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Quelques-unes des meilleures traditions
DAUD (sur lui la paix) était particulièrement pieux et soucieux d’accomplir son devoir envers Allah et son prochain. Il avait pour habitude de diviser son temps en trois parties, consacrant une journée à l’adoration d’Allah et à l’étude des Ecritures, la deuxième aux affaires de l’Etat et la troisième aux tâches domestiques et à la subsistance. Il fut amené à travailler de ses propres mains pour subvenir aux besoins de sa famille par la circonstance suivante.
Quand il fut nommé au trône, il voulut savoir si son peuple était satisfait de son gouvernement. Sachant combien les louanges des courtisans étaient vaines, il résolut de s’en rendre compte lui-même. Il se rendit donc déguisé parmi le peuple et s’enquit de ce que l’on pensait de son administration. Un jour, un ange sous forme humaine lui apprit que le grand défaut de son gouvernement était que le roi vivait aux frais du trésor public au lieu de travailler de ses mains pour gagner son pain quotidien. En entendant cela, Daûd fut très troublé et demanda à Dieu de lui indiquer un métier qui lui permettrait, à lui et à sa famille, de vivre sans être un fardeau pour la nation. C’est alors que Gabriel fut envoyé pour enseigner au roi l’art de fabriquer des cottes de mailles. Dès lors, pendant ses heures de loisir, le roi était toujours en train [45] de travailler dans son armurerie, et on demandait beaucoup de travail de ses mains, car les armures qu’il fabriquait étaient résistantes à toutes les armes. Le prix habituel d’une cotte de mailles était de six mille dinars. Le roi en fabriquait une par jour. Un tiers des recettes était destiné à l’entretien de sa famille, un tiers à des aumônes et le reste à l’achat de matériaux pour la construction du Temple. Soliman avait aussi un métier. Il savait pétrir la pierre et la modeler en diverses formes, de la même manière qu’un pâtissier ou un boulanger façonne la pâte. On montre comme son œuvre certaines colonnettes à fûts de marbre curieusement torsadés, en forme de corde, du Dôme du Rocher de Jérusalem.
Daûd fit un pèlerinage aux tombeaux des patriarches à Hébron et, à son retour à Jérusalem, il exprima dans une prière le désir d’être aussi favorisé par Dieu qu’eux. Il alla même jusqu’à dire qu’il était sûr que s’il était exposé à leurs tentations, il les surmonterait, avec la perspective d’une récompense semblable. En réponse à cette prière, Dieu dit à Daûd que sa requête serait exaucée, mais que, voyant comment la race d’Adam avait dégénéré, le Tout Miséricordieux, en accordant sa requête, avait ajouté une faveur dont les patriarches n’avaient pas été indulgents : qu’il serait informé de l’heure exacte de son épreuve. La date et l’heure furent ainsi annoncées au pieux roi.
Quand le jour fut venu, Daûd, plein de confiance, s’enferma dans la tour qui porte encore son nom, et donna l’ordre de ne pas le déranger sous aucun [46] prétexte. Il passa le temps à lire et à méditer. Alors, comme maintenant, de nombreux pigeons sauvages volèrent autour de la tour, et le roi fut bientôt tiré de ses dévotions par un battement d’ailes. Levant les yeux, il vit, juste devant la fenêtre, un pigeon des plus merveilleux, au plumage brillant de couleurs prismatiques, et qui semblait avoir des plumes d’or et d’argent parsemées de pierres précieuses. Le roi jeta quelques miettes sur le sol, et l’oiseau entra et les ramassa à ses pieds, mais échappa à toute tentative de capture. Finalement, il vola vers la fenêtre et se posa sur une des barreaux. Daûd essaya de nouveau de l’attraper, mais l’animal s’envola, et c’est alors, tandis qu’il le surveillait, qu’il vit ce qui le conduisit à ses grands crimes dans l’affaire d’Urie.
Deux anges furent envoyés quelque temps après, sous une forme humaine, pour réprimander le monarque déchu. A leur arrivée à la porte de la tour de Daûd, les gardes leur refusèrent l’entrée ; mais, à la grande surprise de ces derniers, ils franchirent facilement le mur de la forteresse et pénétrèrent dans la chambre royale. Surpris de les voir entrer sans prévenir et sans permission, Daûd demanda à savoir ce qu’ils avaient à lui dire. Il fut stupéfait lorsqu’ils lui racontèrent la parabole de la brebis [1], et dénoncèrent son iniquité. Lorsqu’ils eurent rempli leur mission, ils partirent, laissant le roi si plein de remords de n’avoir pas résisté à la tentation envoyée en réponse à sa prière, [47] qu’il pleura jour et nuit. Les montagnes et les collines, les arbres et les pierres, les bêtes et les choses volantes, qui avaient l’habitude de faire écho à ses chants de louanges à Allah, se joignirent alors à ses lamentations. Les pleurs furent universels, et les larmes de Daûd lui-même coulèrent si abondamment qu’elles emplirent à la fois le Birket es Sultan[23] et le Birket Hammâm el Batrak[24]. Enfin, un prophète fut envoyé pour dire au pécheur contrit qu’en considération de sa pénitence, Allah lui pardonnait le péché commis contre lui-même, mais que, pour le crime commis contre son prochain, il devait obtenir le pardon de la personne lésée. Le roi fit alors un pèlerinage au tombeau d’Urie et y confessa ses péchés, lorsqu’une voix sortit du tombeau disant : « Mon Seigneur le roi, puisque ton crime m’a valu le paradis, je te pardonne de tout mon cœur. » « Mais, Urie, dit Daûd, j’ai fait cela pour prendre possession de ta femme. » Il n’y eut pas de réponse, jusqu’à ce que Daûd, désespéré, prie Allah d’obtenir le pardon d’Urie. Alors la voix se fit entendre de nouveau du tombeau : « Je te pardonne, ô Roi, car pour une femme qui m’a été arrachée sur terre, Allah m’en a donné mille au Paradis. »
Dans le mur sud du Dôme du Rocher, souvent appelé à tort la Mosquée d’Omar, sur le côté droit, juste à l’extérieur de la porte, il y a deux petites plaques de marbre qui, ayant été découpées dans le même bloc, présentent les mêmes veines et ont été fixées côte à côte de telle manière que les veines forment une figure qui ressemble à deux oiseaux perchés sur les côtés opposés d’un vase. Le tableau [48] est encadré dans du marbre d’une couleur plus foncée. L’histoire suivante est liée au tableau.
Le grand Suleyman el-Hakim était assis un jour près d’une fenêtre de son palais, écoutant les conversations amoureuses de deux pigeons perchés sur le toit. L’oiseau mâle dit d’un ton hautain : « Qui est donc le roi Suleyman ? Et de quoi sont fiers tous ses bâtiments ? Si j’y mettais du cœur, je pourrais les démolir en une minute ! »
Entendant cela, Suleymân se pencha par la fenêtre et interpella le vantard, lui demandant comment il pouvait mentir ainsi. « Votre Majesté, répondit-il d’un ton gêné, me pardonnera si je lui explique que je parlais à une femme. Vous savez qu’on ne peut s’empêcher de se vanter dans de telles circonstances. » Le monarque rit et ordonna au vantard de s’éloigner, l’avertissant de ne plus jamais parler sur ce ton. Le pigeon, après une profonde révérence, vola rejoindre sa compagne.
La femme demanda aussitôt pourquoi le roi l’avait appelé. « Oh, répondit-elle, il avait entendu ce que je vous disais et m’avait demandé de ne pas le faire. » Soliman fut si furieux devant l’irrépressible vanité de l’orateur qu’il transforma les deux oiseaux en pierre, pour avertir les hommes de ne pas se vanter et les femmes de ne pas les encourager. [2]
Suleymân connaissait bien le langage des plantes. Chaque fois qu’il rencontrait une nouvelle plante, il demandait son nom, ses usages, le sol et la culture dans lesquels elle poussait, ainsi que [49] ses propriétés ; et la plante lui répondait. Il créa le premier jardin botanique.
Un jour, dans les cours du Temple, il aperçut une jeune plante d’une espèce inconnue de lui. Il demanda aussitôt son nom. « El Kharrûb », lui répondit-il. Or, El Kharrûb signifie le destructeur. « À quoi sers-tu ? » continua le roi. « À détruire tes œuvres », répondit la plante. En entendant cela, Suleymân s’écria avec tristesse : « Quoi ! Allah a-t-il préparé la cause de la destruction de mes œuvres de mon vivant ? »
Il pria alors pour que sa mort, quelle qu’elle soit, soit cachée aux Jân jusqu’à ce que toute l’humanité en soit informée. Il fit cette demande parce qu’il craignait que si les Jân apprenaient sa mort avant que l’humanité ne la sache, ils saisiraient l’occasion de faire du mal et d’enseigner aux hommes l’iniquité. Ayant prié ainsi, le roi déterra le Kharrûbeh et le planta près d’un mur de son jardin, où, pour empêcher autant que possible tout mal en venant d’elle, il la surveillait tous les jours, jusqu’à ce qu’elle soit devenue un arbre vigoureux et robuste. Il le coupa ensuite et en fit un bâton de marche sur lequel il s’appuyait lorsqu’il était assis pour surveiller les travaux des esprits maléfiques qu’il asservissait pour les empêcher d’exercer leur pouvoir et leur ingéniosité contre l’humanité.
Or, bien des années auparavant, Belkis, reine de Saba, était venue éprouver Suleymân en lui posant des questions difficiles, notamment celle de savoir comment faire passer un fil de soie à travers une perle dont la perforation n’était [50] pas droite, mais sinueuse comme le corps d’un serpent en mouvement. C’était une tâche difficile, mais elle fut accomplie, à la demande du roi, par un petit ver blanc ou asticot qui, prenant l’extrémité du fil entre ses dents, rampa à l’intérieur par une extrémité et ressortit par l’autre. Pour récompenser cet insignifiant animal de son travail, le roi lui accorda de se loger dans les vaisseaux à graines et dans d’autres parties des plantes pour s’en nourrir. À l’insu de Suleymân, il avait trouvé refuge sous l’écorce du jeune arbre Kharrûb, son bâton, et avait pénétré jusqu’au centre du tronc. L’heure de la mort du roi arriva, et il se trouvait assis comme d’habitude, appuyé sur son bâton, quand Azrael vint et prit son âme, à l’insu des Jân, qui travaillèrent sans relâche pendant quarante ans, sans savoir que le roi était mort, car le bâton soutenait son cadavre comme s’il avait été vivant. Mais finalement, le ver creusa le bâton, qui se brisa soudain en deux, de sorte que le corps de Suleymân roula à terre et les mauvais esprits surent que leur tyran était mort. Jusqu’à ce jour, on montre au voyageur en Orient une énorme pierre inachevée dans les carrières de Ba’albec, et d’autres dans différentes parties du pays, et on lui dit que ce sont là quelques-unes des tâches laissées inachevées par les Jân, lorsqu’ils furent enfin sûrs que Suleymân el Hakim était mort.