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NOÉ, sur lui la paix, fut l’un des six plus grands prophètes qui aient jamais vécu, bien qu’il n’ait laissé aucun écrit derrière lui, comme son grand-père Idris,[1] qui fut le premier être humain à utiliser une plume, avec laquelle il écrivit trente livres de révélation divine - en plus d’ouvrages sur l’astronomie et d’autres sciences, aujourd’hui perdus - avant qu’Allah ne l’enlève au Paradis. Un autre nom de Noé était 'Abd el Ghâfar, qui signifie Serviteur du Pardonneur. Il naquit cent cinquante ans après la translation d’Idris. Il vécut à Damas jusqu’à ce qu’Allah l’envoie pour avertir l’humanité du Déluge et construire l’arche. Sur ordre et direction d’Allah, il fabriqua les premiers nâkûs ou gong tels que ceux qui sont utilisés de nos jours dans les églises et les couvents orientaux.
Les efforts de Noé pour convertir l’humanité furent vains. Il fut battu et raillé même par sa propre femme Wa’ileh, une mécréante, ainsi que par son fils Canaan et le fils de ce dernier Uj ibn 'Anak (Og fils d’Anak). Anak était la fille d’Adam, une femme vile,[2] et la première des sorcières. Ces quatre méchants personnages firent de leur mieux pour persuader tout le monde que Noé était fou.
Le Déluge jaillit du sous-sol, d’un « tannûr » ou four dont l’emplacement est incertain, certains le plaçant à Gezer, d’autres à Damas. [p. 14] L’arche fut soulevée par la montée des eaux, grossies par des pluies torrentielles. Noé et sa famille (sauf sa femme, Anak, Canaan et Og), ainsi qu’une compagnie d’autres croyants, au nombre de six selon certains, dix, douze et même soixante-dix-huit ou quatre-vingts, moitié hommes, moitié femmes, parmi lesquels Jorham l’aîné, le conservateur de la langue arabe, furent sauvés, ainsi que les animaux qu’Allah avait fait entrer dans l’arche. Parmi ces derniers se trouvait l’âne, sous la queue duquel Iblìs s’était caché, déguisé en mouche. Cet âne, réticent à entrer dans l’arche, emportant avec lui le Malin, fut repoussé par Noé à grands coups. Pour compenser cette injustice, il avait été prédestiné qu’un de ses descendants entrerait au Paradis, ce qui arriva lorsque l’âne d’Ozair [3] fut ressuscité et admis dans le Jardin Céleste.
Les eaux du Déluge détruisirent tous les hommes, à l’exception de ceux qui se trouvaient dans l’arche et d’Og. Ce dernier était si grand que, lorsque le Déluge arriva, les eaux n’arrivèrent qu’à ses chevilles. Il essaya à plusieurs reprises de détruire Noé et son équipage en submergeant l’arche, mais en vain. La poix dont elle était recouverte la rendait si difficile à saisir qu’elle glissait toujours de ses mains et remontait sans encombre à la surface. Lorsqu’il avait faim, Og s’accroupissait et prenait une poignée d’eau. La filtrant entre ses doigts, [15] il trouvait toujours à portée de main de nombreux poissons qu’il pouvait faire rôtir en les tenant au soleil. Lorsqu’il avait soif, il lui suffisait d’écarter les mains pour recueillir l’eau qui tombait du ciel à flots. Il vécut plusieurs siècles après le Déluge jusqu’à l’époque de Mûsa. Un jour, alors qu’il se trouvait sur le Djebel esh Sheykh,[4] il voulut traverser la Békaa,[5] mais, se méprenant sur la distance, il ne s’avança pas sur la chaîne du Liban, comme il l’avait prévu, mais bien au-delà, dans la grande mer. Une autre fois, alors qu’il souffrait de fièvre, il s’étendit pour se reposer, depuis Banias, où le Jourdain jaillit, jusqu’au lac Mérom. Tandis qu’il était ainsi étendu, des muletiers passèrent devant Banias en se dirigeant vers le sud. Lorsqu’ils s’approchèrent de lui, il leur dit : « Je suis trop malade pour bouger. Pour l’amour d’Allah, quand vous arriverez à mes pieds, chassez les moustiques qui les chatouillent et couvrez-les de mon ”abâyeh.” Les hommes promirent de faire ce qu’il avait dit ; mais, lorsqu’ils arrivèrent à ses pieds, ils ne trouvèrent pas de moustiques, mais une bande de chacals.
Og mourut enfin de la main de Moïse, de la manière suivante. Afin de détruire les Israélites en chemin à travers le désert, le géant arracha de la terre un gros rocher. Il était si gros qu’il aurait écrasé tout le camp d’Israël, qui couvrait une lieue carrée de terrain. Og le portait sur sa tête, voulant le laisser tomber sur le camp, quand Allah envoya un oiseau qui perça à travers la pierre un trou si grand que la masse glissa sur la tête d’Og et sur ses épaules, d’une manière telle qu’il [16] ne pouvait s’en débarrasser, ni voir où il allait. Alors Moïse, dont la taille était de dix dra’as, [6] et dont le bâton miraculeux était de la même longueur, sauta jusqu’à la hauteur de dix dra’as et réussit de justesse à frapper Og à la cheville, de sorte qu’il tomba et fut tué. Des pierres furent entassées sur son corps aussi hautes qu’une montagne.
Pour revenir à Noé, l’arche flotta à la surface du Déluge jusqu’à ce qu’elle atteigne l’endroit où se trouve la Mecque, et elle resta là immobile pendant sept jours. Puis elle se déplaça vers le nord jusqu’à ce qu’elle atteigne le site de Jérusalem, où, dotée de la parole par Allah, elle informa Noé que là serait reconstruite la « Beyt el Makdas », ou Maison du Sanctuaire, et habitée par de nombreux prophètes, ses descendants. Après le Déluge, lorsque les hommes et les femmes qui avaient été sauvés dans l’arche furent partis repeupler la terre, le patriarche resta seul avec sa fille, qui tenait maison pour lui, sa méchante épouse (Wa’ileh) ayant péri. Un jour, un prétendant à la jeune fille apparut et Noé la lui promit à condition qu’il lui prépare une maison convenable. L’homme prit congé, promettant de revenir dans un certain délai. Le délai étant passé sans qu’il ne réapparaisse, Noé promit sa fille à un autre homme, à la même condition. Il partit aussi et ne se présenta pas à l’heure convenue, alors quand un troisième prétendant arriva, avec une maison toute prête, Noé consentit à ce que le mariage ait lieu [17] immédiatement. A peine les époux étaient-ils partis que le deuxième prétendant vint réclamer sa fiancée. Ne voulant pas le décevoir, le patriarche, en invoquant le nom d’Allah, transforma une ânesse en une fille ressemblant à sa fille et la donna au futur marié. Peu après le départ du couple, le premier prétendant apparut pour demander sa fiancée. Noé transforma alors sa chienne en fille et la maria au retardataire. Depuis lors, il y a eu trois sortes de femmes dans le monde. Premièrement, les craignant Dieu, qui sont de véritables aides pour leurs maris; deuxièmement, les stupides et paresseuses prostituées, qui ne veulent pas être conduites avec un bâton; et troisièmement, les mégères, qui, méprisant à la fois l’avertissement et la discipline, grondent et mordent continuellement leurs propriétaires.