Chapitre I : Le roi Yî du XIIe siècle avant J.-C. au début de l'ère chrétienne | Page de titre | Chapitre III : Les annexes |
1. Ayant décrit le Yî King comme consistant en un texte expliquant certaines figures linéaires et en des appendices, et ayant retracé la composition du premier jusqu’à ses auteurs au XIIe siècle avant J.-C., et celle du second jusqu’à six ou sept siècles plus tard au moins, je vais donner un compte rendu de ce que nous trouvons dans le Texte, et comment il est déduit des figures.
Le Yî est constitué d’essais basés sur des figures linéaires
Le sujet du Texte peut être brièvement représenté comme consistant en soixante-quatre courts essais, exprimés de manière énigmatique et symbolique, sur des thèmes importants, principalement de caractère moral, social et politique, et basés sur le même nombre de figures linéaires, chacune composée de six lignes, dont certaines sont entières et les autres divisées.
Français Les deux premiers et les deux derniers peuvent servir pour le moment d’échantillon de ces figures : ,
, et
[1]. Le Texte ne dit rien de leur origine et de leur formation. Les voilà. Le roi Wăn les reprend, l’un après l’autre, dans l’ordre qui lui convient, déterminé, évidemment, par le contraste des lignes de chaque paire successive d’hexagrammes, et donne leur signification, dans son ensemble, avec peut-être une indication de l’action à entreprendre dans les circonstances qu’il suppose qu’ils symbolisent, et si cette action sera chanceuse ou malchanceuse. Le duc de Kâu, commençant par la première ligne, ou ligne inférieure, exprime ensuite, au moyen d’une illustration symbolique ou emblématique, la signification de chaque ligne, avec une indication similaire de la bonne ou mauvaise fortune de l’action entreprise en rapport avec elle. L’interprétation de l’hexagramme par le roi s’avèrera en harmonie avec la signification combinée des six lignes telle qu’interprétée par son fils.
Tous deux, sans aucun doute, connaissaient la pratique de la divination qui prévalait en Chine depuis plus de mille ans, et en reproduisaient fidèlement les méthodes et le style. Ils ne devinaient pas eux-mêmes, mais leurs paroles devinrent des oracles pour les siècles suivants, lorsque les hommes devinèrent par les hexagrammes et cherchèrent, grâce à ce qui se disait sous eux, à déterminer leur avenir et à savoir s’ils devaient persévérer ou abandonner la voie qu’ils avaient l’intention de suivre.
L’origine des figures linéaires
2. Je donnerai un exemple des leçons que les figures linéaires sont censées enseigner, mais auparavant, il sera nécessaire de relater ce qui est dit de leur origine et des règles observées pour leur étude et leur interprétation. Pour plus d’informations sur ces points, nous devons recourir aux Appendices ; et à la question de savoir par qui et de quelle manière les figures ont été formées, le troisième, dont nous avons fait usage au chapitre précédent, nous fournit trois réponses différentes.
(i) Le 11e paragraphe de la section ii stipule :
« Autrefois, lorsque le pouvoir sur tout ce qui est sous le ciel était entre les mains de Pâo-hsî, levant les yeux, il contemplait les formes brillantes qui se déployaient dans le ciel ; et, baissant les yeux, il observait les motifs de la terre. Il remarquait les ornements des oiseaux et des bêtes, ainsi que les caractéristiques du sol. De près, en lui-même, il trouvait des choses à considérer, et de loin, dans les choses en général. Sur cette base, il conçut les huit figures linéaires de trois lignes chacune, pour illustrer pleinement les opérations spirituelles et intelligentes (de la nature), et pour classer les qualités des myriades de choses. »
Pâo-hsî est l’autre nom de Fû-hsî, le personnage le plus ancien mentionné avec précision dans l’histoire chinoise, bien que de nombreuses légendes existent à son sujet. Sa place dans la chronologie commence en 3322 av. J.-C., il y a 5203 ans. Il apparaît dans ce paragraphe comme l’inventeur des huit kwâ ou trigrammes. Les processus qui l’ont conduit à les former, ainsi que les objectifs qu’il entendait leur assigner, sont décrits, mais en termes vagues et généraux qui ne satisfont pas notre curiosité. Les huit personnages, cependant, étaient ,
,
,
,
,
,
, et
; appelés khien, tui, lî, kăn, soleil, khân, kăn et khwăn ; et représentant le ciel ou le paradis ; l’eau, en particulier une collection d’eau comme dans un marais ou un lac ; le feu, le soleil, la foudre ; le tonnerre ; le vent et le bois ; l’eau, en particulier comme dans la pluie, les nuages, les sources, les ruisseaux dans les défilés et la lune ; une colline ou une montagne ; et la terre. À chacune de ces figures est attribué un certain attribut ou une certaine qualité qui devrait être suggérée par l’objet naturel qu’il symbolise ; mais nous n’avons pas besoin d’entrer dans ces attributs pour le moment.
(ii) Les paragraphes 70 et 71 de la section i donnent une autre explication de l’origine des trigrammes :
« Dans le système du Yî se trouve le Grand Extrême, qui a produit les deux Î (Formes Élémentaires). Ces deux Formes ont produit les quatre Hsiang (Symboles Emblématiques) ; lesquels ont à leur tour produit les huit Kwâ (ou Trigrammes). Les huit Kwâ servaient à déterminer le bien et le mal (issues des événements), et de cette détermination découlait la (poursuite) des grandes affaires de la vie. »
Français Les deux Formes élémentaires, les quatre Symboles emblématiques et les huit Trigrammes peuvent tous être exposés avec ce que l’on peut considérer comme une certitude. Une ligne entière ( ) et une ligne divisée (
) étaient les deux Î. Ces deux lignes placées sur elles-mêmes, et chacune d’elles sur l’autre, formaient les quatre Hsiang :
;
;
;
. Les deux mêmes lignes placées successivement sur ces Hsiang, formaient les huit Kwâ, exposés ci-dessus.
Qui entreprendra de dire ce que signifie « le Grand Extrême » qui a produit les deux Formes élémentaires ? Nulle part ailleurs ce nom n’apparaît dans l’ancienne littérature confucéenne. Je suis personnellement convaincu qu’il a trouvé sa place dans cet appendice au cinquième (ou quatrième) siècle av. J.-C., à partir d’une source taoïste. Kû Hsî, dans ses « Leçons sur le Yî pour les jeunes », lui donne la figure d’un cercle, ainsi ; observant qu’il le fait d’après le philosophe Kâu (1017-1073 apr. J.-C.) [2], et mettant en garde ses lecteurs contre toute interprétation d’une telle représentation par Fû-hsî lui-même. Le symbole circulaire me paraît très peu pertinent. « Le Grand Extrême », dit-on, « divisa et produisit deux lignes : une ligne entière et une ligne divisée. » Mais je ne comprends pas comment cela est possible. Supposons qu’il soit possible au cercle de se dérouler lui-même ; [ p. 13 ] nous aurons une longue ligne,
. Si celle-ci se divise, nous avons deux lignes entières ; une autre division de l’une d’elles est nécessaire pour obtenir les lignes entières et divisées des figures linéaires. La tentative de modeler le Grand Extrême sous forme de cercle doit être déclarée un échec.
Mais lorsque l’on part des deux lignes comme bases, la formation de tous les diagrammes par une répétition du processus indiqué ci-dessus est facile. L’addition à chacun des trigrammes de chacune des deux lignes fondamentales produit 16 figures de quatre lignes ; traitées de la même manière, celles-ci produisent 32 figures de cinq lignes ; et une opération similaire avec celles-ci produit les 64 hexagrammes, dont chacun fait l’objet d’un essai dans le texte du Yî. Les lignes augmentent selon une progression arithmétique dont la différence commune est 1, et les figures selon une progression géométrique dont le rapport commun est 2. Tel est tout le mystère de la formation des figures linéaires ; tel est, je crois, le processus par lequel elles furent formées à l’origine ; et il est à peine nécessaire d’imaginer qu’elles proviennent d’un sage comme Fû-hsî. Les dons d’un homme ordinaire étaient suffisants pour une telle œuvre. Il était même possible d’abréger l’opération en procédant immédiatement des trigrammes aux hexagrammes, selon ce que nous trouvons dans la Section i, paragraphe 2 :
« Une ligne forte et une ligne faible ont été manipulées ensemble (jusqu’à ce qu’il y ait les 8 trigrammes), et ces 8 trigrammes ont été ajoutés chacun à lui-même et à tous les autres (jusqu’à ce que les 64 hexagrammes soient formés). »
Qui a multiplié les chiffres jusqu’à 64 en premier ?
C’est une question discutable de savoir qui a le premier multiplié les figures des trigrammes universellement attribués à Fû-hsî aux 64 hexagrammes du Yî. L’opinion la plus commune est que c’était le roi Wăn ; mais Kû Hsî, lorsqu’il fut interrogé sur le sujet, pencha plutôt pour soutenir que Fû-hsî les avait multipliés lui-même, mais refusa de dire s’il pensait que leurs noms étaient aussi vieux que les figures elles-mêmes, ou dataient seulement du XIIe siècle avant J.-C. [^16] Je ne m’aventurerai pas à contester [ p. 14 ] son opinion sur la multiplication des figures, mais je dois penser que les noms, tels que nous les avons maintenant, étaient du roi Wăn.
Pourquoi les chiffres n’ont pas été poursuivis après 64
Aucun écrivain chinois n’a tenté d’expliquer pourquoi les rédacteurs se sont arrêtés aux 64 hexagrammes, au lieu de passer à 128 figures de 7 lignes, 256 de 8, 512 de 9, et ainsi de suite indéfiniment. On ne peut en donner aucune explication, si ce n’est la lourdeur du résultat et l’impossibilité de traiter, à la manière du roi Wăn, une telle masse de figures.
(iii) Le 73e paragraphe de la section i, avec un seul paragraphe entre lui et les deux autres que nous avons examinés, donne ce qui peut être considéré comme un troisième compte rendu de l’origine des figures linéaires :
Le Ciel a produit les êtres spirituels (la tortue et la plante divinatoire), et les sages en ont tiré profit. (Les opérations du) ciel et de la terre sont marquées par de nombreux changements et transformations, et les sages les ont imités (au moyen du Yî). Le Ciel étend ses figures (brillantes), d’où se dessinent la bonne et la mauvaise fortune, et les sages ont fait leurs interprétations emblématiques en conséquence. Le Ho a donné le plan ou la carte, et le Lo a donné l’écriture, dont les sages ont tiré profit.
Les mots qui nous occupent actuellement sont : « Le Ho (c’est-à-dire le Fleuve Jaune) a donné naissance à la Carte. » Cette carte, selon la tradition et la croyance populaire, contenait un schéma qui servit de modèle à Fû-hsî pour la création de ses huit trigrammes. Outre ce passage du Yî King, nous savons que Confucius croyait en une telle carte, ou du moins parlait comme s’il y croyait [^17]. Dans le « Registre des Rites », il est dit que « la carte était portée par un cheval [^18] » ; et la chose, quelle qu’elle fût, est mentionnée dans le Shû comme étant encore conservée à la cour, parmi d’autres curiosités, en 1079 av. J.-C. [^19]. L’histoire, telle qu’elle est aujourd’hui courante, est la suivante : « Un cheval-dragon » sortit du Fleuve Jaune, portant sur son dos un ensemble de marques, d’où Fû-hsî tira l’idée des trigrammes.
[ p. 15 ]
Tout cela est si manifestement fabuleux qu’il me semble inutile d’entrer dans les détails. Je le fais pour tirer parti de la carte et exposer les règles d’interprétation des figures, comme il est nécessaire dans cette introduction.
La forme de la carte fluviale
La carte conservée au XIe siècle av. J.-C. a disparu par la suite. Bien que sa forme ait suscité de nombreuses spéculations depuis la restauration des classiques anciens sous la dynastie Han, sa première description publique date du règne de Hui Žung, de la dynastie Song (1101-1125 apr. J.-C.) [3]. Le schéma le plus approuvé est le suivant :
On remarquera que les marques de ce schéma sont de petits cercles, divisés à peu près également en sombres et clairs. Tous ceux dont les nombres sont impairs sont des cercles clairs : 1, 3, 5, 7, 9 ; et tous ceux dont les nombres sont pairs sont des cercles sombres : 2, 4, 6, 8, 10. Ceci est donné comme l’origine de ce qui est dit aux paragraphes 49 et 50 de la section 1 concernant les nombres du ciel et de la terre. La différence de couleur des cercles a permis de les distinguer et de ce qu’ils signifient en Yin et Yang, l’obscur et le brillant, le lunaire et le solaire ; car le soleil est appelé la Grande Clarté (Thâi Yang), et la lune la Grande Obscurité (Thâi Yin). J’en dirai plus dans le prochain chapitre sur l’application de ces noms. Français Fû-hsî en faisant les trigrammes, et le roi Wăn, si c’est lui qui les a multipliés le premier en 64 hexagrammes, ont trouvé pratique d’utiliser des lignes au lieu des cercles : la ligne entière ( ) pour le cercle brillant (
), et la ligne divisée (
) pour le sombre (
). Les première, troisième et cinquième lignes d’un hexagramme, si elles sont « correctes » comme on le dit, doivent toutes être entières, et les deuxième, quatrième et sixième lignes doivent toutes être divisées. Les lignes Yang sont fortes (ou dures) et les lignes Yin sont faibles (ou douces). Les premiers indiquent la vigueur et l’autorité ; les seconds, la faiblesse et la soumission. Il appartient aux premiers de commander ; aux seconds d’obéir.
De plus, les lignes des deux trigrammes qui composent les hexagrammes et caractérisent les sujets qu’ils représentent sont reliées entre elles par leur position et voient leur signification modifiée en conséquence. La première ligne et la quatrième, la deuxième et la cinquième, la troisième et la sixième sont toutes corrélées ; et pour que la corrélation soit parfaite, les deux membres doivent être des lignes de qualités différentes, l’une entière, l’autre divisée. Enfin, les lignes médianes des trigrammes, la deuxième et la cinquième, c’est-à-dire des hexagrammes, ont une valeur et une force particulières. Si nous avons une ligne entière ( ) à la cinquième place, et une ligne divisée (
) à la seconde, ou vice versa, la corrélation est complète. Que le sujet du cinquième soit le souverain ou un commandant en chef, selon le nom et la signification de l’hexagramme, le sujet du second sera un ministre compétent ou un officier habile, et le résultat de leur action mutuelle sera des plus bénéfiques et fructueux. Il est particulièrement important d’avoir une idée claire du nom de l’hexagramme et du sujet ou de l’État qu’il vise à désigner. La signification de chaque ligne devient ainsi d’applications diverses et diffère selon les hexagrammes.
[ p. 17 ]
Je me suis ainsi efforcé d’expliquer la formation des figures linéaires et les principales règles établies pour leur interprétation. Les détails sont fastidieux, mais ma position est comparable à celle de quelqu’un appelé à expliquer un important monument architectural, très étrange dans sa conception et son exécution. Une structure plus simple et plus épurée aurait peut-être mieux répondu à l’objectif, mais l’architecte avait ses raisons pour le plan et le style qu’il a adoptés. Si le résultat de ses travaux mérite d’être exposé, nous ne devons pas lésiner sur l’étude nécessaire pour déceler ses processus de pensée, ni sur l’effort et le temps nécessaires pour amener les autres à s’y rallier.
Mon opinion personnelle, comme je l’ai laissé entendre, est que la deuxième explication de l’origine des trigrammes et des hexagrammes est la bonne. Quelle que soit la manière dont l’idée des lignes entières et divisées est née dans l’esprit du premier rédacteur, nous devons partir d’elles ; puis, en les manipulant de la manière décrite, nous parvenons très facilement à toutes les figures linéaires et pourrions les multiplier par milliards. Nous ne pouvons pas dire qui a conçu la troisième explication de leur formation à partir de la carte ou du schéma du cheval-dragon du fleuve Jaune [4]. Son but était sans doute de conférer un caractère surnaturel aux trigrammes et de susciter une vénération religieuse à leur égard. On peut douter que le schéma actuel soit correct, tel qu’il était sous la dynastie Kâu. Le paragraphe qui le mentionne poursuit ainsi : « Le Lo a produit l’écriture. » Cette écriture était un schéma du même genre que la carte Ho, mais sur le dos d’une tortue qui émergea de la rivière Lo et la montra au Grand Yü, alors qu’il accomplissait sa célèbre œuvre de drainage des eaux du déluge, relatée dans le Shû. Pour le sage héros, elle suggéra « le Grand Plan », un document intéressant mais mystique du même classique, « un Traité », selon Gaubil, « de physique, d’astrologie, de divination, de morale, de politique et de religion », le grand modèle de gouvernement du royaume. La représentation acceptée de cette écriture est la suivante :
Mais en remplaçant le nombre de points par des chiffres, nous avons
4 | 9 | 2 |
3 | 5 | 7 |
8 | 1 | 6 |
Ce n’est rien d’autre qu’un puzzle arithmétique, dans lequel les nombres de 1 à 9 sont disposés de manière à former 15, quelle que soit la façon dont on les additionne [5]. Si nous disposions de la forme originale de la « Carte de la Rivière », nous la trouverions probablement une bagatelle numérique, ni plus difficile, ni plus surnaturelle, que ce carré magique.
3. Revenons au Yî de Kâu, qui, comme je l’ai dit plus haut à la p. 10, contient, sous chacun des 64 hexagrammes, un bref essai de caractère moral, social ou politique, exprimé symboliquement.
[ p. 19 ]
État du pays à l’époque du roi Wăn
Pour le comprendre, il faut se rappeler les circonstances dans lesquelles le roi Wăn s’est consacré à l’étude des figures lignagères. Le royaume, sous les souverains des dynasties Yin et Shang, était profondément désorganisé et démoralisé. Un frère du roi régnant décrivit ainsi sa situation :
La maison de Yin ne peut plus exercer son autorité sur le pays. Les hauts faits de notre fondateur ont été révélés autrefois, mais, par une addiction démente à l’alcool, nous avons anéanti les effets de sa vertu. Le peuple, petit et grand, s’adonne au brigandage, aux méfaits et à la trahison. Les nobles et les officiers s’imitent mutuellement dans la violation des lois. Rien ne garantit que les criminels seront appréhendés. Les plus petits se soulèvent et commettent des outrages les uns envers les autres. La dynastie de Yin sombre dans la ruine ; son état est comparable à celui de quelqu’un qui traverse un grand ruisseau et ne trouve ni gué ni berge [^23].
Le caractère du monarque
Cet état déplorable de la nation était dû en grande partie au caractère et à la tyrannie du monarque. Lorsque le fils de Wăn s’engagea contre lui, il le dénonça ainsi dans une « Déclaration solennelle » adressée à tous les États :
Shâu, le roi de Shang, traite toute vertu avec mépris et s’abandonne à une paresse sauvage et à l’irrévérence. Il s’est coupé du Ciel et a semé l’inimitié entre lui et le peuple. Il a tranché les os des jambes de ceux qui pataugeaient dans l’eau un matin (d’hiver), il a arraché le cœur de l’homme de bien [6]. Sa puissance s’est manifestée par le meurtre et le meurtre. Ses honneurs et sa confiance sont accordés aux scélérats et aux méchants. Il a chassé de lui ses instructeurs et ses gardiens. Il a jeté aux vents les statuts et les lois pénales. Il a négligé les sacrifices au Ciel et à la Terre. Il a cessé les offrandes [ p. 20 ] dans le temple ancestral. Il fait des artifices (cruels) d’une ingéniosité merveilleuse et extraordinaire pour plaire à sa femme [7]\—. Dieu ne le supportera plus, mais avec une malédiction il envoie sa ruine [^26].’
Les seigneurs de Kâu; et en particulier le roi Wăn
Telle était la situation de la nation, tel était le caractère du souverain. Pendant ce temps, à l’ouest du royaume, dans une partie de l’actuelle province de Shen-hsî, se trouvait la principauté de Kâu, dont les seigneurs s’étaient depuis longtemps distingués par leur talent et leur vertu. Son chef actuel, que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de roi Wăn, était Khân, qui avait succédé à son père en 1185 av. J.-C. Il était non seulement seigneur de Kâu, mais était devenu une sorte de vice-roi sur une grande partie du royaume. Aussi remarquable en temps de paix qu’en temps de guerre, modèle de tout ce qui était bon et attrayant, il se conduisait avec une sagesse et une maîtrise de soi remarquables. Princes et peuple auraient été ravis de le suivre pour attaquer le tyran, mais il hésitait à s’exposer à l’accusation de déloyauté. Finalement, la suspicion jalouse de Shâu s’éveilla. Comme nous l’avons déjà mentionné, Wăn fut jeté en prison en 1143 av. J.-C., et l’ordre de le mettre à mort pouvait arriver à tout moment. C’est alors qu’il s’occupa des figures lignagères.
Le roi Wăn en prison, occupé avec les figures linéaires
L’usage de ces figures – du moins des trigrammes – était pratiqué depuis longtemps à des fins de divination. L’emploi des tiges divinatoires est mentionné dans les « Conseils du Grand Yü », l’un des premiers Livres du Shû [^27], et une section entière du « Grand Plan », également un Livre du Shû, et se référant à l’époque de la dynastie Hsiâ, décrit comment « les doutes devaient être examinés » au moyen de l’écaille de tortue et des tiges [^28]. Wăn ne pouvait qu’être familier avec la divination en tant qu’institution de son [ p. 21 ] pays [8]. Il lui vint peut-être à l’esprit que rien n’était plus susceptible d’apaiser les soupçons de son dangereux ennemi que l’étude des figures ; et si ses gardiens prenaient note de ce qu’il faisait, ils souriraient à ses lignes et aux phrases qu’il y ajoutait.
J’aime à penser au seigneur de Kâu, incarcéré à Yû-lî, avec les 64 figures disposées devant lui. Chaque hexagramme revêtait une signification mystique et rayonnait d’une signification profonde. Il lui faisait décrire les qualités de divers objets de la nature, ou les principes de la société humaine, ou l’état, actuel et possible, du royaume. Il nommait les figures, chacune par un terme décrivant l’idée à laquelle il l’avait associée dans son esprit, puis il procédait à l’exposé de cette idée, tantôt avec une note d’exhortation, tantôt avec une note d’avertissement. C’était une tentative de restreindre les folies de la divination aux limites de la raison. L’avant-dernier des appendices porte le nom de « Séquence des Diagrammes ». J’en parlerai plus en détail dans le prochain chapitre. Je remarque seulement pour l’instant qu’il traite, certes faiblement, des noms des hexagrammes, conformément à ce que j’ai dit à leur sujet, et tente d’expliquer l’ordre dans lequel ils se succèdent. Il le fait non pas de manière critique, comme s’il fallait l’établir, mais à la manière d’un exposé explicatif, relatant ce qui ne faisait aucun doute dans l’esprit de l’auteur.
Mais toute l’œuvre du prince Khang ou du roi Wăn dans le Yî ne représente donc pas plus de 64 courts paragraphes.
Travaux du duc de Kâu sur les lignes séparées
Nous ignorons ce qui poussa son fils Tan à entreprendre son œuvre et à la mener à bien comme il le fit. Tan était un patriote, un héros, un législateur et un philosophe. Peut-être prit-il en main les figures linéaires en hommage à son devoir filial. Ce qui avait été fait pour l’hexagramme tout entier, il le ferait pour chaque ligne, et démontrerait clairement que les six lignes « inclinaient d’un seul côté leur précieuse influence » et mélangeaient leurs rayons dans le globe de lumière que son père avait fait rayonner à chaque figure. [ p. 22 ] Mais sa méthode nous paraît singulière. Chaque ligne semblait prendre vie et suggérait un phénomène naturel ou un cas d’expérience humaine, d’où pouvaient être déduites la sagesse ou la folie, la chance ou la malchance qu’elle indiquait. On ne peut pas dire que le duc ait exécuté son plan d’une manière susceptible d’intéresser quiconque, sauf un hsien shăng, adepte de la divination et admirateur du style de ses oracles. Selon nos idées, un créateur d’emblèmes devrait être un grand poète, mais ceux des Yî ne nous font penser qu’à un dryade. Sur plus de 350, la plupart ne sont que grotesques. On ne se remet de ce sentiment de déception qu’en se rappelant que père et fils devaient tous deux écrire « selon le truc », à la manière des devins, comme si cet augure linéaire avait été leur profession.
Le septième hexagramme
4. J’illustrerai enfin ce que j’ai dit au sujet du Yî par un exemple. Il s’agira du traitement du septième hexagramme que le roi Wăn nomma Sze, signifiant « Armées ». Ce caractère est également expliqué comme signifiant « multitudes » ; en effet, dans un royaume féodal, les multitudes du peuple étaient susceptibles de former son armée, lorsque l’occasion l’exigeait, et « armée » et « population » pouvaient être des termes interchangeables. Comme l’exprime Froude dans le chapitre introductif de son Histoire d’Angleterre, « Chaque homme était enrégimenté quelque part. »
L’hexagramme Sze est composé des deux trigrammes Khan ( ) et Khwăn (
), représentant les eaux recueillies sur la terre ; et dans d’autres symbolismes en plus de celui du Yî, les eaux indiquent des multitudes d’hommes rassemblées. Les eaux sur lesquelles la Babylone mystique est assise dans l’Apocalypse sont expliquées comme « des peuples et des multitudes et des nations et des langues ». Je n’affirme pas formellement que c’est par cette interprétation des trigrammes que le roi Wăn vit dans
les armées féodales de son pays, car ni lui ni son fils ne nous apprennent, par leur affirmation directe, qu’ils connaissaient les trigrammes de Fû-hsî. Le nom qu’il donna à la figure montre cependant qu’il y vit les armées féodales en campagne. Comment leur expédition doit-elle être menée pour qu’elle aboutisse ?
En examinant à nouveau la figure, nous constatons qu’elle est composée de cinq lignes divisées et d’une ligne indivise. La ligne indivise occupe la place centrale du trigramme inférieur, la plus importante, après la cinquième, de tout l’hexagramme. Elle représente, selon les commentateurs, « le maître de la figure entière » ; et les parties représentées par les autres lignes sont censées être d’accord avec lui ou lui obéir. Il doit être le chef des armées. S’il était en haut, à la cinquième place, il serait le souverain du royaume. Voici ce que dit le roi Wăn :
« Sze indique comment (dans le cas qu’il suppose), avec fermeté et correction, et (un dirigeant d’)âge et d’expérience, il y aura de la bonne fortune et aucune erreur. »
C’est un bon présage. Voyons comment le duc de Kâu l’étendra.
Il dit :
« La première ligne, divisée, montre l’armée s’avançant selon les règles (pour un tel mouvement). Si ces règles ne sont pas bonnes, le mal surviendra. »
On ne nous dit pas quelles étaient les règles d’une expédition militaire. Certains commentateurs les interprètent comme les raisons justifiant le mouvement : réprimer et punir le désordre et la rébellion. D’autres, avec plus de vraisemblance, les considèrent comme la discipline ou les règles imposées aux troupes. La ligne est divisée, une ligne faible en position forte, « incorrecte » : cela justifie la mise en garde formulée dans la deuxième phrase du duc.
Le texte continue :
« La deuxième ligne, sans division, montre (le chef) au milieu des armées. La chance sera au rendez-vous, et il n’y aura pas d’erreur. Le roi lui a transmis trois fois sa mission. »
Il n’est pas nécessaire d’insister là-dessus. Le duc voyait dans cette ligne forte le symbole du chef, qui jouissait de la pleine confiance de son souverain et dont l’autorité n’admettait aucune opposition.
Sur la troisième ligne, il est dit :
« La troisième ligne, divisée, montre comment les armées peuvent éventuellement avoir de nombreux commandants : (dans un tel cas) il y aura du mal. »
La troisième place est étrange et devrait être occupée par une ligne forte, au lieu d’une ligne faible. Or, elle se trouve au sommet du trigramme inférieur, et son sujet devrait être en fonction ou en activité. On suggère que son sujet a franchi la deuxième ligne et souhaite partager le commandement et l’honneur de celui qui a été nommé seul commandant en chef. La leçon de la ligne précédente est vaine. Nous avons une autorité divisée dans l’expédition. Le résultat ne peut être que mauvais.
Sur la quatrième ligne, le duc écrivait :
« La quatrième ligne, divisée, montre les armées en retraite : il n’y a pas d’erreur. »
La ligne est également faible, et on ne peut espérer la victoire. Mais, quatrièmement, une ligne faible est en position correcte, et son sujet fera ce qui est juste dans les circonstances. Il reculera, et reculer est pour lui une marque de sagesse. Lorsqu’elle est en sécurité, là où une avancée serait désastreuse, une retraite est aussi glorieuse que la victoire.
Sous la cinquième ligne, nous lisons :
« La cinquième ligne, divisée, montre des oiseaux dans les champs qu’il est avantageux de capturer (et de détruire). Il n’y aura pas d’erreur. Si le fils aîné mène l’armée et que des hommes plus jeunes sont également aux commandes, aussi fermes et corrects soient-ils, le malheur sera au rendez-vous. »
Ce passage suggère que seule la guerre défensive, ou celle menée par l’autorité légitime pour réprimer la rébellion et l’anarchie, est juste. Les « oiseaux dans les champs » symbolisent les pillards et les envahisseurs, qu’il sera bon de détruire. Le cinquième vers symbolise l’autorité suprême, mais ici, il est faible ou humble, et a confié tout pouvoir et autorité pour exercer le jugement au commandant en chef, qui est le fils aîné ; et le sujet du troisième vers illustre les jeunes hommes qui feraient le mal s’ils partageaient son pouvoir.
[ p. 25 ]
Enfin, à la sixième ligne, le duc écrivit :
La ligne supérieure, divisée en deux, montre le grand souverain conférant ses fonctions (aux hommes qui se sont distingués), nommant certains chefs d’État, d’autres chefs de clan. Mais les hommes de moindre importance ne devraient pas être employés (à de tels postes).
L’action de l’hexagramme a été accomplie. L’expédition a été menée à bien. L’ennemi a été soumis. Ses territoires sont à la disposition du conquérant. Le commandant en chef a bien rempli sa mission. Son souverain, « le grand dirigeant », entre en scène et récompense les officiers qui se sont distingués par leur bravoure et leur habileté, en leur conférant grades et terres. Mais il est averti de respecter leur moralité. Les hommes de peu de valeur, de caractère ordinaire ou moins ordinaire, peuvent être récompensés par des richesses et certains honneurs ; mais les terres et le bien-être de leur population ne doivent pas être confiés à des personnes qui ne sont pas à la hauteur de la responsabilité d’une telle mission.
Ce qui précède est un échantillon de ce que j’ai appelé les essais qui constituent le Yî de Kâu. C’est ainsi que le roi Wăn et son fils auraient mené toutes les expéditions militaires dans leur pays il y a 3 000 ans. Il me semble que les principes qu’ils énoncent pourraient trouver une application pertinente dans la guerre moderne de notre Europe civilisée et chrétienne. L’inculcation de telles leçons n’a pas pu être sans effet en Chine au cours de sa longue histoire.
Sze est un bon spécimen de sa catégorie. Des 63 autres hexagrammes se dégagent des leçons, pour la plupart tout aussi bonnes et frappantes. Mais pourquoi, pourrait-on se demander, nous les transmet-on par un tel étalage de figures linéaires et un tel foisonnement de représentations emblématiques ? Il n’appartient pas à l’étranger d’insister sur une telle question. Les Chinois ne les ont pas moins appréciés malgré le style désuet dont leurs leçons sont ornées. Des centaines de leurs commentateurs ont évolué et développé leur signification avec une minutie et une finesse d’illustration qui ne laissent rien à désirer. Il appartient aux étudiants étrangers du chinois de se préparer à la maîtrise de ce livre au lieu de le présenter comme mystérieux et presque inexplicable.
En admettant, cependant, que le sujet du Yî soit celui qui a été décrit, très précieux pour sa sagesse pratique, mais non tiré d’un abîme de spéculation philosophique, on peut encore insister : « Mais dans tout cela nous ne trouvons rien qui justifie le nom du livre comme Yî King, le « Classique des Mutations ». N’y a-t-il pas quelque chose de plus, de plus élevé ou de plus profond, dans les Appendices qui ont été attribués à Confucius, dont l’autorité n’est certainement pas inférieure à celle du roi Wăn, ou du duc de Kâu ? » Répondre pleinement à cette question nécessitera un autre chapitre.
Chapitre I : Le roi Yî du XIIe siècle avant J.-C. au début de l'ère chrétienne | Page de titre | Chapitre III : Les annexes |
[^16] : 13:13:1 Kû-žze Khwan shû, ou Recueil des œuvres de Kû-žze, chap. 26 (le premier chapitre sur le Yî), art. 16.
[^17] : 14:14:1 Analectes IX, viii.
[^18] : 14:14:2 Lî Kî VIII, iv, 16.
[^19] : 14:14:3 Shû V, xxii, 19.
[^23] : 19:19:1 Le Shû IV, xi, 1, 2.
[^26] : 20:20:2 Le Shû V, i, Sect. III, 2, 3.
[^27] : 20:20:3 Shû II, ii, 18.
[^28] : 20:20:4 Shû V, iv, 20-31.
10:10:1 Voir la planche I à la fin de l’introduction. ↩︎
12:12:1 Kâu-žze, appelé Kâu Tun-î et Kâu Mâu-shuh, et, plus communément encore, du ruisseau près duquel se trouvait sa résidence préférée, Kâu Lien-khî. Mayers (Manuel du lecteur chinois, p. 23) dit : « Il a occupé diverses fonctions d’État et a été pendant de nombreuses années à la tête d’une galaxie d’érudits qui cherchaient à s’instruire en matière de philosophie et de recherche : deuxième seulement après Kû Hsî en réputation littéraire. » ↩︎
15:15:1 Voir le Manuel du lecteur chinois de Mayers, pp. 56, 57. ↩︎
17:17:1 Ce n’était certainement pas Confucius. Voir la paternité des Appendices, et en particulier de l’Appendice III, au chapitre suivant. ↩︎
18:18:1 Pour cette dissection, que l’on peut aussi appeler réduction à l’absurde, de l’écriture Lo, je suis d’abord redevable à P. Regis. Voir son Y-King I, p. 60. Mais Kû Hsî l’a aussi dans l’appendice de ses « Leçons sur le Yî pour les jeunes ». ↩︎
19:19:2 Ce furent des exemples bien connus de la cruauté gratuite de Shâu. Observant des gens un jour d’hiver pataugeant dans un ruisseau, il ordonna qu’on leur coupe les jambes jusqu’au jarret, afin de voir la moelle qui pouvait si bien supporter le froid. « L’homme de bien » était un de ses proches, appelé Pî-kan. Ayant rendu Shâu furieux par la sévérité de ses réprimandes, le tyran ordonna qu’on lui arrache le cœur, afin de voir la structure du cœur d’un sage. ↩︎
20:20:1 Nous ignorons quels étaient ces stratagèmes. Mais pour plaire à sa femme, l’infâme Tâ-kî, Shâu avait fabriqué « le Chauffeur » et « le Rôtisseur », deux instruments de torture. Ce dernier était un pilier de cuivre posé au-dessus d’une fosse de charbon ardent, et rendu glissant ; les coupables étaient obligés de marcher dessus. ↩︎
21:21:1 Dans le Livre de Poésie, nous avons le grand-père de Wăn (Than-fû, III, i, ode 3, 3) en train de deviner, et son fils (le roi Wû, III, i, ode 10. 7) faisant de même. ↩︎