Chapitre I. Le nom et le contenu du classique | Page de titre | Chapitre III. Le Shih depuis l'époque de Confucius jusqu'à la reconnaissance générale du présent texte |
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Déclaration de Sze-mâ Khien.
1. Sze-mâ Khien, dans ses mémoires sur Confucius, dit : « Les anciens poèmes comptaient plus de 3 000. Confucius retira ceux qui n’étaient que des répétitions et choisit ceux qui pouvaient servir à inculquer la bienséance et la droiture. S’élevant jusqu’à Hsieh et Hâu-_k_î, et descendant à travers les époques prospères de Yin et Kâu jusqu’aux temps de décadence sous les rois Yû et Lî, il sélectionna en tout 305 morceaux, qu’il chanta sur son luth, pour les mettre en accord avec le style musical des Shâo, des Wû, des Yâ et des Făng. »
L’auteur des Archives de la dynastie Sui.
Dans l’Histoire des livres classiques de la dynastie Sui (589 à 618 apr. J.-C.), il est dit : « Lorsque le règne royal bienveillant cessa et que les poèmes ne furent plus rassemblés, Kih, le grand maître de musique de Lû, classa ceux qui existaient et en fit une copie. Confucius les expurga ensuite ; et, remontant à la dynastie Shang, puis à l’État de Lû, il compila en tout 300 pièces. »
Avis de Ku Hsî.
Kû Hsî, dont l’ouvrage de référence sur le Shih parut en 1178 après J.-C., refusa de s’exprimer positivement sur l’expurgation des odes, mais résuma ainsi son point de vue sur ce que Confucius avait fait pour elles : « Les méthodes royales avaient cessé et les poèmes n’étaient plus rassemblés. Ceux qui subsistaient étaient pleins d’erreurs et manquaient d’organisation. Lorsque Confucius revint de Wei à Lû, il rapporta avec lui les odes qu’il avait obtenues dans d’autres États et les digéra, avec celles qui se trouvaient à Lû, pour en faire un recueil de 300 pièces. »
Vue de l’auteur.
Je n’ai pas pu trouver de preuves soutenant ces [ p. 281 ] représentations, et je dois adopter le point de vue selon lequel, avant la naissance de Confucius, le Livre de poésie existait, sensiblement le même qu’à sa mort, et que même s’il a pu quelque peu modifier l’agencement de ses livres et de ses morceaux, le service qu’il lui a rendu n’était pas celui de la compilation, mais l’impulsion de l’étudier qu’il a communiquée à ses disciples.
Absence de fondement de la déclaration de Khien.
2. Si l’on situe la composition des mémoires de Confucius par Khien en 100 av. J.-C., près de quatre cents ans se seront écoulés entre la mort du sage et toute déclaration selon laquelle il aurait expurgé des poèmes antérieurs ou compilé le recueil que nous possédons actuellement ; et aucun écrivain dans l’intervalle n’a affirmé ou insinué de telles choses. L’affirmation supplémentaire des Archives Sui concernant le maître de musique de Lû est également dépourvue de toute confirmation antérieure. Mais indépendamment de ces considérations, de nombreux éléments prouvent, premièrement, que les poèmes antérieurs à Confucius n’étaient pas aussi nombreux que le prétend Khien, et, deuxièmement, que le recueil d’environ 300 pièces, classées selon les mêmes divisions que le présent classique, existait avant l’époque du sage.
3. i. Il ne serait pas surprenant que, circulant et courant parmi le peuple chinois au VIe siècle avant notre ère, il y ait eu plus de 3 000 poèmes. Le plus étonnant est qu’il n’en ait pas été ainsi. Mais dans les Récits des États, ouvrage de la dynastie Kâu, et attribué par beaucoup à Ȝo Khiû-ming, on trouve des citations de trente et un poèmes, écrits par des hommes d’État et d’autres, tous antérieurs à Confucius ; et de ces poèmes, il n’y en a pas plus de deux qui ne figurent pas dans le présent classique. Même de ces deux-là, l’un en est une ode citée sous un autre nom. De plus, dans le Ȝo Kwan, certainement l’œuvre de Khiû-ming, nous avons des citations de pas moins de 219 poèmes, dont treize seulement ne figurent pas dans le classique. Ainsi, sur 250 poèmes courants en Chine avant la supposée compilation du Shih, 236 y sont retrouvés, et seulement quatorze en sont absents. Pour reprendre les mots de Kâo Yî, un érudit de la dynastie actuelle : « Si les poèmes existant à l’époque de Confucius avaient été plus de 3 000, les citations de poèmes aujourd’hui perdus dans ces deux ouvrages auraient dû être dix fois plus nombreuses que celles des 305 pièces qu’il prétend avoir conservées, alors qu’elles ne représentent qu’entre la vingt-et-unième et la vingt-deuxième partie des pièces existantes. Cela suffit à démontrer que l’affirmation de Khien n’est pas digne de foi. »
ii. De l’existence du Livre de poésie avant Confucius, résumé en quatre parties et à peu près dans le même ordre qu’à présent, on peut avancer les preuves suivantes :
Premièrement. Il y a le passage du Livre Officiel de Kâu, cité et commenté au dernier paragraphe du chapitre précédent. On y trouve une référence explicite à des poèmes, rédigés plusieurs siècles avant le sage, arrangés et classés de la même manière que ceux du Shih actuel. Notre Shih était sans doute alors en cours de formation.
Deuxièmement. Dans le neuvième morceau de la sixième décennie du Shih, partie II, une ode attribuée à l’époque du roi Yû, de 78 à 771 avant J.-C., nous avons les paroles,
« Ils chantent le Yâ et le Nan,
Dansant au son de leurs flûtes sans erreur.
[paragraphe continue] Dès le VIIIe siècle avant J.-C., il existait un recueil de poèmes dont certains portaient le nom de Nan, et dont il y a de bonnes raisons de supposer qu’il s’agissait du Kâu Nan et du Shâo Nan, formant les deux premiers livres de la première partie du Shih actuel ; et dont d’autres portaient le nom de Yâ, étant probablement les pièces les plus anciennes qui composent aujourd’hui une grande partie des deuxième et troisième parties.
Troisièmement. Dans les récits de Ȝo Khiû-ming, sous la vingt-neuvième année du duc Hsiang, en 544 av. J.-C., alors que Confucius n’avait que sept ou huit ans, nous avons le récit d’une visite à la cour de Lû d’un envoyé de Wû, un éminent homme d’État de l’époque et un homme de grand savoir. On nous dit que, comme il désirait entendre la musique de Kâu, ce qu’il pouvait faire mieux à Lû que dans tout autre État, on lui chanta les odes du Kâu Nan et du Shâo Nan ; celles de Phei, Yung et Wei ; du Domaine Royal ; de Kăng ; de Khî ; de Pin ; de Khin ; de Wei ; de [ p. 283 ] Thang ; de Khăn ; de Kwei ; et de _Ȝh_âo. Ils lui chantèrent aussi les odes du Yâ mineur et du Yâ majeur ; et ils chantèrent enfin les morceaux du Sung. Nous avons ainsi, existant dans l’enfance de Confucius, ce que nous pouvons appeler le présent Livre de poésie, avec son Fang, son Yâ et son Sung. La seule différence discernable est légère : dans l’ordre dans lequel les Livres du Făng se succédaient.
Quatrièmement. Nous pouvons faire appel, à ce propos, aux paroles de Confucius lui-même. À deux reprises, dans les Entretiens, il parle du Shih comme d’un recueil de 300 pièces [^306]. Cet ouvrage n’étant pas rédigé selon un principe d’ordre chronologique, nous ne pouvons attribuer avec certitude ces paroles à une année particulière de la vie de Confucius ; mais je puis dire que l’opinion unanime des critiques chinois est qu’elles ont été prononcées avant l’époque à laquelle Khien et Kû Hsî rapportent leur ouvrage spécial sur le Livre de la poésie.
À mon avis, les preuves présentées sont décisives sur les points que j’ai précisés. Le Shih, arrangé à peu près tel que nous le connaissons aujourd’hui, était courant en Chine avant l’époque de Confucius, et ses morceaux étaient dans la bouche des hommes d’État et des érudits, constamment cités par eux lors des fêtes et autres occasions. Il y avait sans doute des poèmes qui n’y figuraient pas, mais ils étaient relativement peu nombreux. Confucius en a peut-être fait une copie pour lui-même et ses disciples ; mais il ne semble pas qu’il ait rejeté des morceaux précédemment reçus dans le recueil, ni admis ceux qui n’y avaient pas encore trouvé leur place.
Ce que Confucius a fait pour le Shih.
4. La question se pose maintenant de savoir ce que Confucius a fait pour le Shih, si tant est qu’il ait fait quelque chose. La seule chose qui nous permette de nous prononcer sur ce point, nous la tenons de lui-même. Dans les Entretiens, IX, xiv, il nous dit : « Je suis retourné de Wei à Lû, et alors la musique a été réformée, et les morceaux du [ p. 284 ] Yâ et du Sung ont reçu leur place. » Le retour de Wei à Lû n’eut lieu que cinq ans avant la mort du sage. Il cessa dès lors de prendre une part active aux affaires politiques et se consacra à la musique, à l’étude de la littérature ancienne de sa nation, à l’écriture des « Printemps et Automnes », et à des relations familières avec ceux de ses disciples qui l’entouraient encore. Il réforma la musique, celle sur laquelle étaient chantés les morceaux du Shih ; mais en quoi consista cette réforme, nous ne pouvons le dire. Il donna aux morceaux du Yâ et du Sung leurs places respectives. L’ordre actuel des Livres dans le Făng, légèrement différent de celui qui était courant durant son enfance, fut peut-être déterminé par lui. Nous ne pouvons en dire davantage.
Bien que nous ne puissions découvrir aucun ouvrage particulier et important de Confucius sur le Shih, et que nous le possédions maintenant, comme nous le verrons au chapitre suivant, en substance tel qu’il l’a trouvé déjà compilé de sa main, sa préservation ultérieure peut raisonnablement être attribuée à l’admiration qu’il lui témoignait et à l’enthousiasme qu’il cherchait à inspirer à ses disciples. C’était l’un des thèmes sur lesquels il aimait converser avec eux [^307]. Il enseignait que c’est des poèmes que l’esprit reçoit son meilleur stimulant [^308]. Un homme qui les ignore est, selon lui, comme quelqu’un qui se tient face à un mur, la vue limitée et incapable d’avancer [^309]. Des deux choses que son fils pouvait préciser comme lui ayant été enjointes par le sage, la première était qu’il apprenne les odes [^310]. De cette façon, Confucius a probablement largement contribué à la préservation ultérieure du Shih, à la préservation des tablettes sur lesquelles les odes étaient inscrites, et à sa préservation dans la mémoire de tous ceux qui vénéraient son autorité et le considéraient comme leur maître.
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