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Le manoir de Khaula est désolé, et les traces de celui-ci sur les collines pierreuses de Tahmed brillent faiblement, comme les restes de figures bleues peintes sur le dos d’une main.
2. Pendant que je me parlais ainsi, mes compagnons arrêtèrent leurs coursiers à côté de moi, et dirent : « Ne péris pas par désespoir, mais agis avec courage. »
3. Ah, dis-je, les véhicules qui emportèrent ma belle le matin où la tribu de Malec partit, et leurs chameaux traversèrent les rives de Deda, ressemblaient à de grands navires
4. Naviguant depuis Aduli ; ou navires du marchand Ibn Yamin, que le marin tourne tantôt obliquement, tantôt dirige dans une direction directe ;
5. Des navires qui fendent les vagues écumantes avec leurs proues, comme un garçon qui joue divise avec sa main la terre amassée.
6. Dans cette tribu se trouvait une belle antilope, aux yeux noirs, aux lèvres rouge foncé et au beau cou, gracieusement levé pour cueillir les baies fraîches d’erac - un cou orné de deux rangs de perles et de topazes.
7. Elle s’éloigne de ses petits et se nourrit avec le troupeau de chevreuils dans le fourré emmêlé, où elle broute les bords des fruits sauvages et se couvre d’un manteau de feuilles.
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8. Elle sourit et montre ses dents brillantes, s’élevant de leurs bases de couleur sombre, comme une plante de troène en pleine floraison, qui perce un banc de sable pur humecté de rosée :
9. Le soleil a donné à ses dents son eau brillante, mais pas à la partie où elles poussent, qui est saupoudrée de minerai de plomb, tandis que l’ivoire reste intact.
10. Son visage semble enveloppé d’un voile de rayons de soleil ; son teint est sans tache et sa peau est sans une ride.
11. De tels soucis, chaque fois qu’ils oppressent mon âme, je les dissipe en faisant des voyages aventureux sur un chameau maigre mais vif, qui court d’un pas rapide matin et soir ;
12. Au pied sûr, ferme et mince comme les planches d’un cercueil, dont je hâte la course sur des sentiers longtemps foulés, bigarrés comme un gilet rayé.
13. Elle rivalise avec les chameaux les plus rapides, même de la race la plus noble, et ses pattes arrière suivent rapidement ses pattes avant sur le chemin battu.
14. A la saison printanière, elle broute sur ces deux collines parmi d’autres de sa race, dont les mamelles ne sont pas encore remplies de lait, et dépâture les pelouses, dont les douces ondées ont rendu luxuriantes les plus belles herbes vertes.
15. Elle se retourne au son de la voix de son cavalier; et repousse les caresses d’un étalon roux au poil épais avec le fouet de sa queue touffue,
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16. Ce qui apparaît comme si les deux ailes d’un grand aigle blanc étaient transpercées par un poinçon jusqu’à l’os, et suspendues en ondulant autour de ses deux côtés :
17. Tantôt il fouette la place de celui qui la monte le plus en arrière, tantôt il joue autour de ses mamelles qui sont devenues ridées et flasques comme un sac de cuir, leur lait ne les dilatant plus.
18. Ses deux hanches sont charnues et compactes comme les deux valves lisses d’une haute porte de château.
19. Son dos est souple : ses côtes sont comme les arcs les plus forts, et son cou est fermement élevé sur les vertèbres bien connectées.
20. Les deux cavités sous ses épaules sont spacieuses comme deux tanières de bêtes parmi les plantes de lotus sauvages ; et des arcs rigides semblent être pliés sous ses reins nerveux.
21. Ses deux cuisses sont extrêmement fortes, et, quand elle bouge, elles divergent comme deux seaux portés d’un puits dans les mains d’un robuste puiseur d’eau.
22. Ses articulations sont bien soudées, et ses os sont solides, comme un pont d’architecture grecque, dont le constructeur avait juré qu’il l’entourerait de briques bien cimentées.
23. Les poils sous son menton sont d’une teinte rougeâtre : son dos est musclé : elle fait de longs pas rapides avec ses pattes arrière, et déplace ses pattes avant avec agilité ;
24. Elle les lance de sa poitrine avec la force et la rapidité de câbles fermement tirés par un bras nerveux ; et ses épaules sont courbées comme les chevrons d’un dôme élevé :
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25. Elle s’écarte rapidement du sentier : son pas est extrêmement rapide, sa tête est longue et ses os des épaules sont fortement unis à ses flancs.
26. Les marques blanches et creuses des cordes avec lesquelles ses fardeaux ont été attachés à son dos, ressemblent à des flaques d’eau sur le front lisse d’un rocher solide ;
27. Marques qui tantôt se réunissent, tantôt se distinguent, comme les godets de fin lin, qu’on coud sous les bras d’une robe bien coupée.
28. Son cou est long, et quand elle le lève avec célérité, il ressemble à la poupe d’un navire flottant dans les airs sur le Tigre houleux.
29\ Son crâne est ferme comme une enclume, et les os, que les sutures unissent, sont dentelés et tranchants comme une lime.
30. Sa joue est lisse et blanche comme du papier de Syrie, et ses lèvres, aussi douces que du cuir teint du Yémen, exactement et en douceur.
3r. Ses deux yeux, semblables à deux miroirs polis, ont trouvé une cachette dans les cavernes de leurs orbites, dont les os sont comme des rochers, dans les cavités desquels l’eau s’accumule :
32. Tu les vois sans défaut ni tache, et ressemblant en beauté à ceux d’une vache sauvage, la mère de jeunes joueurs, lorsque la voix du chasseur l’a remplie de peur.
33. Ses oreilles distinguent vraiment chaque son, qu’elle écoute attentivement dans ses voyages nocturnes, que ce soit un doux murmure ou un bruit fort ;
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34. Des oreilles pointues, par lesquelles l’excellence de sa race est reconnue ! Des oreilles comme celles d’un taureau sauvage solitaire dans les bosquets de Haumel.
35. Son cœur, facilement susceptible de terreur, palpite avec un mouvement rapide, mais reste ferme dans sa poitrine comme une pierre ronde et solide frappant un large sol de marbre.
36. Si je le veux, elle lève la tête jusqu’au milieu de son harnais et nage avec ses pattes de devant aussi vite qu’une jeune autruche.
37. Si je veux, elle marche plus lentement, sinon, elle galope, par crainte du fouet vigoureux formé de lanières torsadées.
38. Sa lèvre supérieure est fendue, et la partie la plus molle de son nez est percée : quand elle les courbe vers le sol, son pas est grandement accéléré.
39. Sur un chameau comme celui-ci, je continue ma route, lorsque le compagnon de mon aventure s’écrie : « Oh, si je pouvais te racheter, et me racheter moi-même du danger imminent ! »
40\ Tandis que son âme est agitée de crainte, et s’imaginant avoir perdu le chemin, il se croit au bord de la perdition.
41. Quand le peuple dit à haute voix : « Qui est l’homme qui nous délivrera du malheur ? » Je crois qu’ils m’invoquent, et je ne déshonore pas leur mission par paresse ou par folie.
42. Je secoue le fouet sur mon chameau, et elle accélère son pas, tandis que la vapeur sulfureuse roule en vagues sur les falaises brûlantes.
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43. Elle flotte fièrement avec sa queue flottante, comme la danseuse flotte dans le banquet de son seigneur, et déploie les longues jupes blanches de son gilet traînant.
44\ Je n’habite pas les hautes collines par crainte des ennemis ou des invités ; mais lorsque la tribu ou le voyageur demande mon aide, je la donne avec empressement.
45. Si vous me cherchez dans le cercle de la nation assemblée, là vous me trouverez, et si vous me chassez dans les caves du vigneron, là aussi vous découvrirez votre gibier.
46. Quand vous me visitez le matin, je vous offre une coupe pleine d’eau, et, si vous vous excusez, je vous invite à la boire avec plaisir et à reprendre votre verre.
47. Quand tous les clans seront réunis pour déclarer leurs prétentions à la noblesse, vous me verrez élevé au sommet d’une maison illustre, le refuge des affligés.
48. Mes compagnons de fête sont des jeunes gens, brillants comme des étoiles, et des chanteuses, qui s’avancent vers nous, vêtus de robes rayées et de manteaux couleur safran :
49. Large est l’ouverture de leurs gilets au-dessus de leurs seins délicats, à travers lesquels la jeunesse enflammée touche leurs seins découverts d’une douceur exquise.
50. Quand nous disons à l’une d’elles : « Écoutons une chanson », elle se présente devant nous avec une grâce facile et commence par des notes douces, d’une voix non forcée :
51.* Lorsqu’elle gazouille d’une voix plus aiguë, on croirait que ses notes sont celles de chameaux pleurant leurs petits perdus.
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52\ Ainsi je bois du vieux vin sans cesse et je jouis des délices de la vie, vendant et dissipant mes biens, tant nouvellement acquis qu’hérités ;
53. Jusqu’à ce que tout le clan me rejette et me laisse solitaire, comme un chameau malade enduit de poix :
54. Pourtant, même maintenant, je perçois que les fils de la terre (les hommes les plus indigents) reconnaissent ma générosité, et les riches habitants de ce camp étendu confessent ma gloire.
55. Oh, toi qui me blâmes de m’engager dans des combats et de rechercher des plaisirs, veux-tu, si je les évite, assurer mon immortalité ?
56, Si tu ne peux repousser le coup de la mort, permets-moi, avant qu’il vienne, de jouir du bien que je possède.
57. Si ce n’était pour trois plaisirs que la jeunesse procure, je jure par ta prospérité, que je ne me soucierais pas de la rapidité avec laquelle mes amis m’ont rendu visite sur mon lit de mort :
58. D’abord, se lever avant que les censeurs ne se réveillent, et boire du vin fauve, qui pétille et mousse quand on y verse le clair jet.
59. Ensuite, quand un guerrier, entouré d’ennemis, implore mon secours, de pencher vers lui mon coursier cabré, féroce comme un loup parmi les arbres gadha, que le bruit des pas humains a réveillé, et qui court étancher sa soif au ruisseau.
60. Troisièmement, pour raccourcir une journée nuageuse, une journée étonnamment sombre, en jouant avec une jolie fille délicate sous une tente soutenue par des piliers, —
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61. Une jeune fille dont les bracelets et les jarretières semblent suspendus aux tiges d’arbres à oshar ou de ricin, non dépouillées de leurs feuilles douces.
62. Laissez-moi, tant que je vivrai, tremper ma tête dans du vin, de peur qu’ayant bu trop peu dans ma vie, j’aie soif dans un autre état.
63. Un homme de mon esprit généreux boit aujourd’hui sa pleine rasade, et demain, quand nous serons morts, on saura qui de nous n’a pas étanché sa soif.
64. Je ne vois aucune différence entre le tombeau d’un avare inquiet, haletant sur son trésor, et le tombeau du libertin, perdu dans le dédale de la volupté.
65. Vous voyez les sépulcres de tous deux élevés en deux tas de terre, sur lesquels sont élevés deux larges piles de marbre massif entre les tombeaux étroitement reliés.
66. La mort, je l’observe, choisit les héros les plus nobles pour ses victimes, et réserve comme propriété les possessions les plus précieuses du sordide thésauriseur.
67. Je considère le temps comme un trésor qui diminue chaque nuit, et ce qui diminue chaque jour périt bientôt pour toujours.
68. Par ta vie, mon ami, quand la Mort ne lui inflige pas sa blessure, elle ressemble à un chamelier qui relâche la corde qui reste tordue dans sa main.
69. Quelle est la cause de la différence que je perçois entre moi et mon cousin Malec, qui, toutes les fois que je l’approche, se retire et s’enfuit au loin ?
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70\ Il me censure, alors que j’ignore le motif de sa censure, tout comme Karth, le fils d’Aabed, m’a réprimandé dans l’assemblée de la tribu.
71. Il m’ordonne de désespérer complètement de tout le bien que je recherche, comme si nous l’avions enterré dans une tombe sombre ;
7 2. Et cela pour aucune parole diffamatoire que j’ai prononcée, mais seulement parce que j’ai cherché, sans négligence, les chameaux de mon frère Mabed.
73. J’ai resserré les liens de notre relation, et je jure par ta prospérité, qu’en tous temps d’extrême détresse, mon secours est à portée de main.
74. Chaque fois que je suis appelé à entreprendre des entreprises importantes, je suis prêt à affronter le péril, et chaque fois que l’ennemi t’assaille impétueusement, je te défends avec la même véhémence.
75. Si des vils diffamateurs portent atteinte à ton bon nom par leurs calomnies, je les force, sans menace préalable, à boire une coupe de l’étang de la mort ;
76. Pourtant, sans avoir commis aucune offense, je suis traité comme le pire des délinquants : je suis censuré, insulté, réprimandé, rejeté.
77. Si un autre homme que Malec mon cousin, il aurait dissipé mes soucis, ou m’aurait laissé libre pour un temps.
78. Mais mon parent m’étrangle avec cruauté, au moment même où je rends grâces pour les faveurs passées et où je lui demande de nouvelles, au moment même où je cherche de lui la rédemption de mon âme !
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79. La méchanceté des parents cause une angoisse plus vive à chaque cœur noble que le coup d’un cimeterre indien.
80. Permettez-moi donc de suivre le penchant de ma nature, et je vous serai reconnaissant de votre indulgence, même si ma demeure devait être fixée à une distance telle que les montagnes de Darghed.
81. Si cela avait plu à l’Auteur de mon être, j’aurais pu être aussi illustre que Kais, le fils de Khaled; si cela avait plu à mon Créateur, j’aurais pu être aussi éminent qu’Amru, le fils de Morthed:
82\ Alors j’aurais abondé en richesses, et les chefs les plus nobles m’auraient visité, comme un chef également noble.
83. Je suis léger, comme vous me connaissez tous, et je suis agile, suivant mes propres inclinations et me déplaçant vivement comme la tête d’un serpent aux yeux flamboyants.
84. J’ai juré que mon côté ne cesserait jamais de garnir une lame indienne brillante avec deux bords bien polis et bien aiguisés :
85\ Un cimeterre pénétrant ! Quand je m’avance avec lui pour me défendre contre une attaque féroce, le premier coup rend le second inutile : ce n’est pas une simple faucille à émonder,
86. Mais le véritable frère de confiance ne cède pas au coup le plus impétueux, et quand on me dit : « Doucement », je retiens sa rage et je m’écrie : « C’est assez ! »
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87. Quand tout le clan se prépare à enfiler son armure avec empressement, tu pourras me trouver victorieux dans le conflit, dès que ma main pourra toucher la poignée de ce cimeterre.
88. J’ai approché de nombreux troupeaux de chameaux endormis avec mon sabre dégainé, lorsque les premiers d’entre eux, se réveillant, ont fui par peur de moi :
89. Mais l’un d’eux est passé avant moi, aux membres vigoureux, à la poitrine généreuse et bien nourri, propriété hautement estimée d’un vieux rustre morose, sec et maigre comme une massue de foulon.
90. Il me dit, lorsque le sabot et la cuisse du chameau furent démembrés : « Ne vois-tu pas quel grand tort tu m’as fait ? »
91. Puis il se tourna vers ses serviteurs, et leur dit : « Quelle opinion faites-vous de ce jeune buveur de vin, qui nous assaille avec impétuosité, dont la violence est préméditée ?
92. « Laissez-le, ajouta-t-il, et laissez ce chameau être son bien ; mais, à moins que vous ne chassiez le dernier du troupeau, il réitérera son méfait. »
93. Alors nos demoiselles s’occupèrent d’habiller le poulain du chameau et servirent avec empressement ce délicieux bouquet.
94. O fille de Mabed, chante mes louanges, si je suis tué, selon mon mérite, et déchire ton manteau avec une sincère affliction !
95. Ne me comparez pas à un homme dont le courage n’égale pas le mien, dont les exploits ne ressemblent pas aux miens, qui n’a pas été engagé dans des combats dans lesquels je me suis distingué.
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96. Avec un homme lent dans les nobles entreprises, mais rapide dans les basses poursuites ; déshonoré dans l’assemblée de la tribu, et un vil paria.
97. Si j’avais été ignoble parmi mes compatriotes, l’inimitié de ceux qui avaient des amis et de ceux qui n’en avaient pas aurait pu me nuire ;
98. Mais leur malveillance est repoussée par mon ferme défi à leur égard, par mon audace dans l’attaque, par ma solide intégrité et par ma naissance exaltée.
99. Par ta vie, les plus dures entreprises ne remplissent pas mon jour de sollicitude, ni n’allongent la durée de ma nuit :
100. Mais bien des jours j’ai fixé ma position de manière immuable dans le conflit rapproché, et j’ai défendu un passage, malgré les menaces hostiles,
101. Sur mon champ de bataille natal, où même le héros le plus hardi pourrait craindre la destruction, où les muscles de nos destriers tremblent dès qu’ils se mêlent à la bataille ;
102. Et j’ai vu bien des flèches pour tirer au sort, bien durcies et jaunies par le feu, et je les ai ensuite livrées entre les mains du joueur connu pour sa mauvaise fortune.
103\ Trop de sagesse est folie, car le temps produira des événements dont tu ne peux avoir aucune idée, et celui à qui tu n’as confié aucune commission t’apportera des nouvelles inattendues.