[p. 79]
Quand Amru eut terminé son panégyrique extravagant sur la tribu de Tagleb et reçut les applaudissements nourris de son propre parti, Hareth se leva et prononça le poème suivant, ou discours en vers, qu’il prononça, selon certains auteurs, sans aucune méditation, mais que, comme d’autres l’affirment, avec une plus grande apparence de probabilité, il avait préparé et appris par cœur.
Bien que, si l’on en croit Asmai, le poète fût considérablement plus de cent ans à cette époque, on dit qu’il déversait ses couplets avec une telle ardeur bouillante, que, sans s’en apercevoir, « il se coupa la main avec la corde de son arc, sur laquelle », à la manière des orateurs arabes, « il s’appuyait pendant qu’il parlait ».
[p. 80]
Quel que fût son âge, la sagesse et l’art de sa composition contrastent avec l’imprudence juvénile de son adversaire, qui a dû exaspérer le roi au lieu de se concilier sa bonne volonté, et semble même avoir menacé celui-là même dont il demandait un jugement favorable. Hareth, au contraire, commence par complimenter la reine, qui s’appelait Asoma, et qui l’entendait derrière la tapisserie ; il paraît avoir introduit une autre de ses favorites, Hinda, simplement parce que c’était le nom de la mère du roi ; et il célèbre le monarque lui-même comme un modèle de justice, de valeur et de magnanimité. La description de son chameau, qu’il entrelace selon l’usage, est très courte ; et il commence la défense de sa tribu avec sang-froid et modération ; mais à mesure qu’il avance, son indignation semble s’enflammer, et le reste de sa harangue consiste en de vives remontrances et en sarcasmes amers, non sans beaucoup de raisonnement solide, et un certain nombre d’allusions à des faits qui ne peuvent qu’être imparfaitement connus de nous, bien qu’ils aient dû être frais dans la mémoire de ses auditeurs.
La portée générale de son argument est qu’aucun blâme n’était imputable à juste titre aux fils de Becr pour les nombreuses calamités que les Taglebites avaient endurées, et qui avaient été principalement occasionnées par leur propre indolence et indiscrétion.
Le discours, ou poème, ou quel que soit le nom qu’on lui donne, eut son plein effet sur l’esprit de l’arbitre royal, qui décida la cause en faveur des Bécrites et perdit la vie pour une décision apparemment juste. Il a dû remarquer l’esprit fougueux du poète Amru, d’après le style de son éloquence, comme César a découvert pour la première fois la véhémence impétueuse du tempérament de Brutus d’après son discours prononcé à Nicée, en faveur du roi Déiotare : mais ni le tyran arabe ni le tyran romain n’étaient suffisamment sur leurs gardes contre des hommes qu’ils avaient irrités jusqu’à la fureur.
[p. 81]
Ce poème est composé en vers légers, ou mètre de la onzième classe, constitué d’épitrites, de pieds ioniques et de pæons, diversement mélangés, comme dans cette forme :
«Amarylli, | dulci lyrâ | modulaire
Molle Carmen | sous-arbre | fusa sacrâ.
Parfois un molosse termine le distique, ainsi :
«Dulce Carmen | sous-arbre | fusa sacrâ
Modulaire, | dum sylvulæ | intimé."
La fin d’un distique dans cette mesure a souvent la cadence d’un hexamètre latin ou grec ; ainsi, v. 20 :
Tis’-háli khaílin khilála dháca rogáo—
c’est-à-dire, littéralement,
Hinnitûs modulantur equi, fremitûsque cameli.