et ne troublent pas l’âme par une passion inquiète, turbulente et durable. Ils passent bientôt, car, comme je l’ai dit de la douceur dans la prière, [4] ils n’affectent pas les profondeurs de l’âme, mais seulement ses sens et ses facultés. Ils se trouvent dans les premières demeures, mais n’entrent pas dans la dernière de toutes. Est-il nécessaire, pour parvenir à ce genre d’union divine, que les puissances de l’âme soient suspendues ? Non ; Dieu a bien des moyens d’enrichir l’âme et de l’amener à ces demeures, outre ce qu’on pourrait appeler un « raccourci ». Mais soyez-en sûres, mes filles : de toute façon, le ver à soie doit mourir, et cela vous coûtera plus cher. Dans le premier cas, cette mort est facilitée par le fait de nous retrouver introduits dans une vie nouvelle ; ici, au contraire, il faut nous donner le coup de grâce. J’avoue que le travail sera beaucoup plus dur, mais il sera alors d’une plus grande valeur, de sorte que votre récompense sera plus grande si vous en sortez victorieuses ; [5] pourtant, il est incontestable qu’il vous est possible d’atteindre cette véritable union avec la volonté de Dieu.
6. Voilà l’union que j’ai désirée toute ma vie et que je prie Notre-Seigneur de m’accorder ; c’est la plus sûre et la plus sûre. Mais, hélas ! combien peu d’entre nous l’obtiennent ! Ceux qui se gardent d’offenser Dieu et qui entrent dans l’état religieux pensent qu’il n’y a plus rien à faire. Combien d’asticots restent cachés jusqu’à ce que, comme le ver qui rongeait le lierre de Jonas, [6] ils aient détruit nos vertus ! Ces fléaux sont des maux tels que l’amour-propre, l’estime de soi, le jugement téméraire des autres, même dans les petites choses, et le manque de charité qui consiste à ne pas aimer son prochain autant que soi-même. Bien que nous nous acquittions nécessairement de nos obligations pour éviter le péché, nous sommes loin de ce qu’il faut faire pour obtenir l’union parfaite avec la volonté de Dieu.
7. Que pensez-vous, mes filles, de sa volonté ? Que nous devenions parfaites et que nous soyons ainsi unies à lui et à son Père, comme il l’a demandé. [^192] Voyez donc ce qui nous manque pour y parvenir. Je vous assure qu’il m’est très pénible d’écrire sur ce sujet, car je vois combien je suis loin, par ma faute, d’avoir atteint la perfection. Nous n’avons pas besoin de recevoir de consolations particulières de Dieu pour nous conformer à sa volonté ; il a suffisamment fait en nous donnant son Fils pour nous enseigner la voie. Cela ne signifie pas que nous devions nous soumettre à la volonté de Dieu au point de ne pas nous affliger de tribulations telles que la mort d’un père ou d’un frère, ou que nous devions porter les croix [ p. 143 ] et la maladie avec joie. [7] C’est bien, mais cela vient parfois du bon sens qui, faute de pouvoir s’en empêcher, fait de nécessité vertu. Combien de fois la grande sagesse des philosophes païens les a conduits à agir ainsi dans des épreuves de ce genre ! Notre Seigneur ne nous demande que deux choses : l’amour, pour Lui et pour notre prochain ; c’est ce que nous devons nous efforcer d’obtenir. Si nous pratiquons parfaitement ces deux vertus, nous accomplirons sa volonté et serons ainsi unis à lui. Mais, comme je l’ai dit, nous sommes bien loin d’obéir et de servir parfaitement notre grand Maître dans ces deux domaines : puisse Sa Majesté nous accorder la grâce de mériter l’union avec lui ; il est en notre pouvoir de l’obtenir si nous le voulons.
8. Je crois que le signe le plus certain que nous observons ces deux commandements est que nous avons un amour sincère pour les autres. Nous ne pouvons savoir si nous aimons Dieu, bien qu’il puisse y avoir de fortes raisons de le penser, mais il ne peut y avoir de doute quant à savoir si nous aimons ou non notre prochain. [^194] Soyez sûrs qu’à mesure que vous progressez dans la charité fraternelle, vous grandissez dans votre amour pour Dieu, [8] car Sa Majesté a pour nous une affection si tendre que je ne doute pas qu’il ne récompense notre amour pour les autres en augmentant, de mille manières différentes, celui que nous lui portons. Nous devons veiller très attentivement sur nous-mêmes à cet égard, car si nous sommes irréprochables sur ce point, nous avons tout fait. Je crois que la nature humaine est si mauvaise que nous ne pourrions éprouver une charité parfaite pour notre prochain si elle n’était enracinée dans l’amour de Dieu.
9. Dans ce domaine si important, mes sœurs, soyons très vigilantes dans les petites choses, ignorant les grandes œuvres que nous projetons pendant la prière et que nous imaginons accomplir pour d’autres, peut-être même pour sauver une seule âme. Si nos actions ultérieures démentent ces grands projets, il n’y a aucune raison de penser que nous devrions agir de la sorte. J’en dis autant de l’humilité et des autres vertus. Les ruses du diable sont nombreuses ; il bouleverserait mille fois l’enfer pour nous faire croire que nous sommes meilleurs que nous ne le sommes. Il a raison, car de telles illusions sont très nuisibles ; les fausses vertus issues de cette racine s’accompagnent toujours d’une vaine gloire que l’on ne trouve pas chez celles d’origine divine, exemptes d’orgueil.
10. Il est amusant de voir des âmes qui, en prière, s’imaginent qu’elles veulent être méprisées et insultées publiquement pour l’amour de Dieu, et qui ensuite s’efforcent de cacher leurs petits défauts ; si quelqu’un les accuse injustement d’une faute, que Dieu nous délivre de leurs cris ! Que ceux qui ne supportent pas de telles choses ignorent les magnifiques projets qu’ils ont formés seuls, qui n’auraient pu être qu’une simple ruse de l’imagination, sans quoi les résultats auraient été bien différents. Le diable attaque et trompe les gens de cette manière, causant souvent de grands torts aux femmes et à d’autres personnes trop ignorantes pour comprendre la différence entre les facultés de l’âme et celles de l’imagination, et mille autres choses de ce genre. Ô sœurs ! qu’il est facile de savoir qui d’entre vous est parvenu à un amour sincère du prochain et qui en est loin. Si vous connaissiez l’importance de cette vertu, votre seul souci serait de l’acquérir.
11. Quand je vois des gens très soucieux de savoir quel genre de prière ils pratiquent, se couvrant le visage et craignant de bouger ou de penser de peur de perdre la moindre tendresse et la moindre dévotion qu’ils ressentent, je sais combien ils comprennent peu comment parvenir à l’union avec Dieu, puisqu’ils pensent que cela consiste en de telles choses. Non, mes sœurs, non ; notre Seigneur attend de nous des œuvres. Si vous voyez une sœur malade que vous pouvez soulager, [9] ne craignez pas de perdre votre dévotion ; ayez pitié d’elle ; si elle souffre, compatissez comme si c’était la vôtre et, au besoin, jeûnez pour qu’elle puisse manger, non pas tant pour elle que parce que vous savez que votre Seigneur vous le demande. Telle est la véritable union de notre volonté avec la volonté de Dieu. Si quelqu’un est bien dit, soyez plus heureuse que si c’était vous ; c’est assez facile, car si vous étiez vraiment humble, vous seriez contrariée d’être louée. C’est un grand bien de se réjouir de ce que les vertus de sa sœur soient connues et de ressentir autant de pitié pour le défaut que l’on voit en elle que si c’était le sien, en le cachant à la vue des autres.
12. J’ai souvent parlé de ce sujet ailleurs, [10] car, mes sœurs, si nous échouons en cela, je sais que tout est perdu : s’il plaît à Dieu, cela ne sera peut-être jamais notre cas. Si vous possédez la charité fraternelle, je vous assure que vous obtiendrez certainement l’union que je viens de décrire. [ p. 146 ] Si vous avez conscience de manquer de cette charité, bien que vous ressentiez de la dévotion, de la douceur et une courte absorption dans la prière de quiétude (qui vous fait croire que vous êtes parvenue à l’union avec Dieu), croyez-moi, vous n’y êtes pas encore parvenue. Priez Notre-Seigneur de vous accorder un amour parfait pour votre prochain, et laissez-lui le reste. Il vous donnera plus que vous ne savez désirer si vous vous contraignez et vous efforcez de toutes vos forces à l’obtenir, en forçant votre volonté autant que possible à se conformer en toutes choses aux souhaits de vos sœurs, bien que vous puissiez parfois perdre ainsi vos propres droits. Oubliez vos intérêts personnels pour les leurs, même si la nature se rebelle ; lorsque l’occasion se présente, chargez-vous d’en soulager votre prochain. N’imaginez pas que cela ne vous coûtera rien et que tout sera fait pour vous : pensez à ce que l’amour qu’il a porté pour nous a coûté à notre Époux, qui, pour nous libérer de la mort, a lui-même subi la mort la plus douloureuse : la mort sur la Croix.
[^187] : 140 : 4 Philippus un SS. Trinitate, l.c., p. iii. tr. je, disque. ii. art. 4.
[^188] : 141 : 5 Saint-Jean xi. 35, 36 : « Et lacrymatus est Jésus. Dixerunt ergo Judæi : Ecce quomodo amabat cum.’
[^192] : 142 : 9 Saint-Jean XVII. 22, 23 : « Ut sint unum, sicut et nos unum sumus. Ego in eis, et tu in me : ut sint consummati in unum.’ Voie de Perf. ch. xxxii. 6.
[^194] : 143 : 11 1 Saint-Jean iv. 20 : « Qui enim non diligit fratrem suum quem videt, Deum quem non videt quomodo potest diligere ? »
139:1 Vie, ch. vii. 18. Chemin de la Perfection. xli. 8. ↩︎
139:2 Vie. ch, vii. 21. ↩︎
140:3 Trouvé. ch. v. 10. « Ceux-ci n’atteindront pas la vraie liberté d’un cœur pur, ni la grâce d’une délicieuse familiarité avec Moi, à moins qu’ils ne se résignent d’abord et ne s’offrent un sacrifice quotidien à Moi : car sans cela, l’union divine n’est ni ne sera obtenue. » (Imitation, livre iii. ch. xxxvii. 4.) ↩︎
141:6 Quatrième Demeure, ch. i. 5. Cinquième Demeure, ch. i. 7. ↩︎
141:7 Voie de la Perfection. ch. xvii. 2. ↩︎
142:8 Jonas iv. 6, 7: ‘Et l’Éternel Dieu prépara un lierre, et il s’éleva au-dessus de la tête de Jonas, pour faire de l’ombre sur sa tête et pour le couvrir, car il était fatigué; et Jonas fut très heureux de ce lierre. Mais Dieu prépara un ver, au lever du jour suivant; et il frappa le lierre, et il sécha.’ ↩︎
143:10 Voie de la Perfection. ch. ix. i, 2. ↩︎
143:12 Voie de la Perf. ch. xviii. 5. ↩︎
145:13 Voie de la Perfection ch. vii. 4. ↩︎
145:14 Voie de la Perfection ch. iv. 3; vii. 4. ↩︎