En arrivant aux confins de la Palestine, les Beni-Israël campèrent dans la région proche de l’oued Mûsa. Un soir, peu après leur arrivée, Harûn indiqua à Mûsa un endroit sur une colline éloignée qui paraissait très vert et très beau à la lumière du soleil couchant, et exprima son désir de le visiter. Mûsa promit qu’ils le feraient le lendemain. En conséquence, le lendemain matin, les deux frères, accompagnés de leurs fils, partirent en expédition vers cet endroit. Lorsqu’ils y parvinrent, ils furent heureux de s’abriter du soleil dans une grotte artificielle qu’ils y trouvèrent. En entrant, ils furent très surpris de voir un beau lit [40] sur lequel était fixée une inscription indiquant qu’il était destiné à l’usage de la personne dont la taille convenait. Le lit fut essayé successivement par tous les membres du groupe, et lorsque Harûn vint s’y coucher, il lui convenait parfaitement. Alors qu’il était encore sur son lit, un étranger entra dans la caverne et, saluant respectueusement les personnes présentes, se présenta comme Azraël, l’ange de la mort, et déclara qu’il avait été spécialement envoyé par Allah pour recueillir l’âme d’Harûn. Le vénérable grand-prêtre, bien que soumis à la volonté toute-puissante, pleura beaucoup en prenant congé de son frère, de ses fils et de ses neveux, recommanda sa famille aux soins de Moïse et lui demanda de donner sa bénédiction au peuple. Azraël pria alors les autres de quitter la caverne un instant. Lorsqu’il les autorisa à revenir, le grand-prêtre gisait mort sur le lit. Ils emportèrent alors le corps, le lavèrent et le préparèrent pour l’enterrement, et, après avoir offert des prières sur lui, le reprirent et le déposèrent sur le lit. Puis, après avoir soigneusement fermé l’ouverture du sépulcre, ils retournèrent tristement au camp et annoncèrent au peuple que Harûn était mort. Les enfants d’Israël, qui aimaient Harûn, entendirent ces paroles, accusèrent Moïse d’avoir assassiné son frère. Pour laver Son serviteur de cette accusation, Allah fit porter par les anges le lit contenant le corps d’Harûn et le fit planer au-dessus du camp à la vue de tout Israël, et proclamèrent en même temps qu’Allah avait pris l’âme d’Harûn et que Moïse était innocent de sa mort.
Il existe deux récits différents de la mort du [41] grand Législateur lui-même. Le premier relate brièvement comment Allah, ayant informé Moïse que le moment de sa mort était proche, ce dernier passa les quelques jours qui lui restaient à vivre à exhorter Israël à demeurer dans la crainte d’Allah et à observer Ses commandements. Puis, ayant solennellement désigné Josué comme son successeur et déposé le gouvernement, Moïse mourut tout en étudiant la Loi.
L’autre légende, la plus répandue, est la suivante : Moïse, sur qui la paix soit, avait reçu, comme Ibrahim el Khalil, la promesse qu’il ne mourrait pas avant de s’être volontairement couché dans la tombe.
Se sentant assuré de cette promesse, le prophète refusa tout simplement de mourir lorsque l’ange de la mort lui annonça que son heure était venue. Il fut si en colère contre Azraël que celui-ci, effrayé, retourna auprès de son Créateur et se plaignit de la conduite du prophète. L’ange fut renvoyé pour lui faire des remontrances et lui faire certaines promesses séduisantes : par exemple, que la tombe de Moïse serait visitée chaque année en pèlerinage par les croyants et que les pierres mêmes du lieu seraient aptes à servir de combustible. Azraël rappela également à Moïse toutes les faveurs qu’il avait reçues d’Allah au cours de sa longue vie, et lui annonça des honneurs encore plus grands qui lui seraient réservés au paradis. Tout cela en vain. Le prophète fit la sourde oreille à tous les arguments et, à la fin, dégoûté par l’insistance de l’ange redoutable, il [42] lui ordonna de s’en aller. Il quitta lui-même le campement et erra sur les pentes des collines à l’ouest de la mer Morte. Il rencontra alors le berger à qui la garde du troupeau de Sho’aib [1] et de Mûsa avait été confiée lorsque ce dernier fut envoyé en mission pour délivrer Israël d’Egypte, et il entama la conversation. L’homme fut surpris de voir le Législateur et lui demanda quelle raison il avait de quitter les lieux fréquentés par les hommes. Lorsque Mûsa le lui expliqua, le berger, à son grand déplaisir, prit le parti d’Azraël et suggéra que, vu que le prophète allait simplement échanger les fardeaux, les peines et les chagrins de cette vie contre des joies sans fin à la droite d’Allah, il devrait accueillir avec joie l’annonce de son changement imminent. « Moi-même », continua le berger, « je crains beaucoup la mort, mais c’est tout naturel, vu que je ne suis qu’un pauvre être pécheur ; mais vous, qui êtes si haut dans la faveur d’Allah, devriez vous réjouir de cette perspective. »
Sur ces paroles, Mûsa perdit son sang-froid et dit : « Eh bien, puisque tu dis que tu as peur de la mort, puisses-tu ne jamais mourir ! » « Amen », répondit l’homme à ce souhait, se doutant peu qu’il s’agissait d’une malédiction.
Quand le berger eut fini de vivre, il s’évanouit et ses amis, le croyant mort, l’enterrèrent à l’endroit où sa tombe est encore visible, non loin du sanctuaire de Neby Mûsa. Mais il n’est pas mort, car à cause des paroles de Mûsa : « Que tu ne meures jamais », il ne peut trouver le repos dans la mort, mais il est toujours vivant et erre en pâturant les bouquetins. On le voit parfois parmi les Bedû errants et les chasseurs de chèvres sauvages dans la région autour de la mer Morte et dans les oueds à l’ouest de la vallée du Jourdain, jusqu’au [43] nord de la mer de Tibériade. On le confond parfois avec El Khudr. On l’a vu se jeter d’une falaise abrupte, tentant de se suicider dans son désespoir, mais en vain. On le décrit comme un vieil homme très grand, couvert de cheveux blancs, avec une barbe et des ongles extrêmement longs. Il prend toujours la fuite si on essaie de l’approcher.
Revenons à Moïse. Après avoir quitté le berger, le prophète s’en alla plus loin sur les pentes calcaires des collines jusqu’à ce qu’il rencontre, à l’improviste, un groupe de tailleurs de pierre qui creusaient une chambre dans un mur de roche. Après les avoir salués, Moïse leur demanda ce qu’ils faisaient et on lui répondit que le roi du pays possédait un trésor très précieux qu’il souhaitait soigneusement cacher à la vue des hommes et qu’il leur avait donc ordonné de creuser une chambre dans le roc dans ce lieu isolé du désert. Il était maintenant midi et il faisait très chaud. Se sentant fatigué et comme il ne semblait y avoir d’ombre nulle part ailleurs, le Législateur demanda la permission d’entrer dans la grotte et de s’y reposer. La permission lui fut courtoisement accordée. Le prophète fatigué ne se rendit pas compte le moins du monde qu’il avait demandé la permission de se reposer dans son propre sépulcre prédestiné. A peine avait-il pris la posture couchée que le chef de la bande d’ouvriers, qui était l’Ange de la Mort déguisé, lui offrit une pomme. Mûsa, ayant accepté et senti, expira aussitôt. Ses rites funéraires furent alors exécutés par les prétendus ouvriers, qui étaient en fait des anges envoyés exprès à cet effet.
42:1 de Jéthro. ↩︎