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LES GRANDS FRUITS PRODUITS PAR LA PRIÈRE SUSMENTIONNÉE. LA MERVEILLEUSE DIFFÉRENCE ENTRE CES EFFETS ET CEUX DÉCRITS PRÉCÉDEMMENT DOIT ÊTRE SOIGNEUSEMENT ÉTUDIE ET RETENUE.
1. Effets des dernières grâces reçues. 2. L’âme ne se soucie que de l’honneur de Dieu. 3. Mais elle accomplit toujours ses devoirs. 4. Autres fruits de ces faveurs. 5. Le désir fervent de l’âme de servir Dieu. 6. Le Christ habite en cette âme. 7. Et la rappelle à la ferveur si elle est négligente. 8. Le soin constant de Dieu pour de telles âmes. 9. Leur paix et leur silence. 10. Peu d’extases dans les Septièmes Demeures. 11. Raisons probables de cela. 12. Allusions dans la Sainte Écriture à cet état. 13. Vigilance de telles âmes. 14. Croix souffertes dans cet état.
1. Le petit papillon est mort avec la plus grande joie d’avoir enfin trouvé le repos, et maintenant le Christ vit en lui. [1] Voyons la différence entre sa vie présente et sa vie passée, car les effets prouveront si ce que je vous ai dit était vrai. Pour autant que l’on puisse en être certain, voici ce qu’il en est : d’abord, un oubli de soi si complet qu’elle semble réellement ne pas exister, comme je l’ai dit, [2] car une telle transformation s’est opérée en elle qu’elle ne se reconnaît plus ; elle ne se souvient plus que le ciel, la vie ou la gloire lui appartiennent, mais semble entièrement occupée à rechercher les intérêts de Dieu. Apparemment, les paroles prononcées par Sa Majesté ont fait leur effet : « Elle devait s’occuper de ses affaires, et Il s’occuperait des siennes. » [3]
2. Ainsi, elle ne se soucie de rien, quoi qu’il arrive, mais vit dans un oubli si étrange que, comme je l’ai dit, elle semble ne plus exister, et elle ne souhaite pas être de quelque importance en quoi que ce soit — en quoi que ce soit ! à moins qu’elle ne voie qu’elle peut faire avancer, si peu que ce soit, l’honneur et la gloire de Dieu, pour lesquels elle mourrait très volontiers.
3. Ne croyez pas, mes filles, qu’elle néglige de manger et de boire, bien que cela lui cause un grand tourment, ou d’accomplir les devoirs de son état. Je parle de son intérieur ; quant à ses actions extérieures, il y a peu à dire, car sa principale souffrance est de voir qu’elle n’a presque plus la force de faire quoi que ce soit. Car pour rien au monde elle ne manquerait de faire tout ce qu’elle peut pour honorer Notre Seigneur.
4. Le second fruit est un ardent désir de souffrance, bien que cela ne trouble pas sa paix comme auparavant, car le désir ardent de ces âmes de voir la volonté de Dieu s’accomplir en elles les fait acquiescer à tout ce qu’il fait. S’il veut qu’elle souffre, elle est contente ; sinon, elle ne se tourmente plus à mort à ce sujet comme elle le faisait autrefois. Elle ressent une grande joie intérieure lorsqu’elle est persécutée, et est bien plus paisible que dans son état précédent en de telles circonstances : elle ne garde aucune rancune contre ses ennemis et ne leur souhaite aucun mal. Au contraire, elle les aime particulièrement, est profondément affligée de les voir dans l’adversité et fait tout ce qu’elle peut pour les soulager, [4] intercédant sincèrement auprès de Dieu en leur faveur. Elle serait heureuse de renoncer aux faveurs que Sa Majesté lui témoigne, si elles pouvaient être accordées à ses ennemis, afin qu’ils n’offensent pas Notre Seigneur. [ p. 280 ] 5. Ce qui me surprend le plus, c’est que la tristesse et la détresse que ces âmes ressentaient de ne pouvoir mourir et jouir de la présence de Notre-Seigneur [5] soient maintenant remplacées par un désir tout aussi fervent de le servir, de le faire louer et d’aider les autres de tout leur pouvoir. Non seulement elles ont cessé de désirer la mort, mais elles souhaitent une longue vie et de très lourdes croix, si cela devait apporter tant soit peu d’honneur à Notre-Seigneur. Ainsi, si elles savaient avec certitude qu’immédiatement après avoir quitté leur corps, leurs âmes jouiraient de Dieu, cela ne leur ferait aucune différence, et elles ne pensent pas non plus à la gloire dont jouissent les saints, et ne désirent pas la partager. De telles âmes soutiennent que leur gloire consiste à aider, de quelque manière que ce soit, Celui qui a été crucifié, d’autant plus qu’elles voient combien les hommes l’offensent et combien peu, détachés de tout le reste, se soucient uniquement de son honneur. Il est vrai que les gens dans cet état l’oublient parfois et sont saisis d’un tendre désir de jouir de Dieu et de quitter cette terre d’exil, surtout lorsqu’ils voient combien peu ils le servent. Puis, rentrant en eux-mêmes et réfléchissant combien ils le possèdent continuellement dans leur âme, ils se satisfont, offrant à Sa Majesté leur volonté de vivre comme l’oblation la plus précieuse qu’ils puissent faire. [6] Ils ne craignent pas plus la mort qu’une délicieuse extase.
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7. Une telle âme, complètement détachée de tout, désire être toujours seule ou occupée à ce qui profite aux âmes d’autrui : elle ne ressent ni sécheresse ni troubles intérieurs, mais un souvenir constant et tendre de Notre-Seigneur qu’elle désire louer sans cesse. Lorsqu’elle devient négligente, le même Seigneur l’excite de la manière que je vous ai dite, et il est facile de voir que cette impulsion (je ne sais quel terme lui donner) vient de l’intérieur de l’âme, comme les anciens désirs impétueux. [7] On la ressent maintenant très doucement, mais elle n’est produite ni par l’intellect ni par la mémoire, et il n’y a aucune raison de croire que l’âme elle-même y participe. Ceci est si habituel et si fréquent que quiconque a été dans cet état l’a sûrement remarqué. Si grand soit un feu, la flamme ne brûle jamais vers le bas, mais vers le haut, et on voit donc que ce mouvement vient du centre de l’âme dont elle excite les forces. En effet, si cette manière de prier ne nous apportait rien d’autre que la connaissance du soin particulier que Dieu prend à se communiquer à nous et de la manière dont il nous supplie de demeurer avec lui (car je ne peux en effet le décrire autrement), je pense que, pour l’amour de ces douces et pénétrantes touches de son amour, toutes nos souffrances passées seraient bien dépensées.
8. Vous l’aurez appris par expérience, mes sœurs, car je pense que lorsque Notre-Seigneur nous a amenées à la prière d’union, Il veille sur nous de cette manière, à moins que nous ne négligeions d’observer Ses commandements. Lorsque ces impulsions vous sont données, rappelez-vous qu’elles viennent du plus profond de notre être, là où Dieu habite dans nos âmes. Louez-Le avec ferveur, car c’est Lui qui vous envoie ce message, ou cette lettre d’amour, si tendrement écrit, et dans un code que vous seules pouvez comprendre et savoir ce qu’Il demande. Ne négligez en aucun cas de répondre à Sa Majesté, même si vous êtes occupées extérieurement et engagées dans une conversation. Notre-Seigneur se plaira peut-être souvent à vous témoigner cette faveur secrète en public ; mais il est très facile, comme la réponse doit être entièrement intérieure, de répondre par un at d’amour ou de demander avec saint Paul : « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? » [8] Jésus vous montrera de bien des manières comment lui plaire. C’est un moment propice, car il semble nous écouter et l’âme est presque toujours disposée, par ce contact délicat, à répondre avec une détermination généreuse. [9] Comme je vous l’ai dit, cette demeure diffère des autres en ce que, comme je l’ai dit, [10] la sécheresse et le trouble ressentis parfois dans toutes les autres n’y pénètrent presque jamais, où l’âme est presque toujours calme. Elle ne craint pas que cette sublime faveur puisse être contrefaite par le diable, mais ressent une conviction profonde qu’elle est d’origine divine car, comme nous l’avons dit plus haut, rien n’est perçu ici par les sens ou les facultés sans que Sa Majesté ne se révèle à l’esprit qu’il prend pour être avec lui dans un lieu où je ne doute pas que le diable n’ose pas entrer, et notre Seigneur ne le lui permettrait jamais.
9. Toutes les grâces divinement accordées à l’âme ici-bas ne proviennent, comme je l’ai dit, d’aucun Lion qui lui soit propre, si ce n’est de son abandon total à Dieu. Elles sont données dans la paix et le silence, comme lors de la construction du Temple de Salomon, où aucun bruit ne se faisait entendre. [11] Il en est de même pour ce temple de Dieu, cette demeure où Lui et l’âme se réjouissent l’un de l’autre, seuls, dans un profond silence. L’esprit n’a besoin ni d’agir ni de chercher quoi que ce soit, car le Seigneur qui l’a créé désire qu’il soit en repos et qu’il observe seulement, à travers une petite fente, ce qui se passe en lui. Bien qu’il lui arrive de ne pas le voir, ces intervalles sont très courts, je crois, car les pouvoirs ne sont pas perdus ici, mais cessent seulement d’agir, comme hébétés par l’étonnement.
10. Moi aussi, je m’étonne de voir que, lorsque l’âme arrive à cet état, elle n’entre en extase que rarement, peut-être ; même alors, elles ne ressemblent plus aux transes et aux envols de l’esprit d’autrefois, et elles ont rarement lieu en public comme auparavant. [12] Elles ne sont plus produites par des appels particuliers à la dévotion, comme la vue d’une image religieuse, l’audition d’un sermon (ne fût-ce que les premiers mots), ou la musique sacrée ; autrefois, comme le pauvre petit papillon, l’âme [ p. 284 ] était si inquiète que tout l’effrayait et la faisait s’envoler. C’est peut-être parce que l’esprit a enfin trouvé le repos, ou parce qu’il a vu dans cette demeure de telles merveilles que rien ne peut l’effrayer, ou peut-être parce qu’il ne se sent plus seul depuis qu’il se réjouit en une telle compagnie.
11. En bref, mes sœurs, je ne saurais en dire la raison, mais dès que Dieu révèle à l’âme ce que contient cette demeure, en l’y faisant résider, l’infirmité autrefois si pénible et impossible à surmonter disparaît aussitôt. C’est probablement parce que notre Seigneur a maintenant fortifié, dilaté et développé l’âme, ou peut-être a-t-il voulu rendre public (à des fins connues de lui seul) ce qu’il faisait en secret dans de telles âmes, car ses jugements dépassent notre compréhension en cette vie.
12. Ces effets, ainsi que tous les autres fruits bénéfiques que j’ai mentionnés des différents degrés de prière, sont accordés par Dieu à l’âme lorsqu’elle s’approche de Lui pour recevoir le « baiser de sa bouche » demandé par l’épouse, [13] et je crois que sa requête est maintenant exaucée. Ici, les eaux abondantes sont données au cerf blessé ; ici, elle se délecte des tabernacles de Dieu [14] ; ici, la colombe envoyée par Noé pour voir si le déluge s’était retiré, a cueilli le rameau d’olivier, montrant qu’elle a trouvé une terre ferme au milieu des flots et des tempêtes de ce monde. [15] Ô Jésus ! Qui sait combien de fois l’Écriture Sainte fait référence à cette paix de l’âme ? Puisque, ô mon Dieu, vous voyez l’importance capitale de cette paix [ p. 285 ] pour nous, incitez les chrétiens à s’efforcer de l’obtenir ! Dans Ta miséricorde, ne prive pas ceux à qui Tu l’as accordée, car jusqu’à ce que Tu leur aies donné la vraie paix et les aies amenés là où elle est sans fin, ils vivront toujours dans la peur.
13. Je ne veux pas dire que la paix est irréelle sur terre, car je dis « la vraie paix », mais que de telles âmes pourraient devoir recommencer toutes leurs luttes si elles abandonnaient Dieu. Que doivent ressentir ces personnes à la pensée qu’il est possible de perdre un si grand bien ? Leur crainte les rend plus prudents ; elles cherchent à puiser de la force dans leur faiblesse, de peur de manquer, par leur propre faute, toute occasion de mieux plaire à Dieu. Plus les faveurs qu’elles ont reçues de Sa Majesté sont grandes, plus elles sont timides et méfiantes envers elles-mêmes ; les merveilles dont elles ont été témoins leur ont révélé plus clairement leurs propres misères et l’horreur de leurs péchés, de sorte que souvent, comme le publicain, elles n’osent même pas lever les yeux. [16]
14. Parfois, elles désirent mourir et être en sécurité, mais alors leur amour leur donne aussitôt envie de vivre pour servir Dieu, comme je vous l’ai dit ; c’est pourquoi elles remettent tout ce qui les concerne à sa miséricorde. [17] Parfois, elles sont plus accablées que jamais par la pensée des nombreuses grâces qu’elles ont reçues, de peur de sombrer sous le poids d’un navire surchargé. Je vous assure, mes sœurs, que ces âmes ont leur croix à porter, mais elle ne les trouble pas et ne les prive pas de leur paix, mais disparaît rapidement comme une vague ou une tempête suivie d’un calme, car la présence de Dieu en elles leur fait bientôt oublier tout le reste. Qu’il soit à jamais béni et loué par toutes ses créatures ! Ainsi soit-il.
278:1 Gal. ii. 20. ↩︎
278:2 Château, M. vii. ch. i. 11 et 15. ↩︎
278:3 Castle, M. vii. ch. ii. 1. Comparez les références qui y sont données. ↩︎
279:4 Don Alvaro de Mendoza, évêque d’Avila, disait que le meilleur moyen d’obtenir l’amitié de sainte Thérèse était de la blesser ou de l’insulter, Acta Ss. n, 1233. Rel. vii. 20. ↩︎
280:5 Rel. viii. 15. ↩︎
280:6 Comparer avec le poème du Saint sur l’auto-oblation : « Vuestro soy, para Vos naci » (Poème i. Œuvres mineures).
Accorde-moi une longue vie, ou laisse-moi mourir immédiatement ;
Que la santé soit mienne, ou que la douleur et la maladie m’envoient ;
Honneur ou déshonneur ignoble, soyez mon chemin
En proie à la guerre ou en paix jusqu’au bout.
Ma force ou ma faiblesse soit selon ton choix,
Puisque tu ne demandes rien, je ne refuserai jamais.
Dis, Seigneur, que veux-tu pour moi ? ↩︎
281:7 Château, M. vi. ch. vi. 6. ↩︎
282:8 Actes ix. 6 : « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? » ↩︎
282:9 Les mots allant de « sache ce qu’Il demande » à « comme je te l’ai dit » ne figurent pas dans le manuscrit original, mais doivent avoir été écrits sur un feuillet séparé, comme le prouve une note marginale de la main du Saint : « Quando dice aqui : os pide, léase luego este papel. » Ce papier est aujourd’hui perdu, mais le passage qu’il contenait est conservé dans les premiers manuscrits de Tolède, Cordoue et Salamanque, ainsi que dans la première édition imprimée, et, par là même, dans les anciennes traductions ; c’est pourquoi Woodhead et Dalton le placent tous deux à sa place. On ne le trouve bien sûr ni dans l’autographe publié en 1882, ni dans les éditions espagnoles de Fuente, ni dans les traductions basées sur celles-ci. Le texte espagnol se trouve dans Œuvres vi, 297 note. ↩︎
282:10 Supra §§ i et 2. ↩︎
283:11 III Rég. vi. 7. ↩︎
283:12 ‘C’est-à-dire, de manière à perdre la raison’ (note marginale de la main des saints). Rel. iii. 5. ↩︎
284:13 Cant. i. I. ↩︎
284:14 Ps. xli, 2, 5. ↩︎
284:15 Gén. viii. 10, 11. ↩︎
285:16 Saint Luc. xviii. 13. ↩︎
285:17 Rel. ix. 19. ↩︎