Quelques Juifs résidant à Jérusalem célèbrent, outre les fêtes juives habituelles de Pâques, de la Pentecôte, des Tabernacles, etc., un anniversaire annuel qu’ils appellent « le Pourim saragossanais », afin de commémorer la délivrance des Juifs de Saragosse, capitale de l’ancien royaume d’Aragon, d’un grand péril. L’histoire de cette évasion, telle qu’elle est rapportée dans certains petits rouleaux de parchemin ou Megilloth écrits dans le style et l’imitation évidente du Rouleau d’Esther, est lue en public à chaque célébration. J’avais entendu parler de cette coutume [125] il y a bien des années, mais le 13 février 1906, ayant été informé que la fête avait eu lieu deux jours auparavant, j’obtins le prêt, par l’intermédiaire d’un ami, d’un exemplaire du rouleau. Il était, bien entendu, en hébreu et sur parchemin. Le récit est, en bref, le suivant :
Vers l’an 1420, sous le règne d’Alphonse V d’Aragon, il y avait dans la ville de Saragosse douze belles synagogues entretenues par autant de congrégations de juifs prospères et influents, qui étaient si bien traités par le gouvernement que, chaque fois que le roi venait à Saragosse, tous les rabbins sortaient en procession pour l’honorer, chacun portant, dans son étui, le rouleau de la Loi appartenant à sa synagogue. On objectait que c’était un déshonneur que de porter les rouleaux sacrés pour flatter la vanité d’un gentil ; aussi les rabbins, heureux peut-être d’une excuse pour ne pas porter les lourds manuscrits, prirent l’habitude de laisser les rouleaux aux synagogues en de telles occasions, et de sortir avec les étuis vides.
Or, un certain Juif, nommé Marc de Damas, se convertit au christianisme et, dans son zèle de nouveau converti, devint l’ennemi mortel de sa propre race. Un jour que le roi louait la loyauté de ses sujets juifs, ce renégat, qui était parmi les courtisans, répondit que Sa Majesté était grossièrement trompée. La loyauté des Juifs était une imposture, affirmait-il, comme lorsqu’ils portaient des valises vides devant le roi lorsqu’ils prétendaient porter les registres de leurs synagogues respectives.
Le roi se mit en colère contre les Juifs, mais ne voulut pas les punir avant d’avoir été certain de la véracité de l’accusation. Il partit aussitôt [p. 126] (17 shabbat 1787) pour Saragosse, avec Marc à sa suite, et ce dernier était de bonne humeur, pensant avoir ruiné les Juifs. Mais cette nuit-là, un vieillard réveilla le serviteur de chaque synagogue et lui dit comment le roi avait l’intention de surprendre les rabbins. Aussi, lorsque le bruit de l’arrivée du roi se répandit le lendemain matin, et qu’ils sortirent à sa rencontre comme d’habitude, ils n’étaient pas surpris. Alphonse ne leur rendit pas leur salut, mais, fronçant les sourcils, ordonna qu’on ouvre les caisses. Son ordre fut exécuté avec beaucoup de joie, et chaque caisse contenait son rouleau du Pentateuque. Le roi tourna alors sa colère contre Marc, qui fut pendu à l’arbre le plus proche.
Pour commémorer cet événement, les Juifs de Saragosse instituèrent une fête annuelle, observée même après que des persécutions ultérieures les eurent chassés d’Espagne, et encore, comme nous l’avons vu, célébrée par leurs descendants le 17 Shebat.