Après Pan-kăng, vinrent les règnes de Hsiâo-hsin et de Hsiâo-yî, dont nous n’avons aucun compte rendu dans le Shû. Hsiâo-yî fut suivi par Wû-ting (1324-1264 av. J.-C.), dont le règne est inscrit dans ce livre en trois sections. Son nom n’y figure pas, mais il ressort de la notice liminaire et des Entretiens confucéens, XIV, xliii, qu’il est le roi désigné. Ce livre est le premier des « Charges » du Shû. Elles relatent la désignation par le roi d’un officier pour une charge particulière ou un fief, avec le discours qu’il prononce à cette occasion. Ici, la charge est adressée à Yüeh, dans la première section, lors de sa nomination comme ministre en chef. Dans les deux autres sections, Yüeh est l’orateur principal, et non le roi. Ils ressemblent davantage aux « Conseils ». Yüeh avait vécu reclus dans l’obscurité. L’attention du roi fut attirée sur lui de la manière relatée dans le Livre, et il fut découvert à Fû-yen, ou au milieu des « Rochers de Fû », d’où son nom de famille Fû Yüeh.
La première section raconte comment le roi rencontra Yüeh et le nomma ministre en chef, et comment Yüeh répondit à la mission qui lui fut confiée. Dans la deuxième section, Yüeh conseille le roi sur divers points, et celui-ci lui répond avec admiration. Dans la troisième, le roi se présente comme un élève aux pieds de Yüeh et reçoit un sermon sur l’élargissement de ses connaissances. À la fin, le roi déclare considérer Yüeh comme un autre Î Yin, pour faire de lui un autre Thang.
1. Le roi passa la saison du deuil dans le hangar funéraire pendant trois ans [^115], et lorsque la période de deuil fut terminée, il ne parla toujours pas (pour donner le moindre ordre). Tous les ministres lui adressèrent des remontrances, disant : « Oh ! celui qui est (le premier) à appréhender, nous le déclarons intelligent, et l’homme intelligent est le modèle pour les autres. Le Fils du Ciel règne sur les myriades de régions, et tous les officiers l’admirent et le révèrent. Ce sont les paroles du roi qui forment les ordres (pour eux). S’il ne parle pas, les ministres n’ont aucun moyen de recevoir leurs ordres. » Sur ce, le roi fit un écrit, pour leur information, à l’effet suivant : « Comme il m’appartient de servir de [ p. 114 ] directeur des quatre quartiers (du royaume), j’ai eu peur que ma vertu ne soit pas égale à celle de mes prédécesseurs, et je n’ai donc pas parlé. (Mais) tandis que je réfléchissais respectueusement et silencieusement à la (bonne) voie, j’ai rêvé que Dieu m’avait donné un bon assistant qui parlerait pour moi.* Il se rappela alors minutieusement l’apparence (de la personne qu’il avait vue), et fit chercher sa présence partout au moyen d’une image. Yüeh, un constructeur du pays sauvage de Fû-yen, lui ressemblait.
2. Sur ce, le roi éleva et fit de Yüeh son premier ministre, le gardant (également) à ses côtés.
Il lui ordonna, en disant : « Matin et soir, présente tes instructions pour aider ma vertu. Suppose que je sois une arme d’acier ; je t’utiliserai comme une pierre à aiguiser. Suppose que je traverse un grand ruisseau ; je t’utiliserai comme un bateau avec ses rames. Suppose que dans une année de grande sécheresse ; je t’utiliserai comme une pluie abondante. Ouvre ton esprit et enrichis le mien. (Soyez) comme un médicament, qui doit affliger le patient, afin de guérir sa maladie. (Pensez à nous) comme quelqu’un qui marche pieds nus, dont les pieds sont sûrs d’être blessés, s’il ne voit pas le sol.
« Vous et vos compagnons nourrissez-vous tous le même désir d’aider votre souverain, afin que je puisse suivre mes prédécesseurs royaux et marcher sur les traces de mon illustre ancêtre, pour apporter le repos à des millions de personnes ? Oh ! Respectez cette mission que je vous confie ; ainsi vous mènerez votre œuvre à bonne fin. »
3. Yüeh répondit au roi : « Le bois est redressé par l’usage de la ligne, et le souverain qui suit les réprimandes devient sage. Lorsque le souverain peut (ainsi) se rendre sage, ses ministres, [ p. 115 ] sans en avoir reçu l’ordre spécial, anticipent ses ordres ; qui oserait ne pas se conformer respectueusement à cette excellente recommandation de Votre Majesté ? »
1. Yüeh, ayant reçu sa charge et pris la tête de tous les officiers, se présenta devant le roi et dit : « Oh ! les rois intelligents agissent en harmonie avec les lois du Ciel. La fondation des États et l’établissement des capitales, la nomination des rois souverains, des ducs et autres nobles, avec leurs hauts fonctionnaires et leurs chefs de département, n’étaient pas destinés à satisfaire l’oisiveté et les plaisirs d’un seul, mais au bon gouvernement du peuple. C’est le Ciel qui est tout intelligent et observateur ; que le sage (roi) s’en inspire. » Alors ses ministres s’accorderont avec lui, et le peuple sera ainsi bien gouverné.
C’est la bouche qui donne lieu à la honte ; ce sont la cotte de mailles et le casque qui donnent lieu à la guerre. Les robes du haut et les vêtements du bas (car la récompense ne doit pas être retirée à la légère) de leurs poitrines ; avant d’utiliser la lance et le bouclier, il faut s’examiner soi-même. Si Votre Majesté est prudente à l’égard de ces choses et, croyant cela à leur sujet, parvient à les utiliser intelligemment, (votre gouvernement) sera excellent en tout. Le bon et le mauvais gouvernement dépendent des différents officiers. Les fonctions ne devraient pas être attribuées à des hommes parce qu’ils sont favorisés, mais seulement à des hommes de talent. Les dignités ne devraient pas être conférées à des hommes aux pratiques malfaisantes, mais seulement à des hommes de valeur.
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« Une réflexion anxieuse sur ce qui sera le mieux devrait précéder vos actions, et celles-ci devraient être entreprises au moment opportun. Se complaire dans la conscience d’être bon est le chemin de la perte de cette bonté ; être vaniteux de ses capacités est le chemin de la perte du mérite qu’elles pourraient engendrer. »
« Pour toute affaire, qu’il y ait une préparation adéquate ; avec une préparation, il n’y aura pas de désastre. N’ouvrez pas la porte aux favoris, de qui vous recevrez le mépris. N’ayez pas honte de vos erreurs et ne les commettez pas de crimes. Laissez votre esprit se concentrer sur ses objectifs légitimes, et les affaires de votre gouvernement seront pures. L’impolitesse dans les sacrifices est appelée irrévérence ; et la multiplication des cérémonies mène au désordre. Servir les esprits de manière acceptable (de cette manière) est difficile. »
2. Le roi dit : « Excellent ! Tes paroles, ô Yüeh, devraient être mises en pratique. Si tu n’étais pas si bon conseiller, je n’aurais pas entendu ces règles de conduite. » Yüeh s’inclina, la tête baissée, et dit : « Ce n’est pas la connaissance qui est difficile, mais l’action. Mais puisque Votre Majesté le sait vraiment, la difficulté n’existera pas, et vous deviendrez véritablement l’égal en vertu de notre premier roi. Si moi, Yüeh, je m’abstiens de dire ce que je devrais dire, la faute m’en reviendra. »
1. Le roi dit : « Viens, ô Yüeh. Moi, le petit, j’ai d’abord appris avec Kan Pan [^116]. Ensuite, j’ai vécu [ p. 117 ] caché parmi les rudes paysans, puis je suis allé (à la campagne) à l’intérieur des Ho, et j’y ai vécu [^117]. Des Ho, je suis allé à Po ; et le résultat a été que je suis ignorant. Enseigne-moi quels devraient être mes objectifs. Sois pour moi comme la levure et le malt pour faire des spiritueux doux, comme le sel et les pruneaux pour faire une soupe agréable. Utilise diverses méthodes pour me cultiver ; ne me rejette pas ; ainsi je parviendrai à mettre en pratique tes instructions. »
Yüeh dit : « Ô roi, un souverain doit chercher à apprendre beaucoup (de ses ministres), en vue d’établir ses affaires ; mais apprendre les leçons des anciens est le moyen d’y parvenir. Que les affaires d’un seul, sans faire des anciens ses maîtres, puissent se perpétuer de génération en génération, c’est ce que je n’ai pas entendu. »
« L’apprentissage exige un esprit humble et un sérieux constant ; dans ce cas, l’amélioration (de l’apprenant) est assurée. Celui qui chérit sincèrement ces choses trouvera toute la vérité s’accumuler en lui. L’enseignement est la moitié de l’apprentissage ; lorsque les pensées d’un homme, du début à la fin, sont constamment fixées sur l’apprentissage, sa culture vertueuse passe inaperçue. »
« Examinez le modèle parfait de notre premier roi ; ainsi vous serez à jamais préservés de l’erreur. Alors, je pourrai répondre respectueusement à vos vues et rechercher, de tous côtés, des hommes éminents à placer aux différentes fonctions. »
2. Le roi dit : « Oh ! Yüeh, si tous ceux qui vivent dans les quatre mers admirent ma vertu, c’est grâce à toi. De même que ses jambes et ses bras forment l’homme, un bon ministre forme le sage (roi). » Autrefois, il y eut le premier ministre de notre dynastie, Pâo-hăng [^118], qui suscita et forma son fondateur royal. Il dit : « Si je ne peux pas rendre mon souverain semblable à Yâo ou à Shun, j’aurai honte dans mon cœur, comme si j’étais battu sur la place publique. » Si un homme du commun n’obtenait pas (tout ce qu’il désirait), il disait : « C’est ma faute. » (Ainsi) il a aidé mon méritant ancêtre, de sorte qu’il est devenu l’égal du grand Ciel.* Donnez-moi votre aide intelligente et préservatrice, et ne laissez pas Â-hăng accaparer tout le bon service à la Maison de Shang.
« Le souverain ne devrait partager son gouvernement qu’avec des officiers méritants. L’officier méritant ne devrait accepter son soutien que du souverain digne de ce nom. Puissiez-vous désormais réussir à faire de votre souverain un (véritable) successeur du fondateur de sa lignée et à assurer le bonheur durable du peuple ! »
Yüeh s’inclina, la tête baissée, et dit : « Je vais oser répondre et exposer au grand jour l’excellente mission de Votre Majesté. »