Or, il arriva qu’Antar, poursuivant son voyage vers chez lui, atteignit le Zatool Menahil peu après que les cinq esclaves chargés de la litière d’Abla y eurent dressé leurs tentes ; et il ne fut pas peu surpris d’entendre la voix d’une femme dans la litière, l’appelant par son propre nom dans sa détresse, disant : « Malheur à ces esclaves ignobles ! Ô Antar ! Où sont tes yeux, pour qu’ils puissent me voir ? » Et elle continua ainsi sa lamentation :
Où sont tes yeux, ô Chevalier des hommes et des génies ?
Oh si tu pouvais me voir dans l’infamie du désespoir, avec des misérables qui ne respectent aucune protection : non, non, et n’ayez aucune pitié !
Oh, si je n’avais jamais vécu dans ce siècle de traîtres, qui ne voient en toi que ma misère et mon déshonneur !
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Pourquoi Dieu a-t-il prolongé mon existence, maintenant que le lion est parti, qui a jamais protégé le pays et les femmes ?
Que Dieu arrose toujours sa tombe de pluies abondantes qui ne manqueront pas !
Car, en vérité, il était un chevalier et un héros qui pouvait vaincre avec ses doigts les bêtes du désert et détruire les guerriers au jour de la bataille, chaque fois qu’il apparaissait dans les plaines de conflit !
Antar fut alors assuré que la jeune fille en détresse ne pouvait être autre que sa bien-aimée Abla ; et attaquant furieusement les esclaves avec sa lance, il en tua trois, tandis que les deux autres s’enfuirent pour porter la nouvelle à leur chef.
Abla fut naturellement bouleversée par l’apparition soudaine de son brave amant, qu’elle avait longtemps considéré comme mort, mais enfin ses esprits revinrent à la vie et elle exprima ses sentiments dans ces vers :
Toute ma misère, toute ma douleur, est passée, maintenant que nous nous sommes rencontrés après une si longue absence !
Le temps annonce maintenant avec bonheur l’existence de celui qui avait été piétiné sous la tombe muette !
Maintenant, les yeux de l’âge sont illuminés, après une période d’obscurité, et je suis revenu à la vie après ma mort !
Ô Chevalier des hommes et des génies ! Ô toi qui surpasses tous les guerriers en gloire, mes yeux se réjouissent à la vue de ta libéralité et de la beauté de ta vérité !
J’implorerai Dieu d’exalter toujours tes gloires, matin et soir !
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Elle raconta alors à Antar comment Shiboob lui avait apporté la triste nouvelle de sa mort et de tout ce qui lui était arrivé pendant sa longue absence ; et Antar, à son tour, raconta brièvement ses propres aventures et les périls auxquels il avait été exposé depuis qu’il avait quitté le pays de Shurebah pour se procurer les chameaux Asafeer pour sa dot.
Ainsi les amants causaient, lorsque le Mal Nocturne fut aperçu s’approchant rapidement, ayant entendu, par les deux esclaves qui avaient échappé aux coups de lance d’Antar, parler du champion irrésistible qui était venu au secours de leur belle protégée. Antar, monté sur Abjer, assaillit impétueusement le brigand de sa lance, et s’écriant : « O par Abs ! O par Adnan ! — Je suis l’amant d’Abla !
Le héros se hâta alors de disperser les partisans du Mal Nocturne et de libérer les prisonniers, et tout en exprimant sa satisfaction d’avoir rencontré son oncle Malik, il lui rappela que toutes ses souffrances récentes n’étaient qu’une juste punition pour sa conduite passée.
Les tentes furent dressées et un grand festin préparé par les esclaves d’Antar, et le héros divertit ses amis avec ses aventures en Irak et les honneurs et les cadeaux princiers que lui avait accordés le roi Nushirvan. Après le festin, Antar rejoignit Abla, qui se jeta dans ses bras et l’embrassa à plusieurs reprises. Lorsqu’il lui raconta toutes les richesses qu’il avait rapportées chez lui, elle lui répondit : « En vérité, ta sécurité m’est plus agréable que tout ce que tu as décrit : je n’ai éprouvé de plaisir qu’en ta présence. » Antar sourit et son sein se gonfla de joie devant la pureté de son amour.