Contenu | Page de titre | Chapitre I : Le roi Yî du XIIe siècle avant J.-C. au début de l'ère chrétienne |
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J’ai rédigé une traduction du Yî King, comprenant à la fois le texte et les annexes, en 1854 et 1855 ; et je dois reconnaître qu’une fois le manuscrit terminé, je ne savais que très peu de choses sur la portée et la méthode de l’ouvrage. J’ai mis de côté les volumes contenant le fruit de mon travail, espérant, croyant même, que la lumière se lèverait bientôt et que je trouverais un jour un indice qui me guiderait vers la connaissance de ce mystérieux classique.
Avant ce jour, la traduction avait été trempée, en 1870, pendant plus d’un mois dans les eaux de la mer Rouge. À force de manipulations minutieuses, elle était redevenue lisible ; mais ce n’est qu’en 1874 que j’ai pu accorder au livre l’attention prolongée nécessaire pour lui révéler ses secrets. C’est alors que, pour la première fois, je me suis emparé, je crois, de la clé, et que j’ai constaté que mes efforts de vingt ans auparavant n’avaient servi à rien.
Ce qui avait surtout contribué à dissimuler la nature du livre à mes études antérieures était la manière dont, avec le Texte, habituellement et, je pense, correctement attribué au roi Wăn et à son fils Tan, sont intercalées, sous chaque hexagramme, les parties des Appendices I, II et IV qui s’y rapportent. L’étudiant y voit d’abord un avantage. Il croit que tous les Appendices ont été écrits par Confucius et se combinent avec le texte pour former une œuvre harmonieuse ; et il est heureux de voir réunis les sentiments des « trois sages ». Mais je me suis alors rendu compte que la composition du Texte et des Appendices, ce qui permettait à Confucius d’en être l’auteur, étaient séparées d’environ 700 ans, et que leurs sujets étaient souvent incongrus. Mon premier pas vers une juste compréhension du Yî fut d’étudier le Texte seul et comme complet en lui-même. Il était facile de [p. xiv] le font parce que l’édition impériale de 1715, avec tout son appareil critique, garde le Texte et les Annexes séparés.
La sagesse de la démarche ainsi adoptée est devenue plus évidente par la création de huit concordances différentes, une pour le Texte et une pour chacun des Appendices. Elles ont montré que de nombreux caractères des Appendices, et notamment ceux qui, aux yeux des sinologues, caractérisent le plus souvent le Yî, ne se retrouvent absolument pas dans le Texte. De plus, une connaissance plus approfondie du ton et du style des Appendices m’a convaincu que, si nous disposions de preuves suffisantes que la majeure partie n’était pas de Confucius, nous n’avions aucune preuve qu’une partie quelconque lui appartenait, à l’exception des paragraphes introduits par le ou les compilateurs comme des paroles du « Maître ».
En étudiant le Texte de la manière ainsi décrite, je suis rapidement parvenu à la compréhension du sens et de l’objet du Yî, que j’ai décrite dans le deuxième chapitre de l’Introduction ; et j’ai été ravi de constater une concordance substantielle entre mes interprétations des hexagrammes et de leurs différents vers et celles des commentateurs les plus éminents, de la dynastie Han à nos jours. Ils n’ont pas formulé le schéma aussi succinctement que moi, et ils étaient entravés par leur croyance en la paternité confucéenne des Appendices ; mais ils partageaient la même opinion générale et s’en sont laissés guider dans l’interprétation du Texte. Tout sinologue qui examinera le Yü Kih Zăh Kiang Yî King Kieh Î, préparé par l’un des départements du collège Han Lin et publié en 1682, et que j’ai intitulé « Leçons quotidiennes », constatera la concordance entre mes vues et celles qui sous-tendent sa paraphrase.
Après avoir découvert la clé du sens du Yî, la difficulté de la traduction subsistait. La particularité de son style en fait le classique confucéen le plus difficile à présenter dans une version intelligible. Je suppose que certains sinologues continueront, au moins pendant un certain temps, à soutenir que son ou ses auteurs, quels qu’ils soient, l’ont conçu simplement comme un livre de divination ; et bien sûr, les oracles divinatoires étaient volontairement enveloppés d’une phraséologie mystérieuse. Mais malgré le récit de l’origine du livre et de sa composition par le roi Wăn et son fils, que j’ai jugé utile d’adopter, ses auteurs ont dû écrire à la manière des devins. Il n’existe guère d’autre ouvrage dans la littérature ancienne chinoise qui présente les mêmes difficultés au traducteur.
Lors de ma première traduction en 1854, je me suis efforcé d’être aussi concis en anglais que l’original chinois. Une grande partie de mon écriture était donc composée de nombreux mots anglais, avec peu ou pas de lien syntaxique. J’ai suivi en cela l’exemple de P. Regis et de ses collaborateurs (Introduction, page p. 9) dans leur version latine. Mais leur version est presque inintelligible, et la mienne l’était tout autant. La solution à cette difficulté m’est venue après avoir trouvé la clé de l’interprétation – un fait que j’avais inconsciemment appliqué dans toutes mes traductions d’autres classiques – à savoir que les caractères chinois ne sont pas des représentations de mots, mais des symboles d’idées, et que leur combinaison dans la composition ne reflète pas ce que l’auteur dirait, mais ce qu’il pense. Il est donc vain pour un traducteur de tenter une version littérale. Lorsque les caractères symboliques ont mis son esprit en rapport avec celui de son auteur, il est libre de traduire les idées, dans son propre discours ou dans tout autre discours, de la meilleure manière possible. C’est la règle que Mencius suivait pour interpréter les anciens poèmes de son pays : « Nous devons essayer, par la pensée, de saisir la portée d’une phrase, et alors nous la comprendrons. » Dans l’étude d’un livre classique chinois, il n’y a pas tant une interprétation des caractères employés par l’écrivain qu’une participation de ses pensées ; il y a une vision d’esprit à esprit. Le canon qui en découle pour un traducteur n’est pas un canon de licence. Son objectif sera d’exprimer le sens de l’original aussi exactement et concisement que possible. Mais il lui sera nécessaire d’introduire un mot ou deux [p. xvi] de temps à autre pour indiquer ce que l’esprit de l’écrivain a fourni. Ce que j’ai fait de cette manière sera généralement considéré entre parenthèses, bien que je me sois demandé si je ne pouvais pas m’en passer, car il n’y a rien dans la version anglaise qui ne fût, je crois, présent dans la pensée de l’auteur. J’espère cependant avoir ainsi pu rendre la traduction intelligible pour les lecteurs. Si, après tout, ils devaient conclure que dans ce qui est dit sur les hexagrammes, il y a souvent « beaucoup de bruit pour rien », ce n’est pas le traducteur qui devrait en être tenu responsable, mais son original.
J’avais l’intention d’ajouter au volume les traductions de certains chapitres de Kû Hsî et d’autres auteurs de la dynastie Song ; mais faute de place, ce projet n’a pu être mené à bien. Il s’est avéré nécessaire d’accompagner la version d’un commentaire détaillé, illustrant la manière dont les enseignements du roi Wăn et de son fils sont censés être tirés des figures et de leurs différentes lignes ; et ma difficulté a été de conserver le Yî unique dans les limites d’un seul volume. Ces traductions prévues sont donc réservées pour une autre occasion ; et, en effet, la philosophie Song ne s’est pas développée à partir du Yî proprement dit, mais de ses appendices, et plus particulièrement du troisième d’entre eux. Elle est plus taoïste que confucéenne.
Lorsque j’ai pris le Yî en main pour la première fois, il n’en existait aucune traduction en langue occidentale, hormis celle de P. Regis et de ses coadjuteurs, que j’ai mentionnés plus haut et à divers endroits de l’Introduction. Les auteurs étaient tous des sinologues de grande renommée ; et leur conception du Texte, relatif aux transactions entre les fondateurs de la dynastie Kâu et le dernier souverain des Shang ou Yin, et susceptible d’être illustré historiquement, bien que trop étroite, était une approximation de la vérité. Feu M. Mohl, qui avait édité l’ouvrage en 1834, me dit un jour : « Je l’aime ; car j’y arrive d’une mer de brume et je trouve un terrain solide. » Cependant, aucune distinction suffisante n’y était faite entre le Texte et les Appendices ; et, en examinant le troisième Appendice et les suivants, les traducteurs [p. xvii] étaient hantés par le nom et l’ombre de Confucius. J’ai évoqué plus haut la littéralité excessive de la version.
En 1876, le révérend chanoine McClatchie, MA, publia à Shanghai une version intitulée « Traduction du Yî King confucéen, ou le « Classique des Changements », avec notes et annexe ». Cette version comprend à la fois le texte et les annexes, les première, deuxième et quatrième de ces dernières étant intercalées avec le texte, comme dans les éditions scolaires ordinaires du classique. Pour autant que je puisse en juger par son langage, il ne semble pas avoir conscience que les première et deuxième annexes n’étaient pas l’œuvre du roi Wăn et du duc de Kâu, mais d’un écrivain ultérieur – il dirait de Confucius – expliquant leurs explications de l’ensemble des hexagrammes et de leurs différents vers. Son objectif personnel était de « percer les mystères du Yî en lui appliquant la clé de la mythologie comparée ». Une telle clé n’était pas nécessaire ; et l’auteur, en l’appliquant, a découvert divers éléments auxquels j’ai parfois fait référence dans mes notes. Ils ne sont ni agréables à regarder ni à méditer ; et heureusement, il n’est jamais venu à l’esprit des érudits chinois de les concevoir. J’ai suivi la traduction du chanoine McClatchie de paragraphe en paragraphe et de phrase en phrase, mais je n’ai rien trouvé que je puisse exploiter utilement dans ma propre langue.
Longtemps après que ma traduction fut achevée et que le texte fut effectivement imprimé, je reçus de Shanghai le troisième volume du « Cursus Litteraturae Sinicae » de P. Angelo Zottoli, paru en 1880. Une centaine de pages environ sont consacrées au Yî. La version latine constitue une nette amélioration par rapport à celle de Regis ; mais P. Zottoli ne traduit que le texte des deux premiers hexagrammes, avec les parties des premier, deuxième et quatrième appendices qui s’y rapportent ; et six autres hexagrammes avec les explications du Thwan du roi Wăn et du Grand Symbolisme. Des cinquante-six hexagrammes restants, seul un bref résumé est donné ; viennent ensuite les appendices III, V, VI et VII dans leur intégralité. L’auteur a bien fait son travail. [p. xviii] Sa vision générale du Yî est énoncée dans les phrases suivantes :—‘Ex Fû-hsî figuris, Wăn regis definitionibus, Kâu ducis symbolis, et Confucii commentariis, Liber conficitur, qui a mutationibus, quas duo elementa in hexagrammatum compositione inducunt, Yî (Mutator) vel Yî King (Mutationum Liber) appellation. Quid igitur tandem famosus iste Yî King? Paucis accipe : ex lineum qualitate continua vel intercisa ; earumque situ, imo, medio, vel supremo; mutuaque ipsarum relatione, occurrences, dissidio, commode; ex ipso scilicet trigrammatum corpore seu forma, tum ex trigrammatum symbolo seu imagine, tum ex trigrammatum proprietate seu virtute, tum etiam aliquando ex unius ad alterum hexagramma varietate, eruitur aliqua imago, deducitur aliqua sententia, quoddam veluti oraculum continens, quod sorte etiam consulere possis ad documentum obtinendum, moderandae vitae solvendove dubio consentaneum. Ita liber juxta Confucii explicationem in scholis tradi solitam. Nil igitur sublime aut mysteriosum, nil foedum aut vil hic quaeras ; argutulum potius lusum ibi video ad instructions morales politicasque eliciendas, ut ad satietatem usque in Sinicis passim classicis, obvias, planas, naturales; tantum, cum liber iste, ut integrum legenti textum facile patebit, ad sortilegii usum deductus fuerit, per ipsum jam summum homo obtinebit vitae beneficium, arcanam cum spiritibus communicationem secretamque futurorum eventuum cognitionem ; theurgus igitur visus est iste liber, totus lux, totus spiritus, hominisque vitae accommodatissimus; indeque loue a Confucio ei tributas, prorsus exaggeratas, in hujus libri praesertim appendice videre erit, si vere tamen, ut communis fert opinio, ipse sit hujus appendicis auctor.’
On rapporte depuis deux ou trois ans qu’une nouvelle traduction du Yî, ou du moins d’une partie de celle-ci, est en préparation par M. Terrien de Lacouperie et le professeur RK Douglas du British Museum et du King’s College de Londres. J’ai fait allusion, pages 8 et 9 de l’introduction, à des affirmations inexactes concernant des commentaires indigènes sur le Yî et des traductions étrangères, faites à propos de cette version envisagée. Mais j’ignorais en quoi consistait réellement l’entreprise projetée, jusqu’à ce que je lise une lettre de M. Terrien dans l’« Athenæum » du 21 janvier de cette année. Il y dit que la traduction conjointe « ne traite que de la partie la plus ancienne du livre, les courtes listes de caractères qui suivent chacune des soixante-quatre rubriques, et laisse entièrement de côté les explications et commentaires attribués à Wen Wang, Kâu Kung, Confucius et d’autres, à partir de 1200 av. J.-C., qui sont généralement intégrés comme partie intégrante du classique » ; ajoutant : « La proportion du texte primitif par rapport à ces ajouts est d’environ un sixième de l’ensemble. » Mais si nous supprimons ces explications et commentaires attribués au roi Wăn, duc de Kâu, et à Confucius, nous supprimons tout le Yî. Il ne reste que les figures linéaires attribuées à Fû-hsî, sans aucune liste de caractères, longue ou courte, sans un seul caractère écrit de quelque sorte que ce soit. Les projecteurs ont été induits en erreur sur le contenu du Yî ; et à moins qu’ils ne parviennent à renverser toutes les traditions et croyances qui les entourent, qu’elles soient chinoises ou étrangères, leur entreprise est plus désespérée que la tâche imposée aux enfants d’Israël par Pharaon, de fabriquer des briques sans paille.
Je ne m’exprime pas ainsi par esprit d’hostilité. Si, par des découvertes en akkadien ou dans toute autre langue depuis longtemps enfouie et oubliée, M. Terrien de Lacouperie peut jeter un nouvel éclairage sur les caractères écrits de la Chine ou sur son parler, personne ne s’en réjouira plus que moi ; mais son ignorance de la composition du contenu du classique ne laisse guère de chances de succès à la traduction qu’il promet.
Français Dans la préface du troisième volume de ces « Livres sacrés de l’Orient », contenant le Shû King, le Shih King et le Hsiâo King, j’ai parlé des termes chinois Tî et Shang Tî, et montré comment je sentais nécessaire de continuer à les rendre par notre mot Dieu, comme je l’avais fait dans toutes mes traductions des classiques chinois depuis 1861. Ce faisant, j’ai offensé certains missionnaires en Chine et d’autres ; et en juin 1880, vingt-trois messieurs ont adressé une lettre au professeur F. Max Müller, se plaignant [p. xx] que, dans un tel ouvrage édité par lui, il me permette de donner ma propre interprétation privée du nom ou des noms en question au lieu de les traduire ou de les transférer. Le professeur Müller a publié la lettre qu’il avait reçue, avec sa réponse, dans le journal « Times » du 30 décembre 1880. Depuis, l’affaire est restée en suspens, et je la présente à nouveau dans cette préface, car, bien que nous ne rencontrions pas ce nom dans le Yî aussi fréquemment que dans le Shû et le Shih, je l’ai, comme auparavant, traduit par Dieu partout où il apparaît. Ceux qui s’opposent à ce terme disent que Shang Tî pourrait être rendu par « Souverain suprême » ou « Empereur suprême », ou par « Souverain (ou Empereur) d’en haut » ; mais lorsque j’ai examiné la question, il y a plus de trente ans, avec tout l’intérêt possible et toutes les ressources dont je disposais, j’en suis arrivé à la conclusion que Tî, lors de sa première utilisation par les pères chinois, était destiné à exprimer le même concept que nos pères ont exprimé par Dieu, et que telle a été depuis lors son application la plus élevée et la plus appropriée. Il y aurait peu, voire aucune différence, dans le sens transmis aux lecteurs par « Souverain suprême » et « Dieu » ; mais lorsque je traduis Tî par Dieu et Shang Tî par le Dieu suprême, ou, par souci de concision, simplement par Dieu, je traduis et ne donne pas d’interprétation personnelle. Je le fais non pas dans l’intérêt de la controverse, mais comme la simple expression de ce qui est pour moi la vérité ; et je suis heureux de savoir qu’une grande majorité des missionnaires protestants en Chine utilisent Tî et Shang Tî comme l’analogue le plus proche de Dieu.
Il serait fastidieux de mentionner les nombreuses éditions critiques et commentaires que j’ai utilisés pour préparer la traduction. Je n’ai pas bénéficié de l’aide de spécialistes natifs compétents, ce qui m’a fait gagner du temps et s’est avéré précieux lorsque je travaillais en Orient sur d’autres classiques. Ce manque, cependant, a été plus que compensé à certains égards par mon exemplaire des « Leçons quotidiennes sur le Yî », dont le titre complet est indiqué à la page xiv. L’ami qui me l’a acheté il y a cinq ans à Canton a dû se contenter d’un exemplaire d’occasion ; mais j’ai découvert que le précédent propriétaire était un érudit chevronné qui utilisait librement son crayon pour poursuivre ses études. Sa ponctuation, ses interlignes et ses nombreuses notes marginales lui ont permis de suivre les exercices de son esprit, poursuivant patiemment sa recherche du sens des passages les plus difficiles. Je lui suis très reconnaissant ; et aussi au Kâu Yî Keh Kung, la grande édition impériale de la dynastie actuelle, publiée pour la première fois en 1715. J’ai généralement parlé de ses auteurs comme des éditeurs Khang-hsî. Leurs nombreuses discussions sur le sens et leurs décisions ingénieuses contribuent largement à élever l’interprétation du Yî au rang de science.
JL
OXFORD
16 mars 1882
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