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Quatre traditions différentes sont associées à la seule porte ouverte (dont d’autres sont murées) du mur oriental de Jérusalem et lui donnent autant de noms. Les musulmans la connaissent sous le nom de « Bâb el Asbât » ou Porte des Tribus, un nom dérivé de celui de la « Birket Asbât Beni Israìl » adjacente ou Piscine des Tribus des Enfants d’Israël, qui est généralement abrégée en « Birket Israìl », un immense réservoir situé le long d’une partie du côté nord de la zone du Temple et que les érudits musulmans considèrent comme l’un des trois construits par Ézéchiel ou Ézéchias, roi de Juda. Parmi les chrétiens autochtones, la porte est appelée « Notre-Dame Marie », car juste à l’intérieur se trouve le site traditionnel du lieu de naissance de la Vierge, et aussi parce que la route qui y mène est celle par laquelle on accède à son tombeau supposé, dans une grande église souterraine de la période des croisades dans la vallée. Depuis plusieurs siècles, les Européens ont appelé cette porte du nom de Saint-Etienne, car une tradition, qui ne remonte pas au XIVe siècle, affirme qu’il fut lapidé sur un rocher nu qui est indiqué au bord de la route, non loin de l’église mentionnée ci-dessus. A l’époque des Croisades, la porte qui se trouvait à l’emplacement actuel de la Bâb el Asbât était appelée « la porte [95] de Josaphat », d’après la vallée qui la longe ; tandis que parmi les Juifs germanophones modernes, elle est connue sous le nom de « das Loewenthor », d’après les deux lions grossièrement sculptés encastrés dans le mur de la ville de chaque côté de l’entrée.
Or, comme il est rare de trouver « la ressemblance de quoi que ce soit dans le ciel ou sur terre » dans l’ornementation des édifices musulmans, bien qu’on rencontre ici et là (comme dans le cas du très intéressant pont du XIIIe siècle à Lydda), on cherche naturellement une tradition pour expliquer cet ornement inhabituel. Dans le cas de Bâb el Asbât, l’histoire a été préservée dans le folklore courant, et se présente comme suit :
Le sultan Sélim [1] fit un rêve dans lequel il s’imaginait être mis en pièces par quatre lions. S’éveillant avec terreur, il envoya aussitôt chercher tous les savants pour interpréter sa vision. Mais ils ne purent le lui expliquer. Il eut alors recours à un cheikh célèbre qui demeurait au loin. Ce sage, informé de l’affaire, demanda à quoi le sultan avait pensé avant de s’endormir cette nuit-là. « Je réfléchissais à la façon de punir les habitants de Jérusalem, répondit-il. Ils ont refusé de payer leurs impôts et sont tout à fait indisciplinés. » « Ah ! dit le cheikh, « Allah a envoyé le rêve afin d’empêcher votre Majesté de commettre un grand péché. El Kûds est la Maison du Sanctuaire, la ville des saints et des prophètes. Si sainte est-elle que selon les érudits elle fut [p. 96] fondée par l’Ange Asrafìl, sur ordre d’Allah, construite par ses anges assistants, puis visitée par eux en pèlerinage deux mille ans avant la création de notre Père Adam, qui y fut enterré. Ibrahim el Khalìl, En Nebi Daûd, et beaucoup d’autres prophètes et saints y ont vécu et sont morts ; c’est pourquoi Allah Lui-même aime cet endroit et punira tous ceux qui le détestent et lui feraient du mal. Je te conseille, ô Monarque de l’Age, de mettre en œuvre des travaux qui puissent améliorer la ville. »
Frappé par ces paroles, le sultan partit bientôt en pèlerinage à Jérusalem, et, au cours de son séjour, donna des ordres pour la restauration du Haram et la reconstruction des murs.
Les travaux des murs furent confiés à la surveillance de deux frères architectes. Chacun d’eux avait son équipe d’ouvriers et sa zone de travail. Ils commencèrent tous deux à Bâb el Asbât, l’un travaillant vers le nord, l’autre vers le sud. Il fallut sept ans [2] pour achever le travail. A l’expiration de ce délai, les deux équipes de travail se réunirent de nouveau à Bâb el Khalil. L’architecte chargé de clôturer la partie sud de la ville fut cependant décapité par ordre du sultan, parce qu’il avait laissé le Cénacle et les bâtiments adjacents à l’extérieur et sans protection par le nouveau rempart. Les lions de Bâb el Asbât [97] furent placés là pour rappeler l’incident qui déclencha le grand travail.
La légende qui précède n’est pas la seule qui se rapporte à Bâb el Asbât. Juste à l’intérieur de la ville, à quelques mètres de la porte et entre celle-ci et l’église historique et l’abbaye de Sainte-Anne, se trouvait, jusqu’à l’été 1906, un intéressant ancien bain sarrasin, qui a été démoli pour faire place à un nouveau bâtiment. La légende suivante se racontait à son sujet :
Lorsque Belkis, reine de Saba, visita Jérusalem, le roi Suleyman, enchanté de sa beauté, voulut l’épouser ; mais un fauteur de troubles lui dit que la reine n’était pas humaine, mais une djinn ayant des jambes et des sabots comme ceux d’un âne. Le roi ordonna à celle qui l’informait, une femme jalouse, de se taire sous peine de mort. Mais cette accusation lui tourmenta l’esprit, et il résolut de s’assurer par lui-même qu’elle était fausse. Il fit donc construire par le Jân une vaste salle dont le sol était une immense vitre de cristal transparent, à travers laquelle on pouvait voir un ruisseau d’eau courante dans lequel nageaient des poissons. A l’une des extrémités, il plaça son propre trône et à côté celui de Belkis, qui était fait de métaux précieux, incrusté des plus précieux joyaux. En quittant son pays, la [98] reine, qui tenait ce trône pour son plus grand trésor, le fit enfermer dans la plus secrète des sept chambres, dans le plus inaccessible de ses châteaux, avec des gardes aux portes jour et nuit, pour empêcher que quiconque n’en approchait. Mais toutes ces précautions furent vaines, car Suleymân, voulant un jour la convaincre de la puissance du nom d’Allah, en invoquant ce nom, fit transporter le trône à Jérusalem en moins de temps qu’il n’en faut pour le raconter. [3]
Quand tout fut prêt, il envoya chercher la reine pour qu’elle vît son magnifique édifice. En entrant, elle fut surprise de voir le roi sur un trône qui semblait posé, comme celui d’Allah, sur la surface des eaux. Pour atteindre son trône, à côté de lui, elle comprit qu’elle devait patauger, aussi releva-t-elle ses jupes, découvrant ses pieds et ses jambes presque jusqu’aux genoux. L’instant d’après, Suleyman se rendit compte de son erreur : comme les chaussures et les bas étaient inconnus à cette époque, Suleyman avait vu que ses pieds étaient des pieds humains, mais que ses jambes étaient couvertes de poils hirsutes, comme ceux d’un jeune âne. L’ayant convertie à la vraie religion, Suleyman rassembla tous les savants pour leur demander conseil sur la façon d’enlever cette extraordinaire pousse de poils. « Qu’elle se rase », fut la proposition unanime. « Non ! rugit Suleyman avec colère, elle pourrait se couper et les poils repousseraient. » Il chassa les savants et convoqua le Jân, qui ne put ou ne voulut pas l’aider. Désespéré, il demanda enfin l’aide de véritables diables, qui lui dirent de construire le bain mentionné ci-dessus pour l’usage de la reine, et lui apprirent aussi à concocter un dépilatoire, [99] grâce auquel ses membres devinrent rapidement aussi lisses, blancs et beaux que s’ils avaient été en argent fondu. Depuis ce temps-là, dit un historien arabe célèbre, savant et véridique, [4] « les gens ont utilisé les bains et les dépilatoires, et l’on dit que le bain est le même que celui situé à Bâb el Asbât, près du Medresset es Salahìyeh, [5] et que c’est le premier bain jamais construit. »
95:1 Le sultan Selìm conquit la Palestine en 1527 ap. J.-C. et planifia la restauration complète des murs de Jérusalem qui fut réalisée par son fils et successeur, Suleyman, surnommé le Magnifique, qui, sur les inscriptions existantes, est intitulé : « Roi des Arabes, des Perses et du Bélier (Romains, c’est-à-dire Byzantins) ». ↩︎
96:1 Cette affirmation selon laquelle il fallut sept ans est un orientalisme. D’après les inscriptions encore visibles, les travaux furent commencés en 1536 sur le côté nord de la ville et terminés sur le côté sud en 1539. ↩︎
98:1 Il a fait cela, bien sûr, avant sa conversion. C’est un péché de jouer des tours à une femme qui est une vraie croyante. ↩︎
99 : 1 Mejr-ed-dìn. «Uns El Jelìl», vol. je. p. 125. ↩︎
99:2 Maintenant l’église Sainte-Anne. ↩︎