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Les éléments qui nous permettent de nous faire une idée de ce poète sont extrêmement maigres. On sait peu de choses sur lui, sauf qu’il vécut sous le règne de l’empereur moghol Aurangzeb et qu’il appartenait à la tribu des Bangakh ou Bangas’h des Afghans, qui occupe la vallée de ce nom et dont Kohātt est le chef-lieu. La tribu des Bangas’h, dans le passé, jouissait d’une grande réputation en Inde ; et c’est d’un paysan de cette tribu que les Nawwābs de Farrukhābād, dans ce pays, ont fait remonter leur descendance. [1]
Khwājah Muḥammad a vécu la vie d’un Darwesh, dans la pauvreté et l’abstraction religieuse, et a suivi les principes de la secte Chastī. Il était un disciple d’Æabd-ur-Raḥīm, qui était un disciple de Mī’ān Panjū, un célèbre professeur Ṣūfi, originaire [p. 327] de l’Hindūstān, et qui a vécu de nombreuses années en Afghanistan. On dit qu’il a fait remonter sa descendance au dévot arabe, Muæīn-ud-Dīn, le fondateur de la secte Chastī. [2]
Khwajah Muhammad semble avoir été un homme d’une certaine érudition et a passé la plupart de son temps avec son maître ou guide spirituel, déjà mentionné. On ne sait pas s’il a laissé des descendants ; bien que j’aie envoyé quelqu’un spécialement dans le pays des Bangas’h pour faire des recherches, je ne peux pas découvrir avec certitude ni son lieu de naissance, ni sa résidence, ni la branche de la tribu à laquelle il appartenait. On sait cependant qu’il a accompli le pèlerinage à La Mecque et à Médine et qu’après son retour, il a renoncé à écrire des poèmes. Son Dīwān, ou recueil d’odes, d’où les poèmes suivants ont été sélectionnés, est un livre très rare ; en fait, difficilement disponible ; car, autant que je sache, l’exemplaire auquel j’ai eu accès est le seul connu.
Ses écrits sont profondément teintés du mysticisme des Ṣūfis ; mais il consacre parfois un poème au souvenir d’amis perdus et déplore son deuil.
Le lieu et l’heure de son décès sont incertains, et l’emplacement de la tombe dans laquelle il a été enterré n’est pas connu actuellement.
Je n’aurais pas pu imaginer, alors que j’étais en poste au Panjâb il y a quelques années, alors que je rédigeais les notes pour cette courte notice d’un poète de la tribu, que je verrais le dernier des Nawwâbs, escorté par un groupe de mon propre régiment, conduit à pied, les jambes entravées, à travers les rues de Nassick, dans l’Inde occidentale (où j’étais alors en poste à la tête d’un détachement), en route pour subir un bannissement perpétuel à La Mecque, pour la part qu’il avait prise au massacre de Farrukhâbâd, pendant la dernière rébellion en Inde. Il avait été condamné à mort ; mais sa peine avait été commuée en exil perpétuel, dans le lieu qu’il choisirait. Il choisit La Mecque en Arabie, où, j’ai appris depuis, il subsiste d’aumônes. J’ai adressé quelques mots au malheureux homme à Nassick ; c’était la première fois qu’il entendait des paroles aimables, dit-il, depuis de longs jours. Il ne ressemblait en rien à ce qu’on aurait pu attendre d’après tout ce qui avait été prouvé contre lui. Il était plutôt blond, de petite taille et d’une trentaine d’années. Il me parut très malheureux et le cœur brisé. Il n’était afghan que de nom : des siècles de mélange de sang indien, par des mariages avec des gens du pays, n’avaient laissé que peu de sang afghan. ↩︎