TRAITE DU MÊME SUJET : EXPLIQUE, PAR QUELQUES COMPARAISONS DÉLICATEMENT FAITES, LA DIFFÉRENCE ENTRE L’UNION SPIRITUELLE ET LE MARIAGE SPIRITUEL.
1. Les noces spirituelles introduites par une vision imaginaire. 2. Les fiançailles spirituelles et le mariage diffèrent. 3. Le mariage spirituel est durable. 4. Les fiançailles moins spirituelles. 5. Le mariage spirituel est permanent. 6. Saint Paul et le mariage spirituel. 7. La joie de l’âme dans l’union. 8. Sa conviction de la présence de Dieu. 9. Sa paix. 10. La prière du Christ pour l’union divine de l’âme. 11. Son accomplissement. 12. La paix inaltérable de l’âme dans la septième Demeure. 13. À moins que cela n’offense Dieu. 14. Les luttes en dehors de la septième Demeure. 15. Comparaisons expliquant cela.
1. Nous en venons maintenant à parler des noces divines et spirituelles, bien que cette faveur sublime ne puisse être reçue dans toute sa perfection durant notre vie présente, car en abandonnant Dieu ce grand bien serait perdu. La première fois que Dieu accorde cette grâce, il se révèle à l’âme, par une vision imaginaire de sa très sainte Humanité, afin qu’elle comprenne et réalise le don souverain qu’elle reçoit. Il peut se manifester d’une manière différente aux autres personnes ; la personne dont j’ai parlé, après avoir reçu la sainte Communion, vit Notre-Seigneur, plein de splendeur, de beauté et de majesté, tel qu’il était après sa résurrection. [1] Il lui dit qu’elle devait désormais s’occuper de ses affaires comme des siennes et qu’il s’occuperait des siennes : il dit d’autres paroles qu’elle comprit mieux qu’elle ne put les répéter. Cela peut ne pas sembler nouveau, car Notre-Seigneur s’était déjà révélé à elle à d’autres reprises ; [2] mais celle-ci était si différente qu’elle la laissa perplexe et stupéfaite, à la fois à cause de la vivacité de ce qu’elle voyait et des paroles entendues à ce moment-là, et aussi parce que cela se passait dans l’intérieur de l’âme où, à l’exception de celle-ci, aucune autre vision n’avait été vue.
2. Vous devez comprendre qu’il existe une grande différence entre les visions vues dans cette demeure et dans les précédentes ; il y a la même distinction entre les fiançailles spirituelles et le mariage spirituel qu’entre des personnes qui sont simplement fiancées et d’autres qui sont unies pour toujours par le saint mariage. Je vous ai dit [3] que, bien que je fasse cette comparaison parce qu’il n’y en a pas de plus appropriée, ces fiançailles n’ont pas plus de rapport avec notre condition corporelle que si l’âme était un esprit désincarné. Cela est encore plus vrai du mariage spirituel, car cette union secrète a lieu au plus profond de l’âme, où Dieu lui-même doit demeurer : je crois qu’aucune porte n’est nécessaire pour y entrer. Je dis : « aucune porte [ p. 271 ] est nécessaire, car tout ce que j’ai décrit jusqu’ici semble passer par les sens et les facultés, comme doit l’être la représentation de l’humanité de Notre-Seigneur. Mais ce qui se passe lors des noces spirituelles est bien différent. Ici, Dieu apparaît au centre de l’âme, non par une vision imaginaire, mais par une vision intellectuelle bien plus mystique que celles vues auparavant, tout comme il apparut aux Apôtres sans avoir franchi la porte, lorsqu’il dit : « Pax vobis ». [4]
3. Si mystérieux est le secret et si sublime la faveur que Dieu accorde ainsi instantanément à l’âme, qu’elle en ressent une joie suprême, qu’il suffit de dire que Notre-Seigneur daigne pour un instant lui révéler sa gloire céleste d’une manière bien plus subtile que par une vision ou une joie spirituelle. Autant qu’on puisse le comprendre, l’âme, je veux dire l’esprit de cette âme, est unie à Dieu [5] qui est lui-même esprit, et qui a daigné montrer à certaines personnes jusqu’où s’étend son amour pour nous, afin que nous puissions louer sa grandeur. Il a ainsi daigné s’unir à sa créature : il s’est lié à elle aussi étroitement que deux êtres humains sont unis par le mariage et ne se séparera jamais d’elle.
q… Les fiançailles spirituelles sont différentes et, comme la grâce de l’union, elles sont souvent dissoutes ; car bien que deux choses ne fassent plus qu’une par l’union, la séparation est encore possible et chaque partie reste alors une chose à part. Cette faveur passe généralement rapidement, et ensuite l’âme, pour autant qu’elle le sache, reste sans Sa compagnie. [ p. 272 ] 5. Il n’en est pas de même dans le mariage spirituel avec notre Seigneur, où l’âme reste toujours en son centre avec son Dieu. L’union peut être symbolisée par deux bougies de cire, dont les extrémités se touchent si étroitement qu’il n’y a qu’une seule lumière ; ou encore, la mèche, la cire et la lumière ne font plus qu’une, mais une bougie peut à nouveau être séparée de l’autre et les deux bougies restent distinctes ; ou encore la mèche peut être retirée de la cire. Mais le mariage spirituel est comme la pluie tombant du ciel dans une rivière ou un ruisseau, devenant un seul et même liquide, de sorte que l’eau de la rivière et celle de la pluie ne peuvent être séparées ; ou il ressemble à un ruisseau se jetant dans l’océan, et qui ne peut plus s’en séparer. Ce mariage peut aussi être comparé à une pièce où pénètre une lumière vive par deux fenêtres ; bien que divisée en entrant, la lumière devient une seule et même lumière.
7. Cela devient plus manifeste par ses effets à mesure que le temps passe, car l’âme apprend que c’est Dieu qui lui donne la « vie », par certaines intuitions secrètes trop fortes pour être mal comprises et ressenties intensément, bien qu’impossibles à décrire. Celles-ci produisent des sentiments si envahissants que la personne qui les éprouve ne peut s’empêcher de s’exclamer amoureusement, telles que : « Ô Vie de ma vie, et Puissance qui me soutiens ! » avec d’autres aspirations du même genre. [6] Car du sein de la Divinité, où Dieu semble toujours tenir fermement cette âme enserrée, coulent des flots de lait qui réconfortent les serviteurs du château. Je pense qu’il désire qu’ils partagent, d’une manière ou d’une autre, les richesses dont l’âme jouit ; c’est pourquoi, du fleuve qui coule dans lequel le petit ruisseau est englouti, quelques gouttes d’eau coulent de temps à autre pour soutenir les forces corporelles, les serviteurs de l’épouse et de l’époux.
8. Une personne plongée dans l’eau sans prévenir ne pourrait manquer de s’en apercevoir ; le cas est ici le même, mais plus évident encore. Une quantité d’eau ne pourrait tomber sur nous que si elle provenait d’une source quelconque. L’âme est donc certaine qu’il doit y avoir en elle quelqu’un qui lance ces dards et vivifie sa propre vie, et qu’il existe un Soleil d’où cette lumière éclatante jaillit de l’intérieur de l’esprit vers ses facultés.
9. L’âme elle-même, comme je l’ai dit, ne quitte jamais ce centre, ni ne perd la paix que celui qui l’a donnée aux Apôtres lorsqu’ils étaient assemblés. [7] Je pense que cette salutation de Notre-Seigneur a une signification bien plus profonde que ne le disent les mots, comme aussi son ordre à la glorieuse Madeleine d’aller en paix. [8] Les paroles de Notre-Seigneur agissent en nous, [9] et, dans ces cas, elles doivent avoir produit leur effet dans les âmes déjà disposées à bannir d’elles-mêmes tout ce qui est corporel et à ne conserver que le spirituel, afin de s’unir dans cette union céleste à l’Esprit incréé. Sans aucun doute, si nous nous vidons de tout ce qui appartient à la créature, nous en privant par amour de Dieu, ce même Seigneur nous remplira de lui-même.
11. Que Dieu me vienne en aide ! Combien ces paroles sont vraies, et combien elles sont clairement comprises par l’âme qui, dans cet état de prière, les trouve accomplies en elle-même ! Nous devrions tous faire de même, sauf par notre faute, car les paroles de Jésus-Christ, notre Roi et notre Seigneur, ne peuvent faillir. C’est nous qui manquons en ne nous disposant pas convenablement, ni en n’éliminant tout ce qui peut obstruer cette lumière, [ p. 275 ], de sorte que nous ne nous contemplons pas dans ce miroir où notre image est gravée. [10]
12. Pour revenir à ce que je disais, Dieu place l’âme dans sa demeure, au centre même de l’âme. On dit que les cieux empyréens, où réside notre Seigneur, ne tournent pas avec le reste : ainsi, les mouvements habituels des facultés et de l’imagination ne semblent pas se produire de manière à nuire à l’âme ou à troubler sa paix.
13. Est-ce que je veux dire qu’après que Dieu a amené l’âme jusque-là, elle est certaine d’être sauvée et de ne plus pouvoir pécher ? [11] Je ne veux pas dire cela : chaque fois que je dis que l’âme semble en sécurité, cela signifie aussi longtemps que Sa Majesté la garde sous sa garde et qu’elle ne l’offense pas. En tout cas, je sais avec certitude que, bien qu’une telle personne soit consciente de l’état élevé dans lequel elle se trouve et y soit restée plusieurs années, elle ne se croit pas en sécurité, mais est plus que jamais soucieuse d’éviter la moindre offense à Dieu. Comme je l’expliquerai plus tard, elle est très désireuse de le servir et ressent une douleur et une confusion constantes en voyant combien peu elle peut faire pour lui par rapport à tout ce qu’elle devrait. Ce n’est pas une croix légère, mais une lourde mortification, car plus les pénitences qu’elle peut accomplir sont dures, plus elle est satisfaite. Sa plus grande pénitence est d’être privée par Dieu de la santé et de la force nécessaires pour accomplir quoi que ce soit. Je vous ai dit ailleurs quelle vive douleur cela lui causait, mais maintenant elle est bien plus affligée. Cela doit être dû au fait qu’elle est comme un arbre greffé sur un cep poussant près d’un ruisseau, ce qui le rend plus vert et plus fertile. [^418] Pourquoi s’étonner des aspirations de cette âme dont l’esprit ne fait plus qu’un avec l’eau céleste que j’ai décrite ?
14. Pour revenir à ce que j’ai écrit, il n’est pas prévu que les pouvoirs, les sens et les passions jouissent continuellement de cette paix. L’âme en jouit, certes, mais dans les autres domaines, il y a encore des moments de lutte, de souffrance et de fatigue, bien qu’en règle générale, la paix ne s’y perde pas. Ce « centre de l’âme » ou « esprit » est si difficile à décrire [ p. 277 ], ou même à y croire, que je pense, mes sœurs, que mon incapacité à expliquer ce que je veux dire vous épargne la tentation de ne pas me croire ; il est difficile de comprendre comment il peut y avoir des croix et des souffrances et pourtant la paix dans l’âme.
15. Laissez-moi vous donner une ou deux comparaisons – Dieu veuille qu’elles soient utiles ; sinon, je sais que ce que je dis est vrai. Un roi réside dans son palais ; de nombreuses guerres et désastres ont lieu dans son royaume, mais il reste sur son trône. De même, bien que les tumultes et les bêtes sauvages fassent rage avec fracas dans les autres demeures, rien de tout cela n’entre dans la septième demeure, ni n’en chasse l’âme. Bien que l’esprit regrette ces troubles, ils ne le troublent pas et ne lui volent pas sa paix, car les passions sont trop maîtrisées pour oser y pénétrer, où elles ne feraient que subir une défaite supplémentaire. Bien que le corps tout entier souffre, la tête, si elle est saine, n’en souffre pas. Je souris à ces comparaisons – elles ne me plaisent pas – mais je n’en trouve pas d’autres. Pensez-en ce que vous voulez – je vous ai dit la vérité.
[^407] : 272 : 6 1 Cor. vi. 17 : « Qui adhæret Domino unus spiritus est. »
[^408] : 272 : 7 Philippe. je. 21 : « Mihi vivere Christus est, et mori lucrum. »
[^413] : 274 : 12 Saint-Jean XVII. 2 Moi : « Ut omnes unum sint, sicut tu Pater en moi, et ego in te, ut et ipsi in nobis unum sint ».
[^414] : 274 : 13 Saint-Jean XVII. 20 : « Non pro eis autem rogo tantum, sed et pro eis, qui credituri sunt per verbum eorum in me. »
[^415] : 274 : 14 Saint-Jean XVII. 2 3 : ‘Ego en eis.’
Elle a reçu une telle assurance de parvenir un jour à la jouissance de Dieu qu’elle s’imagine presque l’avoir déjà possédé, sans toutefois la joie qui l’accompagnera. Elle est dans la même situation que celui qui, par contrat légal, a reçu une propriété splendide qui deviendra sienne et dont il jouira des fruits à une date donnée. Jusque-là, il n’en détient que les titres de propriété, sans pouvoir en prendre possession. Néanmoins, mon âme ne désire pas entrer immédiatement en possession de Dieu, car elle ne croit pas avoir mérité une telle grâce. Elle désire seulement continuer à le servir, même au prix de terribles souffrances. Elle ne verrait pas d’inconvénient à le servir ainsi jusqu’à la fin du monde, après avoir reçu un tel gage. Saint Jean de la Croix, traitant de ce sujet (Spir. p. 276 Cant. strophe xxii. 3) dit : « Je crois qu’aucune âme n’atteint jamais cet état sans y être confirmée en grâce. » Voir aussi Ribera, dans les Acta Ss. p. 554, circa finem.
[^418] : 276:17 Ps. je. 3 : « Et erit tamquam lignum quod plantatum est secus decursus aquarum, quod fructum suum dabit in tempore suo. »
270:1 Rel. iii. 20; ix. 8 et 25. ↩︎
270:2 Vie, ch. xxxix. 29. ↩︎
270:3 Château, M. v. ch. iv. 1. ↩︎
271:4 Saint Jean xx. 19. ↩︎
271:5 Rel. xi. 1. sqq. ↩︎
273:8 De telles exclamations, en nombre considérable, forment le Livre des Exclamations publié par Fray Luis de León. De Fuente pense qu’il a été écrit en 1569, mais comme les fiançailles spirituelles de sainte Thérèse ont eu lieu le 18 novembre 1572, il semble, au moins en partie, postérieur. Les noces spirituelles doivent être situées entre l’année susmentionnée et mai 1575, mais il est impossible d’en déterminer la date exacte. (Pour les Exclamations, voir Œuvres mineures). ↩︎
273:9 Saint Jean xx. 19. ↩︎
274:10 Saint Luc vii. 50. ↩︎
274:11 Supra, M. vi. ch. iii. 6. Vie, ch. xxv. 5. ↩︎
275:15 Cette idée est exprimée dans le poème de sainte Thérèse : Alma, buscarte has en Mi’ (Poème 10, Œuvres mineures).
Telle est la puissance de l’amour, ô âme,
Pour te peindre dans mon cœur
Aucun artisan avec un tel art
Quelle que soit sa compétence, pourrait-il y avoir
Transmets ainsi ton image !
C’est l’amour qui t’a donné la vie.
Alors, belle, si tu es
Perdu pour toi-même, tu verras
Ton portrait estampillé sur mon sein—
Âme, cherche-toi en Moi. ↩︎
275:16 Dans une lettre datée de mai 1581, adressée à Don Alonso Velasquez, alors évêque d’Osma, sainte Thérèse écrit ce qui suit : ↩︎