Signification du nom Shû King.
1. Le Shû est le plus ancien des livres classiques chinois et contient des documents historiques de divers types, relatifs à la période comprise entre 2357 et 627 av. J.-C. environ. Le caractère Shû nous indique, par sa composition, qu’il désigne « le crayon qui parle », et il est donc souvent utilisé pour désigner les caractères écrits de la langue. C’était en effet son sens le plus ancien, mais la transition fut facile vers son utilisation dans le sens d’écrits ou de livres, applicable à toute composition consécutive ; et nous le retrouvons également employé par Confucius et d’autres pour désigner les vestiges historiques de l’Antiquité, par opposition aux poèmes, récits de rites et autres monuments d’autrefois. Non pas que ces autres monuments ne puissent pas également être désignés par le nom général de Shû. La signification particulière du terme, cependant, était bien établie et se conserve encore aujourd’hui.
Le livre nous est parvenu mutilé ; mais, même s’il est censé avoir existé à l’époque de Confucius, il ne prétendait pas contenir une histoire de la Chine, et encore moins en donner les annales. Il s’agissait simplement d’un recueil de mémoriaux historiques, couvrant une période d’environ 1 700 ans, mais sans cohérence, et avec de fréquents et importants intervalles entre eux.
[ p. 2 ]
Le nom de Roi (aujourd’hui King en pékinois) ne fut ajouté à Shû qu’à l’époque de la dynastie Han (débutée en 202 av. J.-C.). Si Confucius l’appliqua à l’une quelconque des œuvres classiques, ce fut au classique de la Piété filiale, comme on le verra dans l’introduction à la traduction de cet ouvrage. Cependant, les érudits Han, lorsqu’ils s’employèrent à rassembler et à assimiler les monuments littéraires anciens de leur pays, trouvèrent commode de distinguer les plus précieux d’entre eux, reconnus par Confucius, du terme « Roi », c’est-à-dire ce qui était canonique et d’une autorité incontestable.
Le Shû était un recueil de documents existant avant Confucius.
2. Dans les Entretiens de Confucius, le sage et un disciple citent le Shû selon la simple formule : « Le Shû dit. » Dans le Grand Savoir, quatre livres ou chapitres différents du classique, tous contenus dans celui-ci tel que nous le connaissons aujourd’hui, sont mentionnés, chacun par son nom propre. Mencius utilise parfois la même formule que Confucius, et désigne parfois des livres particuliers. Il est tout naturel de supposer que Confucius, lorsqu’il parlait du Shû, avait en tête un recueil de documents portant ce titre.
Un passage de Mencius semble affirmer sans l’ombre d’un doute que le Shû existait en tant que tel à son époque. Après avoir déclaré qu’« il vaudrait mieux se passer du Shû que de lui accorder tout le crédit », il fait immédiatement référence à l’un des livres de notre classique par son nom et ajoute : « Dans l’Achèvement de la Guerre, je ne sélectionne que deux ou trois passages, et je les crois [^4]. » Chez Mo-ȝze, Hsün-ȝze et d’autres auteurs des deux derniers siècles de la dynastie Kâu, le Shû est cité de la même manière, et aussi fréquemment avec la spécification de ses parties ou de ses divisions plus larges, « Les Livres de Yü », « de Hsiâ », « de Shang », « de Kâu ». Et, enfin, dans plusieurs des récits du commentaire de Ȝo Khiû-ming sur les Printemps et les Automnes, le Shû est cité de la même manière, même lorsque les récits concernent des hommes et des événements bien antérieurs au sage [1]. Toutes ces considérations [ p. 3 ] établissent la thèse de ce paragraphe, selon laquelle le Shû était un recueil de documents historiques existant avant Confucius.
Confucius n’a pas compilé le Shû. Le nombre de documents qu’il contenait à son époque. La préface lui est attribuée.
3. Il résulte du paragraphe ci-dessus que Confucius n’a pas compilé la collection de documents qui constituent le Shû. La plus ancienne affirmation en ce sens nous vient de Khung An-kwo, son descendant de la onzième génération, au IIe siècle av. J.-C. Racontant les travaux de son ancêtre, An-kwo dit, dans la préface de son édition du Shû, qu’« il examina et classa les anciens monuments et archives littéraires, décidant de commencer par Yâo et Shun, et de descendre jusqu’à l’époque de Kâu. Parmi ceux qui méritaient d’être transmis à d’autres époques et de fournir des leçons permanentes, il composa en tout cent livres, composés de canons, de conseils, d’instructions, d’annonces, de discours et de charges. » La même chose est affirmée par Sze-mâ Khien dans ses Archives historiques, achevées vers 100 av. J.-C., mais les informations de Khien proviennent d’An-Kwo. Une telle compilation aurait été en harmonie avec le caractère que Confucius se donnait de lui-même, comme « un transmetteur et non un créateur, croyant et aimant les anciens [2] », et avec ce que son petit-fils dit de lui dans la Doctrine du Milieu, selon lequel « il a transmis (les leçons de) Yâo et Shun, comme s’ils avaient été ses ancêtres, et a élégamment exposé celles de Wăn et Wû, qu’il a pris pour modèle [3] ».
Nous avons cependant vu que le recueil existait à son époque et avant. Était-il alors, comme le dit An-kwo, composé de cent livres ? Il s’appuyait sur une préface, retrouvée parmi les anciennes tablettes du Shû découvertes à son époque et déchiffrées par lui, comme nous le relaterons plus loin. Il ne dit cependant pas qu’il s’agissait de l’œuvre de Confucius, contrairement à Khien. Il existe toujours : une liste de quatre-vingt-un documents répartis en cent livres. L’opinion dominante parmi les érudits chinois est aujourd’hui qu’elle n’a pas été écrite par le sage. Je suis entièrement [ p. 4 ] Je partage l’avis de _Ȝh_âi Khăn, disciple de Kû Hsi, dont les Commentaires, publiés pour la première fois en 1210 après J.-C., constituent aujourd’hui la référence en matière d’interprétation du Shû. Il dit de ce document : « Il n’éclaire rien, et il contient des éléments qui diffèrent du texte classique. Concernant les livres perdus, il est particulièrement servile et bref, ne nous apportant aucune aide. Il est tout à fait évident qu’il ne s’agit pas de l’œuvre de Confucius. »
Les quatre-vingt-un documents qui y sont mentionnés, et plus encore, pourraient avoir été conservés dans le Shû de l’époque de Confucius. Je pense cependant que plusieurs d’entre eux ont dû être perdus ultérieurement, avant l’avènement du tyran de Khin, qui condamna toute la collection aux flammes. Mencius se plaint qu’à son époque les princes féodaux aient détruit de nombreux documents antiques afin de mieux perpétrer leurs propres usurpations et innovations [^8]. D’autres considérations, dont je n’ai pas besoin d’entrer dans l’exposé, me confortent dans cette conclusion.
Les sources du Shû.
4. Il serait judicieux de consacrer ici un paragraphe aux sources du Shû. Avons-nous suffisamment de preuves de la composition, dans l’Antiquité, des documents qu’il contient, et de leur préservation, pour pouvoir les rassembler dans une sorte de canon historique ?
Nous l’avons. Sous la dynastie de Kâu (1122-256 av. J.-C.), à la cour royale et, à une échelle plus réduite, à la cour des princes féodaux, il y avait des officiers appelés Sze, ce qui a été traduit par « enregistreurs », « annalistes », « historiographes » et simplement « clercs ». Il y avait le grand archiviste, l’assistant archiviste, l’archiviste de l’intérieur, l’archiviste de l’extérieur et l’archiviste au service du souverain. Parmi les fonctions de l’archiviste de l’intérieur figuraient les suivantes : « En cas de charge donnée par le roi au prince d’un État ou à tout autre dignitaire, il l’écrit sur des tablettes ; » « En cas de mémoires d’affaires provenant des différentes régions du royaume, il les lit (au roi) ; » « C’est son affaire [ p. 5 ] d’écrire toutes les charges du roi, et de le faire en double exemplaire. » Des devoirs du Recorder de l’Extérieur, il est dit : « Il a la charge des histoires des États dans toutes les parties du royaume ; » « Il a la charge des livres les plus anciens ; » « C’est son travail de publier dans toutes les parties du royaume les livres et les caractères qu’ils contiennent [4]. »
Ces entrées montrent que sous la dynastie Kâu, des dispositions étaient prises pour l’enregistrement et la conservation des charges et ordonnances royales, des opérations du gouvernement général et de l’histoire des différents États ; et, de plus, pour la conservation et l’interprétation des documents datant d’époques plus anciennes. Confucius lui-même nous dit qu’à ses débuts, un archiviste laissait un blanc dans son texte, plutôt que d’inscrire quoi que ce soit dont il n’avait pas de preuves suffisantes [5]. Mencius mentionne également trois ouvrages, le Shăng de Kin, le Thâo-wû de Khû et le Khun Khiû de Lû, qui devaient provenir des archivistes de ces États.
Français De l’existence d’une classe similaire d’officiers sous les dynasties précédentes de Shang ou Yin (1766-1123 av. J.-C.) et Hsiâ (2205-1765 av. J.-C.), nous n’avons pas de preuves aussi abondantes. Le chapitre 2 du 10e livre de la 5e partie de notre classique, cependant, semble en parler à l’époque de la première. Wû-ting (1324-1264 av. J.-C.), le vingtième souverain de cette dynastie, est décrit comme communiquant, par écrit, un rêve qu’il avait fait, à ses ministres [^11] ; et quatre cents ans plus tôt, Î Yin, le ministre en chef, remontrait par écrit à son jeune et insouciant souverain Thâi Kiâ [6]. En remontant à la dynastie des Hsiâ, nous trouvons le prince de Yin, sous le règne de Kung Khang (2159-2145 av. J.-C.), s’adressant à ses troupes, citant les Statuts du Gouvernement d’une manière qui nous fait concevoir qu’il se réfère à une compilation écrite bien connue [7]. Les petits-fils du grand Yü, son fondateur (2205-2196 av. J.-C.), font également mention, dans les Chants des Cinq Fils, de ses Leçons, dans un style qui nous suggère la formule que Mencius avait l’habitude d’employer pour se référer aux documents reconnus comme faisant autorité à son époque. [8]
L’encyclopédiste Mâ Twan-lin, dans son Examen général des archives et des érudits, publié pour la première fois en 1321, affirme que « le crayon des archivistes était occupé dès l’époque de Hwang Tî (2697 av. J.-C.) ». Les compilateurs des archives de la dynastie Sui (589-617 apr. J.-C.) affirment que « les documents historiques ont commencé immédiatement avec l’invention des caractères écrits ». Cette invention, je dois la situer à une date antérieure à celle attribuée à Hwang Tî. Une fois les caractères inventés, ils seraient employés à temps pour écrire l’histoire. Les dates anciennes avancées pour de nombreux documents du Shû ne constituent pas une raison valable pour les rejeter sans examen plus approfondi. On peut plutôt être surpris qu’à l’époque de la compilation, elle ne contienne pas beaucoup plus d’une centaine de documents.
Destruction de la littérature classique par l’empereur Khin.
5. La dynastie de Kâu prit fin en 256 av. J.-C., et après une période anarchique de trente-cinq ans, le roi de Khin réussit à unifier tous les États féodaux sous son autorité et se proclama empereur. Jusqu’alors, le Shû n’avait subi aucun autre dommage que celui que subissent toutes les œuvres humaines au cours du temps ; mais il échappa de justesse à une destruction totale. Un édit fut publié par le tyran en 213 av. J.-C., ordonnant que tous les anciens livres classiques soient jetés aux flammes, à l’exception de ceux appartenant aux grands érudits au service de la cour et du Yî. Sa colère était ardente contre le Shû et le Shih (le Livre de Poésie). La mort était le sort des érudits qui se réuniraient pour parler de ces ouvrages, et tous ceux qui seraient découverts en possession d’exemplaires de ces ouvrages, trente jours après la publication de l’édit, seraient marqués au fer rouge et envoyés travailler pendant quatre ans sur la Grande Muraille, qui était alors en construction.
Ce n’est pas le lieu d’expliquer ici les raisons qui ont conduit à cette tentative insensée d’anéantir, à l’exception d’une seule œuvre, les monuments littéraires antiques de la Chine. L’édit fut appliqué sans pitié, et des centaines de lettrés qui refusèrent d’obéir à l’ordre impérial furent enterrés vivants. Le Shû avait failli disparaître de la surface de la terre.
Récupération du Shû.
6. Le tyran mourut cependant en 210 av. J.-C., moins de quatre ans après la promulgation de son édit. La dynastie qu’il avait cherché à établir s’éteignit en 206 av. J.-C. Celle des Han date de 202 av. J.-C., et en 191, l’édit contre les livres anciens fut formellement abrogé. Ils étaient interdits depuis moins d’un quart de siècle. Il n’aurait probablement pas été difficile d’en récupérer des copies, sans le sac de la capitale en 206 av. J.-C. par le plus redoutable adversaire du fondateur de la maison des Han. Puis, les incendies firent rage, nous dit-on, pendant trois mois parmi les palais et les bâtiments publics, et se révélèrent aussi destructeurs pour les copies conservées à la cour que l’édit de Khin l’avait été pour celles du peuple.
Parmi les érudits de Khin, il y en avait un, du nom de Fû, qui, lors de la promulgation de l’édit, cacha ses tablettes du Shû dans un mur. Revenant les chercher après l’instauration du règne des Han, il constata que beaucoup avaient péri ou disparu. Il ne récupéra que vingt-neuf documents, contenant, selon la répartition en vigueur depuis longtemps, trente-cinq livres au total. L’un d’eux soulève une difficulté, dont je n’ai pas besoin d’aborder l’analyse. Fû commença à les enseigner, et de toutes parts des érudits accoururent à lui et s’assirent à ses pieds. L’empereur Wăn (179-155 av. J.-C.) entendit parler de lui et envoya l’un des archivistes de la cour lui rendre visite pour rapporter les tablettes retrouvées, ou une copie, à la capitale. Elles étaient rédigées selon le caractère courant de l’époque, différent de celui utilisé aux siècles précédents, et sont connues sous le nom de « Shû du texte moderne ». Français Le Catalogue de la Bibliothèque impériale, préparé par Liû Hin pour l’empereur Âi (6-1 av. J.-C.), contient une entrée sur « le texte du Shû en vingt-neuf parties », le même, sans doute, qui fut [ p. 8 ] reçu de Fû. Fû lui-même commenta son Shû. Le texte fut gravé sur les tablettes de pierre de l’empereur Ling (168-189 apr. J.-C.). De très nombreux érudits de l’époque Han travaillèrent sur ce texte, l’enseignèrent à leurs disciples et publièrent leurs points de vue à son sujet. Aucun de leurs écrits, cependant, ne survécut, sous une forme complète, aux troubles qui désolèrent l’empire sous le règne de l’empereur Hwâi (307-312 apr. J.-C.) de la dynastie occidentale des Kin.
Sous le règne de l’empereur Han Wû (140-185 av. J.-C.), on découvrit dans le mur de la maison de la famille Khung, ou famille confucéenne, les tablettes du Shû, du Printemps et de l’Automne, le classique de la Piété filiale, et les Lun-yü, ou Entretiens confucéens. Nous ignorons combien de temps elles y étaient restées. On dit communément qu’elles avaient été cachées par un membre de la famille Khung pour les préserver des incendies de Khin. Mais elles étaient sous une forme de caractères depuis longtemps tombés en désuétude, que presque personne ne pouvait déchiffrer, et devaient avoir été déposées vers le début du Ve siècle av. J.-C. Elles furent confiées aux soins de Khung An-kwo, qui était alors l’un des « grands érudits » de l’empire et le chef de la famille Khung. Grâce au texte actuel de Fû et à d’autres ressources, il a identifié toutes les tablettes du Shû en bon état de conservation, ainsi que plusieurs autres documents, outre les vingt-neuf documents de Fû. Il a également constaté que Fû avait, à trois reprises, incorporé deux documents différents sous un même nom, sans prendre note de la division de l’un des autres en trois livres ou sections. Au total, quarante-six documents, ou parties différentes de l’ancien Shû, ont été remis au jour. Ils apparaissent dans le Catalogue de Liû Hin comme « le texte du Shû en caractères anciens, en quarante-six parties ».
Après avoir rédigé les tablettes, An-kwo les présenta à l’empereur en 97 av. J.-C., avec une transcription en caractères courants de l’époque, et en conserva une seconde pour lui-même. Il reçut ensuite l’ordre d’en commenter l’ensemble. Il s’exécuta, mais au moment où il allait présenter le résultat de ses travaux à la cour, des troubles surgirent qui l’empêchèrent pendant plusieurs années de s’intéresser aux questions littéraires. C’est à cause de ces troubles que son commentaire fut négligé pendant un certain temps, et que le texte élargi qu’il avait déchiffré ne fut pas officiellement confié au Conseil des « Grands Savants », auquel la garde des cinq rois, pour autant qu’ils aient été retrouvés, avait été confiée en 136 av. J.-C.
Le commentaire d’An-kwo ne fut cependant pas perdu ; mais avant d’en parler, je dois mentionner une troisième récupération d’une grande partie du Shû au début de notre premier siècle. Un érudit et officier, nommé Tû Lin, avait fugitif, réussissant de nombreuses évasions remarquables, lors de l’usurpation de Mang (9-22 apr. J.-C.). Au cours de ses pérégrinations, il découvrit une partie du Shû sur des tablettes « laquées », ou peut-être sur du tissu laqué, qu’il conserva désormais comme son plus précieux trésor et qu’il garda près de lui. Lorsque l’empire fut de nouveau colonisé par le premier empereur des Han orientaux, il communiqua son texte à d’autres érudits. Wei Hung en publia un commentaire, et par la suite, Kiâ Khwei, Mâ Yung et Kăng Khang-_kh_ăng (tous de grands noms de la littérature chinoise) firent de même. Les livres « laqués » de Tû Lin étaient aussi nombreux que ceux d’An-kwo, mais ils contenaient cinq documents répartis en treize livres, absents du texte de l’autre, et manquaient de neuf documents, également répartis en treize livres, que contenait le texte d’An-kwo. Le commentaire de Kăng Khang-_kh_ăng perdura jusqu’à la dynastie Sui, après quoi nous le perdons de vue.
Je reviens au commentaire d’An-kwo, qui contenait bien sûr son texte. Sa transmission de main en main jusqu’à la fin de la dynastie des Han occidentaux est clairement retracée. Moins distinctement, mais sûrement, nous pouvons découvrir des preuves de sa préservation, jusqu’au début de la dynastie orientale des Kin, lorsque Mei Ȝeh, archiviste de l’Intérieur, étant entré en possession d’une copie, la présenta à l’empereur Yüan (317-322 apr. J.-C.). Le Canon de Shun y manquait et fut complété par le commentaire de Mâ Yung, basé sur le texte de Tû Lin. Dès lors, le texte et le commentaire d’An-kwo trouvèrent leur place au Collège impérial. Ils sont mentionnés dans le Catalogue de la Bibliothèque impériale des Sui. Le deuxième empereur de la dynastie Thung donna des ordres [ p. 10 ] pour une grande édition du Shû, sous la supervision de Khung Ying-tâ, assisté par d’autres. Ils adoptèrent le commentaire d’An-kwo et l’enrichirent d’annotations abondantes. En 654 après J.-C., leur ouvrage fut imprimé et, heureusement, il subsiste encore aujourd’hui. Le texte du Shû, c’est-à-dire tout ce qui avait été retrouvé par An-kwo, fut encore mieux préservé, étant gravé avec celui de tous les autres classiques sur les tablettes de pierre Thang qui furent achevées en 837 et sont toujours conservées à Khang-an, à Shen-hsî.
Il n’est pas nécessaire de retracer plus avant l’histoire du Shû. On pourrait aisément citer les titres de plus de 500 ouvrages, qu’ils soient complets ou partiels, depuis la dynastie des Thang jusqu’à nos jours. Sous la dynastie des Song, en effet, apparut la critique sceptique, qui, accordant relativement peu d’importance aux preuves externes, juge de l’authenticité des documents principalement d’après leur style. Les résultats de cette critique varient toujours selon les connaissances et la subjectivité de son auteur. Nombreux sont ceux qui soutiennent que le commentaire présenté comme celui d’An-kwo n’était pas réellement de lui, mais qu’il avait été rédigé par Mei Ȝeh et distribué au monde sous le nom du grand érudit Han. Même si tel était le cas, l’ouvrage subsisterait, écrit il y a près de 1 600 ans. Et c’est aux annotations des érudits Thang que nous devons la plupart de ce que nous savons des opinions antérieures de Mâ Yung, Kăng Khang-_kh_ăng et d’autres écrivains de la période Han. Que son auteur soit le vrai Khung ou un faux Khung, sa valeur ne peut être surestimée. Mais je ne crois pas qu’il s’agisse d’un faux. Qu’An-kwo ait écrit un commentaire sur son « Shû en caractères anciens » est admis par tous. Quand a-t-il péri ? Rien ne prouve qu’il l’ait jamais fait. Au contraire, son existence apparaît comme un fait, ici et là, à intervalles rapprochés, à la surface de l’histoire littéraire de l’empire, jusqu’à ce que nous arrivions à Mei Ȝeh, qui le reçut, comme le prouve Khung Ying-tâ, d’un érudit nommé Ȝang Ȝhâo.
Quant au texte du Shû, il n’y a pas de controverse au sujet des documents retrouvés en premier lieu par Fû ; mais les documents supplémentaires trouvés par Khung An-kwo sont tellement plus faciles à comprendre que je ne m’étonne pas qu’on les accuse d’être faux. Mais même eux ne sont pas faciles. Ils ne le paraissent que lorsqu’on en arrive à l’un d’eux, après avoir étudié avec soin certaines des parties les plus tortueuses communes aux deux textes. De plus, le style des différents livres diffère selon leurs sujets. Les « Annonces » sont les plus difficiles à comprendre. Les « Charges », les « Discours » et les « Instructions » sont beaucoup plus simples dans leur construction ; et les parties que nous devons à An-kwo se composent principalement de ceux-ci. Pour déchiffrer ses caractères obsolètes, il dut d’abord utiliser les Livres de Fû. Les lectures des disciples de Fû, différentes des siennes sur de nombreux passages, recueillies par l’industrie des critiques, démontrent qu’il ne suivait pas servilement son texte. Cependant, lorsqu’il en arrivait à de nouveaux livres, absents de l’exemplaire de Fû, il devait déchiffrer ses tablettes du mieux qu’il pouvait. Son aide la plus précieuse avait cessé. On peut concevoir que, lorsqu’il parvenait à lire la majeure partie d’un paragraphe, et que des caractères récalcitrants le défiaient, il le complétait selon sa compréhension du sens avec des caractères de son cru. Sa fidélité et son succès général sont attestés par les nombreux passages de ses livres particuliers cités dans les écrits de la dynastie Kâu. C’est un fait qui mérite la plus grande attention. Je ne pense pas qu’il y ait une seule déclaration importante dans ses chapitres qui ne soit ainsi attestée. Les caractéristiques de ses livres qui les ont exposés à la suspicion ne suffisent pas à infirmer leurs prétentions à être considérés comme des transcriptions authentiques des tablettes découvertes dans le mur de la maison de la famille Khung.
La conclusion à laquelle j’arrive, à la fin de ce chapitre, est qu’il n’y a rien qui puisse sérieusement ébranler notre confiance dans les parties du Shû que nous possédons maintenant, comme étant substantiellement les mêmes que celles qui se trouvaient dans la collection de la dynastie Kâu avant et après Confucius.
[^4] : 2 : 1 Mencius. VII, II, ch. 3.
[^8] : 4 : 1 Mencius, V, ii, ch. 2.
[^11] : 5 : 3 Partie IV, viii, section 1.
2:2 La première citation du Shû en Ȝo se situe sous la sixième année du duc Yin, en 717 av. J.-C. ↩︎
3:1 Entretiens, VII, i. ↩︎
3:2 La doctrine du juste milieu, XXX, i. ↩︎
5:1 Voir pour toutes ces déclarations le Livre Rituel ou Officiel de Kâu, XXXI, 35-42. ↩︎
5:2 Entretiens, XV, xxv. ↩︎
5:4 Partie IV, v, section 1. ↩︎
5:5 Partie III, iv. ↩︎
6:1 Partie III, iii. ↩︎