Un certain coffre ou coffret, fermé par des bandes de métal et dans lequel étaient déposés d’importants documents d’État, joue un rôle important parmi les incidents du Livre, qui est donc appelé « le Coffre relié en métal ». Il est douteux de savoir à quelle classe parmi les documents du Shû il doit être attribué.
Le roi Wû est très malade et sa mort semble imminente. Son frère, le duc de Kâu, craignant les désastres qu’un tel événement causerait à leur jeune dynastie, conçoit l’idée de mourir à sa place et prie « les trois rois », leurs ancêtres immédiats, de le prendre et de laisser le roi Wû. Après cela, et devinant qu’il a été exaucé, il dépose sa prière dans le coffre métallique. Le roi se rétablit et le duc est également épargné ; mais des années plus tard, Wû meurt et son fils, âgé de treize ans seulement, lui succède. Des rumeurs se répandent selon lesquelles le duc convoite le trône et il se retire temporairement de la cour. Finalement, dans la troisième année du jeune roi, le Ciel intervient. Il a l’occasion d’ouvrir le coffre, et la prière du duc est entendue. Son dévouement envers son frère et les intérêts de leur famille est mis en lumière. Le jeune monarque pleure les soupçons injustes qu’il nourrissait et accueille le duc à la cour, au milieu de démonstrations évidentes de l’approbation du Ciel.
L’ensemble du récit constitue un épisode très plaisant de l’histoire de l’époque. Il se divise naturellement en deux chapitres : le premier se termine par la mise en place de la prière dans le coffre ; le second détaille la manière dont elle fut mise au jour et les conséquences de cette découverte.
C’est dans ce livre que nous rencontrons pour la première fois dans le Shû le duc de Kâu, un nom de l’histoire chinoise qui n’est surpassé que par celui de Confucius. Il fut le législateur et le consolidateur de la dynastie de Kâu, aussi puissant en paroles qu’en actes, un homme de conseil et d’action. Confucius respectait sa mémoire et considérait que le duc de Kâu ne lui apparaissait plus en rêve, signe de son propre déclin. Il était le quatrième fils du roi Wăn ; son nom était Tan, et il avait pour apanage le territoire de Kâu, où Than-fû, canonisé par lui sous le nom de roi Thâi, établit pour la première fois le siège de sa famille en 1327 av. J.-C., et c’est pourquoi il est communément appelé « le duc de Kâu ».
1. Deux ans après la conquête de Shang [^159], le roi tomba malade et fut profondément inconsolable. Les deux (autres grands) ducs [^160] dirent : « Consultons respectueusement [ p. 153 ] l’écaille de tortue au sujet du roi ; » mais le duc de Kâu dit : « Vous ne devez pas tant affliger nos anciens rois [^161]. » Il prit alors la relève et éleva trois autels de terre sur le même espace dégagé ; et, ayant construit un autre autel au sud de ceux-ci, face au nord, il y prit place. Ayant placé un symbole rond de jade (sur chacun des trois autels), et tenant dans ses mains le symbole allongé (de son propre rang), il s’adressa aux rois Thâi, Kî et Wăn.*
Le (grand) historiographe avait écrit sur des tablettes sa prière, qui était à cet effet : « AB, votre grand descendant, souffre d’une maladie grave et violente ; si vous trois rois avez au ciel la charge de (veiller sur) lui, le grand fils (du Ciel), laissez-moi, Tan, être un substitut à sa personne [^162]. J’étais obéissant avec amour à mon père ; je possède de nombreuses capacités et arts, qui me rendent apte à servir les êtres spirituels. Votre grand descendant, d’autre part, n’a pas autant de capacités et d’arts que moi, et n’est pas aussi capable de servir les êtres spirituels. Et de plus, il a été désigné dans la salle de Dieu pour étendre son aide dans tout le royaume, afin qu’il puisse établir vos descendants dans cette terre inférieure. Les gens des quatre coins se tiennent tous dans une crainte respectueuse [ p. 154 ] devant lui. Oh ! Ne laissez pas tomber à terre cette précieuse nomination divine, et (toute la longue lignée de) nos anciens rois auront aussi quelqu’un en qui ils pourront se reposer à jamais grâce à nos sacrifices.* Je vais maintenant solliciter votre décision (sur cette affaire) auprès de la grande carapace de tortue. Si vous m’accédez (à ma requête), je prendrai ces symboles et cette masse, et je reviendrai attendre vos ordres. Si vous ne me les accordez pas, je les mettrai de côté [^163].*
Le duc fit alors une divination avec les trois carapaces de tortue, et toutes lui furent favorables. Il ouvrit avec une clé l’endroit où étaient conservées les réponses (oraculaires), les examina et elles lui furent également favorables. Il dit : « Selon la forme (du pronostic), le roi ne subira aucun préjudice. Moi, le petit enfant, j’ai obtenu le renouvellement de son mandat des trois rois, qui ont consulté pour un long avenir. Il me reste maintenant à attendre le résultat. Ils peuvent subvenir aux besoins de notre homme. »
Lorsque le duc revint, il plaça les tablettes (de la prière) dans un coffre relié en métal [1], et le lendemain le roi se sentit mieux.
2. (Par la suite), à la mort du roi Wû, le frère aîné (du duc), celui de Kwan, et ses frères cadets répandirent dans le royaume une rumeur sans fondement, [ p. 155 ], selon laquelle le duc ne ferait aucun bien au jeune fils (du roi). Sur ce, le duc dit aux deux (autres grands) ducs : « Si je ne soumets pas la loi (à ces hommes), je ne pourrai pas faire mon rapport aux anciens rois [2]. »*
Il résida donc deux ans en Orient [3], lorsque les criminels furent arrêtés (et traduits en justice). Il composa ensuite un poème à présenter au roi, qu’il intitula « Le Hibou » [4]. Le roi, de son côté, n’osa pas blâmer le duc.
À l’automne, alors que les céréales étaient abondantes et mûres, mais avant même d’être récoltées, le ciel envoya un grand orage, accompagné de tonnerre et d’éclairs, accompagné de vent, qui détruisit tout le grain et arracha de grands arbres. Le peuple fut profondément terrifié ; le roi et les hauts fonctionnaires, tous coiffés de leurs casquettes, ouvrirent le coffre métallique et examinèrent les écrits qu’il contenait. Ils y trouvèrent les paroles du duc lorsqu’il se chargea de remplacer le roi Wû. Les deux (hauts) ducs et le roi interrogeèrent l’historiographe et tous les autres fonctionnaires (au courant de la transaction) à ce sujet, et ils répondirent : « Il en fut bien ainsi ; mais oh ! le duc nous a défendu d’en parler. » Le roi tenait l’écrit à la main et pleurait en disant : « Nous n’avons plus besoin (à présent) de nous livrer à des devinettes respectueuses. Autrefois, le duc était si fervent envers la maison royale, mais moi, enfant, je l’ignorais. Maintenant, le Ciel a déployé ses terreurs pour manifester sa vertu. Que moi, le petit enfant, j’aille (maintenant) à sa rencontre avec mes nouvelles vues et mes nouveaux sentiments, c’est ce que les règles de bienséance de notre royaume exigent. »
Le roi se rendit alors aux frontières (à la rencontre du duc), lorsque le ciel fit tomber la pluie et, grâce à un vent contraire, les céréales se levèrent toutes. Les deux (grands) ducs ordonnèrent au peuple de ramasser les arbres tombés et de les remplacer. L’année s’avéra alors très fructueuse.
152:1 av. J.-C. 1121. ↩︎
152:2 Il s’agissait du duc de Shâo, à qui est attribué le Livre précédent, et de Thâi-kung, qui devint le premier des seigneurs de Khî. ↩︎
153:1 Il rejette leur proposition, ayant décidé de prendre toute l’affaire sur lui. ↩︎
153:2 Deux choses sont claires ici : premièrement, que le duc de Kâu s’offrit à mourir à la place de son frère ; deuxièmement, qu’il pensait que son offre pourrait être acceptée grâce à l’intervention des grands rois, leurs ancêtres. Il expose ensuite les raisons qui l’ont poussé à faire une telle offre, et elles sont suffisamment intéressantes. Il n’était guère nécessaire aux érudits chinois de se donner la peine qu’ils ont prise pour libérer le duc de l’accusation de s’en vanter. ↩︎