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Mullā Æabd-ur-Raḥmān est l’un des poètes afghans les plus populaires et probablement le plus connu. Ses effusions sont de caractère religieux ou moral et portent principalement sur le thème de l’amour divin. Elles sont, comme les compositions poétiques de tous les poètes musulmans, teintées du mysticisme du Ṣūfiisme, déjà décrit dans les Remarques introductives ; mais il y a dans son style une énergie ardente et une simplicité naturelle que l’on cherchera en vain dans la poésie plus fleurie et plus pompeuse des Perses.
Raḥmān appartenait au clan ou sous-division Ghorīah Khel, de la tribu Mohmand des Afghans, et demeurait dans le village de Hazār-Khānī, dans le tapah ou district des Mohmands, l’une des cinq divisions de la province de Pes’hāwar. C’était un homme d’une érudition considérable, mais il vivait la vie d’un Darwesh, absorbé dans la contemplation religieuse et séparé du monde, avec lequel et avec ses habitants, il n’entretenait pas de relations plus larges que celles que nécessitaient les besoins et les moyens de subsistance. On dit qu’il aimait passionnément écouter des chants religieux, accompagnés de quelque instrument de musique, pour lequel la secte Chastī des musulmans [1] semble avoir une grande prédilection. Après un certain temps, lorsque le don de la poésie lui fut accordé, il devint un strict reclus, [p. 2] et ses amis le trouvaient généralement en larmes. On dit même qu’il avait l’habitude de pleurer tellement qu’au fil du temps il s’était blessé les deux joues. Sa stricte retraite, cependant, donna l’occasion à un certain nombre de Mullās envieux de le démentir ; et ils commencèrent à faire circuler des rumeurs selon lesquelles Raḥmān était devenu athée ou hérétique, puisqu’il ne quittait jamais sa demeure et avait même renoncé à prier à la mosquée avec la congrégation – chose strictement enjointe à tous les musulmans orthodoxes. Finalement, grâce aux conseils et à l’aide de certains prêtres, plus libéraux et moins bigots que ses ennemis, il parvint à échapper à leurs mains, en acceptant, pour l’avenir, de se rendre au lieu de culte public, de prier et d’accomplir ses autres devoirs religieux avec les membres de la congrégation. Ainsi, que cela lui plaise ou non, il était obligé dans une certaine mesure de se mêler au monde ; et cela, sans doute, a donné lieu à l’ode de la page 29, à laquelle le lecteur est renvoyé.
Rahmân semble avoir eu l’habitude de donner de temps à autre des copies de ses poèmes, au fur et à mesure qu’il les composait, à ses amis particuliers, qui, sans se connaître, prirent soin de les rassembler et de les conserver, dans le but exprès d’en faire un recueil après la mort de l’auteur. Ils s’y mirent donc et ce n’est qu’après le décès de Rahmân que ces faits furent connus. Il apparut alors aussi que certains de ces pseudo-amis avaient, pour augmenter le volume de leur propre collection d’odes du poète, mélangé un certain nombre de leurs propres compositions de pacotille à celles de Rahmân, et y avaient ajouté, ou plutôt contrefait, son nom dans les derniers couplets. De cette manière, deux de ces recueils d’odes furent constitués et furent appelés premier et deuxième de Rahmân. Heureusement pour sa réputation, ces faux furent découverts à temps par certains des amis les plus chers du poète, qui reconnurent ou se souvinrent des poèmes particuliers de sa composition ; [p. 3] et ils rejetèrent en conséquence l’ivraie, ne gardant que le bon grain, sous la forme de son Dīwān, ou recueil alphabétique d’odes, tel qu’il nous est parvenu jusqu’à nos jours. Il existe néanmoins des différences considérables dans de nombreuses copies, certaines odes ayant une ligne de plus ou une ligne de moins, tandis que d’autres contiennent des odes qui manquent complètement dans d’autres. Cela m’a causé beaucoup de difficultés lorsque j’en ai préparé plusieurs pour les insérer dans mes « Sélections en langue afghane » ; mais cela s’accompagnait d’un degré d’avantage proportionnel, ayant comparé au total une soixantaine d’exemplaires différents des œuvres du poète, de dates diverses, dont certains ont été écrits peu de temps après la mort de Raḥmān, lorsque ses amis avaient réussi à rassembler les poèmes en un seul volume.
D’après certains témoignages, le poète aurait été contemporain du poète guerrier Khushḥāl Khān[2] ; et on a affirmé qu’ils eurent ensemble, à deux ou trois reprises, des discussions poétiques. Cela ne peut cependant pas être vrai ; car il semble que bien que Raḥmān ait vécu vers la fin de la vie de ce brave chef, il n’était qu’un jeune homme et était, pour parler plus exactement, contemporain d’Afazal Khān, le petit-fils et successeur de Khushḥāl, et l’auteur de cette histoire afghane rare, excellente et étendue, intitulée « Tārīkh-i-Muraṣṣaæ », et d’autres ouvrages précieux. Une preuve de l’inexactitude de cette affirmation est que la fin tragique de Gul Khān et de Jamal Khān, à laquelle Raḥmān et le poète Ḥamīd ont également consacré un long poème, [3] eut lieu en l’an 1123 de l’Hégire (1711), vingt-cinq ans après la mort de Khushḥāl. Une autre preuve, et encore plus forte, contre l’affirmation selon laquelle des disputes poétiques auraient eu lieu entre eux, est le fait que Raḥmān vécut en retrait et qu’il était humble, comparé à celui de Khushḥāl, chef d’une tribu puissante et aussi bon poète que lui.
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Certains descendants de Raḥmān, du côté de sa fille, habitent actuellement le petit hameau de Deh-i-Bahādur (le hameau des Braves), dans le district de Mohmand ; mais les descendants du côté de son fils unique sont éteints depuis longtemps.
La tombe du poète est toujours visible dans le cimetière de son village natal.