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HOLLA ! — Réveille-toi, douce demoiselle, et apporte notre breuvage du matin dans ta coupe spacieuse ; ne permets pas que les riches vins d’Enderein soient plus longtemps thésaurisés :
2. Apportez le vin bien tempéré, qui semble être teinté de safran, et, lorsqu’il est délayé avec de l’eau, fait déborder la coupe.
3. C’est la liqueur qui détourne l’amant inquiet de sa passion, et, dès qu’il la goûte, il est parfaitement composé :
4. C’est pourquoi tu vois le pauvre rustre, quand le bol qui tourne autour de lui passe devant lui, grandir sans se soucier de son argent :
5.* Quand ses flammes puissantes ont saisi le plus discret de nos jeunes, tu l’imaginerais en proie à la frénésie.
6. Tu détournes de nous la coupe, ô mère d’Amru, car le vrai chemin de la coupe est vers la main droite.
7. Il n’est pas le moins aimable de tes trois compagnons, ô mère d’Amru, à qui tu n’as pas présenté le bol du matin.
8.* Combien de tasses ai-je achetées à Balbec ! combien d’autres à Damas et au Kasirein !
9. Certes, l’heure qui nous est assignée par le destin nous rattrapera, puisque nous sommes destinés à la mort, et la mort à nous.
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10. O, attends un moment, avant que nous nous séparions, toi, beau cavalier sur les chameaux, afin que nous puissions te raconter nos chagrins, et toi, à nous, tes délices !
11. O reste ! — afin que nous puissions savoir si tu as changé ton intention de partir précipitamment, ou si tu as complètement trompé ton amant trop confiant :
12. Au jour odieux de la bataille, tandis qu’il lutte au milieu des blessures et des coups, puisse le Maître du monde rafraîchir ta vue avec fraîcheur et la satisfaire de tout objet désiré !
13. O Amru, quand tu visites ta belle en secret, et quand les yeux des ennemis qui rôdent sont fermés en repos,
14. Elle montre deux beaux bras, beaux et pleins comme les membres d’un jeune chameau blanc comme neige au long cou, qui gambade pendant la saison printanière sur les bancs de sable et les collines verdoyantes ;
15. Et deux seins doux, lisses et blancs comme des vases d’ivoire, modestement défendus de la main de ceux qui osent les toucher :
16. Elle découvre sa silhouette élancée, grande et bien proportionnée, et ses flancs s’élevant gracieusement avec tous les charmes qui les accompagnent ;
17.* Ses hanches élégamment gonflées, que l’entrée de la tente est à peine assez large pour admettre, et sa taille, dont la beauté me rend fou ;
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18.* Avec deux charmantes colonnes de jaspe ou de marbre poli, sur lesquelles pendent des bagues et des bibelots faisant un bruit strident.
19. Ma passion de jeunesse se rallume, et mon désir ardent se ranime, quand je vois les chameaux de voyage de ma belle promenés le soir ;
20. Quand les villes de Yemama apparaissent en vue, élevées au-dessus des plaines, et brillantes comme des sabres brillants dans les mains de ceux qui les ont dégainés.
21. Quand elle s’en va, la douleur d’une chamelle qui cherche son poulain perdu, et revient désespérée avec des cris perçants, n’égale pas mon angoisse ;
22. Ni celle d’une veuve aux cheveux blancs, dont le deuil ne cesse jamais pour ses neuf enfants, dont il ne reste rien que ce que le tombeau a caché.
23. Tel est notre sort ! Ce jour, le lendemain et le matin qui les suivra sont des gages entre les mains du destin pour des événements dont nous n’avons aucune connaissance.
24. Ô fils de Hinda, ne sois pas précipité dans ton jugement contre nous : écoute-nous avec patience, et nous te donnerons des informations certaines ;
25. Que nous menions nos étendards au combat, comme des chameaux à l’étang, d’une teinte blanche, et que nous les ramenions tachés du sang dans lequel ils ont étanché leur soif ;
26. Que nos jours de prospérité, pendant lesquels nous avons refusé d’obéir aux ordres des rois, ont été longs et brillants.
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27. Plus d’un chef de sa nation, sur lequel le diadème royal a été placé, refuge de ceux qui imploraient sa protection,
28. Nous l’avons laissé prosterné sur le champ de bataille, tandis que ses chevaux attendaient à ses côtés, avec un de leurs sabots pliés et avec des brides richement ornées.
29.* Souvent nous avons fixé nos demeures à Dhu Thaluh, vers les districts de Syrie, et avons tenu à distance ceux qui nous menaçaient.
30. Nous étions tellement déguisés dans notre armure que les chiens de la tribu grognaient contre nous, et pourtant nous arrachions les branches de chaque arbre épineux (de chaque guerrier armé) qui s’opposait à nous.
31. Quand nous faisons rouler la meule de la guerre sur un petit clan, ils sont réduits en farine dès la première bataille ;
32. Du côté oriental du Najd, la toile du moulin est étendue, et tout ce que nous y jetons devient bientôt une poudre impalpable.
33. Vous débarquez sur nos collines comme des invités reçus dans leur station, et nous nous empressons de vous réserver un accueil chaleureux, de peur que vous ne vous plaigniez de notre retard :
34. Nous vous invitons à notre table, et préparons promptement pour votre divertissement un rocher solide, qui, avant le lever du jour, vous réduira en poussière.
35. Certes, haine après haine est manifestée par toi, ô chef ennemi ! et ta rancune secrète a été révélée :
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36. Mais nous avons hérité de la gloire, comme le sait bien la race de Maad ; nous avons combattu avec vaillance jusqu’à ce que notre renommée soit illustre.
37. Quand les piliers de nos tentes qui tombent tremblent sur nos meubles, nous défendons nos voisins du min imminent.
38. Nous distribuons nos dons à nos compatriotes, mais nous dédaignons de partager leur butin, et les fardeaux que nous portons, nous les supportons pour leur avantage.
39• Quand les troupes ennemies sont à distance de nous, nous lançons nos javelots, et quand nous nous approchons du combat, nous frappons avec des sabres tranchants.
40. Nos javelots sombres, finement travaillés à partir de roseaux khathaiens, minces et délicats ; nos sabres, brillants et perçants :
41. Avec eux, nous fendons en morceaux les têtes de nos ennemis, nous fauchons, nous coupons leurs cous comme avec des faucilles.
42. Alors, pourriez-vous imaginer que les crânes des héros de la plaine sont les balles d’un chameau jetées sur un sol rocailleux.
43. Au lieu de nous soumettre à eux, on leur écrase la tête, et leur terreur est telle, qu’ils ne savent de quel côté le danger est à craindre.
44. Nos cimeterres, dont les coups s’échangent furieusement, sont aussi peu considérés par nous que des ceintures torsadées dans les mains d’enfants enjoués.
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45. Leur armure et la nôtre, tachées réciproquement de notre sang, semblent être teintes ou peintes avec le jus de la fleur de seringa pourpre.
46. À un moment où la tribu hésite à charger l’ennemi, craignant un désastre probable,
47. Alors nous menons notre troupe, comme une montagne au sommet pointu ; nous préservons notre réputation, et avançons aux premiers rangs,
48. Avec les jeunes gens qui considèrent la mort comme l’accomplissement de la gloire, et avec les héros âgés, expérimentés dans la guerre :
49. Nous défions tous les clans ensemble de lutter avec nous, et nous empêchons hardiment leurs fils d’approcher du manoir de nos enfants.
50. Le jour où nous sommes soucieux de protéger nos familles, nous montons une garde vigilante, entièrement vêtus d’acier ;
51. Mais le jour où nous n’avons plus de telles inquiétudes pour eux, nos légions se réunissent en grand conseil.
52. Conduits par un chef parmi les descendants de Josham, fils de Becr, nous écrasons nos adversaires, tant le faible que le fort.
53. Oh, les nations ne se souviennent pas du temps où nous courbions le cou, ou faiblissions dans le conflit !
54. Oh, que personne ne soit infatué et violent contre nous, car nous récompenserons leur infatuation, qui surpasse la folie du plus insensé !
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55. Sous quel prétexte, ô Amru, fils de Hinda, serions-nous soumis au souverain que tu voudrais placer sur nous ?
56. Sous quel prétexte, ô Amru, fils de Hinda, cèdes-tu à nos calomniateurs et nous traites-tu avec indignité ?
57. Tu nous as menacés, tu as pensé nous intimider, mais doucement, ô roi ! dis-moi, quand avons-nous jamais été les vassaux de ta mère ?
58. Nos javelots, ô Amru, dédaignent de relâcher leur véhémence devant toi en attaquant nos ennemis :
59. Chaque fois qu’un homme utilise la force pour les plier, ils reculent et deviennent inflexiblement rigides.
60. Si rigides, que lorsqu’ils reviennent à leur premier état, ils résonnent d’un bruit strident, perçant le cou et le front de celui qui les touche.
61. As-tu jamais été informé que Josham, fils de Becr, dans les batailles livrées autrefois, ait été à un moment ou à un autre négligent ?
62. Nous avons hérité de la renommée d’Alkama, fils de Saif, qui, à force de valeur, nous a obtenu l’admission dans les châteaux de gloire.
63. Nous sommes héritiers de Mohalhil et de Zoheir, la fleur de sa tribu : Ô de quel noble trésor étaient-ils les conservateurs !
64. D’Attab aussi et de Celthum nous avons reçu l’héritage transmis par leurs ancêtres.
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65. Par Dhu’lborra, dont tu as entendu parler, nous avons été protégés, et par lui nous protégeons ceux qui recherchent notre aide.
66. Avant lui, l’aventureux Coleib est sorti de chez nous : et quelle espèce de gloire y a-t-il que nous n’ayons pas atteinte ?
67. Quand nos antagonistes tordent contre nous les cordes de la bataille, soit nous brisons le nœud, soit nous déchirons le cou de nos adversaires.
68. Nous serons trouvés la tribu la plus ferme à garder notre alliance défensive et la plus fidèle à observer les liens de nos traités.
69. Lorsque les flammes s’allumèrent dans la montagne, le matin d’une excursion, nous donnâmes des secours plus importants que l’aide d’autres alliés.
70. Pour apporter un soulagement immédiat, nous avons gardé tous nos troupeaux confinés à Dhu Orathei, jusqu’à ce que nos chameaux de paillage d’une race noble soient obligés de brouter des herbes fanées.
71. Nous protégeons avec générosité l’homme qui se soumet à nous, mais nous châtions avec fermeté celui par qui nous sommes insultés.
72. Nous rejetons les offres de ceux qui nous ont déplu, mais acceptons les présents de ceux dont nous sommes satisfaits.
73. Nous avons secouru l’aile droite, lorsque nos troupes ont engagé le combat, et nos vaillants frères ont apporté leur soutien à la gauche.
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74. Ils attaquèrent avec fureur les légions qui leur étaient opposées, et nous assaillimes avec non moins de fureur les escadrons qui nous opposaient.
75. Ils revinrent avec un butin et un riche butin, et les fils des rois furent parmi nos captifs.
76. C’est à vous, ô descendants de Becr, que nous nous adressons ; n’avez-vous pas encore appris la vérité à notre sujet ?
77. N’avez-vous pas éprouvé avec quelle impétuosité nos troupes ont attaqué vos troupes, et avec quelle force elles ont lancé leurs javelots ?
78. Nous sommes armés de sabres brillants et vêtus de habergeons fabriqués au Yémen ; nos cimeterres sont en partie droits, en partie courbés.
79. Nous avons des cottes de mailles qui scintillent comme des éclairs, et dont les plis se voient en plis au-dessus de nos ceintures :
80. Quand à tout moment nos héros les repoussent, vous pouvez voir leur peau noircie par la pression de l’acier.
81. Les plis de nos hauberts ressemblent à la surface d’un étang que les vents ont agité dans leur course.
82. Le matin de l’attaque, nous sommes transportés dans le champ sur des chevaux à poil court, que nous connaissons depuis le moment où nous les avons sevrés, et que nous avons sauvés de nos ennemis après qu’ils aient été pris.
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83.* Ils se précipitent au combat, armés de cuirasses d’acier ; ils en sortent avec leurs crinières ébouriffées et poussiéreuses, et les rênes nouées reposent sur leur cou.
84. Nous avons hérité cette excellente race de nos ancêtres vertueux, et à notre mort, ils seront hérités par nos fils.
85. Toutes les tribus de Maad savent parfaitement, lorsque leurs tentes sont dressées dans les vallées bien arrosées,
86. Que nous soutenions les affligés dans chaque année de disette, et que nous soyons généreux envers ceux qui sollicitent notre générosité ;
87.* Que nous défendions les opprimés, lorsque nous le pensons juste, et que nous fixions notre résidence en Arabie, où nous le trouvons commode ;
88. Que nous apportions du secours à ceux qui sont près de nous, lorsque les cimeterres brillants font cligner les yeux de nos héros.
89. Nous recevons des étrangers à notre table chaque fois que nous le pouvons, mais nous lançons la destruction sur ceux qui nous approchent avec hostilité.
90. Nous sommes la tribu qui boit l’eau des ruisseaux les plus clairs, tandis que d’autres clans sont obligés de la boire infecte et boueuse.
91. Va, demande aux fils de Tamah et de Domia, comment ils nous ont trouvés dans le combat !
92. Derrière nous viennent nos belles, nos charmantes demoiselles, que nous gardons si attentivement qu’elles ne peuvent être rendues captives, ou même traitées avec irrespect :
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93. Belles jeunes filles, descendantes de Josham, fils de Becr, qui comprennent toutes les espèces de beauté, à la fois dans l’opinion des hommes et dans la vérité.
94. Elles ont exigé de leurs maris la promesse que, lorsqu’elles se seraient battues avec les légions ennemies, elles se seraient distinguées par des signes de valeur,
95. Ils rapportaient comme butin des cottes de mailles et des cimeterres, et des captifs conduits enchaînés deux à deux.
96.* Tu peux nous voir sortir dans la plaine ouverte, tandis que toutes les autres tribus cherchent des auxiliaires par crainte de nos prouesses.
97. Quand nos demoiselles sont à pied, elles marchent avec des mouvements gracieux, et ondulent leur corps comme ceux des libertins échauffés par le vin.
98. Ils nourrissent de leurs belles mains nos coureuses de noble naissance, et nous disent : « Vous n’êtes pas nos maris, à moins que vous ne nous protégiez de l’ennemi. »
99. Oui, si nous ne les défendons pas, nous ne conservons aucun bien de valeur après leur perte, et nous ne pensons même pas que la vie soit désirable :
100. Mais rien ne peut offrir à nos douces jeunes filles une protection aussi sûre que les coups de nos sabres, qui font voler les bras des hommes comme les baguettes entrechoquées de garçons enjoués.
101.* Nous semblons, lorsque nos cimeterres dégainés sont déployés, protéger l’humanité, comme les pères protègent leurs enfants.
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102.* Nos héros roulent les têtes de leurs ennemis, comme les jeunes forts et bien faits roulent leurs couilles dans la vallée lisse.
103. Ce monde est nôtre, ainsi que tout ce qui apparaît à sa surface, et lorsque nous attaquons, nous attaquons avec une force irrésistible.
104. Lorsqu’un tyran opprime et insulte une nation, nous dédaignons de nous dégrader en nous soumettant à sa volonté.
105\ On nous a taxés d’injurieux, quoique nous n’ayons fait de tort à personne ; mais s’ils persistent à nous calomnier, nous montrerons la véhémence de notre colère.
106. Dès qu’un enfant de notre tribu est sevré de sa mère, les plus hauts chefs des autres clans fléchissent le genou et lui rendent hommage.
107.* Nous forçons nos ennemis à goûter le breuvage pur de la mort, et la défaite de nos adversaires dans la bataille est lourde.
108. Nous remplissons la terre de nos tentes, jusqu’à ce qu’elle devienne trop étroite pour les contenir, et nous couvrons la surface de l’océan avec nos navires.