[p. 308]
Quel plaisir les morts au cœur prendraient-ils à voir la beauté se déployer ?
Avec les flatteries de Laylā, que fera l’image de Majnūn ?
Quand, comme la gazelle, ils ne veulent être familiers avec personne,
Quel effet aura la constance avec ces yeux brillants ?
Les appareils de joie et de plaisir étaient inutiles pour les abandonnés :
Avec l’arrivée de la brise du matin, que fera le chapelet du turban ? [1]
Puisque, comme l’aube du matin, son vêtement peut être déchiré, [2]
Comment quelqu’un comme lui, si infâme, peut-il cacher sa condition ?
Ils ne tirent jamais aucune part des mains et des pieds,
Que fera alors le monde des poissons avec la teinture brillante de la ḥinnā ? [3]
La folie et la vanité t’ont rendu plus léger que la bulle :
Que fera l’écume de l’océan face à ton poids et à ta puissance ?
[p. 309]
Ne nourris pas l’espoir, ô Alexandre, qu’il te sera constant :
Voici ce que les vicissitudes de la fortune feront à Darius !
Par la violence de ses ravages, tout a été ruiné,
Autrement, dans le désert, que fait la litière de son chameau ?
S’il planait dans l’air comme un faucon, alors cela pourrait servir ;
Mais que fera maintenant la retenue de ce filet sur Shaidā ?
Procure-toi pour tes besoins le coursier des vagues !
Dans l’arène du déluge, pratiquez l’équitation des vagues !
Les doux et les humbles, comme l’huître, ont acquis la perle ;
Mais rien de ce qui se rapporte à la perle n’est transporté par la caravane des vagues.
Les humbles et les humbles sont plus puissants que les hautains et les orgueilleux :
Dans les liens de l’océan, à jamais confiné, sera le roulement des vagues.
Les obstinés et les réfractaires sont vaincus par les doux et les humbles :
Le baiser du sol jusqu’au rivage de la mer est la tempête des vagues.
Voyez, à quel moment ils engloutiront toute la terre sombre,
Sur le trône roulant de l’eau sont assis, les rois des vagues.
Ne dérange pas les inexpérimentés et les incompétents avec tes affaires :
Car sur la cible des eaux, se courbent les flèches des vagues.
Le malheur et l’affliction sont salutaires à l’esprit de celui qui a le cœur brisé ;
Car fermement fixé, sur le déluge, se trouve le fondement des vagues.
[p. 310]
Ce sont les hauts et les bas du monde : Ô Shaidā, regarde-les !
Monter et descendre, sans cesse, c’est le monde des vagues !
Tu as lâché les tresses sombres qui entouraient ton beau visage ;
Tu as, à maintes reprises, désolé les demeures du monde !
Tu n’as laissé personne indemne, tout le pays à l’intérieur ;
Armé de l’épée des regards amoureux, qui frappes-tu maintenant ?
Depuis que le voile du soleil de ta beauté a été levé,
Le marché de l’amour, le monde intérieur, tu le rempliras à nouveau d’agitation.
Tu as subjugué tout le pays par ta beauté et ta bonté :
Tu feras de toutes les belles de Hind tes esclaves. [4]
Ma frénésie, ô médecin, ne diminuera pas le moins du monde :
Ta propre rose, tu feras même le printemps pour moi.
Puisque c’est sur la cible du cœur qu’ils frappent si droit,
Combien de personnes feras-tu gémir à cause des flèches tordues de tes cils ?
Sans valeur lui-même, tu attireras à nouveau à tes côtés le Shaidā dément,
Faudrait-il que tu remplisses ta jupe de pierres aussi grosses qu’une montagne ?
Es-tu revenu à la recherche de roses, toi le vendeur de fleurs !
Qu’un oiseau du parterre ne cesse pas de se lamenter ?
[p. 311]
Une bulle du vaste océan est chacune de ses cloches : [5]
Le kar-wān [6] se déplace silencieusement, ce désert à l’intérieur.
Dans son désir de l’atteindre, il s’est teinté de son propre sang ;
Et pourtant, le rubis n’atteint-il pas le lobe de l’oreille ?
Parfois s’élevant, parfois descendant, comme les Pléiades elles marchent :
Combien d’ivrognes sont sortis de ton banquet ?
Pour toi, je voudrais teindre mon vêtement de la couleur de la rose ;
Pourtant, comme un parfum, il s’échapperait de mon sein.
Approchez-vous et contemplez l’ivresse noire de ses cheveux,
Que sans l’épaule, [7] on ne peut pas avancer d’un pas sur la route.
Le cœur du vortex pourrait se fendre comme une meule ;
Depuis que la fortune envers Shaidā est devenue si implacable !
Partout les seigneurs de l’amour sont déshonorés et déshonorés ;
Et ni le ton ni l’harmonie, absolument, n’ont le repoussoir de l’amour.
Comme la rosée, la montagne de Ḳāf se déplacera aussi,
Si le soleil de l’amour devait se lever sur sa tête.
Que te dirai-je au sujet de cette vague de calamité,
Quand égale au firmament lui-même est la bulle de l’amour ?
[p. 312]
Ce cœur, qui peut acquérir pour lui-même l’hermine de l’amour,
Ses vicissitudes se changent en paix et en repos.
Les pensées d’elle, ô Shaidā, ne quitteront jamais mon cœur ;
Pour un tel visage que j’ai contemplé dans le rêve de l’amour !
De nouveau tu amènes tes cheveux ébouriffés autour de ton visage ;
Ou la jacinthe, au printemps, désordonne ses pétales recourbés.
Ce devait être l’insolence du peigne et l’impertinence du vent ;
Car les boucles de l’être aimé ne sont pas sans cause dérangées.
Regardez-les ! Quel merveilleux cercle lunaire sont-ils !
Les boucles entouraient le visage de cet homme gai, mais impérieux.
Aujourd’hui, de l’arène, une nouvelle source de mal est venue ;
Puisque tu as amené les volutes de poussière sur ton visage.
Comme le peigne, acquérez une conception discernante ;
Pour les boucles de mes rimes, j’ai une finesse de cheveux.
Bien que, de par leur longueur excessive, ils atteignent le sol,
Cependant, par coquetterie, ils ne placent pas leurs pieds droit sur le chemin.
De quelle manière Shaidā sera-t-il libéré de son nœud coulant,
Quand les boucles, avec un seul cheveu, lient les lions de la forêt ?
De cette manière, je suis heureux du monde à part,
Que, comme les bêtes de la forêt, je suis heureux dans le désert intérieur.
[p. 313]
Plutôt que de contempler le pays du bord de mer,
Comme la vague, je suis heureux, errant sur les eaux.
Quand les mouches affamées sont chassées des morceaux,
Avec une invitation à cette table, comment puis-je être heureux ?
Puisque, comme celui du soleil, son visage n’est pas chaud,
Je jure par ta tête si, avec l’ombre de la Ḥumā, [8] je suis heureux !
Quand, semblable à la perdrix, il m’enfermait dans une cage, [9]
Qu’un tel rire, avec des lamentations, je suis de loin plus heureux.
Bien que, comme une image, il ne se soit pas réveillé de son sommeil,
Dans cet état, ô Shaidā, avec mon propre sort, je suis heureux.
Puisque, comme le calame, j’ai la tête résignée,
Je suis maintenant à la recherche de ces belles et charmantes.
Ce feu vient des regards de tes yeux brillants,
Par quoi je suis brûlé aussi noir que leurs cils sombres.
Depuis le temps où mon cœur est devenu la maison de ces brunes,
Me voici, je suis comme un nouvel Hindoustan !
Je jure par les entrailles cent fois déchirées du peigne,
Que je suis encore plus désordonné que les boucles, dans le chagrin pour toi !
De terreur de l’automne, je suis incapable de regarder la rose :
Je tremble dans ce jardin de fleurs, comme le saule.
[p. 314]
Bien que mon vol soit dans l’air, je n’ai pas été libéré :
Je suis toujours de ce gracieux cyprès l’esclave au cou enchaîné.
Comme la poussière, elle m’a emporté, et n’a montré aucun souci :
D’un coursier aussi fougueux que celui-ci, je suis le porte-jupe attaché.
En guise de rétribution indienne, elle pratique de tels actes sur moi —
Moi, Shaidā ! qui dans mon cœur suis un pauvre simple Afghan de Roh. [10]
Depuis que de leurs plaintes, ses cloches n’ont pas cessé,
La caravane doit encore errer dans ce désert.
Que peut faire la splendeur de la beauté avec une vue défectueuse ?
Le miroir lui-même est étonné et étonné du monde.
De la sauvagerie de leurs yeux on ne peut tirer aucune intimité :
Le troupeau de gazelles, à la vue du berger, prend la fuite.
Quoi ! Farhad [11] a-t-il fait pleurer la volée de perdrix,
Que des montagnes ils viennent [12] avec les yeux tout enflammés ?
Je perçois la manière de sa démarche, semblable à celle du zéphyr :
Elle marche à nouveau gracieusement et est prête à tuer.
Depuis que je me suis occupé du printemps,
Je n’ai rien gagné de tout cela, sauf du chagrin et du regret.
[p. 315]
Nombreuses étaient les plaintes provenant de chaque branche de ses rosiers ;
Dans la tristesse et le deuil, beaucoup de vêtements furent déchirés. [13]
Semblable aux vagues, il monte et descend continuellement :
Comment donc peux-tu espérer quelque chose de constance du monde ?
Comme la bulle, il erre dans toutes les directions, tout abandonné ;
Depuis que Shaidā est devenu un vagabond de sa maison et de ses amis ! [14]
Au lieu de rendez-vous, mon charmeur arrive très lentement ;
Et le printemps verdoyant arrive au parterre très lentement.
De temps en temps, je perçois de la bonté rayonner dans ses yeux :
Tu dirais que le languissant [15] vient toujours très lentement.
La peur du mal est un tueur bien plus grand que le mal lui-même :
Le sanguinaire, pour verser mon sang très lentement, vient.
La perdrix, pour cette raison, de rire est devenue violette,
Que pour faire de lui son jeu, la gracieuse vient très lentement.
Quoi ! la séparation, de sa vigueur, le pauvre Farhad peut-il l’avoir privé,
Que les cris et les gémissements de sa montagne viennent très lentement ? [16]
Sous le poids de sa majesté, la force de Gulgūn [17] fut perdue ;
De là vient ce Scythe [18] de mine gracieuse très lentement.
[p. 316]
Ne prononce pas un mot, ô Shaidā, sans réflexion ;
Pour chaque perroquet, parler bien, vient très lentement.
Même si chaque goutte de rosée devrait être la graine d’une rose,
Le cœur des rossignols ne serait pas rassasié à sa vue.
Quand semblable à celui de la rose il n’a pas un visage aussi beau,
Que faire alors des boucles noires de la jacinthe ?
À propos de mon sombre destin, que dirai-je à quelqu’un ?
Car mon front, comme celui du soleil, n’est bon qu’à être marqué au fer rouge. [19]
Est-ce le pauvre voyageur gêné par la nuit qui arrive,
Ou mon cœur a-t-il captivé le nœud coulant de ses tresses à l’intérieur ? [20]
Elle a rendu l’épée de la calamité aussi tranchante que le destin lui-même :
Avec des mains imprégnées, elle va çà et là, nuit et jour.
De la froideur de la mer, la bulle éclate et se brise ;
Il t’incombe donc, ô Shaidā, d’abandonner tout espoir en ta parenté.
Les habitations de ce monde se présentent et s’en vont !
Un nid semblable à celui du Phénix, voilà, et s’en va ! [21]
[p. 317]
Les vieux, comme les petits enfants, s’amusent et jouent :
Contemplez ce spectacle très merveilleux, et partez !
Si le soleil, ô Humā, devait toujours se poser sur mon front,
Toi, dans ce cas, contemple mon indépendance et pars !
Avec la torche de ton propre esprit, dans cette obscurité,
Tel un éclair, voici la route à suivre, et partez ! [22]
Les poissons n’ont aucune part dans le bénéfice des mains ou des pieds ;
Mais leur nage dans les eaux, voilà, et c’en est fini !
La petite heure de la fiole de vin dans la fête conviviale,
Avec cette bouche pleine de rire, [23] regardez, et partez !
Chaque jour, il trompe Shaidā avec son amitié :
L’amitié et la constance de la fortune, voilà, et s’en vont !
Sans une rencontre je ne guérirai pas : venez vous asseoir à mes côtés !
Fais connaissance avec mon état : viens t’asseoir à côté de moi !
Même les animaux sauvages par nature sont enfin devenus apprivoisés :
Ô toi, gazelle, sauvage par nature, viens t’asseoir à mes côtés !
Au désir du rossignol, toi, infidèle, tu t’es levée !
Après un an, tu seras à nouveau splendide ; alors viens t’asseoir à côté de moi !
Comme un mourant, d’autres blessures, je reçois du soulagement :
Je ne te demande pas de serviette ; alors viens t’asseoir à côté de moi !
[p. 318]
Avec ces sourcils arqués et ces yeux toujours sombres,
Toi, soir et nouvelle lune de ton amant, viens t’asseoir à côté de moi !
Afin que nous puissions ensemble nous souvenir des jours où nous ne connaissions pas le chagrin,
Pendant une petite heure, cher ami, viens t’asseoir à mes côtés !
Répète les charmes et la beauté de ton bien-aimé dans les tons les plus doux,
Ô Shaidā, toi à l’imagination fine, viens t’asseoir à mes côtés !
A peine le printemps eut-il fait la connaissance du jardin et de l’hydromel,
Puis, les yeux enflammés par les pleurs, il se sépara à nouveau d’eux.
Quand la porte du caravansérail du bourgeon sera ouverte,
La caravane de colorants et de parfums part, et la brise du matin s’installe.
La fumée d’un monde consumé, tu l’appelles le ciel :
De ton idée erronée, que dirai-je ?Ce n’est qu’illusion et erreur.
Ce qui demeure encore aujourd’hui une source d’étonnement pour le monde,
Même le nom de Majnun est venu contempler le spectacle que je suis.
De ton objectif bien dirigé, la flèche était pointée si justement,
Que tu n’étais conscient ni de son vol, ni de sa blessure.
Il est impossible, ô insensé, de le repeupler à nouveau ;
Car la cité prospère du cœur de Shaidā qui était, est devenue complètement désolée !
[p. 319]
Tu as de nouveau ouvert tes lèvres pour parler,
Ou le perroquet est revenu pour sa part de sucre.
Le joyau de l’extase n’appartient pas au cœur sombre : [24]
Où est le morceau d’acier, le miroir bruni ?
Comme l’huître perlière, ouvrez-la immédiatement pour donner,
Quand l’indigent, à ta porte, peut étendre sa main.
La rose de ta joue est, pour tes cheveux, tout suffisante :
Il n’a besoin ni d’attar, ni d’ambre gris.
Eux, au visage ouvert, ne manifestent aucune crainte des grands ;
Car le miroir regarde même Alexandre droit dans les yeux.
Toute louange soit rendue à la nudité de cette tête nue,
Qui n’a ni sous le turban ni sous le diadème courbé !
De la chaleur, semblable au mercure, elle fuit loin de moi ;
Comment alors, cet être passionné pourra-t-il venir dans les bras de Shaidā ?
Depuis que j’ai tourné le dos à la maison et à la famille,
Pour d’autres biens ou effets, quelle nécessité ai-je ?
Pour que ton front soit toujours lisse et sans rides,
Remets tous ces troubles au souverain de Chīn. [25]
[p. 320]
Je suis heureux de boire le sang de mon propre cœur ;
Car la mouche ne s’approche jamais de ce plateau qui est le mien.
Il ne voulait pas, avec son consentement, rester un instant dans le jardin :
Heureusement que l’épine a saisi le vêtement de la rose par l’ourlet.
Les cœurs trébuchent alors dans la direction de tes boucles ;
Ou bien la caravane de Rūm [26] se dirige-t-elle vers l’Inde ?
Comment tes yeux pourront-ils jeter un regard sur l’humble,
Quand tes cils, par arrogance, sont levés vers les cieux ?
Que tout bonheur soit dans ces demeures terrestres qui sont les tiennes ;
Mais le Shaidā errant va dans les déserts et les régions sauvages !
Tu es à nouveau le bienvenu, toi, fraîche fête du printemps ! [27]
Tu as apporté la joie à chaque étendue sauvage et à chaque parterre de fleurs !
Comme l’oiseau en cage, le rossignol amoureux,
Même alors qu’il est encore dans l’œuf, il aspire à voler.
Les vêtements des gens ont été teints d’une teinte semblable au safran,
Que chaque oiseau au parterre, rempli de rire, est venu. [28]
Regardez celle au corps rose vêtue de ce vêtement,
Comme le soleil quand il approche du moment de son coucher.
[p. 321]
Dans le turban de chaque pèlerin il placera un bouquet,
Quand l’aube du matin disperse les fleurs dans sa propre jupe.
Le cœur du rossignol est incliné vers la rose éclatante,
Ou la fiole s’est approchée de la coupe, pour verser son vin. [29]
La pluie de sueur tombera à cause de cela,
Quand l’éclair contemplera la magnifique récolte de fleurs.
De la même manière que la rose, les spectateurs de ce printemps
Ils n’ont pas la moindre nécessité d’attiser leurs vêtements.
Le musicien multiplie par deux la force enivrante du vin,
Lorsque les bacchanales s’assoient, le banquet peut commencer.
Pourquoi, ô Shaidā, l’appelles-tu l’huître des profondeurs ?
Quand la perle tend son oreille vers ton doux parfum.
Quelle paix, dans ce monde, le cœur acquiert-il,
Qui tremble et tremble de peur des malheurs de la fortune ?
Par la séparation de l’eau disparue, ô peuple insouciant !
Comme le vortex, vous avez rendu forts vos cœurs, vos poitrines à l’intérieur.
Que ton cœur ne soit jamais donné au parterre de ce monde ;
Car même le bouton de rose, à la fin, l’a laissé avec le cœur en désordre.
Approchez ! voyez les pleurs d’agonie dans des larmes de sang :
Comme la fiole de vin, mon cœur est prêt à verser le sang.
[p. 322]
La fissure qui s’y trouvait, près des eaux, ne fut pas comblée ;
Et le tourbillon, comme une enclume, endurcit son cœur jusqu’à la douleur.
Tu devras, ô Shaidā, acquérir des ailes et des plumes pour le vol,
Si tu es dans le nid, comme l’œuf, ton cœur est pur et sans tache.
Je ne possède aucun des biens de la tranquillité, le campement à l’intérieur ;
Puisque j’ai une tente, comme la bulle, sur la face de l’abîme.
Si tu n’es pas le propriétaire d’une seule paille, ne t’en afflige pas ;
Car alors, le feu qui consume le village s’éteindra dans ton Ḥaram [30].
Quand ton visage est couvert de sueur, par ta tête je fais vœu,
C’est là que j’ai vu la splendeur de la rosée qui répandait les roses.
« Quand as-tu jamais été enveloppé du voile de la retraite intérieure ?
Tu es manifeste dans le monde entier, comme un Phénix.
Ses yeux ne montrent même pas autant d’égards envers moi,
Comme la gazelle sauvage qui regarde autour d’elle avant de prendre la fuite.
Il est inutile d’appliquer un baume sur ma blessure toute suffisante :
Comment peut-on parvenir à la « récupération » des victimes massacrées ?
Matin et soir, jour et nuit, vêtu de noir et de vêtements déchirés,
Comme le temps lui-même, [31] mon existence se passe dans la tristesse et le deuil.
[p. 323]
Les beaux traits de son visage sont des plus étonnants :
Dans cette écriture, il n’y a aucun travail pour la plume de qui que ce soit.
Sa vie est perpétuellement à l’abri du danger, comment Shaidā la protégera-t-il ?
Quand les boucles serpentines sont enveloppées dans l’obscurité totale ?
Quand ta beauté, comme celle du soleil, éclate,
Mon vêtement, comme celui du matin, se déchire.
En ta compagnie, mon beau visage !
Mon corps tout entier, comme celui d’une bougie, fond.
Cet homme ne mourra jamais, celui dont la tête sera
Frappé, comme la bougie, par l’épée de l’amour.
Tes boucles ont attiré mon cœur vers toi :
Les poissons, par l’hameçon, sont toujours tirés de l’eau.
Ne l’appelle pas, toi au cœur dur ! une statue de la salle,
Qui dans la poussière et le sang se tord dans l’agonie de la mort.
Quand, toute la nuit, tombe la pluie de larmes, [32]
De ses effets apparaît enfin l’aube du jour. [33]
Il n’a pas la force de se plaindre, celui qui est frappé par tes boucles ;
Comme quelqu’un piqué par un serpent, il est rendu muet.
Le désert déchirera la jupe de son vêtement en lambeaux,
Si le tremblant pouvait échapper à tes liens.
Ils écriront des paroles gracieuses sur leurs tablettes,
Dont les cœurs, comme celui de la plume, peuvent se fissurer et se fendre.
[p. 324]
Pour cette raison, Shaidā ne peut pas regarder un peigne ;
Car le dérangement de tes boucles bouclées y est visible.
Dans le roulement de tes yeux, l’univers a peut-être coulé,
Ou bien ses habitants peuvent être submergés par les remous d’une inondation.
Puisqu’ils n’ont montré aucune mortification à tes lèvres et à tes dents ;
Pourquoi le corail et la perle ne seraient-ils pas ainsi engloutis dans l’océan ?
Je suis contemporain de l’eau de ces bonnes lames,
Dont les cils peuvent être à jamais submergés de larmes sanglantes. [34]
Les hommes de bien le considèrent comme bien préférable à la transpiration de la honte,
Afin qu’ils soient engloutis dans les vagues sombres d’Æummān. [35]
Que voudraient acquérir les simples d’esprit et les idiots de Mānī [36] :
Même si son crayon peut être trempé dans toutes les teintes de l’arc-en-ciel ?
Sur le radeau de la civière, nous nous approcherons du rivage,
Les rois qui ont pu sombrer dans les ennuis et les soucis du trône.
Ô Shaidā ! le capitaine du marin ne fait aucun effort pour s’échapper,
Dont les yeux peuvent être submergés par l’océan de larmes.
Puisque, comme le soleil, tu es le possesseur de l’or et de l’argent,
Pourquoi te tiens-tu, chaque matin, à la porte des autres ?
[p. 325]
Comme avec la bougie, personne ne s’efforce de ma rédemption ;
Et toi, comme les moucherons, tu cherches ma tête.
Comme l’ombre sur le soleil couchant, suivez l’ombre sombre des yeux,
Si tu es un candidat pour une jolie femme au visage ensoleillé !
Par le massacre de qui veux-tu, de couleur rose, teindre ton vêtement,
Qu’aujourd’hui encore ta taille, comme celle d’un bouton de rose, soit ceinte ?
Comme de la viande hachée, je reçois blessure après blessure ;
Alors, pourquoi es-tu ignorant de mon état et de mon cas ?
Tu es parti comme la bulle à l’arrière du déluge
Que moi-même, ô ma maison, tu es un plus grand vagabond !
Belle brune, ô toi à la silhouette si gracieuse !
Le pin droit et verdoyant, de quel bosquet es-tu ?
Si dans l’adversité tu n’inclines pas la tête vers quelqu’un,
Dans la hauteur de ton esprit, tu es comme une montagne sombre et effrayante.
Ô Shaidā ! tu es ce perroquet doté d’un tempérament indien,
Cet art avec la confection du contenu des roses de tes propres mots.
Un chapelet dans le turban, lorsqu’il est fané, ne peut être ranimé. ↩︎
L’aube du jour est appelée la déchirure du vêtement sombre de la nuit. ↩︎
Hindoustan. ↩︎
Les cous des chameaux et autres animaux d’une caravane de voyageurs sont ornés de cloches. ↩︎
Une caravane. ↩︎
La comparaison ici fait référence aux longues tresses reposant sur l’épaule pour le soutenir. ↩︎
La bartavelle, un grand oiseau de l’espèce des perdrix, est conservée à cause de son son, comparé au rire ; comme l’est aussi l’oiseau commun. ↩︎
Nom d’un célèbre sculpteur persan, amant de Shīrīn, femme de Khusrau Parwez, roi de Perse, et fille de l’empereur grec Maurice, qui, pour plaire à sa maîtresse, creusa une immense montagne. C’est le sujet d’un poème de Nizāmī, l’un des plus célèbres et des plus doux poètes persans. Voir aussi note à la page 87. ↩︎
Les yeux du Chikor, une espèce de perdrix dont il est ici question, sont d’une couleur rouge foncé, tout comme ses pattes. Voir note sur la page précédente. ↩︎
Les vêtements déchirés font référence aux feuilles que les roses ont perdues. ↩︎
Les regards des yeux endormis et langoureux d’une maîtresse. ↩︎
Le nom du coursier de Shīrīn, le bien-aimé de Farhad. ↩︎
Les taches sur le disque solaire sont comparées à des marques ; et c’était une coutume chez les tribus afghanes de marquer le front d’un enfant né à une heure malheureuse ou malchanceuse, pour chasser le malheur. ↩︎
Le cœur est ici le voyageur, et la nuit les cheveux noirs de l’aimé. ↩︎
Son nid est introuvable, ni une demeure permanente dans ce monde. ↩︎
L’éclair est censé obtenir un aperçu de sa propre route à partir de la lumière de son propre éclair. ↩︎
On dit que le gargouillement d’une fiole pleine de vin est son rire. ↩︎
Un état d’extase auquel les Ṣūfis sont censés atteindre lorsque le monde et toutes les choses matérielles disparaissent. Voir Remarques introductives, page xiii. ↩︎
Nom oriental de la Chine. Chīn en persan signifie aussi une ride, d’où le jeu de mots. ↩︎
Les habitants de Ram, ou d’Asie Mineure, ont le teint vermeil et le cœur rouge aussi. Les habitants de l’Inde sont noirs, ainsi que les boucles de l’être aimé. Ce sont les métaphores employées ici par le poète. ↩︎
Fête célébrée par les anciens Perses et par les Hindous, cette fête, chez ces derniers, est personnifiée sous le nom de Basanta, qui est censé servir Kâma, le dieu de l’amour. Il est d’usage dans le Panjâb et les environs, ce jour-là, que les Hindous s’habillent de vêtements couleur safran, appelés aussi basantî, la couleur préférée de Krishna. ↩︎
On dit que le safran peut faire mourir de rire. ↩︎
Le rossignol chante à cause de la rose qui est rouge ; et la métaphore ici est que, par son gargouillement, la fiole de vin est comme si elle chantait pour verser le vin rouge. ↩︎
La partie la plus sacrée d’un palais ou d’une habitation, le sérail ou les appartements des femmes. ↩︎
Le temps revêt le soir la robe noire des ténèbres, et son vêtement se déchire à l’aube du jour. ↩︎
La nuit de la tristesse. ↩︎
Le matin du soulagement ou de la joie. ↩︎
La forme courbée du cimeterre est comparée aux cils d’une belle femme. ↩︎
Le golfe de Perse ainsi appelé. ↩︎