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L’origine de la consommation de café est liée à diverses légendes et idées superstitieuses. On dit que l’arbuste sur lequel pousse le caféier est originaire d’Abyssinie, et l’on raconte que les vertus de la plante furent découvertes par hasard. Fuyant les persécutions, vers la fin du IIIe siècle, un groupe de moines d’Egypte trouva refuge dans les hautes terres d’Abyssinie ; ils s’y établirent et vécurent de l’agriculture et du soin des troupeaux, qui furent confiés tour à tour aux soins pastoraux de différents frères. L’un d’eux vint une nuit raconter au prieur l’étrange histoire que les moutons et les chèvres ne voulaient pas se reposer dans leur enclos, mais étaient si fringants et enjoués qu’il craignit qu’ils aient été ensorcelés. Cet état de choses dura, malgré les prières et les exorcismes, pendant plusieurs jours, jusqu’à ce que le prieur se résolve enfin à garder les animaux. Les conduisant au pâturage, il observa les plantes qu’ils broutaient et découvrit ainsi que leur insomnie était due aux feuilles d’un certain arbuste. Faisant lui-même l’expérience en mâchant quelques bourgeons de la même plante, il découvrit qu’il était facilement capable de rester éveillé pendant les longues messes nocturnes que sa forme de religion prescrivait. C’est ainsi que le café fut découvert.
Au début, on ne l’utilisait pas comme boisson, mais [291] on le mangeait sous forme de pâte, un peu comme du chocolat. Il fut introduit en Arabie à l’époque préislamique, probablement pas plus tard qu’à l’époque de la célèbre croisade entreprise par Elesbaan, ou Caleb Negus, le Nagash des auteurs arabes, afin de punir le dirigeant juif himyarite, Yûsif Yarûsh, surnommé « Dhu Nowâs », qui persécutait les chrétiens. Lorsque les musulmans se virent interdire l’usage du vin, on le remplaça par des décoctions de baies de café. Le nom « café » dérive de l’arabe Kahweh (prononcé Kahveh par les Turcs) et, dans son sens premier, désignait le vin ou d’autres boissons enivrantes. « La ville d’Aden », dit Crichton, « est la première cité connue à avoir donné l’exemple de la consommation de vin comme rafraîchissement courant, vers le milieu du XVe siècle. Un mufti endormi, appelé Jemaleddin, avait découvert que cela le disposait à rester éveillé, ainsi qu’à un exercice plus vif de ses devoirs spirituels. » Ceci est clairement une version de l’histoire des moines abyssins donnée ci-dessus. Jemâl-ed-dìn, selon Crichton, mourut en 1470 après J.-C., « et telle était la réputation que son expérience avait donnée aux vertus du café, qu’en peu de temps il fut introduit par Fakreddin à La Mecque et à Médine. » Il semble cependant que ce ne soit qu’au début du XVIe siècle qu’il fut introduit au Caire.
Son introduction provoqua une âpre controverse théologique parmi les musulmans. En 1511, il fut publiquement condamné à La Mecque par un conclave d’ulémas, qui déclarèrent son usage contraire à l’islam et nocif à la fois pour le corps [292] et l’âme. Cette décision des savants fut reprise au Caire. Tous les entrepôts où était stockée la « baie séditieuse » (bunn) furent volontairement incendiés, les cafés fermés et leurs tenanciers bombardés de tessons de pots et de tasses. C’était en 1524, mais par ordre de Sélim Ier, les décrets des savants furent annulés, les troubles en Égypte apaisés, la consommation de café déclarée parfaitement orthodoxe ; et lorsque deux médecins persans, qui avaient affirmé que le café était nocif pour la santé, furent pendus sur ordre du sultan, la tasse à café commença son règne sans faille. Elle règne désormais en maître en Orient. Si vous voulez que quelqu’un, à qui ce serait une insulte d’offrir du bakshish, vous rende service, vous constaterez que « une tasse de café » le rend gracieux et ouvert à la persuasion ; de la même manière, si vous voulez vous débarrasser d’un ennemi, tout ce que vous avez à faire est de vous faire servir « une tasse de café ». Cette double utilité d’« une tasse de café » est proverbiale. Chez les Arabes du désert, la préparation et la consommation du café sont associées à des observances qui en font une cérémonie quasi religieuse. Seul un homme est autorisé à préparer la boisson et il doit le faire avec le plus grand soin. Les baies sont grillées dans une louche ou une casserole peu profonde (mahmaseh), et lorsqu’elles sont à moitié grillées, [293] elles sont pilées dans un mortier en pierre ou en bois, avec un grand pilon (mahbash), le pilage étant effectué de manière rythmique ainsi Pendant que le pilage se poursuit, une cafetière (bûkraj) est placée sur le feu. Quand l’eau bout, on retire la casserole du feu et on verse le café dans l’eau chaude. On le remet ensuite sur le feu et quand il a bouilli, on retire à nouveau la casserole et on le laisse bouillir encore une deuxième, puis une troisième fois. Le préparateur de café, tenant dans sa main gauche une rangée de petites tasses placées les unes dans les autres, verse alors un peu de café dans la plus haute et la rince avec le liquide, qu’il verse ensuite dans la deuxième, puis dans les autres, les rinçant toutes à leur tour avec le café qu’il a versé dans la première tasse. Quand il a rincé la dernière tasse, il verse son contenu dans le feu en guise de libation au Cheikh esh Shadhilly, le patron des buveurs de café. Ensuite, et seulement alors, on commence à boire. On donne une demi-tasse au convive le plus âgé et le plus honoré, puis une deuxième tasse, et ainsi de suite à tous les autres à tour de rôle. Offrir une coupe pleine est considéré comme une insulte étudiée, de même que l’offrande d’une troisième coupe. On dit : « La première coupe pour l’invité, la deuxième pour le plaisir et la troisième pour l’épée. » [^166]
Partout où un groupe de buveurs de café se rassemble, l’esprit de esh Shadhilly est présent pour les protéger du mal, et de la même manière lorsqu’une mariée quitte la maison de ses parents pour être emmenée à celle de son époux, le tenancier d’un café voisin montrera sa bonne volonté en se précipitant hors de son lieu de travail et en versant une tasse de café sur le sol du chemin à ses pieds afin de propitier son saint patron et de le disposer en sa faveur.
Un grand nombre de personnes étaient réunies [294] dans une maison d’hôtes du village. On leur préparait du café. À côté du feu se trouvait une très grande marmite, dans laquelle la personne qui préparait le café remplissait une plus petite marmite dans laquelle il faisait bouillir la liqueur après y avoir ajouté de la farine de café fraîche. Ensuite, après la libation décrite ci-dessus, il tendait une tasse de café à l’homme le plus proche de lui, qui, par politesse, la tendait à son voisin, qui la donnait à son tour au suivant, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’elle ait fait le tour de la compagnie sans avoir été goûtée. Le fabricant de café fut surpris de voir la tasse lui être rendue sans avoir été goûtée. Quelqu’un suggéra que esh Shadhilly avait dû avoir quelque chose à voir avec l’affaire et avait volontairement empêché les personnes présentes de goûter le café. Les cafetières furent alors vidées, lorsque, à la grande horreur de tous les spectateurs, le cadavre d’un serpent venimeux (selon une version de cette histoire, d’un crapaud) tomba de la marmite. Comment il est entré, personne ne l’a jamais su, mais on a vu comment esh-Sheykh esh Shadhilly avait protégé ses fidèles.
Outre la grande marmite, il n’est pas rare d’avoir de petits pots en laiton ou en cuivre étamé près du feu, prêts à être remplis à partir du récipient plus grand et mis à bouillir. Il n’est pas toujours prudent de prendre du café préparé dans de tels récipients, car ils ne sont pas toujours maintenus propres et fraîchement étamés, et de tristes cas d’empoisonnement par l’oxyde de cuivre se sont produits à cause de leur utilisation.
Le proverbe cité ci-dessus concernant la troisième coupe est illustré par l’histoire suivante : « Au début du siècle dernier, pendant une famine, [p. 295] un cheikh de Bedawi quitta son campement quelque part dans la région de Gaza et descendit en Egypte avec des hommes et des chameaux pour acheter du blé. La nuit tomba après qu’il eut traversé la frontière et, vers minuit, voyant une lumière au loin, le cheikh, qui n’avait jamais visité cette partie du pays auparavant, pensa qu’un village devait être proche. Il laissa ses hommes et ses chameaux où ils étaient et partit en reconnaissance. La lumière provenait d’une maison dont la porte était entrouverte. Comme il sentait l’odeur des grains de café en train de griller, il conclut qu’il s’agissait d’une maison d’hôtes et entra hardiment. Mais il se trompa. Les seules personnes présentes dans la pièce éclairée étaient une femme non voilée et un Memlûk, son mari. La femme hurla et cacha son visage à la vue d’un homme sur le seuil de la porte, mais son mari la repoussa et lui demanda ce qu’il voulait. Le cheikh répondit qu’il avait cru que c’était une maison d’hôtes, mais qu’il s’était trompé et qu’il allait repartir. Le Memlûk insista cependant pour qu’il reste et lui offrit une tasse de café. Lorsqu’il eut bu, son hôte lui en offrit une seconde, qu’il accepta. Il refusa une troisième tasse, bien qu’on le pressât de la prendre. Trouvant ses sollicitations inutiles, le Memlûk tira son épée et menaça de tuer le Bedawi s’il ne prenait pas la troisième tasse. L’homme refusa encore, disant qu’il préférait être [296] tué. « Pourquoi ? » demanda son sinistre hôte. « Parce que », répondit le cheikh, « la première tasse est pour l’invité, la deuxième pour le plaisir et la troisième pour l’épée. Bien que je sois en effet un guerrier, tout comme toi, je ne suis pas armé pour le moment, puisque je suis ici pour des affaires liées à la paix et non à la guerre. » « Eh bien », répondit le Memlûk en rengainant son arme, « ta réponse montre que tu es un homme honnête. Je t’ai pris pour un voleur furtif, mais je vois que je me suis trompé. Reste sous mon toit comme mon invité.” Le cheikh accepta l’invitation et lorsqu’il expliqua à son hôte le but de sa visite en Egypte, celui-ci, qui avait beaucoup de blé à vendre, fit affaire avec lui et pendant plusieurs années de suite, lui et sa tribu furent approvisionnés en céréales. En 1811, cependant, eut lieu le massacre des Memlûks, sur ordre de Mohammed Ali, et il se trouva que la seule personne à échapper fut celle qui figure dans cette histoire. Il réussit, dit-on, à s’échapper vers les tentes de son ami Bedawi et fut protégé et hébergé par lui jusqu’au moment où il put rentrer chez lui sans crainte.
Les touristes visitant la citadelle du Caire sont effectivement conduits à l’endroit où, selon la légende, Emìn Bey fit sauter son cheval du haut des remparts, mais de nombreux Cairotes affirment qu’il n’était pas là du tout, ayant été averti du complot du Pacha par quelqu’un lié au Harim. La vérité, c’est qu’Allah le sait !
NOTE SPÉCIALE.—La plus grande partie du document précédent a été initialement rédigée par l’auteur pour le rapport trimestriel du Fonds d’exploration de la Palestine, ainsi que plusieurs des histoires d’animaux de la section III. Elles sont reproduites avec des remarques supplémentaires avec la permission du Comité du P.E.F.