[ p. 212 ]
Comment le frère Juniper a gardé le silence pendant six mois
Frère Genévrier résolut un jour de garder le silence pendant six mois de cette manière. Le premier jour par amour du Père céleste. Le deuxième jour par amour de Jésus-Christ son Fils. Le troisième jour par amour du Saint-Esprit. Le quatrième jour par respect pour la très sainte Vierge Marie. Ainsi, chaque jour, par amour pour un saint, il observa les six mois sans parler.
Exemple contre les tentations de la chair
Un jour, alors que frère Gilles et frère Simon d’Assise, frère Ruffin et frère Juniper étaient réunis pour parler de Dieu et de l’âme, frère Gilles dit aux autres frères : « Comment réagissez-vous face aux tentations du péché charnel ? » Frère Simon dit : « Je considère la bassesse et l’infamie du péché charnel, et il en résulte une grande horreur, et ainsi je m’en échappe. » Frère Ruffin dit : « Je me jette à terre et continue à prier, implorant la miséricorde de Dieu et de la Mère de Jésus-Christ jusqu’à ce que je m’en sente entièrement libéré. » Frère Juniper répondit : « Quand je sens le trouble de la suggestion charnelle diabolique, je cours aussitôt et ferme fermement la porte de mon cœur ; et, pour la sécurité de la forteresse de mon cœur, je m’occupe de saintes méditations et de saints désirs, de sorte que, lorsque la suggestion charnelle [ p. 213 ] vient ou frappe à la porte de mon cœur, je réponds, comme de l’intérieur : « Va-t’en ; car ce logement est déjà pris, et personne ne peut plus y entrer » ; et ainsi, je ne permets jamais à la pensée charnelle d’entrer dans mon cœur ; alors, se voyant vaincue, elle s’éloigne de moi comme un vaincu, et non de moi seul, mais de tout le voisinage. Frère Gilles répondit : « Frère Juniper, je te soutiens, car nul ne peut mieux lutter contre l’ennemi charnel que par la fuite ; car au sein du traître, le désir charnel et hors des sens du corps se font sentir comme des ennemis si grands et si forts, que, si nous ne fuyons pas, nous ne pouvons les vaincre. Par conséquent, celui qui combattrait d’une autre manière, car le labeur de la bataille remporte rarement la victoire. Fuis donc le vice, et tu seras victorieux. »
Comment frère Juniper s’est abaissé pour la gloire de Dieu
Un jour, frère Juniper, voulant s’abaisser complètement, se déshabillait complètement, à l’exception de ses chausses, et, ayant fait comme un paquet de son habit, il mit ses vêtements sur sa tête. Ainsi nu, il entra à Viterbe et se rendit sur la place publique pour être hué. Comme il se tenait là, nu, les enfants et les jeunes gens, le jugeant fou, le traitèrent avec mépris, le jetant sur lui avec beaucoup de boue, le lançant à coups de pierres et le bousculant tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, avec des paroles de dérision. Ainsi tourmenté et raillé, il resta là une grande partie de la journée, puis, tout nu qu’il était, il se rendit au couvent. Le voyant dans cet état, les frères furent très irrités contre lui. Et surtout parce qu’il avait traversé la ville ainsi nu, son baluchon sur la tête, ils le réprimandèrent très durement et le menacèrent de lourdes peines. L’un dit : « Mettons-le en prison ! » L’autre : « Pendons-le ! Aucun châtiment ne saurait être trop sévère pour un si mauvais exemple, celui qu’il a donné aujourd’hui, tant pour lui-même que pour tout l’Ordre. » Et Frère Genévrier répondit joyeusement et en toute humilité : « Vous dites bien vrai, car je mérite tous ces châtiments et bien d’autres encore. »
Comment Frère Juniper, pour s’abaisser, jouait à la balançoire
Un jour, alors que frère Juniper se rendait à Rome, où la renommée de sa sainteté était déjà répandue, de nombreux Romains, en raison de leur grande dévotion, allèrent à sa rencontre. Voyant tant de monde arriver, frère Juniper imagina de tourner leur dévotion en dérision. Il y avait là deux petits garçons qui jouaient à la bascule ; ils avaient posé une bûche sur une autre, et chacun s’assit à son extrémité, et ainsi ils montaient et descendaient. frère Juniper alla soulever l’un d’eux de la bûche, monta lui-même et commença à jouer à la bascule. Pendant ce temps, les gens s’approchaient et s’émerveillaient de voir frère Juniper jouer à la bascule ; néanmoins, ils le saluèrent avec une grande dévotion et attendirent qu’il ait terminé sa partie de bascule, afin de pouvoir ensuite l’accompagner honorablement au couvent. Et Frère Genévrier se souciait peu de leur salut et de leur révérence, ni de leur attente, [ p. 215 ] mais prenait grand soin de sa bascule. Et, après qu’ils eurent ainsi attendu un long moment, certains d’entre eux commencèrent à se lasser et à dire : « Quel est cet insensé ? » Certains, connaissant les manières de l’homme, augmentèrent leur dévotion envers lui ; néanmoins, à la fin, ils s’en allèrent tous et laissèrent Frère Genévrier sur la bascule., et, lorsqu’ils furent tous partis, Frère Genévrier resta plein de consolation d’avoir vu des gens se moquer de lui. Alors il se leva et entra à Rome en toute douceur et humilité, et se rendit au couvent des frères mineurs.
Comment le frère Juniper prépara un jour pour les frères de la nourriture suffisante pour quinze jours
Un jour, alors que frère Juniper se trouvait dans une petite maison de frères, pour une bonne raison, tous les frères durent sortir, et seul frère Juniper resta dans la maison. Le gardien dit : « Frère Juniper, nous sortons tous, veille donc à ce qu’à notre retour tu aies préparé un peu de nourriture pour le rafraîchissement des frères. » Frère Juniper répondit : « Je le ferai avec grand plaisir ; laisse-moi faire. » Et, lorsque tous les frères furent partis, comme on l’a dit, frère Juniper dit : « Quel travail inutile est-ce que de perdre un frère à la cuisine et de l’empêcher de prier ? En vérité, maintenant que je suis laissé pour cuisiner, je vais préparer tant de choses que tous les frères, même s’ils étaient plus nombreux, en auront assez pour quinze jours. » Il se rendit donc en hâte à la ville et demanda plusieurs grandes marmites. Il se procurait de la viande fraîche, du sel, des volailles, des œufs et des herbes. Il demanda du bois en quantité suffisante et mit tout au feu, à savoir les volailles avec leurs plumes, les œufs dans leurs coquilles et tout le reste. Lorsque les frères revinrent au lieu saint, quelqu’un qui connaissait bien la simplicité de frère Genévrier entra dans la cuisine et vit toutes ces grandes marmites posées sur un feu ardent. Il s’assit et regarda avec étonnement sans rien dire, observant avec quelle diligence frère Genévrier cuisinait. Comme le feu était extrêmement fort et qu’il ne pouvait pas facilement s’approcher de ses marmites pour les écumer, il prit une planche et l’attacha fermement à son corps avec sa corde, et sauta ensuite d’une marmite à l’autre, si bien que c’était une joie de le voir. Après avoir observé tout cela, ce frère, à son grand amusement, sortit de la cuisine et, ayant trouvé les autres frères, dit : « Je peux vous dire que frère Genévrier prépare un festin de noces. » Les frères prirent cette parole pour une plaisanterie. Alors frère Genévrier retira les marmites du feu et fit sonner la cloche pour le dîner. Les frères vinrent à table. Il le conduisit au réfectoire avec la nourriture qu’il avait préparée, toute rouge de ses efforts et de la chaleur du feu, et dit aux frères : « Mangeons bien ; et ensuite allons tous à la prière. Et que personne ne songe plus à cuisiner pour un moment, car j’ai préparé un si grand festin aujourd’hui que j’en aurai assez pour bien plus de deux semaines. » Il vit son cataplasme sur la table devant les frères ; et il n’y a pas de porc dans toute la ville de Rome qui soit si affamé qu’il l’eût mangé. Frère Juniper vantait les mets qu’il avait cuisinés comme un boutiquier qui gonfle ses marchandises, car il voyait déjà que les autres frères ne mangeaient pas, et il dit : « Maintenant, ces volailles sont excellentes pour tonifier le cerveau ; et ce bouillon [ p. 217 ] vous gardera le corps humide, tant il est bon ».Tandis que les frères s’émerveillaient encore de la dévotion et de la simplicité de frère Genévrier, le Gardien, furieux d’une telle folie et de la perte de tant de bonnes choses, réprimanda frère Genévrier avec une grande sévérité. Alors, frère Genévrier se jeta aussitôt à terre, s’agenouilla devant le Gardien et confessa humblement sa faute, à lui et à tous les frères, en disant : « Je suis le pire des hommes ; tel a commis un tel péché, pour lequel il a eu les yeux crevés, mais j’étais bien plus coupable que lui ; tel a été pendu pour ses crimes, mais je le mérite bien plus encore pour mes mauvaises actions ; et maintenant, j’ai gaspillé les biens de Dieu et de l’Ordre. » Et, se lamentant ainsi amèrement, il sortit, et de toute la journée il ne se montra plus où que ce soit. Et le Gardien dit alors : « Mes très chers frères, je voudrais que chaque jour, comme maintenant, ce frère gaspillât une quantité égale de bonnes choses, si nous les avions, si seulement il pouvait en être édifié ; car c’est par grande simplicité et charité qu’il a fait cela ».