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Mon but dans cette préface étant d’offrir au lecteur non voyagé des histoires suivantes un aperçu du pays et du peuple qui les a produites afin de les rendre intelligibles, sinon cohérentes, je commencerai par un coup d’œil sur l’histoire passée de la Terre Sainte telle qu’illustrée dans son folklore actuel.
Les fellahs ont, à l’époque de l’Ancien Testament, d’innombrables histoires qui rappellent plus ou moins leur instruction religieuse par l’intermédiaire d’un prêtre grec ou d’un musulman Khatib, [1] vivifiées par l’incorporation dans le texte de conjectures naïves, de traits d’humour personnels et de touches réalistes de la vie actuelle du pays, qui choquent l’auditeur pompeux comme d’absurdes anachronismes. Ainsi, le déguisement d’un pèlerin russe [2] — personnage que l’on rencontre couramment aujourd’hui sur la route de Jérusalem au Jourdain — est donné à Satan lorsqu’il séduit le patriarche Lot (sect. i. chap. vi.) ; et notre père Adam m’a été décrit assis sous l’arbre [xii] de la connaissance, « fumant son narguilé ». Nébucadnetsar et Titus deviennent une seule personne (Bukhtunussur) et la personnalité d’Alexandre le Grand (Iskender Dhu el Karneyn) est étendue de manière à inclure des conquérants plus anciens. De plus, le désir inhérent aux Orientaux de savoir comment tout est arrivé, se contentant de n’importe quelle hypothèse pourvu qu’elle soit spirituelle, a produit un nombre incalculable de petites fictions délicieuses qui, à toutes fins sauf scientifiques, valent bien mieux que les faits. De tels jeux d’esprit abondent dans les pages qui suivent, comme par exemple l’histoire de la fille de Noé (sect. i. chap. iii.) et celle de la façon dont le moustique est venu bourdonner (sect. iii. chap. x.) ; et ils sont utiles à connaître pour tous ceux qui doivent converser avec les Orientaux, car pour ces derniers ils font partie de l’apprentissage. Les « Just So Stories » de M. Kipling sont des exemples de cette veine d’humour oriental.
Il existe de nombreuses légendes sur Notre Seigneur, les Apôtres et la Sainte Vierge, dont beaucoup sont courantes aussi bien parmi les musulmans que parmi les chrétiens. Car il ne faut pas oublier que les disciples de Mahomet ont une grande révérence pour Jésus-Christ, que leur prophète a appelé Ruh’ Allah, l’Esprit de Dieu. Ils croient à son Immaculée Conception et à tous ses miracles, mais nient sa divinité. Seul saint Paul est anathème pour eux, parce qu’ils disent qu’il a pris la foi pure de l’Islam, la foi d’Adam, de Noé et d’Abraham, telle que restaurée par Jésus, et en a fait une nouvelle religion. A l’exception très douteuse de l’histoire [xiii] pittoresque de François et de l’Ange de la Mort (sect. iii. chap. v.), aucune légende concernant la période du Nouveau Testament n’a été incluse dans cet ouvrage ; car de telles légendes ont cessé depuis longtemps d’être locales, et sont pour la plupart, sinon toutes, accessibles ailleurs, dans les Évangiles apocryphes ou dans l’une ou l’autre des multiples Vies des Saints.
La plupart des légendes des siècles qui séparent le Christ de Mahomet, que les musulmans appellent « l’intervalle », semblent faire l’objet d’une objection semblable. Les histoires des Sept Dormants et des Martyrs du Puits, du Songe de sainte Hélène et de la découverte de la Croix qui en résulta, n’appartiennent plus à la Palestine, bien qu’elles y soient encore racontées. Mais la légende de l’Arbre de la Croix (section I, chap. VI) et celle de saint Georges dans le chapitre sur « El Khudr » (section I), avec une tradition, donnée dans la section II, chap. VI, concernant certaines grottes de Wady Isma’in, appelées « les Chambres supérieures des jeunes filles », appartiennent sans aucun doute à cette période. Les actions romanesques d’Antar et d’Abu Zeyd, avec toute la richesse des histoires attribuées aux Arabes de l’Ignorance, bien que connues des indigènes de Palestine, n’ont pas été localisées. Elles appartiennent à la langue et à la littérature arabes, et doivent être considérées comme acquises.
Avec la conquête de Jérusalem par les armées du calife Omar ibn el Khattâb, commence la mémoire historique dans ce folklore, distincte de l’Écriture [p. xiv] et du fabuleux ; et j’ai entendu des chrétiens aussi bien que des musulmans exalter le caractère d’Omar et le décrire avec justesse. Ils racontent que lorsque le vieil homme sans prétention arriva, sans surveillance, sur le chameau qui l’avait porté tout le chemin depuis El Medineh, pour recevoir en personne la soumission d’un lieu aussi saint que Jérusalem, les splendides esclaves de l’ancien gouvernement byzantin, rampants, le conduisirent à l’église du Saint-Sépulcre, s’attendant pleinement à ce qu’il y dise ses prières et transforme l’église en mosquée. Mais il refusa de franchir le seuil, priant de l’extérieur au nom de Jésus. Il fut conduit de là vers d’autres églises, mais il n’en entra dans aucune, préférant pour le lieu de ses dévotions le sommet du mont Moriah, site du temple d’Hérode et de celui de Salomon, alors en ruines. C’était le Beyt el Makdas, la Maison du Sanctuaire, où les anges venaient en pèlerinage bien avant la création d’Adam, ce « temple supplémentaire » où Mahomet fut transporté dans son sommeil de la Mecque, et d’où il partit pour son merveilleux « voyage nocturne » à travers les Sept Cieux. C’est là que le conquérant fit ériger un noble sanctuaire, le Dôme du Rocher, que nous appelons encore aujourd’hui la Mosquée d’Omar.
La sévérité d’Omar envers les chrétiens fut si au-dessous de leurs espérances qu’il figure dans la mémoire populaire presque comme un bienfaiteur [xv] de leur religion. Ils furent privés de leurs cloches, mais conservèrent leurs églises ; et si un grand nombre d’entre eux embrassèrent l’Islam, ce fut par intérêt (ou conviction) et non à la pointe de l’épée comme on l’a représenté. En fait, la tolérance dont firent preuve les musulmans envers les vaincus, quoique moindre que celle que nous devrions pratiquer de nos jours, n’eut pas d’équivalent en Europe avant plusieurs siècles. Elle ne fut pas imitée par les croisés [3], qui, se précipitant pour arracher le Saint-Sépulcre des griffes des « impurs Paynim », furent étonnés de le trouver aux mains des chrétiens, qu’ils dénoncèrent comme hérétiques pour masquer leur déconcertation.
Depuis la conquête musulmane, à l’exception des incursions destructrices et folles appelées croisades, et du royaume franc de courte durée (souvent appelé par les fellahs musulmans le Temps des Infidèles), une tradition a prévalu dans le pays jusqu’à ces dernières années. Au cours de cette conquête, l’Orient a repris ses droits, la jeune civilisation des Arabes ayant vaincu le luxe de l’empire romain moribond : un jugement de Dieu, dit-on. C’était un retour au temps de David au moins, sinon d’Abraham ; et cette terrible rechute doit être gardée à l’esprit par ceux qui voudraient déduire des conditions existantes en Palestine la vie qui y était menée au temps du Christ. Depuis l’époque [xvi] d’Omar, avec la réserve déjà faite, les fellahs, qu’ils soient gouvernés en chef à Bagdad, au Caire ou à Constantinople, ont été soumis à une forme de gouvernement oriental, rude dans la main mais agréable dans la tête, qui, laissant une grande liberté à l’individu, a fourni une riche matière à chansons et à histoires. La grande majorité des histoires rassemblées ici ont la forte saveur orientale de cette période.
Au cours de la quatrième décennie du siècle dernier, le pacha d’Egypte, Mohammed Ali, se révolta contre son souverain, le sultan, lorsqu’une armée égyptienne sous la conduite d’Ibrahim Pacha envahit la Syrie et l’occupa pendant un certain temps. Grâce à l’influence française, les idées européennes avaient déjà fait leur chemin parmi la classe dirigeante égyptienne, et le radicalisme d’Ibrahim rendit son règne offensant pour les notables conservateurs de Syrie. Il était néanmoins le genre de tyran qui plaisait le plus aux Orientaux, autoritaire mais plein d’humour, sachant donner à ses décisions cette saveur proverbiale et pittoresque qui habite l’esprit du peuple et fait de bonnes histoires ; et sa renommée parmi les fellahs est celle d’un second Salomon (voir « Histoires policières », sect. ii, chap. v). Avec lui commence l’ère du progrès en Terre Sainte. Depuis le retrait des troupes égyptiennes en 1840, les choses ont évolué rapidement dans le sens européen ; jusqu’à ce qu’il y ait maintenant un tel afflux de civilisation et d’éducation qu’il menace la source même du folklore, [xvii] faisant qu’une arche de Noé comme celle-ci semble nécessaire, si l’on veut survivre au déluge banal.
La région d’où M. Hanauer a tiré ces récits est la région montagneuse entre Béthel au nord et Hébron au sud. C’est une terre sainte pour les musulmans et les juifs, à peine moins que pour les chrétiens, et sa population comprend les trois branches de cette foi monothéiste, dont la racine est dans le Dieu d’Abraham. Les musulmans, qui constituent la classe dominante, sont les descendants des conquérants arabes et de ceux des conquis qui ont embrassé l’islam ; les chrétiens, les descendants de ces anciens habitants de la Syrie, sujets de l’empire byzantin, qui préférèrent leur religion à l’avancement profane lors de la conquête. Leurs histoires les unes contre les autres, bien qu’abondantes en coups sournois, respirent en règle générale la plus grande bonté. Seules les légendes juives laissent entrevoir une amertume qui, compte tenu de l’histoire de leur race, est pardonnable.
Au Moyen Age, il existait à Jérusalem et à Hébron, comme dans les villes d’Europe, de petites communautés juives méprisées, strictement confinées dans un quartier dont les portes étaient fermées la nuit. A celles-ci s’est ajoutée, il y a trois cents ans, une troupe de Juifs espagnols (Sépharades), fuyant l’Inquisition avec leurs femmes et leurs familles, qui forment encore aujourd’hui un groupe à part et emploient entre eux un espagnol suranné qu’ils prononcent bizarrement.
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Les Mughâribeh (singulier Mughrabi) ou Juifs maures sont une autre troupe d’immigrants de longue date dont les descendants ont conservé leur individualité. Purs orientaux par leur tenue, leur langage et leur caractère, ils ont acquis dans le pays une mauvaise réputation de charlatans, beaucoup d’entre eux étant des sorciers et des prestidigitateurs déclarés. Mais une grande majorité de la population juive, nombreuse et croissante, est constituée d’immigrants des cinquante dernières années, amenés en Palestine par les vagues du mouvement sioniste, et qui regardent autour d’eux d’un air renfrogné, avec des yeux étrangers. Venant des villes d’Europe de l’Est et d’Europe centrale, la vie agricole qu’on attend d’eux est aussi étrange que le pays et au début hostile. Le Juif est maintenant un étranger en Terre Sainte, et le point de vue et la posture de ses ancêtres du temps du Christ se retrouvent aujourd’hui chez le musulman, qui prétend également descendre d’Abraham.
Environ un tiers de la matière présentée ici a été publiée en Amérique [4] dans une autre version, et les chapitres sur les animaux et les plantes ont été initialement publiés dans le Palestine Exploration Fund Quarterly Statement, d’où ils sont réimprimés avec la permission du comité. Les histoires se répandent rapidement et loin en Orient, et sont bientôt localisées (j’en ai trouvé un nombre considérable courant parmi les habitants de la Basse-Égypte), [xix] et il se peut bien que certaines des suivantes aient été imprimées ; mais l’auteur voudrait qu’il soit clairement entendu qu’il les a toutes tirées de la source légitime du folklore, les lèvres des gens eux-mêmes. Lorsqu’il a observé une coïncidence ou une similitude, il s’est efforcé de la signaler, mais ni lui ni son éditeur ne sont des folkloristes qualifiés. Il y a certainement beaucoup de telles parentés qui ont échappé à notre vigilance.
Bien que cette compilation ne soit qu’un seau de la mer, comparée à la masse flottante de folklore qui existe en Palestine, je ne connais aucune autre tentative de collecte à une échelle aussi grande, et notre objectif a été de présenter les histoires de manière à divertir le lecteur occasionnel sans nuire à leur valeur pour l’étudiant de ces sujets. Avec beaucoup de puérilité, elles contiennent à la fois de l’esprit et de l’humour, et avec cela pas mal de cette sagesse céleste, la sagesse de Salomon et du fils de Sirach, à laquelle, en Orient, les églises étaient autrefois dédiées.
MARMADOUCE PICKTHALL.
xi:1 Prédicateur de village et maître d’école. ↩︎
xi:2 L’Église russe et l’Église copte incluent toujours un pèlerinage aux Lieux Saints parmi les devoirs du chrétien dévot. ↩︎
xv:1 Beaucoup de croisés étaient si ignorants qu’ils croyaient que les musulmans étaient des idolâtres. ↩︎
xviii:1 « Contes racontés en Palestine », par J. E. Hanauer. Édité par H. G. Mitchell. Cincinnati : Jennings & Graham. New York : Eaton & Mains. (Copyright (1904) par H. G. Mitchell.) ↩︎