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Au sommet d’une montagne dominant un village musulman se dressait le tombeau d’un saint dont le gardien était un certain Sheikh Abdullah, un vieil homme jovial et très aimé dans le voisinage. Accompagné d’un jeune orphelin nommé Ali, son disciple, et monté sur un âne qu’il avait élevé depuis qu’il était poulain, il avait l’habitude de se déplacer de village en village, de prescrire des médicaments aux malades et de vendre des amulettes et des charmes écrits par lui-même, qui étaient censés préserver ceux qui les portaient du mauvais œil et d’autres adversités étranges. Il établissait également des horoscopes et découvrait des secrets dans le miroir magique de l’encre ou par la table de sable.
Quand Ali fut grand, le vieil homme lui dit : « Mon fils, je t’ai enseigné tout ce que je sais. Il y a peu de khatîbs [^135] avec la moitié de ton savoir. Tout ce que tu as à faire maintenant est de devenir un Haji en faisant le pèlerinage aux Lieux Saints. Alors, in sh’Allah, tu trouveras facile d’obtenir un poste, comme le mien, d’une aisance honorable. En tant que derwich, tu n’as pas besoin d’argent. Prends mon vieil abâyeh, ce mahajaneh, et l’âne pour monter dessus ; pars demain avec les autres pèlerins. »
Ali, bien que peu disposé à quitter son père adoptif, suivit le conseil du cheikh et, ayant obtenu sa bénédiction, partit le lendemain. Par la miséricorde d’Allah, il voyagea [235] en toute sécurité pendant de nombreux mois, jusqu’au jour où il se trouva dans une plaine aride, où soufflait un vent chaud, loin de tout puits ou de toute habitation humaine. Il marchait pour sauver les forces défaillantes de son âne, lorsque soudain le pauvre animal s’arrêta, frotta son museau contre son bras et mourut. Il ne pouvait supporter de laisser le corps d’un si vieil ami aux vautours et aux hyènes, aussi se mit-il à creuser une tombe. Ce n’était pas une tâche facile, mais il l’exécuta avant le coucher du soleil et se prépara à dormir à côté du tertre ainsi élevé. Tout à coup, il entendit le bruit de chevaux galopant et, levant les yeux, vit une troupe de cavaliers. Il entendit leur chef crier à ses compagnons : « Regardez ! Il y a un saint derwish en deuil sur une tombe nouvellement creusée. La mort a surpris le compagnon de ses voyages, et il l’a pieusement enterré dans ce lieu solitaire. Quelle tristesse de mourir dans un endroit si désolé, où l’on ne trouve même pas d’eau pour laver un cadavre ! Il faut que j’aille lui parler. » En disant cela, il s’avança au galop et, saluant, demanda le nom du défunt. « 'Eyr », répondit Ali, employant un mot poétique et peu commun pour « âne ». « Ah ! pauvre cheikh 'Eyr », soupira le chef au cœur tendre. « Les voies d’Allah sont des plus mystérieuses. Ne vous laissez pas cependant abattre par cette mort. Sa mémoire au moins vivra. Demain matin, j’enverrai des hommes pour construire un magnifique sanctuaire sur sa tombe » ; et, avant qu’Ali ait eu le temps d’expliquer les choses, le noble impulsif s’en alla au galop avec ses hommes.
Ali ne put dormir cette nuit-là, pensant à son étrange situation. Le lendemain matin, peu après le lever du soleil, il aperçut des [236] points mobiles à l’horizon, qui se résumèrent bientôt à des chameaux chargés de chaux et à des ânes portant des pierres taillées, conduits par une compagnie de maçons et d’ouvriers. Arrivés à l’endroit où se tenait le derwich, les hommes le saluèrent avec révérence et l’informa qu’ils venaient de la part de l’émir avec ordre de construire immédiatement le makâm de Sheykh ’Eyr. Les choses étaient allées trop loin pour qu’on puisse leur donner une explication. Ali ne put qu’observer le travail qui commença sans délai. Tout d’abord, ils construisirent un cénotaphe au-dessus de la tombe et l’enfermèrent dans une pièce de forme et de taille appropriées. Puis ils construisirent une salle ouverte [1] avec une niche de prière, [2] pour marquer le kibleh. Du côté de la salle, en face de la chambre funéraire, une seconde pièce fut érigée pour loger le gardien du sanctuaire. Enfin, ils construisirent un petit minaret, creusèrent un puits et entourèrent le tout d’un mur d’enceinte, formant ainsi une grande cour avec des cloîtres sur ses quatre côtés. Tous ces travaux demandèrent du temps, mais Ali, ayant appris de l’émir qu’il serait le cheikh du sanctuaire avec un bon salaire, suivit patiemment son achèvement et entra avec contentement dans ses nouvelles fonctions.
Situé à un endroit commode pour les voyageurs qui devaient traverser le désert, le nouveau sanctuaire devint bientôt célèbre et fut visité chaque année par des hordes de pèlerins. Des présents furent offerts à son sheikh, qui commença à montrer sa richesse par son habillement et son attitude.
La nouvelle de ce nouveau sanctuaire populaire parvint enfin aux oreilles du vieux cheikh Abdullah, qui avait visité la plupart des lieux [237] saints au cours de ses voyages de jeunesse, mais ne se souvenait même pas d’avoir entendu parler de celui-ci. Par curiosité, il décida de faire le pèlerinage à cheikh ’Eyr et de découvrir par lui-même son origine et son histoire. Le dernier jour de la saison du pèlerinage, il atteignit le makâm et fut étonné de la foule interminable de pèlerins. Il fut encore plus surpris de reconnaître dans le gardien du sanctuaire son élève Ali. Ils s’embrassèrent avec des cris de joie et entrèrent dans la maison d’Ali pour festoyer ensemble. Après le dîner, cheikh Abdullah fixa son regard sur Ali et dit solennellement : « Mon fils, je t’adjure par les saints, les prophètes et tout ce que nous, musulmans, considérons comme saint, de ne rien me cacher. Qu’est-ce qui est enterré dans ce lieu ? » Le jeune homme raconta son histoire sans réserve et, quand elle fut terminée, dit : « Maintenant, père, dites-moi quel saint est enterré dans votre sanctuaire à la maison ? » Le vieil homme baissa les yeux avec honte, mais, pressé par Ali, chuchota : « Eh bien, si vous voulez savoir, c’est le père de votre âne. »
Il y avait une fois à Jérusalem une vieille veuve pieuse, nommée Anne, qui appartenait à l’Église orthodoxe orientale. Elle était pauvre, mais dispensait de grandes charités et était aimée de tous ceux qui la connaissaient. Il n’y avait qu’une personne au monde dont elle ne voyait aucune excuse aux fautes : c’était le patriarche, un prélat exemplaire, quoique quelque peu humoristique. Des années auparavant, elle avait été nourrice dans la famille, où lui, enfant unique, [238] vif et gâté, lui avait gâché la vie par ses farces ; et elle ne pouvait se défaire de l’idée qu’il jouait encore des farces. Dans son enfance, elle n’avait pas douté qu’il ne se fît des ennuis ; mais à l’école, au lieu d’être puni et renvoyé, comme elle s’y attendait, il acquit une certaine renommée d’assiduité et était apprécié des élèves et des maîtres. « Ah ! se disait-elle, un jour ils découvriront leur erreur. »
Ses années d’école terminées, il fut ordonné diacre. Anne secoua la tête plus solennellement et se dit en son cœur : « Hélas ! nos pasteurs ont dû être frappés d’aveuglement spirituel pour admettre ce coquin dans les ordres sacrés. » Son étonnement et son horreur augmentèrent quand, le temps passant, il devint prêtre, archimandrite, évêque et monta enfin sur le trône patriarcal. Elle ressentit amèrement l’humiliation, quand elle le rencontra dans la rue, de devoir se pencher et lui baiser la main, bien qu’elle pût voir dans ses yeux cette lueur malicieuse qu’elle avait appris à associer à ses ruses. Cependant, elle se disait : « Ici-bas, naturellement, on commet des erreurs, mais au ciel, elles seront corrigées. »
Anne mourut en odeur de sainteté et son âme fut emportée jusqu’à la porte du ciel où Mar Bûtrus [3] est assis avec les clefs pour admettre les dignes. Elle frappa timidement pour être admise. « Qui est là ? » dit Mar Bûtrus en regardant par la fenêtre à mâchicoulis au-dessus de la porte. « Ah ! une autre âme rachetée ! Votre nom, ma fille ? » « Votre servante, Anne », fut la douce réplique. [p. 239] Mar Bûtrus ouvrit aussitôt la porte et lui souhaita la bienvenue, lui assignant une place parmi les chœurs célestes. Ici elle était enfin à l’abri, et pour toujours, de son aversion, le patriarche.
Soudain, trois grands coups frappés à la porte du ciel firent sursauter les joyeux chanteurs. Mar Bûtrus se leva d’un bond et courut à la fenêtre pour voir qui c’était. Il jeta un coup d’œil puis, dans un accès d’excitation folle, envoya des serviteurs dans toutes les directions. Bientôt des régiments de chérubins et de séraphins descendirent vers la porte et se formèrent de chaque côté de la rue qui y menait. Deux des archanges arrivèrent et se tinrent là tandis que Mar Bûtrus, avec une cérémonie inhabituelle, ouvrait le verrou. Tous les bienheureux se tenaient bouche bée pour voir qui avait mérité cette grande réception. Au grand chagrin et à la consternation d’Anne, c’était le patriarche. Il entra au milieu des acclamations bruyantes et ses yeux rencontrèrent les siens pendant un instant, elle put voir qu’il était toujours en train de faire ses tours. Il fut conduit sur un siège élevé près du trône, tandis que sa vieille nourrice éclatait en sanglots.
Or, les larmes ne sont pas permises au ciel. Aussi, quand les autres saints la virent pleurer, ils la crurent une des damnées qui s’y était introduite par erreur et s’éloignèrent d’elle. Elle resta ainsi toute seule au milieu des bienheureux, tous regroupés comme des moutons effarouchés et négligeant leur rôle dans le chœur céleste. Mar Bûtrus remarqua l’interruption et vint voir ce qui se passait. Voyant une sainte en larmes, il dit sévèrement : « Qui es-tu ? » « Ta servante, Anne », lui répondit-il, et il [240] chercha le nom dans son registre. « Cela semble bien », se dit-il ; et, se tournant de nouveau vers Anne : « Ne sais-tu pas que les larmes sont interdites ici ? Dis-moi pourquoi tu pleures dans ce lieu heureux. » Alors Anne sanglota son histoire : comment le patriarche, enfant, l’avait pincée et taquinée, refusant d’être lavée et habillée, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’elle soit tout à fait sûre qu’il allait lui arriver malheur ; « Comment il avait ensuite trompé ses camarades, ses maîtres et les autorités de l’Église, et comment Mar Bûtrus lui-même avait maintenant détruit son sens de la justice en accordant à ce coquin une entrée triomphale au ciel. Mar Bûtrus éclata de rire et lui tapota le dos en disant : »Voilà, ma fille, retourne prendre ta part au chant. Il n’est pas si mauvais que tu le penses. Et quant à l’entrée triomphale, eh bien, il y a des centaines de saints comme toi, grâce à Dieu, qui sont admis chaque jour, mais nous n’avons qu’une fois tous les mille ans un patriarche."
Il était une fois un jeune prêtre qui, en plus d’apprendre par cœur les liturgies habituelles, apprit à lire un chapitre de la Bible en arabe qu’il aimait réciter à ses fidèles et qui commençait ainsi : « Alors le Seigneur dit à Moïse. »
La première fois qu’il le lut, les gens furent ravis et étonnés de son savoir ; mais ils se lassèrent bientôt d’entendre la même leçon dimanche après dimanche, et un matin, avant le service, l’un d’eux entra dans l’église et déplaça le marque-page. Quand le prêtre arriva au point du service où il introduisait habituellement sa leçon, il [241] ouvrit le livre et commença avec confiance : « Alors le Seigneur dit à Moïse. »
Mais, ayant besoin de se rafraîchir la mémoire, il regarda la page devant lui. Cela lui parut étrange. Il se rendit alors compte que son signet avait été déplacé et se mit à tourner les pages frénétiquement, espérant tomber sur son propre chapitre. Plus d’une fois, croyant l’avoir trouvé, il commença : « Alors le Seigneur dit à Moïse », mais ne put aller plus loin. Finalement, un vieillard de la congrégation, intrigué par la répétition de cette phrase, demanda : « Père, qu’a dit le Seigneur à Moïse ? » Ce à quoi le prêtre répondit avec colère : « Qu’Allah détruise la maison de l’homme qui a déplacé mon signet ! »
Un prêtre avait appris par cœur la liste des jeûnes et des fêtes de l’Église orthodoxe, avec le nombre des jours intermédiaires. Pour compter les jours qui passaient et signaler les jeûnes précédant certaines fêtes, il mettait dans une de ses poches un nombre de pois égal au nombre de jours dont il voulait se souvenir, et chaque matin il en transférait un dans une autre poche. Ainsi, en comptant les pois qui se trouvaient encore dans la première poche, il pouvait toujours savoir combien de jours il restait.
Ce prêtre avait une femme, [4] qui ne connaissait pas cet arrangement. Un jour, en rangeant ses vêtements, elle trouva des pois dans ses poches, [242] et conclut qu’il les aimait. Alors, par amour, elle remplit toutes ses poches de pois. Peu après, on vit le prêtre en détresse, se frappant le front et s’écriant : « Selon les pois, il n’y aura pas de fête. »
Un jour, pendant un jeûne, un moine qui se promenait au marché rencontra une paysanne qui avait des œufs à vendre. Fatigué de ne manger que des légumes, il en acheta quelques-uns, les emporta secrètement dans sa cellule du couvent et les cacha jusqu’à tard dans la nuit, quand tous les frères furent couchés. Puis il se leva et se prépara à les cuire et à les manger. N’ayant rien pour les cuire, il prit un des œufs dans une pince et le tint au-dessus de la flamme d’une bougie jusqu’à ce qu’il jugeât qu’il était prêt. Bientôt, comme il traitait ainsi les uns après les autres, une odeur de coquilles d’œufs brûlés se répandit dans le monastère. Elle atteignit la cellule de l’abbé, qui se leva aussitôt et, une bougie à la main, se rendit à la cuisine du couvent. Elle était vide. Il monta et descendit ensuite les couloirs, reniflant porte après porte, jusqu’à ce qu’il atteigne la cellule du coupable, où, regardant à travers le trou de la serrure, il vit le moine en train de rôtir le dernier de ses œufs.
Il frappa à la porte, toujours l’œil sur la serrure. Le moine ramassa les œufs, les cacha sous son oreiller, éteignit la lumière et ronfla bruyamment. [243] L’abbé frappa encore plus fort et demanda l’entrée. Enfin, le ronflement cessa et le frère demanda d’une voix endormie : « Qui est là ? » « C’est moi, votre abbé ! » La porte s’ouvrit rapidement.
L’abbé, sans tenir compte des excuses du moine, l’accusa d’avoir fait cuire des aliments dans sa cellule, ce qu’il nia chaleureusement, et expliqua l’odeur par le fait que la bougie de la cellule avait brûlé plus longtemps que d’habitude sans être éteinte, parce que le moine s’était oublié dans ses dévotions.
L’abbé se dirigea alors vers le lit et tâta sous l’oreiller, il en sortit les œufs noirs de suie. Ne pouvant plus maintenir son déni, le moine reconnut sa faute, mais implora la miséricorde, car il avait été tenté de pécher par le diable lui-même. Or, le Père du Mal se trouvait à ce moment-là dans un coin de la cellule, et entendant l’excuse du moine, il s’élança en criant : « C’est un mensonge infâme ! Je n’ai jamais tenté ce moine. Ce n’était pas nécessaire. Je passe mes journées, il est vrai, à tenter les laïcs, mais la nuit je viens dans les couvents en humble savant. »
Un jour, un moine vit au marché deux volailles à vendre. Ce n’est qu’après avoir convenu d’un prix avec la femme à qui elles appartenaient qu’il s’aperçut qu’il n’avait pas d’argent liquide. La femme lui offrit de garder les volailles pendant qu’il irait chercher sa bourse ; mais il s’y opposa, préférant n’en prendre qu’une seule, laissant l’autre avec elle comme otage. La femme [244] refusa, faisant remarquer qu’elle ne connaissait même pas son nom, au cas où elle aurait à se plaindre à son abbé. « Oh, dit le moine, cela est facile à remédier. Nous portons tous des noms bibliques dans notre couvent. Le mien est « ’Ufû lina Khateyâna » [142]. Vous n’avez qu’à demander « ’Ufû lina Khateyâna, et je serai immédiatement appelé. » « Ah, c’est un beau nom, dit la femme, mais j’en ai un meilleur : « La tadkhilna fi et-tajribat wa-lakin najì dajajâti min esh-sharìr. » [5]
Il y avait autrefois à Damas un homme riche, nommé Hâj Ahmad Izreyk, dont les biens consistaient en de grands troupeaux de chameaux, avec lesquels il ravitaillait les caravanes de cette ville.
Quand le moment de la mort arriva, au lieu de s’en aller rapidement, il resta si longtemps étendu sur le lit que ses amis crurent qu’il avait blessé quelqu’un qui ne lui avait pas pardonné. Ils convoquèrent donc tous ses amis pour qu’ils viennent lui déclarer qu’ils ne lui en voulaient pas. Même ses ennemis, émus par sa longue agonie, vinrent à son chevet et supplièrent Hâj Ahmad de leur pardonner comme ils lui pardonnaient tout le mal qu’il leur avait fait. Mais en vain. Les portes de la mort restèrent fermées au mourant.
Finalement, quelqu’un imagina qu’il s’agissait peut-être d’un animal qu’il avait offensé. Comme il avait eu affaire à des chameaux, il fut décidé de demander pardon [245] à ses chameaux. Les chameaux sont des créatures désobligeantes et ceux-ci refusèrent catégoriquement de venir avant qu’on leur ait accordé une journée entière de congé pour discuter de la question. On leur accorda cette permission et le lendemain, des milliers de chameaux se rassemblèrent dans la plaine au-delà des jardins de la ville. Les grognements, les gémissements, les gargouillis, les reniflements, les souffles, les sifflements faisaient un bruit tel qu’on l’entendit à Mazârib. Le débat fut long et tendu, mais à la nuit tombée, ils étaient parvenus à une décision que leur cheikh devait communiquer à Haj Ahmad.
Ce cheikh des chameaux était si grand qu’il ressemblait à une montagne en mouvement. Ses poils pendaient de ses flancs comme les glands d’une paire de sacoches. A chaque pas il soulevait un nuage de poussière qui obscurcissait l’air, et son pied laissait une empreinte aussi grande qu’une cuvette de pétrin. [6] Tous ceux qui passaient devant lui s’écriaient : « Mashallah ! Loué soit le Créateur ! » en même temps qu’ils crachaient à droite et à gauche contre le mauvais œil.
Lorsque cette bête arriva devant la maison de Hâj Ahmad, elle se révéla trop grande pour passer la porte. On lui demanda de transmettre son message par la fenêtre. Mais, en tant que députation du plus noble de tous les animaux, il s’indigna de cette suggestion et menaça de s’en aller à nouveau. Les amis de Hâj Ahmad le supplièrent alors d’avoir de la patience, pendant qu’ils abattaient un mur de la maison. Enfin, le chameau s’approcha du lit de mort de son maître et, s’agenouillant, prononça :
« Ô Hâj Ahmad, sois tranquille, les chameaux [246] te pardonnent, mais ils m’ont envoyé pour te dire pourquoi tu as besoin de leur pardon. Ce n’est pas pour nos fardeaux ni pour les coups que nous recevons quotidiennement de la part de tes serviteurs. Ceux-ci viennent d’Allah et font partie de notre lot dans la vie. Mais, après nous avoir lourdement chargés et enfilés par dizaines comme des perles sur un rosaire, nous obliger à suivre la conduite d’un misérable petit âne, voilà ce que nous trouvons insupportable. »