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1. Je n’entre ici dans la chronologie de la Chine que pour montrer qu’il n’y a aucune difficulté chronologique à accepter les documents du Shû, que je viens de préciser, comme possédant l’antiquité qu’on leur attribue.
Aucun système chronologique détaillé ne peut être établi à partir du Shû.
Le Shû lui-même ne permet pas d’établir un schéma chronologique pour la longue période qu’il couvre. On y apprend que la dynastie des Kâu succéda à celle des Shang (dont l’autre nom était Yin), et la dynastie des Shang à celle des Hsiâ, et qu’avant Yü, le fondateur des Hsiâ, il y eut les règnes de Shun et de Yâo. Comme l’a observé P. Gaubil : « Si nous n’avions que le roi Shû, nous n’aurions qu’une idée confuse de l’époque comprise dans les différentes parties du livre. » Rien de tout cela ne nous surprend. La chronologie d’une nation ne devient une science que lorsqu’on ressent la nécessité d’ordonner les événements de son histoire en séries régulières au cours du temps.
Les tentatives de chronologie systématique ont commencé à l’époque Han.
2. C’est sous la dynastie Han que fut tentée pour la première fois l’élaboration d’un schéma chronologique de l’histoire de la nation. À cette fin, les érudits utilisèrent le célèbre cycle de soixante ans, la quinzième année de la soixante-seizième révolution dont je parle actuellement. On supposait que ce cycle avait été inventé par Tâ-nâo, un officier de Hwang Tî, en 637 av. J.-C., soit la première année du premier cycle. Mais tous les érudits chinois, qu’ils remettent en question ou non cette origine du cycle, s’accordent aujourd’hui à dire que l’utilisation des caractères cycliques pour chronométrer les années n’était pas une méthode ancienne et qu’elle ne débuta pas avant l’époque de l’usurpateur Mang (9-22 apr. J.-C.).
Dans le Shû lui-même, le cycle en cours est utilisé pour consigner les jours, et seulement les jours. Les années sont spécifiées selon leur ordre dans le règne du souverain auquel elles se rapportent. Une telle spécification des années est cependant rare.
Ancienne méthode pour déterminer la durée de l’histoire chinoise.
Avant la dynastie Han, une liste des souverains et de la durée de leurs règnes était la seule méthode dont disposaient les Chinois pour déterminer la durée de leur histoire nationale. Et ce serait encore une méthode satisfaisante si nous disposions d’une liste complète et fiable des souverains et des années de règne de chacun. Mais nous ne la possédons pas. Même au début de la dynastie Han, le père de Sze-mâ Khien et lui-même, dans leurs Archives historiques, achevées vers 100 av. J.-C., se contentèrent de donner les noms et l’ordre de la plupart des souverains des Shang et des Hsiâ. Il convient également de préciser qu’en 279 apr. J.-C., lors de l’ouverture de la tombe du roi Hsiang de Wei (mort en 295 av. J.-C.), on y trouva plusieurs tablettes de bambou écrites en ancien. Sceaux en caractères, dont la partie la plus précieuse était un livre d’annales, commençant par le règne de Hwang Tî et s’étendant jusqu’à la seizième année du dernier roi de Kâu, en 299 av. J.-C. Cet ouvrage est toujours d’actualité sous le nom d’Annales des Livres de Bambou. La chronologie qui en découle est plus courte que le système reçu d’un peu plus de 200 ans.
Si, dans l’un des livres classiques de la dynastie Kâu, nous disposions d’une indication de la longueur de l’histoire nationale depuis une époque donnée jusqu’à l’époque de l’auteur, cette information serait extrêmement précieuse ; ou, si la durée des règnes des souverains Shang et Hsiâ, mentionnée sommairement, y était correctement donnée, nous serions en mesure d’en faire un calcul approximatif. Mais seuls deux passages de ces livres nous sont utiles sur ce point. Le premier se trouve dans un récit du supplément de Ȝo Khiû-ming aux Printemps et Automnes, sous la troisième année du duc Hsüan, où il est dit que la dynastie Shang a occupé le trône pendant 600 ans. Français L’autre passage est le dernier chapitre des œuvres de Mencius, où ce philosophe dit que « de Yâo et Shun à Thang » — une période comprenant toute la dynastie des Hsiâ — [ p. 22 ] « il y eut 500 ans et plus ; de Thang au roi Wăn » — la période de la dynastie Shang — « 500 ans et plus ; et du roi Wăn à Confucius, 500 ans et plus. » Nous savons que Confucius est né en 551 av. J.-C. En ajoutant 551 aux 1500 ans « et plus » donnés par Mencius, nous avons l’ère de Yâo et Shun à 2100 ans « et plus » avant notre ère chrétienne. Et la chronologie reçue place l’accession de Yü au trône, en tant que successeur de Shun, en 2205 avant J.-C. Aussi vague que soit le langage de Mencius, je ne pense pas qu’avec les recherches les plus minutieuses, en dehors des conclusions basées sur des considérations astronomiques, nous puissions déterminer quelque chose de plus précis et de plus défini concernant la durée de l’histoire chinoise que ce qu’il transmet.
La période de la dynastie Kâu.
3. La Charge au marquis Wăn, qui constitue aujourd’hui le 28e livre de la 5e partie du Shû, aurait été prononcée par le roi Phing, treizième de sa lignée. Sa place dans le temps historique est bien établie. La chronique des Printemps et Automnes de Confucius commence en 722 av. J.-C. La première des trente-six éclipses solaires qui y sont mentionnées eut lieu trois ans plus tard, le 14 février (NS) 719, et il est enregistré qu’elle eut lieu le mois suivant la mort du roi Phing. Il s’agit donc d’une date indiscutable. Une date antérieure, sous la dynastie Kâu, est connue avec la même certitude. Le Livre de la Poésie mentionne une éclipse de soleil qui eut lieu le 29 août 776 av. J.-C., dans la sixième année du règne du roi Yû, qui précéda Phing. Yû régna onze ans, et son prédécesseur, Hsüan, quarante-six ans, dont le règne commença donc en 827 av. J.-C. Jusqu’à cette date, les chronologistes chinois s’accordent. Aux dix règnes précédant le roi Hsüan, la chronologie reçue attribue 295 ans, faisant débuter la dynastie en 1122 av. J.-C., ce qui n’est pas loin de la vérité.
La période de la dynastie Shang.
4. À l’époque de la dynastie Shang, nous ne pouvons fixer un seul règne au moyen de faits astronomiques. La chronologie reçue lui attribue vingt-huit règnes, s’étendant sur 644 ans, de sorte que son commencement se situe en 1766 av. J.-C. Le schéma [ p. 23 ] dérivé des livres de bambou donne trente souverains, mais le total de leurs règnes n’est que de 508. Mencius dit qu’entre Thang, le fondateur de la dynastie, et Wû-ting, le vingtième souverain (dans le schéma commun), « il y eut six ou sept souverains dignes et sages [1] », ce qui conduit à la conclusion que le nombre total de vingt-huit souverains n’est pas hors de propos. Dans le quinzième Livre de Kâu, les noms de trois souverains Shang sont donnés, ainsi que la durée de leurs règnes, afin de montrer comment le Ciel est susceptible de couronner un bon roi par une longue domination. Il s’agit de Thâi Mâu, qui régna soixante-quinze ans ; Wû-ting, qui régna cinquante-neuf ans ; et Ȝû-_k_iâ, qui régna trente-trois ans. Les deux schémas concordent quant à la durée de ces règnes et de cinq autres. D’après l’affirmation du Ȝo-_k_wan, à laquelle j’ai fait référence plus haut, selon laquelle la dynastie Shang a possédé le trône pendant 600 ans, et les termes de Mencius selon lesquels ce règne a duré « 500 ans et plus », nous pouvons penser que les 644 ans du schéma commun sont plus susceptibles d’être corrects que les 508 ans du schéma plus court.
La période de Hsiâ.
5. La dynastie de Hsiâ dura, selon la chronologie reçue, 439 ans, et selon les livres de bambou, 431 ; la différence entre les deux modèles est donc minime. La première estimation nous porte jusqu’à 2205 av. J.-C., première année du règne de Yü.
Français J’ai fait allusion, page 13, à une éclipse de soleil, mentionnée dans le quatrième des Livres de Hsiâ, comme ayant eu lieu sous le règne de Kung Khang, petit-fils de Yü, et j’ai déclaré que P. Gaubil avait trouvé par calcul qu’au jour et au mois indiqués dans le document, et dans le quartier du ciel donné, une éclipse s’était produite dans la cinquième année de Kung Khang, c’est-à-dire en 2156 av. J.-C., et était visible dans sa capitale à 6 h 49’, A_M_. En 1840, J.-B. Biot soumit une copie des calculs de Gaubil au jeune Largeteau, membre, comme lui, de l’Institut de France, qui les recoupa avec les tables lunaires de Damoiseau et les tables solaires de Delambre, et en tira le résultat suivant : [ p. 24 ] il y eut bien une éclipse le jour indiqué, mais avant le lever du soleil à l’époque capitale de la Chine [2]. Mon ami, le révérend Dr Chalmers de Canton, ignorant tout de l’examen fait par Largeteau, entreprit de vérifier l’éclipse en 1861, et constata que si l’année, le mois et le jour, tels que donnés par Gaubil, étaient corrects, l’éclipse avait eu lieu pendant la nuit, et n’avait pu être vue par les astronomes chinois. L’éclipse mentionnée dans le document du Shû ne peut donc pas être utilisée actuellement pour confirmer la chronologie reçue de la Chine ; mais je ne veux pas y renoncer entièrement. M. Biot dit que, « Malgré l’échec de la tentative de Largeteau pour vérifier l’éclipse, l’espoir de la trouver encore dans l’une des années du vingt-deuxième siècle avant notre ère n’est pas entièrement perdu. Nous devrions attendre que le perfectionnement des tables lunaires nous apporte de nouvelles lumières, au moyen desquelles nous pourrons former un jugement plus sûr.
La période de Yâo et Shun.
6. Nous arrivons à la période la plus ancienne de l’histoire chinoise, dont le Shû fait plus qu’une brève mention : celle de Yâo et Shun. Il dit que Shun resta trente ans sur le trône avec Yâo, et que, cinquante ans plus tard, il mourut et accéda au trône. Nous apprenons également que c’est dans la soixante-dixième année de son règne que Yâo chercha quelqu’un pour le soulager des tracas du gouvernement. La période couverte par les deux est donc de 150 ans, ce que les deux systèmes chronologiques acceptent. En ajoutant deux années de deuil entre la mort de Shun et l’accession au trône de Yü, nous obtenons 2357 av. J.-C. comme première année de Yâo.
Dans le Canon de Yâo, lorsque ce personnage donne des instructions à ses astronomes sur la façon de déterminer les équinoxes et les solstices, il leur dit qu’à l’équinoxe de printemps, ils trouveraient l’étoile en Niâo, et à l’équinoxe d’automne en Hsü ; au solstice d’été, l’étoile en Hwo, et à l’équinoxe d’hiver en Mâo. Les érudits chinois ont toujours supposé que lorsque Yâo disait : « L’étoile du milieu du printemps est en [ p. 25 ] Niâo », il faisait référence à l’étoile culminant au crépuscule à cette saison, au point d’observation. Il en va de même pour les autres étoiles et saisons. Un astronome chinois de nos jours s’exprimerait de la même manière.
De plus, la division la plus courante, et la plus ancienne de l’écliptique en Chine, est celle des vingt-huit maisons lunaires, formant ce que nous pouvons appeler le zodiaque chinois. Ces maisons sont regroupées en quatre classes de sept chacune, assignées aux quatre points cardinaux [3]. Parmi les espaces célestes spécifiés par Yâo, Niâo est le nom général des sept maisons ou constellations appartenant au point cardinal ; Hwo est un ancien nom de ce qu’on appelle aujourd’hui Fang, la constellation centrale du point cardinal ; Hsü et Mâo sont les constellations centrales des points cardinaux nord et sud respectivement. Ce que Yâo voulait donc dire, c’est que ses astronomes pouvaient déterminer les solstices et l’équinoxe d’automne par la culmination des étoiles dans les maisons qu’il avait spécifiées pour ces saisons. Et nous pouvons supposer qu’il les dirigeait, pour l’étoile de l’équinoxe de printemps, vers Hsing, la maison centrale de l’espace méridional Niâo. Or, Hsing correspond à α (Alphard) Hydræ et aux petites étoiles proches dans notre nomenclature stellaire ; Hwo à β, δ du Scorpion ; Hsü à β du Verseau ; et Mâo aux Pléiades. Lorsque nous souhaitons utiliser les indications de Yâo à des fins d’enquête chronologique, la question qui se pose est la suivante : quand les étoiles susmentionnées culminaient-elles au crépuscule en Chine, aux saisons équinoxiale et solsticiale ?
Bunsen nous dit qu’Ideler, calculant les positions des constellations à rebours, a fixé l’accession de Yâo à 2163 av. J.-C., et que Freret était d’avis que les observations laissaient une incertitude de 3º, laissant une marge de 210 [ p. 26 ] ans [4]. D’autre part, J.-B. Biot a trouvé dans les instructions une confirmation suffisante de la date reçue pour l’accession de Yâo, - 2357 av. J.-C. [5]. En annexe à cette introduction se trouve une carte des étoiles telles qu’elles étaient visibles en Chine en 2300 av. J.-C., que le révérend C. Pritchard, professeur savilien d’astronomie à l’Université d’Oxford, a aimablement préparée pour moi. Une inspection de cette carte, de la manière qu’il a indiquée, montrera que les phénomènes indiqués par Yâo à ses astronomes étaient tous apparents à cette date. Français Ce fait doit être accepté comme une preuve solide de l’exactitude approximative de la chronologie, qui place Yâo au vingt-quatrième siècle avant J.-C. La précession des équinoxes, comme on l’a déjà observé, n’était pas connue en Chine avant plus de 2500 ans après l’époque attribuée à Yâo, de sorte que les étoiles culminantes aux équinoxes et aux solstices de sa période lointaine n’auraient pas pu être calculées scientifiquement à l’époque de la dynastie Kâu, pendant laquelle existait le recueil du Shû. La forme sous laquelle les instructions sont données, et d’autres éléments du Canon, ont en effet un goût de légende, et je n’ai pas prétendu que dans sa forme actuelle il soit reçu comme un document contemporain du règne de Yâo. J’ai soutenu, cependant, que le compilateur avait sous les yeux des documents anciens, et l’un d’eux devait contenir les faits concernant la culmination des étoiles, que je me suis maintenant efforcé de mettre en lumière.
La mention de ces étoiles culminantes semble bien situer Yâo dans la chronologie au XXIVe siècle av. J.-C. et montrer qu’à cette époque reculée, il était d’usage d’effectuer et de consigner des observations astronomiques des corps célestes. Compte tenu de ces éléments, ma prétention à considérer les documents du Shû, depuis le Discours de Kan, près de deux siècles après Yâo, comme contemporains des événements qu’ils décrivent, ne saurait être considérée comme extravagante.
7. Dans le 27e Livre de la 5e Partie, le Marquis de [ p. 27 ] Lü sur les Châtiments, il y a une référence historique qui nous ramènerait quatre siècles en arrière, au-delà de l’époque de Yâo. On dit que, « Selon les enseignements de l’antiquité, Khih Yû fut le premier à créer le désordre. » Il n’y a cependant aucune allusion à l’époque où ce rebelle troubla l’ordre heureux et l’innocence qui régnaient auparavant ; et la même phrase ramène le rappel de l’antiquité à l’époque de Shun. Mais les chronologistes le situent sous le règne de Hwang Tî, vers la fin du vingt-septième siècle avant J.-C. D’autres auteurs décrivent la lutte entre lui et Hwang Tî, dans laquelle les dragons, les brumes et l’invention de la boussole jouent un rôle important. C’est tout à l’honneur du Shû, et c’est une preuve qu’il s’agit d’une véritable collection de mémoriaux historiques, que cette référence superficielle à Khih Yû soit la seule mention d’un nom plus ancien que celui de Yâo.
23:1 Mencius, II, i, ch. 1. ↩︎
24:1 Etudes Sur l’Astronomie Indienne et sur l’Astronomie Chinoise, pp. 376-382. ↩︎
25:1 Dans le Livre Officiel de Kâu, ouvrage du XIIe siècle avant notre ère, Livre XXVI, par. 25, dans l’énumération des devoirs de l’astronome royal de l’époque, il est mentionné la détermination des « places des vingt-huit étoiles », c’est-à-dire des « étoiles principales dans les vingt-huit demeures lunaires ». Les noms des étoiles et de leurs demeures ne sont pas mentionnés ; ce qui est certainement une indication suffisante qu’ils étaient déjà bien connus à cette époque. Voir les Études sur l’Astronomie Indienne, etc. de Biot, pp. 112, 113. ↩︎
26:1 La place de l’Égypte dans l’histoire universelle, III. pp. 400, 401. ↩︎
26:2 Etudes sur l’Astronomie Indienne, &c., pp. 361-366. ↩︎