Chapitre II. Le Shih avant Confucius et quels furent ses travaux, le cas échéant | Page de titre | Chapitre IV. La formation de la collection du Shih |
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De Confucius à l’avènement de la dynastie Khin.
1. De l’attention portée à l’étude des Shih depuis la mort de Confucius jusqu’à l’avènement de la dynastie Khin, nous disposons de nombreux témoignages dans les écrits de son petit-fils Ȝze-sze, de Mencius et de Hsün Khing. L’une des distinctions reconnues de Mencius est sa connaissance des odes, dont les citations sont très nombreuses ; et Hsün Khing survécut à l’extinction de la dynastie Kâu et vécut jusqu’à l’époque de Khin.
Le Shih a été entièrement récupéré, après les incendies de Khin.
2. Le Shih partagea la calamité que subirent toutes les autres œuvres classiques, à l’exception du Yî, lorsque le tyran de Khin promulgua son édit pour leur destruction. Mais j’ai montré, dans l’Introduction au Shû, p. 7, que cet édit resta en vigueur moins d’un quart de siècle. Les odes furent toutes, ou presque toutes [^311], récupérées ; la raison invoquée est que leur préservation dépendait davantage de la mémoire des érudits que de leur inscription sur des tablettes de bambou et de soie.
Trois textes différents.
3. Trois textes différents du Shih apparurent au début de la dynastie Han, connus sous les noms de Shih de Lû, de Khî et de Han ; autrement dit, le Livre de poésie fut retrouvé de trois sources différentes. Le Catalogue des livres de la bibliothèque impériale des Han (6 à 1 av. J.-C.) de Liû Hin commence, sur le roi Shih, par un recueil des trois textes, en vingt-huit chapitres.
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Le texte de Lû.
i. Immédiatement après la mention du recueil général dans le Catalogue, viennent les titres de deux ouvrages de commentaire du texte de Lû. Le premier fut écrit par un certain Shăn Phei, dont nous avons quelques informations dans les Biographies littéraires des Han. Originaire de Lû, il avait acquis sa propre connaissance des odes auprès d’un érudit de Khî, nommé Fâu Khiû-po. De nombreux disciples faisaient appel à lui, à qui il enseignait la récitation des odes. Lorsque le premier empereur de la dynastie Han passa par Lû, Shan le suivit jusqu’à la capitale de cet État et eut un entretien avec lui. Par la suite, l’empereur Wû (140-87 av. J.-C.), au début de son règne, le fit venir à la cour alors qu’il avait plus de quatre-vingts ans ; et il semble avoir survécu un nombre considérable d’années au-delà de cet âge avancé. Les noms de dix de ses disciples sont donnés, tous des hommes éminents, parmi lesquels Khung An-kwo. Plus tard, le plus célèbre adepte de l’école de Lû fut Wei Hsien, qui accéda à la dignité de premier ministre (de 71 à 67 av. J.-C.) et publia le Shih de Lû en strophes et en vers. On trouve partout dans les Livres des Han et des Wei des citations des odes, qui ont dû être empruntées aux professeurs de la recension de Lû ; mais ni le texte ni les écrits qui le concernent n’ont survécu longtemps. On dit qu’ils ont disparu sous la dynastie Kin (265 à 419 apr. J.-C.). Lorsque le catalogue de la bibliothèque Sui a été établi, aucun d’entre eux n’existait encore.
Le texte de Khî.
ii. Le Catalogue Han mentionne cinq ouvrages différents sur le Shih de Khî. Ce texte est d’un certain Yüan Kû, originaire de Khî, dont nous apprenons, par le même recueil de Biographies littéraires, qu’il était l’un des grands érudits de la cour à l’époque de l’empereur King (156 à 141 av. J.-C.), un de ses favoris, particulièrement distingué par sa connaissance des odes et sa défense de la doctrine confucéenne orthodoxe. Il mourut sous le règne suivant de Wû, à plus de quatre-vingt-dix ans ; et on nous dit que tous les érudits de Khî qui se firent un nom à cette époque pour leur connaissance du Shih étaient issus de son école. Parmi ses disciples se trouvait le célèbre [ p. 287 ] nom de Hsiâ-hâu Shih-_kh_ang, qui communiqua ses acquisitions à Hâu _Ȝh_ang, originaire de l’actuelle province du Shan-tung et auteur de deux des ouvrages du Catalogue des Han. Hâu eut trois disciples remarquables, et par eux le Shih de Khî fut transmis à d’autres, dont les noms, avec des citations de leurs écrits, sont disséminés dans les Livres des Han. Ni texte ni commentaire, cependant, n’eurent un meilleur sort que le Shih de Lû. Il n’en est fait aucune mention dans le Catalogue des Sui. On dit qu’ils périrent avant même l’avènement de la dynastie des Kin.
Le texte de Han Ying.
iii. Le texte de Han fut un peu plus heureux. Le Catalogue de Hin contient les noms de quatre œuvres, toutes de Han Ying, dont le nom de famille est ainsi perpétué dans le texte du Shih qui émane de lui. Originaire de Yen, nous dit-on, il fut un grand érudit à l’époque de l’empereur Wăn (179 à 155 av. J.-C.), puis sous les règnes de King et de Wû. « Il s’efforça, dit-on, de dévoiler le sens des odes et publia une Explication du texte et des Illustrations des poèmes, contenant plusieurs myriades de caractères. Son texte était quelque peu différent de ceux de Lû et de Khî, mais avait substantiellement le même sens. » Bien sûr, Han fonda une école ; mais si la quasi-totalité des écrits de ses disciples disparurent rapidement, les deux œuvres mentionnées précédemment se perpétuèrent à travers les différentes dynasties jusqu’à l’époque des Song. Le Catalogue Sui contient les titres de son Texte et deux ouvrages sur celui-ci : le Thang, ceux de son Texte et ses Illustrations ; mais quand on arrive au Catalogue de Sung, publié sous la dynastie Yüan, on n’y trouve que les Illustrations, en dix livres ou chapitres ; et Âu-yang Hsiû (1017 à 1072 après J.-C.) nous dit qu’à son époque c’était tout ce qui subsistait de Han. Il continue tout entier, ou presque, jusqu’à nos jours.
4. Mais tandis que ces trois différentes recensions du Shih disparurent toutes, à l’exception d’un seul traité de Han Ying, leur sort malheureux ne fut pas davantage dû aux convulsions par lesquelles l’empire fut souvent déchiré, et à la destruction consécutive de monuments littéraires tels que nous
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Un quatrième texte ; celui de Mâo.
Français ont été témoins en Chine de nos jours, que de l’apparition d’un quatrième texte, qui les a supplantés par sa justesse supérieure et la compétence avec laquelle il a été défendu et commenté. C’est ce qu’on appelle le Texte de Mâo. Il est apparu un peu plus tard que les autres ; mais le Catalogue Han contient le Shih de Mâo, en vingt-neuf chapitres, et un commentaire sur celui-ci en trente-neuf. Selon Kăng Hsüan, l’auteur de cet ouvrage était un natif de Lû, connu sous le nom de Mâo Hăng ou « le Grand Mâo », qui avait été disciple, nous dit Lü Teh-ming, de Hsün Khing. L’ouvrage est perdu. Il avait cependant communiqué sa connaissance du Shih à un autre Mâo, Mâo Kang, « le Petit Mao », qui était un grand érudit à la cour du roi Hsien de Ho-_k_ien, fils de l’empereur King. Le roi Hsien fut l’un des ouvriers les plus diligents dans la récupération des livres anciens, et présenta le texte et l’œuvre de Hang à la cour de son père, probablement en 129 av. J.-C. Mâo Kang publia les Explications du Shih, en vingt-neuf chapitres, ouvrage que nous possédons encore ; mais ce n’est que sous le règne de Phing (1 à 9 apr. J.-C.) que la recension de Mâo fut reçue au Collège impérial et prit sa place aux côtés de celles de Lû, Khî et Han Ying.
Les critiques chinois ont soigneusement retracé la lignée des érudits qui ont été en charge du Texte et des Explications de Mâo jusqu’au règne de Phing. Les noms de ces hommes et de leurs œuvres sont tous indiqués. À la fin du premier quart de notre siècle, nous trouvons les érudits les plus célèbres s’adonnant au texte de Mâo. Le célèbre Kiâ Khwei (30 à 101 apr. J.-C.) publia un ouvrage sur le Sens et les Difficultés du Shih de Mâo, après avoir compilé un condensé des différences entre son texte et ceux des trois autres recensions, sur ordre de l’empereur Ming (58 à 75 apr. J.-C.). Le tout aussi célèbre Mâ Yung (79 à 166 apr. J.-C.) suivit avec un autre commentaire ; et nous arrivons à Kang Hsüan ou Kăng Khang-_kh_ăng (127 à 200 apr. J.-C.), qui écrivit un Commentaire supplémentaire au Shih de Mâo et une Introduction chronologique au Shih. Le premier de ces deux ouvrages est complet, et des parties du second existent encore. Après l’époque de Kăng, les trois autres textes furent peu connus, tandis que le nom des commentateurs du texte de Mâo devint rapidement légion. Il fut d’ailleurs inscrit sur les tablettes de pierre de l’empereur Ling (168 à 189 apr. J.-C.). La tombe de Mâo Kăng est toujours visible près du village de Ȝun-fû, dans le district départemental de Ho-_k_ien, Kih-lî.
Les différents textes garantissent l’authenticité du Shih retrouvé.
5. Pour revenir à ce que j’ai dit au deuxième paragraphe, il est admis que l’apparition de trois textes différents et indépendants, peu après l’avènement de la dynastie Ha, constitue la preuve la plus convaincante de la restauration du Livre de Poésie tel qu’il s’était perpétué depuis l’époque de Confucius. Malheureusement, il ne reste aujourd’hui que des fragments de ces textes ; mais ils furent, tant qu’ils étaient courants, soigneusement comparés entre eux et avec le quatrième texte de Mâo, qui devint ensuite un sujet de recherche. Lorsqu’on recueille leurs lectures particulières, pour autant que l’on puisse le faire aujourd’hui, il apparaît clairement que leurs variations entre elles et par rapport au texte de Mâo découlaient du fait que la préservation des odes était due à leur transmission par récitation. La rime aidait la mémoire à les conserver, et, bien que le bois, le bambou et la soie aient tous été consumés par les flammes de Khin, lorsque la répression prit fin, les érudits s’empressèrent de les récapituler. Il était inévitable, et plus encore en Chine que dans un pays possédant un alphabet, que les mêmes sons, lorsqu’ils étaient transcrits par différents écrivains, soient représentés par des caractères différents.
Dans l’ensemble, les preuves données ci-dessus sont aussi complètes qu’on pourrait le souhaiter dans un tel cas, et ne nous laissent aucune raison d’hésiter à accepter le texte actuel reçu du Shih comme une très proche approximation de celui qui était courant à l’époque de Confucius.
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