TRAITE DU MÊME SUJET QUE LE CHAPITRE PRÉCÉDENT ET DÉCRIT L’ENVOL DE L’ESPRIT, QUI EST UNE AUTRE MANIÈRE PAR LAQUELLE DIEU ÉLÈVE L’ÂME : CELA EXIGE UN GRAND COURAGE POUR CELUI QUI L’EXPÉRIENCE. CETTE FAVEUR, PAR LAQUELLE DIEU DONNE DE GRANDS PLAISIRS À L’ÂME, EST EXPLIQUÉE. CE CHAPITRE EST TRÈS UTILE.
1. La fuite de l’esprit. 2. La maîtrise de soi complètement perdue. 3. Le symbole des deux citernes. 4. Les obligations qui suivent ces faveurs. 5. L’humilité qu’elles produisent. 6. Comment notre Seigneur crucifié a consolé une telle âme. 7. Une âme humble craint ces faveurs. 8. Les mystères appris pendant la fuite de l’esprit. 9. Des visions imaginaires accompagnent parfois les visions intellectuelles. 10. Comment se déroule la fuite de l’esprit. 11. L’âme fortifiée par elle. 12. Trois grandes grâces laissées dans l’âme. 13. La troisième grâce. 14. La crainte causée par cette faveur.
1. Il existe une autre forme de ravissement, qui, bien que essentiellement identique au précédent, produit cependant des sentiments très différents dans l’âme. Je l’appelle « l’envol de l’esprit », car l’âme ressent soudain un mouvement si rapide que l’esprit semble l’emporter avec une rapidité très effrayante, surtout au début. C’est pourquoi j’ai dit que l’âme à qui Dieu accorde cette faveur a besoin d’un courage inébranlable, ainsi que d’une grande foi, d’une grande confiance et d’une grande résignation, afin que Dieu puisse faire d’elle ce qu’il veut.
2. Pensez-vous qu’une personne en parfaite possession de ses sens ressente peu de consternation à voir son âme être entraînée au-dessus d’elle, alors que parfois, comme nous le lisons [ p. 199 ], même le corps s’élève avec elle ? [1] Elle ne sait pas où va l’esprit, qui l’élève, ni comment cela se produit ; car au premier instant de ce mouvement soudain, on n’est pas sûr qu’il soit causé par Dieu. Peut-on y résister ? Non ; la résistance ne fait qu’accélérer le mouvement, comme quelqu’un me l’a dit. Dieu semble maintenant enseigner à l’âme, qui s’est si souvent remise entièrement entre ses mains et s’est offerte entièrement à lui, qu’elle ne s’appartient plus ; ainsi, elle est arrachée avec plus de véhémence par son opposition. C’est pourquoi cette personne a résolu de ne pas résister plus que ne le fait une paille attirée par l’ambre (chose que vous avez peut-être vue) ; Elle s’abandonna entre les mains du Tout-Puissant, voyant qu’il est préférable de faire de nécessité vertu. À propos de paille, il est sans doute aussi facile à un homme robuste et costaud de soulever une paille qu’à notre puissant et puissant Géant d’élever notre esprit. [2]
3. Il semble que la citerne d’eau dont j’ai parlé (mais je ne me souviens plus exactement où), dans la quatrième demeure, [3] se remplissait autrefois doucement et [ p. 200 ] tranquillement, sans aucun mouvement ; mais maintenant, ce grand Dieu qui retient les sources et les eaux et ne permet pas à l’océan de franchir ses limites, [4] libère les ruisseaux, qui, avec un puissant élan, se jettent dans la citerne et une vague puissante s’élève, assez forte pour soulever le petit vaisseau de notre âme. Ni le navire lui-même, ni son pilote et ses marins ne peuvent, à leur choix, maîtriser la fureur de la mer et l’empêcher d’emporter le bateau où il veut : l’intérieur de l’âme ne peut encore moins rester où il veut ni forcer ses sens ou ses facultés à agir plus que ne le décrète Celui qui les tient sous sa domination ; quant aux pouvoirs extérieurs, ils sont ici tout à fait inutiles.
4. Je suis vraiment stupéfaite, mes sœurs, rien qu’en écrivant sur cette manifestation de l’immense pouvoir de ce grand Roi et Monarque. Alors, que doivent ressentir ceux qui en font l’expérience ? Je suis convaincue que si Sa Majesté se révélait ainsi aux plus grands pécheurs de la terre, ils n’oseraient plus jamais l’offenser, sinon par amour, du moins par crainte de lui. Quelles obligations imposent à ceux qui reçoivent un enseignement aussi sublime de s’efforcer de toutes leurs forces de ne pas déplaire à un tel Maître ! En son nom, je vous supplie, mes sœurs, qui avez reçu ces faveurs ou d’autres semblables, de ne pas vous contenter de les recevoir, mais de vous rappeler que celle qui doit beaucoup a beaucoup à payer. [5]
5. Cette pensée terrifie profondément l’âme : si Notre Seigneur ne lui donnait pas le courage nécessaire, elle souffrirait une douleur profonde et constante ; car, considérant d’abord ce que Sa Majesté a fait pour elle, puis pour elle-même, elle voit combien peu de bien elle a fait comparé à ce qu’elle était tenue de faire, et que le service mesquin qu’elle a rendu était plein de fautes, d’échecs et de tiédeur. Pour effacer le souvenir des nombreuses imperfections de toutes ses bonnes actions (si tant est qu’elle en ait jamais accomplies), elle pense qu’il vaut mieux les oublier complètement et se souvenir constamment de ses péchés, s’en remettant à la miséricorde de Dieu, puisqu’elle ne peut lui rembourser sa dette, et implorant sa pitié et sa compassion envers les pécheurs.
6. Peut-être répondra-t-il à une femme agenouillée devant un crucifix, profondément affligée, car elle sentait qu’elle n’avait jamais rien eu à offrir à Dieu ni à sacrifier pour lui. Le Crucifié la consola en lui disant qu’il lui avait donné toutes les peines et tous les travaux qu’il avait supportés dans sa passion, afin qu’elle les offre à son Père comme siens. [6] J’ai appris d’elle qu’elle se sentit aussitôt réconfortée et enrichie par ces paroles qu’elle n’oublie jamais, mais qu’elle se rappelle chaque fois qu’elle se rend compte de sa propre misère et se sent encouragée et consolé. Je pourrais raconter plusieurs autres incidents du même genre, appris au cours de conversations avec de nombreuses saintes personnes adonnées à la prière, mais je ne les raconterai pas, de peur que vous ne pensiez qu’ils me concernent.
7. Je trouve cet exemple très instructif ; il montre que nous plaisons à Notre-Seigneur par la connaissance de nous-mêmes, par le souvenir constant de notre pauvreté et de nos misères, et par la conscience que nous ne possédons que ce que nous avons reçu de Lui. [7] Il faut donc du courage, mes sœurs, pour recevoir cette faveur et bien d’autres qui viennent à une âme élevée à cet état par Notre-Seigneur ; je pense que si l’âme est humble, elle a besoin de plus de courage que jamais pour cette dernière miséricorde. Que Dieu nous accorde l’humilité pour l’amour de son nom.
8. Pour revenir à ce ravissement soudain de l’esprit. L’âme semble réellement avoir quitté le corps, qui pourtant n’est pas inerte, et bien que, d’un autre côté, la personne ne soit certainement pas morte, elle-même ne peut, pendant quelques secondes, dire si son esprit est resté dans son corps ou non. [8] Elle se sent transportée dans une région différente de celle où nous vivons, où se révèle une lumière si surnaturelle [9] que, si elle avait essayé toute sa vie de se la représenter et de se représenter les merveilles qu’elle a vues, elle n’y serait pas parvenue. En un instant, son esprit apprend tant de choses à la fois que, même si l’imagination et l’intellect passaient des années à s’efforcer de les énumérer, ils ne pourraient s’en souvenir de la millième partie.
9. Cette vision n’est pas intellectuelle mais imaginaire et est perçue par les yeux de l’âme plus clairement [ p. 203 ] que les choses terrestres ne le sont par nos yeux corporels. Bien qu’aucun mot ne soit prononcé, l’esprit reçoit de nombreuses vérités ; par exemple, s’il contemple l’un des saints, il le connaît immédiatement aussi bien que s’il le connaissait intimement depuis des années. [10] Parfois, outre ce que les yeux de l’âme perçoivent dans la vision intellectuelle, d’autres choses lui sont montrées. Dans une vision imaginaire, elle voit généralement notre Seigneur accompagné d’une armée d’anges ; pourtant, ni les yeux corporels ni les yeux de l’âme [11] ne voient rien, car ces visions et bien d’autres choses impossibles à décrire sont révélées par une intuition merveilleuse que je ne peux expliquer. Peut-être que ceux qui ont expérimenté cette faveur et qui possèdent plus de capacités que moi pourront la décrire, bien que cela me semble une tâche très difficile.
10. Je ne puis dire si l’âme demeure ou non dans le corps pendant ce temps ; je n’affirmerais ni qu’elle y demeure, ni que le corps en soit privé. J’ai souvent pensé que, de même que le soleil, bien que ne quittant pas sa place dans le ciel, a néanmoins le pouvoir d’atteindre instantanément la terre, de même l’âme et l’esprit, qui ne font qu’un (comme le soleil et ses rayons), peuvent, tout en restant à leur place, par la force de l’ardeur qui leur vient du vrai Soleil de Justice, en élever une partie supérieure. En fait, je ne comprends pas ce que je dis, mais la vérité est qu’avec la rapidité d’une balle tirée [ p. 204 ] d’un fusil, un essor s’opère à l’intérieur de l’âme. (Je ne connais pas d’autre nom pour cela que « fuite ».) Bien que silencieux, c’est un mouvement trop manifeste pour être une illusion [12] et l’âme est tout à fait hors d’elle-même ; c’est du moins l’impression qu’elle en ressent. De grands mystères lui sont révélés entre-temps, et lorsque la personne reprend conscience, elle en tire un tel bénéfice qu’elle considère tous les biens de ce monde comme de la saleté comparés à ce qu’elle a vu. Désormais, la vie terrestre lui est pénible et ce qui lui plaisait autrefois reste désormais insouciant et inaperçu [13].
11. Les enfants d’Israël qui furent envoyés les premiers en Terre promise en rapportèrent des témoignages ; [14] ainsi, notre Seigneur semble chercher ici à montrer à l’âme quelque chose du pays vers lequel elle se dirige, à lui donner le courage de traverser les épreuves de son pénible voyage, maintenant qu’elle sait où elle doit aller pour trouver le repos. Vous pouvez imaginer qu’un tel profit ne pourrait être obtenu si rapidement, mais seuls ceux qui ont expérimenté les bienfaits remarquables que cette faveur laisse dans l’âme peuvent en comprendre la valeur.
12. Ceci montre clairement qu’il ne s’agit pas d’une œuvre du diable ; ni l’imagination ni le malin ne pourraient se représenter ce qui laisse tant de paix, de calme et de bons fruits dans l’âme, et en particulier les trois grâces suivantes, d’un ordre très élevé. [15] La première est une perception de la grandeur de Dieu, qui devient plus claire pour nous à mesure que nous en sommes témoins. Deuxièmement, nous acquérons la connaissance de soi et l’humilité en voyant comment des créatures aussi basses que nous, comparées au Créateur de telles merveilles, ont osé l’offenser dans le passé ou osent le contempler maintenant.
13. La troisième grâce est le mépris de toutes les choses terrestres, à moins qu’elles ne soient consacrées au service d’un Dieu si grand. De tels joyaux, l’Époux commence à parer son Épouse ; ils sont trop précieux pour qu’elle les garde sans soin. [16] Ces visions sont si profondément gravées dans sa mémoire qu’elle ne pourra jamais les oublier avant d’en jouir à jamais, car cela serait le plus grand des malheurs. [17] Mais l’Époux qui lui a fait ces dons a le pouvoir de lui accorder la grâce de ne pas les perdre.
14. Je vous ai dit que l’âme avait besoin de courage. Pensez-vous que ce soit une mince affaire pour l’esprit de se sentir littéralement séparé du corps, comme il le fait lorsqu’il perçoit qu’il perd la raison sans en comprendre la raison ? Il est nécessaire que [ p. 206 ] Celui qui donne tout le reste inclue la force d’âme. Vous direz que cette peur est bien récompensée, et je le dis aussi. Que Celui qui peut accorder de telles grâces soit à jamais loué et que Sa Majesté daigne nous rendre dignes de le servir. Ainsi soit-il.
199:2 Vie, ch. xx. 9. Saint Jean de la Croix, Cantique spirituel, strophes xiv.-xv. 23 sqq. Philippus a SS. Trinit. l.c. p. iii. tr. i. disc. iii. art. 3. ‘Cette prière de ravissement est supérieure aux degrés de prière précédents, ainsi qu’à la prière ordinaire d’union, et laisse des effets et des opérations bien plus excellents de bien d’autres manières.’ Sainte Catherine de Sienne (Dialogue, ch. lxxix. 1) dit : 'C’est pourquoi, souvent, par l’union parfaite que l’âme a faite avec moi, elle est élevée de la terre presque comme si le corps lourd devenait léger. Mais cela ne signifie pas que la lourdeur du corps est enlevée, mais que l’union de l’âme avec moi est plus parfaite que l’union du corps avec l’âme ; c’est pourquoi la force de l’esprit, unie à moi, élève le corps de la terre. (Traduit par Algar Thorold.) ↩︎
199:3 Vie, ch. xxii. 20. ↩︎
199:4 Château, M. iv. ch. ii. 3. ↩︎
200:5 Prov. viii. 29 . ↩︎
200:6 St. Luc xii. 48: « À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup, et à qui l’on a beaucoup confié, on demandera davantage. » ↩︎
201:7 Rel. ix. 8. Cela s’est passé à Séville en 1575 ou 1576. ↩︎
202:8 1 Cor. iv. 7: « Mais qu’as-tu que tu n’aies reçu ? » ↩︎
202:9 2 Cor. 12. 2: « Si ce sera dans le corps, je ne sais pas, ou hors du corps, je ne sais pas, Dieu le sait. » ↩︎
202:10 Ceci est appelé « lumen prophetiæ » et est une forme transitoire de la « lumen gloriæ ». Voir saint Thomas d’Aquin, Sum. theol. 2a 2æ, q. 175, art. 3 ad 2. ↩︎
203:11 On raconte la même chose de certains saints lorsqu’ils étaient sur terre, par exemple saint Paul le premier ermite et saint Antoine, qui se saluaient par leur nom bien qu’ils ne se connaissaient pas et n’aient pas entendu parler de l’autre. ↩︎
203:12 Ces paroles, bien que nécessaires au contexte, n’ont été que commencées, mais non complétées par sainte Thérèse. ↩︎
204:13 Vie, ch. xx. 32. Château, M. iv. ch. i. 10. ↩︎
204:14 Comparer §§ 8-10 avec Philippus a SS. Trinitate, l.c. p. iii. tr. i. disc. iii. art. 3.
« J’ai souvent pensé, si comme le soleil étant dans le ciel, ses rayons ont une telle force que sans bouger de là, ils arrivent rapidement ici ; si l’âme et l’esprit (qui ne font qu’un, comme le soleil et ses rayons) peuvent, tout en restant à leur place, avec la force de chaleur qui leur vient du vrai Soleil de Justice, quelque partie supérieure émerger au-dessus d’elle-même. Eh bien, je ne sais pas ce que je dis, ce qui est vrai, c’est qu’avec la vitesse à laquelle une balle sort d’une arquebuse, lorsqu’elle est tirée, une volée se lève à l’intérieur (que je ne connais pas d’autre nom pour lui donner) qui, bien qu’elle ne fasse aucun bruit, fait un mouvement si clair qu’il ne peut s’agir en aucun cas d’un caprice ; et bien au-delà d’elle-même, à tout ce qu’elle peut comprendre, de grandes choses lui sont montrées. ↩︎
204:15 Nombre. xiii. 24. ↩︎
205:16 Vie, ch. xx. 31. Les mêmes distinctions concernant les locutions divines et diaboliques peuvent être trouvées dans Vie, ch. xxv. 5. ↩︎
205:17 « Il a ceint ma main droite et mon cou de pierres précieuses ; Il a déposé des perles inestimables à mes oreilles. Du Bureau de St. Agnès. ↩︎
205:18 C’est sans aucun doute la traduction correcte de ce passage difficile et obscur. ↩︎