TURBET BIRKET MAMILLA [1]
L’objet le plus remarquable de ce cimetière est un petit bâtiment en forme de dôme qui marque la tombe de l’émir Ala ed din 'Aidi Ghadi ibn 'Abdallah el Kebkebi, décédé en 688 H (= 1289 après J.C.), selon l’inscription au-dessus de la porte. A l’intérieur de l’édifice se trouve un cénotaphe remarquable, dont l’ornementation laisse supposer qu’il se trouvait probablement autrefois sur la tombe de quelque croisé distingué, une conjecture qui semble renforcée par deux traditions qui contredisent les affirmations de l’inscription mentionnée ci-dessus.
L’un affirme que l’Amir ici enterré était un homme noir d’une force gigantesque, qui, à une occasion, en combattant les chrétiens, coupa son adversaire en deux, d’un seul coup, de la crête de son casque vers le bas.[2] L’autre déclare que le mausolée est celui de la personne sous la garde de laquelle Saladin quitta Jérusalem après l’avoir arrachée aux Croisés en 1187 après J.-C. La date de l’inscription suggère l’époque de Beybars.
Une troisième histoire raconte que l’édifice recouvre [84] la tombe de Johha, un bouffon célèbre, que les paysans confondent généralement avec le tout aussi célèbre Abu Nowâs, et qui occupe dans le folklore oriental une position analogue à celle d’Eulensiège ou du Dr Howleglas en Europe. Voici quelques-unes des histoires racontées sur Johha. La plupart sont impropres à la reproduction.
Quand il était encore tout petit, sa mère l’envoya un jour au marché chercher du sel et aussi du semneh ou beurre clarifié. Elle lui fournit un plat pour ce dernier, et crut que l’épicier mettrait le sel dans un morceau de papier. Arrivé à la boutique, le garçon remit le récipient qu’il avait apporté au commerçant, afin que celui-ci y mette le beurre. Il le retourna alors et ordonna à l’épicier de mettre le sel au fond du plat. En rentrant chez lui, il dit : « Voici le sel, mère. » « Mais, mon fils, dit-elle, où est le semneh ? » « Ici », répondit Johha en retournant le plat. Bien entendu, le sel fut perdu de la même manière que le beurre.
Quand Johha fut assez grand pour travailler pour gagner sa vie, il devint ânier. Un jour, alors qu’il était responsable de douze ânes employés à transporter de la terre vers la ville, il lui vint à l’idée, avant de commencer à charger les animaux, de les compter. Ayant trouvé le compte complet, il les emmena à destination et les déchargea. Il monta alors sur l’un d’eux et s’apprêtait à revenir lorsqu’il découvrit qu’il manquait un âne. Il descendit aussitôt de cheval, [85] les mit tous en rang et fut étonné et grandement soulagé de retrouver les douze ânes là. Il remonta alors en selle et repartit, se demandant tout en chemin comment il se faisait qu’il ait manqué un âne. Soudain, il soupçonna que le deuxième comptage avait peut-être été erroné. Il recompta donc et découvrit une fois de plus qu’il n’y en avait que onze qui couraient devant lui. Terriblement déconcerté, il descendit de nouveau de la bête qu’il montait et, arrêtant les autres, les compta une fois de plus. Il fut étonné de constater qu’il y en avait encore douze. Il était tellement absorbé par ce mystère, qu’il continua à compter et à recompter les ânes, jusqu’à ce que son maître, surpris de sa longue absence, vint et résout sa difficulté en l’obligeant à suivre ses ânes à pied.
A la mort de son père, Johha hérita de la propriété familiale, une petite maison. Ayant besoin d’argent, il réussit à se procurer de l’argent en vendant tout le bâtiment, sauf un kirât [3], dont il refusa de se séparer ; et, afin de marquer la partie de la propriété qu’il était résolu à conserver, il enfonça un piquet dans le mur, après avoir stipulé avec les acheteurs que cette partie de l’édifice serait réservée à son usage personnel et incontesté. Les nouveaux propriétaires de la maison furent autorisés à y vivre pendant un certain temps sans être inquiétés. Un jour, cependant, Johha apparut portant un sac de lentilles, qu’il suspendit au piquet, sans que personne ne s’y oppose. Quelques jours plus tard, il l’enleva et suspendit un panier contenant [86] autre chose qui ne suscitait pas d’objections. Il continua ainsi pendant quelque temps sans rencontrer de protestations, voyant qu’il ne faisait qu’exercer ses droits incontestables. Enfin, il apparut un jour avec un chat mort, qu’il laissa là jusqu’à ce que les occupants de la maison, constatant que ni les remontrances, ni les supplications, ni les menaces ne pouvaient le faire enlever le nuisible, et sachant qu’un appel à la loi serait inutile, voyant que Johha avait l’oreille du cadi, se soient réjouis de lui revendre la maison pour une somme symbolique. Depuis ce temps, l’expression « a peg of Johha’s » a été utilisée proverbialement par les Orientaux dans le même sens que les Anglais parlent d’« un éléphant blanc ».
Un jour, Johha emprunta à un voisin une grande « tanjera », ou casserole en cuivre, pour son usage domestique. Le lendemain, il la rendit avec une toute petite, mais toute neuve. « Qu’est-ce que c’est ? » demanda le propriétaire surpris. « Votre tanjera a donné naissance à un petit pendant la nuit », répondit le bouffon, et, malgré l’incrédulité de l’autre homme, il maintint son affirmation, refusant de reprendre la plus petite tanjera, sous prétexte que le petit appartenait au parent et au propriétaire du parent. De plus, il était cruel de séparer un si jeune enfant de sa mère. Après de nombreuses protestations, le voisin, le croyant fou, résolut de lui faire plaisir et prit la petite tanjera, très étonné du caprice du bouffon. Son but fut révélé à son grand chagrin, quelques jours plus tard, lorsque Johha vint emprunter un grand et précieux « dist » ou chaudron en cuivre. Il ne le rendit pas, mais l’emporta dans une autre ville, où il le vendit. Lorsque son propriétaire envoya à [p. 87] Johha pour le récupérer, le valet dit qu’il regrettait de ne pouvoir le renvoyer, mais l’ustensile était malheureusement mort et avait été dévoré par des hyènes. « Quoi ! s’exclama le propriétaire avec colère, me crois-tu assez fou pour croire cela ? » « Eh bien, mon ami, lui répondit-il, des choses merveilleuses arrivent parfois. Tu t’es laissé persuader que ta tanjera, par exemple, a donné naissance à un petit ; pourquoi, alors, ne croirais-tu pas que ton dist, qui n’est qu’une tanjera adulte, doit mourir. » Dans ces circonstances, l’argument semblait sans réplique, surtout quand, après avoir fouillé la maison de Johha, le chaudron n’a pas pu être retrouvé.
Les voisins de Johha, irrités par de telles farces, se mirent d’accord. Ils réussirent à persuader le farceur de les accompagner dans une expédition vers une partie isolée de la côte. L’ayant amené là-bas, ils lui dirent qu’ils allaient le noyer s’il ne jurait pas solennellement de cesser ses farces et de « manger du sel » avec eux. « Je n’ose pas manger du sel avec toi », répondit le coquin, « car j’ai un pacte et j’ai mangé du sel avec les Jân. Je ne romprai pas mon pacte avec eux juste pour te faire plaisir. » « Très bien », dirent ses voisins, « tu as le choix. Nous t’attacherons à cet arbre et te laisserons ici jusqu’à minuit, après quoi, si tu ne changes pas d’avis et ne manges pas du sel avec nous, nous te noierons. » « Fais de ton mieux », dit Johha. Sur ce, ils l’attachèrent solidement à l’arbre et s’en allèrent.
Johha se creusa la tête pour trouver un moyen de [88] s’échapper. Grande fut sa joie quand, tard dans l’après-midi, il aperçut au loin un berger avec un grand troupeau de moutons. Il appela le berger et le persuada de le libérer. Lorsque son libérateur lui demanda pourquoi il avait été ainsi lié, il lui répondit : « Pour avoir refusé de goûter au sucre. » Le berger parut étonné de cela, faisant remarquer qu’il aimait lui-même le sucre. Johha lui proposa alors de prendre sa place. Le simplet, dans l’espoir d’obtenir du sucre, consentit, et après qu’ils eurent échangé leurs vêtements et que le berger eut appris au bouffon son appel spécial de mouton, [4] le premier se laissa attacher à l’arbre, tandis que Johha promit de prendre en charge le troupeau, de le conduire dans une certaine caverne et d’y attendre le retour du berger. Il était sûr que l’homme serait autorisé à poursuivre son chemin lorsqu’on découvrirait qu’il s’était lui-même échappé. C’était : mais ce n’est pas le cas, car dans leur hâte, et à cause de l’obscurité de la nuit, du sifflement du vent, du bruit des vagues, et du fait que le berger imitait la voix de Johha à un ton près, les ennemis de ce dernier ne soupçonnèrent pas le stratagème, et quand le pauvre berger leur dit qu’il mangerait du sucre, ils le jetèrent à la mer.
Les ennemis de Johha furent surpris et terrifiés quand, trois jours plus tard, il entra gaiement dans le village, suivi d’un beau troupeau de moutons. Ils s’approchèrent et lui demandèrent comment il avait échappé à la mer et d’où il avait ramené les animaux. « Je vous ai dit, répondit-il, [p. 89] que je suis de mèche avec les Jân. Si j’avais mangé du sel avec vous, ils m’auraient traité de traître et m’auraient fait de graves torts ; mais en fait, non seulement ils m’ont épargné la vie, mais ils m’ont donné ce troupeau en récompense de ma loyauté. »
Les voisins de Johha furent très impressionnés par cette déclaration et lui demandèrent pardon pour leur mauvaise volonté passée. Ils lui demandèrent alors humblement comment ils pourraient eux aussi obtenir l’amitié des Jân. Johha leur conseilla fortement de se jeter à la mer à minuit le même jour de la semaine où ils avaient essayé de le noyer, et du même rocher d’où il avait été précipité. Ils disparurent du village peu après et ne furent plus jamais revus.
83:1 Cimetière de la Piscine de Mamilla. ↩︎
83:2 Un exploit qui aurait été accompli par Godefroy de Bouillon, chef de la première croisade. ↩︎
85:1 La vingt-quatrième partie de quelque chose. ↩︎
88:1 « Ils ne suivront pas un étranger, mais ils le fuiront, car ils ne connaissent pas la voix des étrangers » (Saint Jean x. 6). ↩︎