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Les récits discordants et contradictoires des commentateurs, qui semblent avoir recueilli sans examen toutes les traditions qui se sont présentées, nous ont laissé dans l’ignorance sur le sujet des deux poèmes suivants ; mais l’opinion commune, qui me paraît la plus probable, est qu’il s’agit en réalité de déclamations politiques et hostiles prononcées par Amru et Hareth à la tête de leurs clans respectifs, devant Amru, fils de Hinda, roi de Hira en Mésopotamie, qui avait assumé la fonction de médiateur entre eux après une guerre très opiniâtre, et qui avait entrepris d’entendre une discussion sur leurs prétentions respectives à la prééminence, et de décider de leur cause avec une parfaite impartialité. Dans certaines copies, en effet, comme dans celles de Nahas et de Zauzeni, les deux poèmes sont séparés ; et dans celle d’Obaidalla, le poème de Hareth est totalement omis.
Si je devais tirer mon opinion uniquement de la structure et de la tournure générale de la composition d’Amru, je concevrais que le roi de Hira, qui, comme d’autres tyrans, [65] souhaitait « rendre tous les hommes justes sauf lui, et laisser toutes les nations libres sauf la sienne », avait tenté d’asservir la puissante tribu de Tagleb et de nommer un préfet sur eux, mais que les guerriers possesseurs des déserts et des forêts avaient ouvertement renié son autorité et employé leur principal chef et poète pour lui envoyer un défi et magnifier leur propre esprit indépendant.
Certains écrivains arabes affirment, ce qu’il y a de bonnes raisons de croire, que le roi mentionné ci-dessus fut tué par l’auteur du poème suivant, qui l’avait composé, disent-ils, à cette occasion ; mais le roi lui-même est personnellement interpellé par le poète, et mis en garde contre la précipitation dans la décision du concours ; et lorsqu’il est fait mention de « têtes couronnées laissées prosternées sur le champ de bataille », aucun monarque particulier ne semble être visé ; mais la conjonction copulative a la force, comme elle l’a souvent en arabe, d’une particule fréquentative.
Supposons donc, là où la certitude ne peut être obtenue, contentons-nous d’une grande probabilité, et supposons, avec Tabreizi, que les deux tribus de Becr et de Tagleb, s’étant épuisées dans une longue guerre, à laquelle avait donné lieu le meurtre de Coleib le Taglebite, s’accordèrent pour terminer leur querelle ruineuse, et pour prendre le roi de Hîra pour arbitre, qu’au jour fixé les tribus se réunirent devant le palais ou la tente royale, et qu’Amru, fils de Celthum, prince des Taglebites, prononça son poème, selon la coutume des Arabes, ou exposa ses prétentions dans un discours solennel, qu’il versifia ensuite, afin qu’il fût plus facilement retenu par sa tribu et sa postérité.
Le discours, ou poème, ou quel que soit le nom qu’on lui donne, est arrogant au-delà de toute imagination et ne contient guère de nuance d’argumentation. Le prince était très probablement un jeune homme vaniteux, fier de ses exploits et enthousiasmé par ses succès dans les guerres ; mais son œuvre ne pouvait manquer de devenir extrêmement populaire parmi ses compatriotes ; et sa propre famille, les descendants de Josham, fils de Beer, en étaient si infatués que (comme [66] l’admet un de leurs propres poètes) « ils pouvaient à peine s’empêcher de le répéter, et pensaient avoir atteint le sommet de la gloire, sans aucun autre effort de vertu ».
Il commence par un ton parfaitement anacréontique, le style élégiaque des premiers poèmes n’étant pas bien adapté à son exultation et à son triomphe enthousiastes : il y a cependant un mélange de plaintes sur le départ de sa maîtresse, dont il dépeint les beautés avec une audace et une énergie très caractéristiques des manières grossières. Le reste de son œuvre consiste en menaces, vantardises et applaudissements exagérés de sa propre tribu pour leur générosité et leurs prouesses, la bonté de leurs chevaux, la beauté de leurs femmes, l’étendue de leurs possessions et même le nombre de leurs navires ; ces vantardises étaient si bien fondées que, selon certains auteurs, si Mahomet n’avait pas été corbeau, les Taglebites se seraient appropriés la domination de toute l’Arabie, et auraient peut-être érigé un puissant État, à la fois civil et maritime.
Ce poème est composé en vers abondants, ou mètre de la quatrième espèce, selon la forme suivante :
« Amateurs | puellarum | miselles
Ocellorum | Nitor Multos | fefellit.
Mais le pied composé amore furens est utilisé à volonté, au lieu du premier épitrite ; comme,
« Vénuste puel | la, tarda venis | ad hortum,
Parata lyra est, | odeur de paratus | Rosarum.