Au début du XVIIIe siècle, l’écrivain rabbinique érudit Kolonimos était à la tête de la petite communauté juive de Jérusalem, très opprimée.
Un jour de sabbat, le rabbin était en train de prier sur la place des lamentations, lorsque le « Shamash » ou bedeau de la synagogue vint, essoufflé par la hâte et la peur, lui dire que la ville était en émeute et que les musulmans menaçaient d’exterminer les juifs, parce qu’un jeune musulman avait été trouvé assassiné dans le quartier juif. Il n’avait pas terminé son récit lorsqu’un groupe de musulmans arriva et commença à frapper le rabbin, l’entraînant vers le sérail. Le pacha, en le voyant, désigna le corps du jeune garçon assassiné, qui avait également été amené devant lui, et [100] dit sévèrement au rabbin que s’il ne pouvait pas trouver le véritable meurtrier, tous les juifs seraient massacrés.
Le rabbin dit qu’il pourrait découvrir le coupable si on lui donnait un stylo, du papier et un bol d’eau. Quand cela fut fait, le rabbin écrivit sur le papier le tétragramme, ou nom imprononçable du Très-Haut, ainsi que certains passages des Ecritures et des écrits kabbalistiques. Il lava ensuite le document dans l’eau, [1] répétant sans cesse certaines formules magiques. Il appliqua ensuite le papier humide sur les lèvres et le front du garçon mort, ce qui eut pour résultat que le garçon assassiné se redressa immédiatement, regarda autour de lui un moment, se leva d’un bond, saisit à la gorge l’un des spectateurs et s’écria : « Cet homme, et aucun autre, est coupable de mon sang. » Puis il s’effondra sur le sol, cadavre comme auparavant. L’homme, ainsi accusé du crime, un mahométan, avoua et fut emmené au châtiment.
Le rabbin fut aussitôt relâché. Mais se rappelant que par ses écrits et ses arts magiques il avait non seulement profané le sabbat, mais s’était rendu coupable d’un péché odieux, bien qu’il y fût contraint pour la préservation de son troupeau, il passa le reste de ses jours à faire pénitence. Mais cela ne suffisait pas. Sur son lit de mort, il ordonna qu’on ne l’enterre pas honorablement, mais que ses amis portent son corps au sommet de la colline qui domine le Cédron, juste en face du monument traditionnel du prophète Zacharie, [101] et le jettent par terre de la même manière que l’on jette aujourd’hui les carcasses de chevaux et d’ânes sur la même pente. Là où il s’arrêterait de rouler, il pourrait être enterré ; mais aucun monument ne devait être érigé sur la tombe, et, pendant un siècle après sa mort, tout Juif passant par là devait y jeter une pierre, comme c’était la coutume pour les malfaiteurs. Ses amis exécutèrent ses instructions jusqu’à ce que le corps soit enterré, mais ne purent se résoudre à quitter sa tombe sans un monument commémoratif. Ils y déposèrent donc une grande pierre, mais le lendemain matin elle fut trouvée brisée et le même phénomène se produisit chaque fois qu’on la replaçait. Ils virent qu’il ne serait pas désobéi. Il devint donc d’usage, comme l’avait souhaité Kolonimos, que les passants juifs jettent une pierre sur sa tombe et y récitent aussi des prières.
Il y a quelques années, une de mes connaissances se trouvait par hasard chez l’un des principaux rabbins de Jérusalem. Un musulman de très bonne réputation vint lui demander conseil et aide. Il raconta comment un certain Juif, dont il donna le nom, était venu à son bureau une heure auparavant, alors qu’il était seul, pendant quelques minutes. Peu après, il avait oublié une bague de valeur qui se trouvait sur le bureau devant lui lorsque le Juif était entré. Personne n’était entré depuis. Il ne pouvait produire aucune preuve ni aucun témoin contre le Juif en question, mais il était sûr d’avoir pris la bague. Après avoir interrogé le musulman avec franchise, le rabbin vit qu’il disait la vérité et lui demanda d’attendre pendant [102] qu’il envoyait chercher le coupable. Le Juif arriva sans savoir pourquoi on l’avait fait venir. Avant qu’il ait eu le temps de prononcer un mot de salutation, le rabbin lui adressa la parole en hébreu, d’un ton de supplication excitée : « Je vous prie, pour tout ce qui est saint, de nier que vous sachiez quoi que ce soit au sujet de la bague que ce Gentil vous accuse d’avoir volée ! » « C’est exactement ce que je voulais faire, dit le coquin, complètement déstabilisé. » « Très bien, dit sévèrement le rabbin, puisque vous avez pratiquement avoué devant tous ces témoins que vous avez la bague, remettez-la immédiatement à son propriétaire, et soyez reconnaissant s’il ne prend aucune mesure pour vous faire punir. » Le voleur rendit la bague et resta impuni.
Pendant l’occupation égyptienne de la Palestine entre 1831 et 1840, Ibrahim Pacha, gouverneur du pays, se trouvait par hasard à Jaffa, lorsqu’un certain orfèvre vint le trouver, se plaignant que sa boutique avait été cambriolée pendant la nuit, et réclamant justice d’un ton hautain. « Pendant que nous étions sous l’ombre du Sultan, dit-il, je n’ai rien perdu. Mais maintenant, avec vous, les Egyptiens, qui parlez tant de bon gouvernement, dans le premier mois je perds la moitié de mes biens. C’est une honte pour vous et une grande perte pour moi ; et je pense que vous me devez une compensation, pour votre propre honneur. »
« Très bien, j’en prends la responsabilité », dit Ibrahim, quelque peu amusé. Il envoya ensuite un crieur dans les rues pour appeler tous ceux qui aimaient les spectacles étranges à se rendre à l’atelier de l’orfèvre à une certaine heure le lendemain, de sorte que lorsque cette heure fut arrivée, la rue devant l’atelier était bondée de [103] monde. Ibrahim apparut alors, accompagné de ses officiers et du bourreau public. Il harangua d’abord le peuple sur la vertu de la loyauté, disant que le gouvernement égyptien était déterminé à administrer la justice la plus stricte et à punir, sans partialité, le moindre abus de confiance, même commis par un objet inanimé et insensé. Puis, se tournant vers la porte de l’atelier : « Même cette porte », dit-il, « sera punie pour avoir manqué à son devoir, qui est d’empêcher les voleurs d’entrer, à moins qu’elle ne me dise qui est passé par là l’avant-dernière nuit et a volé des choses dans l’atelier. » La porte ne donnant pas de réponse, il ordonna au bourreau d’administrer cent coups de fouet avec son kurbâj. [2]
Quand le châtiment fut terminé, il exhorta de nouveau la porte à parler, en lui disant que si elle craignait de prononcer le nom à haute voix, elle pouvait lui chuchoter à l’oreille. Il tendit l’oreille à la porte, comme quelqu’un qui écoutait, puis se redressa brusquement et rit avec mépris : « Cette porte dit des bêtises. Bourreau, encore cent coups de fouet ! »
Après ce second coup, il écouta encore pour entendre ce que la porte avait à dire, tandis que les gens murmuraient et haussaient les épaules les uns aux autres, le croyant fou.
« La même histoire stupide ! s’écria-t-il désespéré. Elle persistera à me dire que le voleur est présent dans cette foule d’honnêtes gens, et qu’il a encore sur son tarbûsh un peu de poussière et des toiles d’araignée de la boutique. » Alors on remarqua un homme qui se hâtait de brosser son fez, et le pacha, guettant quelque action de ce genre, le fit arrêter. Il se révéla coupable et fut puni.
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On raconte une autre histoire du même genre à propos d’Ibrahim Pacha. On raconte qu’à Jérusalem, il encouragea les fellahs du pays à apporter leurs produits à la ville, en les assurant que ses soldats seraient punis s’ils leur faisaient du mal ou leur prenaient quoi que ce soit sans les payer. Un jour, une femme de Silwân, avec un panier de jarres remplies de leben, [3] vint se plaindre qu’un soldat s’était emparé d’une de ses jarres et en avait bu le contenu sans même lui dire : « Avec votre permission. » Ibrahim lui demanda quand cela était arrivé et si elle pensait pouvoir identifier le soldat. Elle répondit que cela s’était produit à l’instant même et qu’elle reconnaîtrait l’homme entre dix mille.
« Nous verrons bien », dit Ibrahim, et il appela son trompettiste. Bientôt tous les soldats de la ville défilèrent devant le château, et le pacha fit descendre la femme dans les rangs, lui demandant de désigner le coupable. Elle désigna un certain homme et s’arrêta devant lui. Ibrahim lui demanda si elle était sûre que c’était le coupable, et elle jura par Allah qu’elle ne s’était pas trompée. Il posa trois fois la question, et elle répondit qu’elle en était sûre. Puis il tira son épée, et, d’un coup habile, ouvrit le soldat, libérant le leben, encore non digéré. « Vous avez eu de la chance, dit-il à la femme, sinon votre sort aurait été bien pire que celui de ce soldat. »