LE peuple de Palestine, tant chrétien que musulman, croit à l’existence d’une race d’êtres d’origine pré-adamite, appelés du nom général de « Jân ». [^99] Tandis que les anges demeurent dans [189] les cieux et ont des fonctions et des formes diverses qui diffèrent selon leurs demeures respectives (ceux du ciel le plus bas, par exemple, ont la forme de vaches ; ceux du deuxième, de faucons ; du troisième, d’aigles ; du quatrième, de chevaux, et ainsi de suite), les Jân sont dits par les érudits avoir été créés à partir du feu du « simûm » qu’ils décrivent comme un feu dépourvu à la fois de chaleur et de fumée. [1] On dit qu’ils habitent principalement dans ou parmi le Jebel Kâf, la chaîne de montagnes qui entoure la terre. Certains des Jan sont de bons musulmans et ne font aucun tort à leurs coreligionnaires humains, mais la plupart sont des infidèles impurs qui établissent leur domicile dans les rivières, les fontaines, les citernes, les bâtiments en ruine, les bains, les caves, les fours, les caves, les égouts et les latrines. Certains choisissent comme habitation des fissures dans les murs ou sous les seuils des maisons habitées, de sorte qu’il est très dangereux pour les gens, surtout les femmes, de s’asseoir sur le pas de la porte le soir, car ces esprits maléfiques qui rôdent la nuit peuvent leur faire de graves dommages corporels. On croit que les Jan peuvent prendre n’importe quelle forme qu’ils veulent et en changer à leur guise. Parmi les paysans, une autre histoire circule quant à leur origine. On raconte que notre mère Eve, que la paix soit sur lui, avait l’habitude de mettre au monde quarante enfants à la naissance, mais ne pouvant en allaiter plus de la moitié, elle choisissait les vingt meilleurs et jetait les autres. Elle dit à Adam à chaque fois qu’elle n’avait eu que vingt enfants, mais il ne la crut pas. Il demanda donc à Allah de permettre à tous les [190] enfants qu’elle avait rejetés de vivre sous terre et de partir à l’étranger la nuit où tous les hommes dorment. C’est ainsi que le Jân est né.
Les Jân nous envient, hommes et femmes, toujours à l’affût d’une occasion de nous faire du mal ; et si nous ne disons pas « bismillah » chaque fois que nous commençons un travail ou que nous prenons quelque chose dans nos magasins, ils réussissent à nous voler. Il y a, de nos jours, un homme vivant à Aïn Kârim qui en a fait l’expérience à ses dépens. Il a une fille sotte et rebelle qui, malgré les avertissements fréquents de ses parents et de ses voisins, n’invoque pas le Nom. C’était un homme aisé, qui rapportait à la maison des provisions en abondance, mais la bénédiction d’Allah ne reposait pas sur ses biens. Finalement, perplexe et découragé, il eut recours à un grand cheikh, qui lui demanda : « Qui avez-vous dans la maison ? » « Ma femme et ma fille. » « Votre femme invoque-t-elle le Nom d’Allah ? » « Je ne l’aurais pas épousée si elle ne l’avait pas fait. » « Votre fille invoque-t-elle aussi le Nom d’Allah ? » « Je regrette de dire qu’elle ne le fait pas. » « Alors, dit le cheikh, ne la laissez toucher à rien dans la maison et débarrassez-vous d’elle immédiatement ! »
Le père suivit le conseil du cheikh, et à peine eut-il donné sa fille en mariage que le Jân cessa de le troubler ; mais le marié, jusqu’alors un homme prospère, n’a plus assez d’argent pour acheter de l’huile pour garder une lampe allumée toute la nuit. [2]
Non seulement les hommes et les femmes Jân sont comme nous, [191] mais ils peuvent, et le font parfois, se marier avec les autres fils et filles d’Adam, souvent contre la volonté de ces derniers, lorsque ceux-ci ont négligé de demander la protection d’Allah. Pour preuve, je vais relater un incident survenu il y a quelques années.
Il y avait un homme du village d’El Isawîyeh, dans la vallée au nord du mont des Oliviers, qui descendait pour faire sa moisson dans le voisinage d’Ushwah, près d’Artûf, et qui ne donna plus de nouvelles pendant neuf ans. On disait qu’il avait été dévoré par une hyène. Mais il finit par reparaître et raconta son histoire. Il dormait une nuit sur l’aire de battage pour protéger sa provision de dhurra lorsqu’il fut réveillé vers minuit par un bruit de voix qui s’approchait. Pensant que c’était le collecteur d’impôts et son assistant « khayâleh » [102], il resta immobile de peur d’être battu. Mais c’était un groupe de Jân, et de même qu’au moment de se coucher il avait négligé par fatigue d’invoquer la protection d’Allah, de même une peur soudaine l’empêcha d’utiliser cette simple précaution et le laissa à la merci des démons. Il ne comprit qui ils étaient que lorsqu’il fut trop tard et qu’il fut devenu leur victime. Tout ce qu’il savait au début, c’est qu’une femme était venue lui frapper le front, et ce coup lui avait enlevé toute force de volonté. Elle lui avait ordonné de la suivre, et il avait obéi aveuglément.
Lorsqu’ils furent assez loin de l’aire de battage, elle lui dit qu’elle était sa femme et que, s’il ne se soumettait pas à son désir, ses frères, [192] qui l’avaient vu la suivre, le tueraient horriblement. Peu après, ses frères arrivèrent, quand il vit qu’ils étaient des djinns. Ils lui dirent qu’il était devenu l’un d’eux et qu’il serait désormais invisible aux yeux des hommes.
Il fut pendant neuf ans membre des Jan et participa à toutes leurs déprédations. Un jour, alors qu’ils étaient cachés dans des ruines, il remarqua que ses compagnons s’éloignaient d’un des murs sur lequel poussait une végétation luxuriante de feyjan ou rue. Lui-même, par curiosité, s’y dirigea. A un cri de son djinn : « N’approchez pas de ces plantes ! », il courut et en cueillit des poignées entières. Puis, regardant autour de lui, il vit que les Jan avaient disparu et qu’il était libre de retourner auprès de sa famille humaine. Lorsque les fellahìn, ses voisins, ne crurent pas à cette histoire, il demanda des nouvelles d’une femme nommée « Ayesha », et on lui répondit que son mari l’avait répudiée parce qu’elle l’avait volé et avait donné ses biens à ses frères ; il n’y avait aucune autre supposition qui puisse expliquer la façon dont les choses avaient disparu de sa maison. Ainsi, un jour, il avait rempli d’orge une grande « khâbieh » ou caisse en terre, mais quand il l’ouvrit le lendemain, elle était vide et, malgré les protestations de sa femme, il crut qu’elle était la voleuse. L’homme qui était avec le Jân expliqua qu’il avait demandé la femme exprès pour prouver son innocence et sa propre véracité. Il était présent [193] lorsque l’orge fut emportée par le Jân, qui savait que le Nom Divin n’était pas habituellement invoqué dans cette maison. D’autres choses qui avaient été perdues au village pendant son absence avaient été emportées de la même manière. Depuis ce temps, chacun a pris soin de cueillir des poignées de la plante rue et de les garder dans sa maison ; et aucun homme bon ne commencera un travail sans invoquer Allah, le Miséricordieux, le Compatissant ; et aucune femme respectable ne prendra même une poignée de farine de son récipient sans invoquer également le Très-Haut.
Un jeune couple marié, bien que travailleur et économe, ne parvenait pas à prospérer, car les choses disparaissaient sans cesse de la maison. Si la femme mettait un sac de blé à côté du moulin à main pendant la nuit, le lendemain matin, il avait disparu ; et si elle mettait de côté de la viande cuite ou des conserves, elles étaient sûres de disparaître. Son mari avait une jument à laquelle il tenait beaucoup. Chaque soir, avant d’aller se coucher, il la nourrissait lui-même, fermait soigneusement la porte de l’écurie et gardait la clé sous son oreiller jusqu’au matin. Un matin, lorsqu’il ouvrit la porte, la jument avait disparu ; et, croyant qu’elle avait été volée par un ennemi humain, il se traîna jusqu’aux villes les plus proches où se tenaient des marchés aux bestiaux, dans l’espoir de la récupérer ; mais en vain. Finalement, il conclut que Bedû de Belka avait d’une manière ou d’une autre pris possession d’une fausse clé et s’en était servi pour voler son écurie, alors il partit pour la campagne à l’est de la Jordanie, espérant retrouver son cheval disparu dans un camp arabe.
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A la tombée de la nuit du premier jour, il se trouva dans une gorge étroite, aux parois de laquelle se trouvaient de nombreuses cavernes. Apercevant de la lumière dans l’une d’elles, il crut que des bergers ou des chameliers y passaient la nuit et se hâta de les rejoindre. Mais en entrant dans la caverne, il vit qu’elle était pleine de Jân. Craignant de les offenser par une retraite, il les salua d’une voix aussi joyeuse qu’il put. Ils répondirent poliment selon la formule courante : « Notre maison est ta maison, notre demeure et tout ce qu’elle contient t’appartient. »
Les démons, sur le point de s’asseoir pour le souper, invitèrent l’invité à partager le repas avec eux ; il accepta nerveusement l’invitation. Parmi les autres plats, il y avait un mélange de riz et de lentilles, dont, sur la prière du Jân, il mangea avec parcimonie. Le souper terminé, il remercia le Jân ; ils lui répondirent : « Nous vous avons déjà dit que tout ici est à vous. » Puis, regardant autour de lui, l’homme imagina une ressemblance entre les meubles de la caverne et des objets qui avaient mystérieusement disparu de sa propre maison. Il s’ensuivit une conversation au cours de laquelle il raconta à ses hôtes la perte de sa jument et l’endroit où il allait dans l’espoir de la retrouver. Ils lui dirent qu’il n’avait pas besoin d’aller plus loin, car la jument était là avec eux et qu’il pouvait l’avoir sur simple demande. Il réussit à formuler la demande, et la jument lui fut immédiatement amenée. Il aurait voulu monter à cheval et rentrer chez lui, mais ses [195] hôtes l’invitèrent à rester pour la nuit et, comme il craignait de les offenser, il attacha le cheval et resta. Lorsqu’il se leva le lendemain matin, il trouva la grotte vide, mais sa jument toujours attachée au même endroit où il l’avait mise avant de se coucher pour dormir.
Il revint sans encombre à sa maison, où sa femme l’accueillit en lui annonçant que tout ce qui avait disparu avait réapparu dans la nuit aussi miraculeusement qu’il l’avait été. Sa joie fut encore plus grande à la vue de la jument. Son mari, qui n’avait pas pris de petit déjeuner, demanda à manger. Elle lui présenta aussitôt un plat de lentilles mélangées à du riz, expliquant qu’elle l’avait préparé la veille, mais que, n’ayant pas faim, elle l’avait mis de côté pour son retour. Elle découvrit alors le plat et recula de surprise. « Qu’est-ce que c’est que ça ? s’écria-t-elle. Quand j’ai rangé ce plat hier, il était plein et soigneusement couvert, et pourtant, comme vous le voyez, quelqu’un en a goûté. Ce ne peut pas être le chat, car même si elle avait enlevé le couvercle, elle n’aurait pas pu le remettre en place. » Le jeune homme fut lui-même surpris par ces paroles de sa femme, jusqu’à ce qu’en examinant le plat, il comprit qu’il s’agissait du même plat dans lequel il avait mangé à la demande du Jân. Ce fait jeta une lumière nouvelle sur son étrange expérience. « Ma chère épouse, s’écria-t-il, je connais maintenant le secret de nos derniers malheurs. C’est que nous avons négligé une pieuse coutume de nos pères, de prononcer le nom d’Allah en toute saison. Nos biens ont été volés [196] par les Jân, à cause de cette négligence. Amendons-nous désormais. » Inutile de dire qu’à partir de ce jour, le couple prit soin de demander la bénédiction divine sur tout ce qu’ils entreprenaient, et ainsi, jusqu’à la fin de leurs jours, bénéficièrent de la protection du Très-Haut.
Non seulement il est imprudent de s’asseoir sur le seuil d’une maison, surtout au coucher du soleil, mais il est dangereux d’appeler un animal, même le plus petit insecte, sans en même temps montrer l’objet du doigt. En effet, beaucoup de Jân et d’autres démons portent des noms d’animaux ou d’autres choses de la nature, et si le nom est utilisé sans le geste, un djinn pensera qu’il est appelé et profitera de l’erreur pour nuire à celui qui l’appelle. Une multitude parfaite de Jân peut ainsi être invoquée par inadvertance, car parmi eux, comme parmi les hommes, certains noms sont communs. Par exemple :
Une femme qui n’avait pas d’enfant, mais qui désirait en avoir un, était assise un soir sur le pas de sa porte, ignorant tout du danger, lorsqu’elle aperçut un scarabée noir qui rampait le long de la route. « Je veux un enfant, dit la femme, même si ce n’est qu’une fille et qu’elle est aussi noire qu’un scarabée. Ô Khûnûfseh ! [3] ne veux-tu pas venir et être ma fille ? » Sur ce, elle se leva et entra dans la maison. Quelque temps plus tard, à sa grande surprise, elle donna effectivement naissance à tout un essaim de scarabées noirs. « Ô Seigneur ! dit-elle, je n’en ai demandé qu’un. Que vais-je faire de toutes ces centaines ? Je les ramasserai dans le panier où j’ai mis du fumier sec, [4] et les porterai [197] au tabûn pour les brûler toutes. » Elle le fit, mais, au moment de rentrer à la maison, elle remarqua que l’un des animaux avait échappé à la destruction en s’accrochant avec ses pattes à la vannerie. « Eh bien, songea-t-elle, j’en ai demandé un. Je vais faire de ce scarabée un animal de compagnie, qui, après tout, est mon enfant. » Elle ramena donc l’insecte chez elle et en fit un animal de compagnie. Il grandit de plus en plus et, à la grande joie de sa mère, il devint une jeune fille brune qu’elle nomma Khûneyfseh. [5] Mais la créature était une ghûleh, l’un des ennemis les plus redoutables de la race humaine ; elle grandissait et devenait rapidement forte. Enfin, un jour, sa mère lui ordonna d’apporter quatre pains et une assiette de leben à son prétendu père qui labourait. Le monstre mangea le pain et le leben en chemin, et lorsqu’elle arriva près du laboureur, elle l’avala avec sa paire de bœufs. Elle revint alors et dit à sa mère : « J’ai dévoré les quatre pains et le leben, ainsi que le laboureur et ses bœufs, est-ce que je t’avalerai aussi, toi et la pâte que tu pétris ? » « Fais-le », répondit sa mère, qui pensait que son précieux enfant ne faisait que plaisanter. La ghûleh engloutit aussitôt sa mère, la pâte et le pétrin. Elle alla ensuite vers sa grand-mère qui filait et dit : « Grand-mère, j’ai mangé les quatre pains et le leben, le laboureur avec [198] sa paire de bœufs, la pleine auge de pâte avec son pétrin. Est-ce que je te mangerai ? » « Fais-le, mon enfant, si tu veux », dit la vieille femme, et elle fut aussitôt dévorée avec son rouet. Alors Khûneyfseh sortit du village. Elle s’assit sur le fumier, à la manière des anciens du village, et trouva un vieil homme sage qui, sans qu’elle le sache, était armé d’un poignard à deux tranchants. Elle l’aborda ainsi : « Ô cheikh, dit-elle, j’ai dévoré les quatre pains et le leben, le laboureur avec son attelage de bœufs, le pétrisseur avec son auge pleine de pâte et la vieille femme avec son rouet. Veux-tu que je te dévore ? » Or, ce vieil homme était sage et expérimenté. Au ton de la jeune fille brune, il devina à quoi il avait affaire et répondit : « Très bien, ma fille, dévore-moi si cela te plaît. » Mais quand elle s’approcha, il la frappa de son poignard et la tua. Puis il l’ouvrit, et quand ! de son ventre sortirent entiers et sans blessure les quatre pains et le leben, le laboureur et ses boeufs, le pétrisseur avec son auge pleine de pâte, et la vieille avec son rouet.Depuis lors on a appris à ne plus s’asseoir sur le pas des portes [6] le soir, et à ne parler à aucun être vivant, sauf s’il est humain, sans le montrer du doigt.
On entend souvent une autre histoire illustrant le danger que courent les gens en appelant les animaux par leur nom sans les désigner du doigt en même temps.
Une jeune paysanne avait un jour tant de travail qu’elle ne trouva le temps de pétrir le pain que le soir. Quand il fut prêt, la nuit était [199] tombée et il faisait si sombre qu’elle n’osait pas aller seule au four du village. Elle pria son mari de l’accompagner ; mais il se moqua de ses craintes et, au moment où elle partait, il appela un bouc attaché dans la cour : « Tiens, ô bouc ! prends-la ! prends-la ! » Il voulait plaisanter et s’étonna qu’elle ne revînt pas. Il alla au four, elle n’y était pas. Personne au hameau ne l’avait vue. Il s’informa dans chaque maison, fouilla toute la région, mais en vain. Ne pouvant croire qu’elle fût partie avec un autre homme, puisqu’il savait que son cœur était à lui, il ne pouvait expliquer sa disparition ni à lui-même ni à ses voisins, qui commençaient à soupçonner qu’il l’avait tuée pour infidélité. [7]
Un jour, pendant que le mari éploré labourait, un vieux derwich s’approcha et engagea la conversation avec lui. Le paysan se lamentait sur la perte de sa femme. « Combien me donnerez-vous si je vous dis comment la récupérer ? » demanda le derwich. « Vous aurez cette paire de bœufs », répondit le paysan avec empressement. « Ils ne me serviraient à rien », dit le reclus en riant, « mais donnez-moi quelque chose à manger et je serai rassasié. »
Le paysan emmena le derwich chez lui et lui présenta ce qu’il avait de meilleur. Quand l’invité eut fini de manger, il dit : « Je suis sûr que votre femme est enlevée par un djinn à qui [200] votre sotte plaisanterie a donné le pouvoir de lui faire du mal. Je vous conseille donc d’aller ce soir dans telle grotte, dans tel ou tel oued, le rendez-vous habituel des Jân dans ce district. Dès que vous verrez la grotte illuminée après le coucher du soleil, entrez hardiment et demandez votre femme à ceux qui sont à l’intérieur. »
Le paysan fit ce qu’on lui avait dit. Le soir même, il se posta près de la grotte qui lui avait été décrite et, dès qu’il en vit jaillir de la lumière, il appela Allah à l’aide et entra hardiment. À l’intérieur, le roi de tous les Jân tenait sa cour. Le paysan, imperturbable, demanda sa femme. Le roi-démon ne parut ni surpris ni offensé par son ton autoritaire, mais demanda tranquillement à ses sujets présents si quelqu’un savait où se trouvait la femme. « Je l’ai vue dans notre propre pays, le Djebel Kâf, il y a peu de temps, à tel endroit », dit l’un. « Combien de temps te faudra-t-il pour la chercher, ô Chameau ? » demanda le monarque. « Le Djebel Kâf est très loin, et il me faudrait trois ans pour y aller et revenir », lui répondit-il. Alors le souverain des Jân demanda à un autre démon nommé « Cheval » combien de temps il lui faudrait pour aller chercher la femme, et il répondit : « Trois mois ». Un troisième djinn nommé « Vent », à qui la même question fut posée, répondit : « Trois semaines. » Tous les autres djinns répondirent à leur tour, chacun indiquant le temps qu’il lui fallait pour faire la commission. Enfin, le roi demanda à l’homme de détailler les [201] circonstances dans lesquelles il avait perdu sa femme, en particulier les mots qu’il avait utilisés pour se séparer d’elle. Le paysan avoua alors qu’il avait inconsidérément remis sa femme à « Bouc ». En entendant cela, le roi ordonna au djinn ainsi nommé de rendre immédiatement la femme à son mari légitime, ce qu’il fit.
Un jour, un berger, après avoir plié son troupeau pour la nuit, alla dormir dans une grotte. Il se réveilla vers minuit et se trouva en présence d’un grand groupe de Jân. Craignant de les offenser et étant curieux, il resta immobile, les yeux mi-clos, faisant semblant de dormir.
Le chef du parti envoya quelques-uns de ses partisans chercher des provisions, qui revinrent bientôt avec de la nourriture en abondance et de toutes sortes, et les Jân s’y mirent avec délectation.
Parmi les mets délicats, il y avait un grand plateau de « baklâweh » autour duquel toute la compagnie se rassembla. Juste à ce moment, une jeune femme suggéra de réveiller le dormeur et de le faire se joindre à eux pour le repas. Les autres, cependant, objectèrent qu’il pourrait demander une bénédiction sur la nourriture et les obliger ainsi à se disperser et à laisser derrière eux tout ce qu’ils avaient apporté des maisons de gens qui n’avaient pas l’habitude de prononcer le Nom. « Nous allons mettre une grande portion sur un plateau à côté de lui, pour qu’il mange à son réveil. À ce moment-là, nous serons partis, et sa bénédiction, s’il en demande une, ne nous fera pas de mal. »
En entendant cela, le berger se redressa brusquement et s’écria : « Bismillah er Rahman er Rahìm » (Au nom d’Allah, le Miséricordieux, le Compatissant), comme quelqu’un qui se réveille, surpris, en étrange compagnie. A ce nom, tous les Jân disparurent en hurlant. Le berger [202] dormit alors sans être dérangé jusqu’au matin, où il trouva la caverne remplie de provisions suffisantes pour sa famille pendant une année entière. Il les accepta comme un don d’Allah, et les fit transporter jusqu’à sa propre maison.
Il est de la plus haute importance de se rappeler que le Jân doit toujours être traité avec respect. En entrant dans une pièce vide, une cave, une grotte, ou même en balayant une pièce qui est restée vide pendant un certain temps, on ne doit jamais oublier de dire «Dustûrkum ya mubârakìn» (avec votre permission, bienheureux), [8] ou, en abrégé, «Dustûr» (permission). La même formule doit être utilisée chaque fois qu’on porte du feu ou de l’eau, afin que les esprits puissent s’écarter et ne courent pas le risque d’être mouillés ou brûlés par accident. Le moyen le plus sûr, cependant, est d’invoquer habituellement le Nom et la protection d’Allah.
Les Anglais sont souvent choqués par la fréquence avec laquelle les Orientaux utilisent le nom d’Allah, considérant cela comme une violation du troisième commandement, mais sans se rendre compte qu’ils ne font que suivre une pratique qu’ils ont été habitués à considérer depuis leur enfance comme appartenant aux éléments essentiels de la religion et dont l’objet est la protection contre les pouvoirs du mal. [9] L’importance [203] attachée à cette pratique a déjà été expliquée, mais est illustrée plus en détail par les contes suivants.
Il était une fois une femme de bien dont le mari était si pauvre que, lorsque leur seul couteau fut cassé, il ne put lui en acheter un autre. Le manque de couteau lui causa de grands inconvénients, car ses voisins ne voulaient pas toujours lui prêter leurs affaires. Ainsi, un jour que son mari rapportait à la maison des morceaux de foie de mouton pour qu’elle les cuisine, elle alla chez un voisin dont le mari était très riche et lui demanda un couteau. On le lui refusa et elle revint chez elle très blessée et très en colère. Faute de couteau, elle fut obligée de déchirer la chair crue avec ses dents et ses ongles, comme si elle était devenue une ghûleh, car les ghûls ne connaissent pas l’usage du fer. Dans son dépit, elle oublia de « nommer », et le Jân profita aussitôt de cette omission. Un tourbillon soudain la fit tomber par terre et la fit tomber par une fente du plancher. Quand enfin le mouvement cessa et qu’elle eut suffisamment repris ses esprits pour regarder autour d’elle, elle se trouva dans une grande pièce bien meublée, qui semblait vide, à l’exception d’un beau chat persan. [204] [10] Remarquant que la créature allait bientôt avoir des chatons, elle la caressa en disant : « Que la mention d’Allah soit sur toi ! Qu’Allah te donne un rétablissement complet ! » L’animal parut comprendre et manifesta un grand plaisir en ronronnant et en se frottant contre elle. Soudain, on entendit des bruits comme ceux d’une foule qui s’approchait, lorsque le chat dit en arabe : « Mets-toi sous cette chaise et ne crains rien. » La visiteuse eut juste le temps d’obéir avant qu’un certain nombre de Jân n’entrent en foule, reniflant l’air et disant : « Nous sentons l’odeur d’un être humain. Si c’est un vieil homme, il est notre père ; si c’est une vieille femme, elle est notre mère ; si c’est un jeune homme ou une jeune femme, il ou elle sera notre frère ou notre sœur ; si c’est un garçon ou une fille, ils recevront également un traitement fraternel. Montrez-vous et n’ayez pas peur, car nous honorons les invités, et ils sont parfaitement en sécurité en notre compagnie.
La femme quitta alors sa cachette et salua les nouveaux venus qui la traitèrent avec bonté et lui servirent de bons plats. Après un certain temps, elle demanda humblement qu’on la renvoyât chez elle. Le tourbillon qui l’avait amenée là, un djinn lui-même, fut appelé et on lui demanda si elle était venue de son plein gré. Le vent reconnut qu’il l’avait amenée contre sa volonté, car, dans un moment d’inquiétude, elle n’avait pas « nommé ». « Dans ce cas, elle peut rentrer chez elle », dit le chef des Jân. Mais avant qu’elle ne parte, il lui fit défaire le cordon de sa libâs et remplit ce vêtement semblable à un sac de pelures d’oignon. Alors le tourbillon la saisit et elle était de nouveau chez elle.
Elle se rendit soudain compte que le contenu de son pantalon était bien lourd pour de simples pelures d’oignon. Elle ne pouvait pas bouger à cause du poids de ces pelures, alors elle se hâta de les sortir, quand, à sa grande surprise et à sa grande joie, elle découvrit qu’il s’agissait de pièces d’or. [p. 205] En femme prudente, elle ne dit rien de sa bonne fortune aux voisins, mais cacha l’argent jusqu’au retour de son mari, où elle lui raconta ce qui lui était arrivé et lui montra le trésor. Le couple garda son secret et acheta du bétail et des terres si progressivement que leurs voisins crurent que leur prospérité était le résultat de leur travail.
Une personne ne pouvait croire à cela, c’était la femme qui avait refusé de lui prêter un couteau. L’envie la rendait méfiante et elle ne laissa pas de répit à son amie avant d’avoir découvert le secret. L’ayant appris, elle rentra chez elle et fit apporter par son mari des lards et du foie de mouton qu’elle déchira avec ses dents et ses ongles, sans toutefois « nommer ». Le résultat immédiat de son action réfléchie et étudiée fut le même que celui de l’inattention de sa voisine. Un tourbillon la poussa dans les entrailles de la terre et elle se trouva dans la chambre où se trouvait le chat persan. Mais son comportement fut tout le contraire de celui de la bonne femme. Elle insulta le chat et osa même dire qu’elle espérait qu’il ne vivrait pas assez longtemps pour voir ses chatons. Lorsque de sa cachette sous la chaise elle entendit le Jân l’assurer de sa sécurité, elle négligea grossièrement de les saluer en sortant. Après avoir dévoré la nourriture qui lui était servie avec une grande avidité, elle demanda qu’on la renvoyât chez elle.
Le Jân, qui ne remarqua pas sa grossièreté, demanda alors au tourbillon si elle était venue de son plein gré. « Oui », lui répondit-il. [p. 206] Alors le chef du Jân lui ordonna de retirer son pantalon, le remplit de pièces d’or et la fit porter chez elle. Mais lorsqu’elle y fut arrivée et eut fermé portes et fenêtres, elle trouva son pantalon plein d’araignées, de scorpions et de mille-pattes, qui mirent bientôt fin à sa vie perverse.
Ayant remarqué qu’un laitier indigène, un fellah de Siloé, avait toujours l’habitude d’invoquer le nom d’Allah avant de mesurer le lait qu’il remettait chaque matin à notre serviteur, je lui demandai un jour pourquoi il faisait ainsi. « Oh, dit-il, il est toujours bon de « nommer », et nous, les fellahs, le faisons toujours lorsque nous mettons nos mains dans un récipient ou commençons un travail quelconque. » Je dis : « Je suis tout à fait d’accord avec vous que nous devons toujours demander à Dieu de nous bénir dans tout ce que nous entreprenons, mais, si vous omettiez cette précaution, que pensez-vous qu’il arriverait ? » « Nous tomberions très certainement sous le pouvoir du Jân », répondit l’homme très sérieusement, ajoutant : « Ism illah hawwaleynah » (que le nom d’Allah soit autour de nous !). « Comment ? » demandai-je ; quand, posant sa cruche de lait, il raconta l’histoire suivante :
Le fils d’un grand cheikh arabe, un jeune homme très accompli, fut envoyé par son père pour voyager et voir le monde. Un jour, en arrivant dans une certaine ville, il choisit un emplacement pour sa tente et demanda à ses serviteurs de la planter pendant qu’il allait se promener dans les marchés. Il n’avait jamais été dans les murs d’une ville auparavant, et fut si intéressé par ce qu’il voyait qu’il y passa [207] plus de temps qu’il ne l’avait prévu ; et lorsqu’il pensa enfin à retourner à son camp, il faisait nuit et il ne parvenait pas à trouver le chemin. Tombant par hasard sur un grand espace ouvert, il résolut d’y dormir jusqu’au matin ; alors, s’enveloppant dans son ’abâyeh, il s’étendit sur le sol nu en disant : « Au nom d’Allah, le Miséricordieux, le Compatissant, je place ma confiance en Allah et me recommande à la protection du propriétaire de ce champ. »
Les Jân célébraient un festin de noces et invitèrent le djinn de ce champ à venir. Il refusa, disant qu’il avait un invité et qu’il ne pouvait pas le quitter. « Amenez-le aussi », dirent les fêtards. « C’est impossible », lui répondirent-ils, « car il a aussi « nommé ». Je suis donc responsable de sa sécurité. » « Eh bien, voici ce que vous pouvez faire », dit le Jân. « Le sultan a une jolie fille enfermée dans le château. Emmenez-la chez elle pendant son sommeil et laissez-la avec elle pendant que vous viendrez au mariage. Avant le lever du jour, vous pourrez le remettre chez lui. Ainsi, il sera tout heureux et il ne lui arrivera aucun mal. » L’hôte fut satisfait de cette proposition et l’exécuta immédiatement. Le jeune homme se réveilla vers minuit et se trouva couché dans un lit luxueux à côté d’une belle jeune fille endormie, dont les cierges dans de hauts chandeliers d’or jetaient une lumière tamisée. Il était perdu dans l’étonnement et la joie, lorsque les yeux de la jeune fille s’ouvrirent sur lui ; et il vit le même ravissement naître en eux. Ils eurent une conversation amoureuse, échangèrent [208] leurs anneaux de sceau, puis se rendormirent. Lorsque le jeune homme se réveilla une seconde fois, pour se trouver sur un terrain vague près du mur de la ville, il fut d’abord enclin à considérer l’aventure de sa nuit comme un rêve heureux ; mais lorsqu’il vit à son doigt l’anneau que sa dame y avait placé, il n’eut aucun doute sur la réalité de cette étrange expérience, et décida de ne pas quitter la ville avant d’avoir résolu le mystère.
La princesse fut également étonnée, à son réveil, de ne trouver qu’une bague pour confirmer ses souvenirs de la nuit. Avec le temps, elle devint enceinte ; mais le sultan, son père, l’aimant passionnément, ne put se résoudre à la tuer, comme il le devait, puisqu’elle n’avait pas de frères. Son histoire étrange et la vue de l’anneau que son amour inconnu lui avait donné, le firent décider de lui épargner la vie ; car il connaissait la puissance et la malice des Jân, et voyait leur main dans cette affaire. Aussi, lorsque sa fille eut accouché d’un fils, il l’envoya avec l’enfant en exil sans autre garde qu’une vieille nourrice.
Or, la ville où elle fut envoyée se trouvait être celle où son amant demeurait encore dans l’espoir d’avoir de ses nouvelles. Elle y demeura dans l’obscurité, se consacrant à l’enfant, qui ne se laissait porter que par sa mère et pleurait chaque fois qu’on essayait de le prendre dans ses bras. Un jour, la princesse exilée étant fatiguée de le caresser, elle ordonna à sa servante de le porter dehors. Tandis que la nourrice le portait dans les rues, elle passa par hasard devant un endroit où le jeune Bedawi était assis, indolent. Quelque chose dans les pleurs de l’enfant toucha son cœur, et il demanda à la femme de [209] lui permettre de prendre le petit homme. Au moment où le transfert fut fait, l’enfant cessa de pleurer comme par enchantement et se mit à rire, ce qui plut tellement au père inconscient, qu’avant de le rendre à la nourrice, il lui acheta des tas de sucreries à un marchand de passage.
La femme, retournant vers sa maîtresse, vanta la beauté et la bonté du jeune homme qui avait calmé l’enfant pour elle. Un espoir jaillit aussitôt dans l’esprit de la mère. Elle ordonna à la nourrice de la conduire auprès de ce jeune homme.
Les époux, en se rencontrant, se connaissaient et les bagues confirmèrent leurs intuitions. Ils se marièrent aussitôt et avec la faveur du Sultan, et l’on dit qu’ils vécurent heureux jusqu’à la fin des temps.
Quand le laitier eut fini son récit, je dis : « N’aurait-il pas mieux valu que le jeune homme invoque le nom d’Allah sans se mettre sous la protection du djinn ? S’il avait eu confiance en Allah seul, tout cela ne serait pas arrivé. » « Non », fut la réponse, « Allah ne fait que du bien. S’il avait omis de demander la protection du propriétaire du champ, le djinn lui aurait fait du mal, voire l’aurait enlevé pendant son sommeil. En demandant l’hospitalité, il a empêché toute chose de ce genre, et il n’en est résulté que du bien. »
Un fellâheh d’El Welejeh [11] a perdu un œil il y a [210] quelques années, dans les circonstances étranges suivantes, relatées par un autre fellâheh.
Elle revenait de Jérusalem et, comme elle passait près de la fontaine appelée « Aïn El Hamyeh », elle entendit le coassement d’une grenouille. En regardant autour d’elle, elle aperçut près du ruisseau une grenouille femelle très enceinte et elle dit à la créature avec insouciance mais avec mauvaise humeur : « Qu’Allah fasse que tu ne mettes pas au monde ton enfant avant que je sois appelée à te servir de sage-femme. » Après avoir prononcé ces paroles peu aimables, la femme s’en alla. Le soir, elle se retira pour se reposer avec ses enfants, dont le père était mort à la guerre, autour d’elle ; mais quelle fut sa terreur quand, se réveillant pendant la nuit, elle se trouva dans une caverne entourée de gens étranges et en colère, dont l’un lui dit sévèrement que si elle osait « nommer », elle était une femme morte. « Si nous, qui vivons en bas, dit-il, venons à vous qui vivez à la surface, alors c’est une protection pour vous de « nommer » ; mais si, comme dans votre cas, l’un de vous s’immisce inutilement et avec officiosité parmi nous, « nommer » ne vous servira à rien. Quel mal ma femme vous a-t-elle fait pour que vous la maudissiez comme vous l’avez fait cet après-midi ? – Je ne sais pas, et je n’ai jamais vu votre femme, répondit la femme terrifiée. – C’était la grenouille enceinte à laquelle vous [211] avez parlé à ‘Ain El Hamyeh’, fut la réponse ; lorsque nous qui vivons sous terre voulons sortir pendant la journée, nous prenons généralement la forme d’un animal. Ma femme a pris celle de la grenouille que vous avez vue. Vous l’avez maudite et avez mentionné ‘le Nom’. Elle était dans les douleurs de l’accouchement mais, à cause de votre cruelle malédiction, elle ne peut être soulagée tant que vous ne l’aurez pas aidée. Je vous préviens donc qu’à moins qu’elle ne donne naissance à un garçon, vous aurez du mal. » Il la conduisit alors là où sa femme gisait, entourée de femelles. La femme d’El Welej eh, bien que presque effrayée, fit de son mieux pour l’étrange patiente, qui donna bientôt naissance à un beau garçon. Lorsque le père fut informé de l’heureux événement, il tendit à la sage-femme humaine un « moukhalé » ou récipient à khôl et lui dit d’en appliquer un peu sur les yeux de l’enfant afin qu’ils deviennent foncés et brillants. Ce faisant, elle remarqua que les yeux du bébé, comme ceux des autres Jân qui l’entouraient, différaient de ceux des hommes et des femmes ordinaires en ce que la pupille était longitudinale et verticale. Après avoir appliqué le khôl sur les yeux du petit, elle prit le poinçon dont elle s’était servie et en mit un sur l’un de ses yeux, mais avant qu’elle [212] ait eu le temps d’en mettre sur l’autre, la Jân femelle, qui s’aperçut de ce qu’elle faisait, lui arracha avec colère le « moukhalé ». Ils lui demandèrent alors de desserrer une de ses longues manches flottantes dans lesquelles, comme les autres paysannes syriennes, elle avait l’habitude de porter des objets, et de la remplir de quelque chose qu’elle ne savait pas quoi. Ils lui bandèrent ensuite les yeux et la conduisirent hors de la grotte. Lorsqu’on lui dit qu’elle pouvait découvrir ses yeux, elle regarda autour d’elle et se trouva seule à « Ain El Hamyeh ». Curieuse de savoir ce qu’il y avait dans sa manche, elle l’ouvrit et trouva une quantité de pelures d’oignon qu’elle jeta aussitôt. Quelques minutes plus tard, elle arriva chez elle, où elle trouva ses enfants encore endormis. Alors qu’elle s’apprêtait à se coucher, quelque chose tomba de sa manche. Elle le ramassa et découvrit que c’était une pièce d’or. Comprenant la véritable nature des prétendues pelures d’oignon qu’elle avait jetées, elle se précipita aussitôt vers la fontaine et trouva en effet les pelures d’oignon intactes, mais toutes transformées en pièces d’or. Les ramassant avec empressement, elle rentra chez elle et comme il restait encore quelques heures avant le lever du jour, elle se coucha et s’endormit. Au réveil le lendemain matin, elle pensa qu’elle avait dû rêver de tout ce qui a été raconté. Mais lorsque l’un de ses enfants lui dit qu’un de ses yeux contenait du khôl et l’autre non, elle se rendit compte qu’elle avait rêvé de tout ce qui a été raconté. et surtout, quand elle vit son stock de pièces d’or, elle fut convaincue qu’elle n’avait pas rêvé mais qu’elle était maintenant une femme riche.
Quelque temps après, elle alla à El Kûds pour faire des achats. Comme elle se tenait près de la boutique du drapier – vous savez le drapier juif dont la boutique est juste en face du marché au blé – elle vit l’être qu’elle avait aidé à accoucher, se mêlant à la foule et chapardant en allant de boutique en boutique. La femme d’El Welejeh s’approcha d’elle et, lui touchant l’épaule, lui demanda pourquoi elle agissait ainsi. Effrayée par le regard courroucé de la Jinnìyeh, elle se baissa et embrassa le bébé. Les gens qui étaient là la prirent pour folle quand, comme ils le supposèrent, ils la virent embrasser l’air, car, n’ayant pas appliqué le khôl de Jân sur leurs yeux, ils ne pouvaient pas voir ce qui se passait. Mais [213] la Jinnìyeh dit avec colère : « Quoi ! vas-tu nous déshonorer ? » et, plongeant aussitôt un doigt dans l’œil de la pauvre femme, l’œil qui contenait le khôl, elle l’aveugla sur place. Quel malheur aurait pu arriver si elle avait appliqué le khôl de Jân sur les deux yeux, Allah seul le sait, mais une chose semble certaine, à savoir que, grâce à leurs yeux si curieusement formés, les Jân peuvent voir et savoir beaucoup de choses que les mortels ordinaires ne peuvent pas, et leur khôl les aide à acquérir une sorte de seconde vue que nous ne possédons pas. On rencontre très rarement des gens du commun qui ont de tels yeux. Il y en a peut-être à peine un sur dix mille qui ne voit et ne puisse faire des choses que les autres ne peuvent pas, et c’est pourquoi les Mûghâribeh (Arabes d’Afrique du Nord) qui, par leurs pouvoirs magiques, savent où se trouvent les trésors cachés, sont toujours à la recherche de telles personnes, dans l’espoir d’obtenir leur aide.
Un maçon, parent proche d’un de mes voisins, se leva très tôt un matin pour aller à son travail. Comme la pleine lune brillait, il ne se rendit pas compte qu’il était si tôt. En chemin, il fut rejoint par un cortège nuptial, tous portant des torches, les femmes prononçant leurs zagharit. Comme ils allaient dans le même sens, il les suivit par curiosité, remarquant seulement que les hommes avaient l’air sinistre et farouche. Une des femmes lui donna un cierge allumé, qu’il accepta. Il comprit alors le véritable caractère de ces gens qu’il avait pris pour des Circassiens ; mais, ayant la présence d’esprit d’invoquer instantanément [214] l’aide d’Allah et de tous les saints (il est membre de l’Église grecque orthodoxe), ses redoutables compagnons disparurent ; et il se trouva seul dans la rue avec un os de patte d’âne à la main. Terriblement effrayé, il rentra directement chez lui et fut très malade pendant longtemps.
188:1 Genis. Sous le nom de Shedim, les Juifs orthodoxes croient aussi à leur existence et à leur caractère général tel qu’il est décrit ici. ↩︎
189 : 1 Mejr-ud-dìn, « Uns el Jelìl » (Édition du Caire), vol. je. p. 15. ↩︎
191:1 Cavalerie irrégulière. ↩︎
196:1 Scarabée noir. ↩︎
196:2 Combustible pour le tabûn ou le four de la masure. ↩︎
197:1 Petit scarabée noir. ↩︎
199:1 Ar. tabûn. ↩︎
199:2 Comme tout mari a le droit de le faire, à moins qu’il ne préfère la livrer à ses frères ou à ses plus proches parents mâles, afin qu’ils la mettent eux-mêmes à mort pour son péché. ↩︎
202:1 « Toi béni ! » sont les mots avec lesquels vous devriez vous adresser à un serpent, si vous avez le malheur d’en rencontrer un à l’improviste. ↩︎
202:2 Le diable avait un jour parié avec quelqu’un qu’il obtiendrait un repas dans une certaine ville renommée pour sa piété. Il entrait dans chaque maison à l’heure du dîner, mais était toujours frustré par le nom d’Allah jusqu’à ce que, par chance, il tombe sur la demeure d’un consul franc qui, quand Iblìs entra, était à table en train de lutter avec un p. 203 steak de bœuf dur. « Diable, prends cette viande », dit le consul, et le diable la prit. — ED. ↩︎
203:1 Pour les idées musulmanes sur les chats, voir le chapitre sur le folklore animal. ↩︎