Saqatní ḥumayya 'l-ḥubbi ráḥatu muqlatí
wa-ka’sí muḥayyá man 'ani 'l-ḥusni jallati
(1 [1]) La main de mon œil m’a donné à boire le vin fort de l’amour, quand ma coupe était le visage de Celle qui transcende la beauté,
(2 [2]) Et dans mon ivresse, au moyen d’un regard, je fis croire à mes camarades que c’était la consommation de leur vin qui réjouissait mon âme la plus intime,
(3 [3]) Bien que mes yeux me rendaient indépendant de ma coupe, et que mon ivresse provenait de ses qualités, non de mon vin ;
(4 [4]) C’est pourquoi, dans la taverne de mon ivresse, se trouvait l’heure de mes actions de grâces envers les jeunes gens à travers lesquels mon amour était complètement caché malgré ma célébrité (comme amant).
(5 [5]) Et lorsque ma sobriété fut terminée, je cherchai l’union avec elle, et aucune retenue de peur ne m’affecta dans mon audace envers elle,
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(6 [6]) Et dans l’intimité du dévoilement nuptial, quand aucun respect de soi n’était à mes côtés comme observateur, je lui ai déclaré ce que je ressentais,
(7 [7]) Et j’ai dit : mon état témoignant de mon amour ardent, et ma découverte (dans mon cœur) m’effaçant, tandis que ma perte me ramène à moi-même
(8 [8]) « Accorde-moi le regard de quelqu’un qui se tourne un instant, avant que l’Amour ne fasse passer ce qui reste en moi (d’existence personnelle) pour te voir.
(9 [9]) Et si tu m’interdis de te voir, favorise mon audition en disant : « Tu ne (me) verras pas » : ce mot était doux à un autre avant moi ;
(10 [10]) Car, à cause de mon ivresse, j’ai besoin d’un rétablissement (de l’ivresse) qui, sans la passion, ne me briserait pas le cœur.
(11 [11]) Si les montagnes avaient ressenti ce que je souffre, et si le Sinaï avait été parmi elles, elles auraient été rasées jusqu’à la terre avant la révélation
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(12) Une passion que les larmes seules trahissaient, et une ardeur intérieure qui augmentait les ardeurs brûlantes dont les maladies me perdaient.
(13 [12]) Le déluge de Noé est comme mes larmes, quand je me lamente, et l’ardeur du feu d’Abraham est comme la lueur de mon sein.
(14) Sans mes soupirs, je serais noyé par mes larmes, et sans mes larmes, je serais brûlé par mes soupirs.
(15) Ce que Jacob a dit est le moindre de mes chagrins, et tout le malheur de Job n’est qu’une partie de mon affliction;
(16) Et les dernières souffrances de ceux qui ont aimé jusqu’à la mort ne sont qu’une partie de ce que j’ai souffert au début de ma tribulation.
(17 [13]) Si l’oreille de mon guide avait entendu mes gémissements causés par les douleurs du mal d’amour qui dévoraient mon corps,
(18) Ma douleur aurait rappelé à sa mémoire l’amère détresse des voyageurs abandonnés, lorsque les chameaux sont maîtrisés (et prêts pour le voyage).
(19) L’angoisse m’a cruellement opprimé et anéanti, et l’émaciation a dévoilé le secret de mon être véritable ;
(20 [14]) Et en me plaignant de ma maigreur, je fis de celui qui m’épiait mon confident, lui faisant connaître la somme de mes sentiments les plus intimes et les détails de ma voie (en amour).
(21 [15]) Je lui apparus comme une idée, tandis que mon corps était dans un tel état qu’il ne le vit pas, à cause de la douloureuse brûlure de l’amour qui le consumait ;
(22 [16]) Et bien que ma langue ne parlât pas, les conceptions cachées de mon âme révélèrent à son oreille le mystère de ce que mon âme lui avait caché,
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(23) Et son oreille devint pour ma pensée un esprit, de sorte que ma pensée se mouvait dans son oreille, ce qui lui tenait lieu de vision oculaire ;
(24 [17]) Et il donna des nouvelles de moi à ceux de la tribu, exposant mon état intérieur, car il me connaissait bien.
(25) C’était comme si les Anges de l’Enregistrement étaient descendus dans son cœur pour lui inspirer la connaissance de ce qui était écrit dans mon livre (le livre de mon expérience).
(26) Il n’aurait pas su ce que je cachais, ni quel était le secret caché dans mon sein,
(27) Mais le soulèvement du voile corporel révéla le secret qu’il lui avait caché du plus profond de mon âme.
(28) Et j’aurais été invisible à ses yeux quant à mon secret si mes gémissements provenant de la faiblesse de l’émaciation ne l’avaient divulgué,
(29 [18]) Ainsi je fus rendu visible par une maladie qui me cacha de lui : il n’y a rien d’étrange mais l’Amour le fait arriver.
(30 [19]) Une angoisse douloureuse m’envahit, sous le coup de laquelle les suggestions de mon âme – suggestions qui me trahissaient, comme des larmes – s’évanouirent dans le néant.
(31) Si la mort odieuse m’avait cherché, elle n’aurait pas su où j’étais, puisque j’étais caché en cachant mon amour pour toi (ou « par ton amour me cachant »).
(32 [20]) Entre désir et aspiration je passais, tandis que soit tu te détournais par répulsion, soit tu te montrait en présence.
(33 [21]) Et si mon cœur m’était renvoyé de ta cour, pour racheter ma mort, il ne désirerait pas le séjour de mon exil.
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(34) Ce dont je te déclare une partie n’est que le frontispice de mon état : il est au-delà de mon pouvoir d’exprimer ce qui se trouve en dessous ;
(35 [22]) Et, ne pouvant le faire, je m’abstiens de (parler de) beaucoup de choses ; elles ne seront pas racontées par ma parole, et même si je les disais, elles seraient peu nombreuses.
(36 [23]) Ma guérison s’est rapprochée de la mort ; bien plus, la passion a décrété qu’elle devait mourir, puisque le refroidissement de ma soif trouve la chaleur de ma sécheresse brûlante (toujours persistante).
(37 [24]) Et mon cœur est plus usé que les vêtements de mon endurance ; bien plus, mon individualité est liée à mon plaisir en ce qu’elle est réduite à néant.
(38 [25]) Si Dieu m’avait révélé à mes visiteurs (tel que je suis réellement), et s’ils avaient déterminé à partir de la Tablette quelle part de moi l’Amour avait permis de survivre,
(39 [26]) Leurs yeux n’auraient rien vu de moi, sauf un esprit pénétrant les vêtements d’un homme mort.
(40 [27]) Et depuis que mes traces furent effacées et que j’errai éperdu, j’eus de vaines imaginations sur mon existence, mais ma pensée ne put s’y accrocher.
(41 [28]) Et après cela, mes sentiments (d’amour) pour toi devinrent auto-subsistants [p. 204] (indépendants de mon être phénoménal) : ma preuve est le fait que mon esprit existait avant mon corps mortel.
(42) Je t’ai raconté comment je me sentais dans mon amour pour toi, non parce que l’impatience me fatiguait de mes souffrances, mais afin d’apaiser ma douleur.
(43) Il est bon de montrer de la force envers les ennemis, mais en présence de ceux qu’on aime, tout sauf la faiblesse est inconvenant.
(44) L’excellence de ma patience m’empêche de me plaindre, même si je me plaignais à mes ennemis de ce que je ressens, ils mettraient fin à ma plainte.
(45) Et le résultat de ma patience à t’aimer est louable, si j’endure les souffrances que tu m’imposes; mais si je supporte d’être séparé de toi, ce n’est pas louable.
(46 [29]) Tout malheur qui m’arrive est une faveur, dans la mesure où mon objectif est ferme contre la rupture de mes vœux ;
(47) Ainsi, pour chaque douleur dans l’amour, quand elle vient de toi, je rends grâces au lieu de me plaindre.
(48) Oui, et si les agonies de la passion me font du tort, elles sont pourtant comptées dans l’amour comme une gentillesse ;
(49 [30]) Et mon malheur, non, ma tribulation est une bénédiction quand elle est causée par toi, et mon vêtement de difficulté porté pour toi est la plus ample des félicités.
(50 [31]) Ma fidélité ancienne envers toi m’a fait considérer le pire des esclaves, qui m’ont été accordés (par toi), comme le meilleur des trésors.
(51 [32]) L’un d’eux est un diffamateur, l’autre un calomniateur : le premier m’égare [p. 205] par vaine gloire, tandis que le second dit des bêtises sur mon compte par jalousie.
(52 [33]) Je m’oppose à celui-là dans son blâme, par crainte (de Dieu), et je m’allie à celui-là dans sa méchanceté, par prudence.
(53) Et mon visage ne s’est pas détourné de ton chemin par crainte de ce que j’ai rencontré, ni par aucun mal qui m’y a frappé,
(54) Quoique, en supportant ce qui m’est arrivé à cause de toi, je n’aie aucune patience qui tende à me louer ou à louer mon amour ;
(55 [34]) Mais ta beauté, qui appelle à toi (tous les cœurs), m’a ordonné de supporter tout ce que j’ai raconté et toute la suite de mon récit jusqu’à sa plus grande longueur.
(56) C’est seulement parce que tu es apparu à mes yeux avec les qualités les plus parfaites, surpassant la beauté (mortelle) ;
(57) Et tu as fait de ma tribulation un ornement pour moi, et tu lui as donné libre cours sur moi, et venant de toi c’était la plus glorieuse des distinctions;
(58 [35]) Car lorsqu’on est pris au piège par la Beauté, il me semble que son âme (même) de la vie la plus délicieuse est (volontiers) livrée à la mort.
(59) Une âme qui pense ne rencontrer aucune souffrance dans l’amour, lorsqu’elle s’adresse à l’amour, est méprisée.
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(60) Aucun esprit qui a reçu le repos n’a jamais obtenu l’amour, et aucune âme qui désirait une vie tranquille n’a jamais obtenu la dévotion.
(61 [36]) La tranquillité ! qu’elle est loin de la vie d’un amoureux ! Le jardin d’Eden est environné de terreurs.
(62 [37]) Mon âme est noble, une âme qui ne t’oublierait pas, même si tu lui offrais, à condition de t’oublier, ce qui est au-delà de ses souhaits ;
(63) Une âme qui ne laisserait pas partir le véritable amour que je porte, même s’il était éloigné (de toi) par le mépris, l’absence, la haine et la suppression de l’espoir.
(64) Je n’ai aucun moyen de m’écarter de ma Voie en amour, et si jamais je m’en détourne, j’abandonnerai ma religion ;
(65) Et si une pensée d’affection envers quelqu’un d’autre que toi m’était venue à l’esprit sans que je m’en aperçoive, je me serais déclaré hérétique.
(66) C’est à toi de juger mon cas, fais comme tu veux, car mon sentiment envers toi a toujours été du désir et non de l’aversion.
(67) Je jure par le solide pacte d’amour entre nous, qui n’était pas allié à une quelconque imagination d’annulation – et c’est le meilleur des serments –
(68) Et par ton alliance de foi dans un lieu où je n’apparaissais pas sous une forme telle que mon âme était vêtue de l’ombre de mon argile,
(69 [38]) Et par le serment primordial qui n’a jamais été changé depuis que je
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l’a engagé, et par le lien qui a suivi, qui était trop solennel pour qu’une quelconque fragilité puisse le rompre,
(70 [39]) Et par l’élévation de ton visage radieux, dont la splendeur rendait invisibles toutes les pleines lunes,
(71 [40]) Et par l’attribut de perfection en toi, duquel la forme la plus belle et la plus gracieuse de la création a tiré son soutien,
(72) Et par la qualité de ta majesté avec laquelle mon tourment m’est agréable et mon être tué est doux ;
(73) Et par le mystère de ta beauté, par lequel toute beauté du monde est manifestée et accomplie ;
(74) Et par ta beauté qui captive l’esprit et qui m’a conduit à un amour dans lequel mon abaissement pour l’amour de ta gloire était convenable ;
(75 [41]) Et par une idée en toi au-delà de la beauté — une idée que j’ai vue à travers elle-même, trop subtile pour être appréhendée par l’œil de la perception :
(76) En vérité, tu es le désir de mon cœur, et le but de ma recherche, et le but de mon objectif, et mon élu.
(77 [42]) Je me suis dépouillé de la pudeur et de la dépréciation, m’habillant d’impudeur, me réjouissant de mon dévêtissement et de ma robe ;
(78) Et c’est mon devoir de rejeter la pudeur à cause de toi, même si mon peuple craint de m’approcher; et l’impudeur est ma loi.
(79 [43]) Et ils ne sont pas des miens, tant qu’ils trouvent à redire à mon imprudence, qu’ils me montrent de la haine et qu’ils jugent juste de m’insulter à cause de toi.
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(80 [44]) Mes compagnons dans la religion de l’amour sont ceux qui aiment ; et ils ont approuvé mon ignominie et bien pensé de ma disgrâce.
(81 [45]) Que quiconque se mette en colère, excepté toi : il n’y a pas de mal (à leur colère), quand les nobles de ma famille sont satisfaits de moi.
(82 [46]) Si les ascètes sont fascinés par quelques-unes des beautés qui sont tiennes, tout en toi est la source de ma fascination.
(83 [47]) Et je n’ai jamais été déconcerté jusqu’à ce que je choisisse l’amour de toi comme religion. Malheur à moi pour mon égarement, si ce n’était à cause de toi !
(84) Elle dit : « Tu as recherché l’amour d’un autre et tu as pris le mauvais chemin, abandonnant dans ton aveuglement la route qui mène à moi.
(85) Et l’imposture d’une âme qui nourrissait de vains désirs t’a séduit de sorte que tu as dit ce que tu as dit, en revêtant ainsi la honte du mensonge,
(86 [48]) Et tu convoitais le plus précieux des bienfaits avec une âme qui a franchi ses limites et transgressé.
(87) Comment gagneras-tu mon amour, qui est la meilleure des affections, au moyen de prétentions, qui sont la pire des qualités ?
(88 [49]) Où est Suhá pour un homme aveugle de naissance qui [p. 209] dans sa confusion a oublié ce qu’il cherche ? Non, tes vains espoirs t’ont dupé,
(89 [50]) De sorte que tu te tenais dans une position à laquelle ton rang était inférieur, sur un pied qui ne dépassait pas sa propre province,
(90) Et tu cherchais une chose vers laquelle combien ont tendu le cou et ont été décapités !
(91 [51]) Tu es venu dans des tentes dont on n’entre pas par l’arrière et dont les portes sont fermées aux coups de quelqu’un comme toi ;
(92 [52]) Et tu as déposé (comme offrande) avant ton entretien (avec moi) un simple clinquant, visant ainsi une gloire dont les fins sont difficiles à atteindre ;
(93 [53]) Et tu es venu courtiser mon pur amour avec un visage rayonnant, ne laissant pas ton honneur se perdre dans ce monde ou dans le suivant ;
(94 [54]) Mais si tu avais été avec moi comme le kasra sous le point de la lettre b, tu aurais été élevé à un rang que ton propre effort n’a pas gagné pour toi,
(95) Où tu verrais que ce que tu considérais auparavant ne mérite pas d’être considéré, et que ce que tu as pourvu n’est pas une provision suffisante.
(96 [55]) Pour ceux qui sont bien guidés, le droit chemin qui mène à moi est évident, mais tous les hommes sont aveuglés par leurs désirs.
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(97) Il est temps que je révèle (la nature de) ton amour, et qui est celui qui t’a gâché, en niant ta prétention à m’aimer.
(98 [56]) Tu as juré d’aimer, mais de t’aimer toi-même : parmi mes preuves (de cela) se trouve le fait que tu laisses subsister l’un de tes attributs.
(99 [57]) Car tu ne m’aimes pas tant que tu n’es pas passé en moi, et tu n’es pas passé tant que ma forme n’est pas vue en toi.
199:1 (1) C’est-à-dire « mon amour est né de la contemplation de la Beauté Divine, qui transcende la beauté phénoménale » (ḥusn). Cf. p. 90, note 1. ↩︎
199:2 (2) « Afin de dissimuler mon amour et de me protéger des reproches, j’ai laissé mes camarades, c’est-à-dire les adorateurs de la beauté matérielle, supposer que mon amour était du même genre que le leur. » ↩︎
199:3 (3) « Mais en fait ma vision de la Beauté Divine m’a enlevé tout désir de voir la forme dans laquelle la beauté matérielle est contenue, comme le vin dans une coupe. » Ainsi K. explique à juste titre le verset, en considérant al-ḥadaq (à proprement parler, « le noir des yeux ») comme équivalent à ḥadaqí, « mes yeux. » N., cependant, entend par al-ḥadaq « l’obscurité de l’être phénoménal » et par qadaḥí (« ma coupe ») l’Essence Divine (cf. verset 1). Selon son interprétation, le poète veut dire que, alors qu’il ne voyait auparavant que la Réalité Divine, et non les phénomènes, il avait maintenant atteint le stade supérieur de la vision des phénomènes dans leur véritable relation à cette Réalité — relation symbolisée par sa description d’eux comme le noir de l’œil Divin qui englobe tout. ↩︎
199:4 (4) « Je rends grâces aux adorateurs de l’amour vulgaire » — les « jeunes » sont les « camarades » du verset 2 — « parce que ma confusion avec eux me permet de cacher mon amour aux ignorants, bien que sa nature réelle soit bien connue des mystiques. » N. donne une explication inappropriée, à savoir : « Dans mon extase, j’ai loué les illustres théosophes qui m’ont enseigné les mystères de l’Amour Divin, qui sont cachés au vulgaire. » ↩︎
199:5 (5) L’ivresse de l’extase est associée à la démesure (basṭ); la retenue (qabḍ) est caractéristique du retour à la conscience (sobriété). ↩︎
200:6 (6) Le Prof. Nallino (op. cit. p. 68) propose de prendre baqá comme accusatif de durée, mais cela me semble inutile. Le poète compare la continuité de l’estime de soi — ḥaẓẓ = ḥaẓẓu 'l-nafs (voir Glossaire du Kitáb al-Luma‘) — au guetteur (raqíb) qui empêche l’amant d’accéder à l’aimé. ↩︎
200:7 (7) Le mystique illuminé subit un effacement (maḥw) de ses attributs humains. La restauration (ithbát) de ces attributs coïncide avec l’occultation de la lumière divine dans son cœur. ↩︎
200:8 (8) « Laisse-moi te contempler, avant que mon ravissement ne me rende un avec toi, de sorte que je ne puisse plus te contempler. » ↩︎
200:9 (9) « Si tu ne m’accordes pas la vision, au moins laisse-moi t’entendre me la refuser, comme tu l’as refusée autrefois à Moïse (Cor. 7, 139). » ↩︎
200:10 (10) « Dans la mesure où je désire la vision, qui ne peut être atteinte dans l’état d’ivresse (perte totale de la conscience de soi), j’ai besoin d’un retour à la sobriété ; cependant la sobriété apporte avec elle le repentir (tawba) – comme Moïse, en sortant de son évanouissement, s’écria : « Gloire à toi ! Je me tourne vers toi avec repentir » (Cor. 7, 140) – et un renouvellement de l’angoisse de l’amour » (décrit dans les versets suivants). La « guérison » que désire le poète n’est pas la rechute déchirante dans la conscience normale après l’extase, mais l’état de conscience et de clairvoyance anormal (techniquement connu sous le nom de « seconde sobriété » ou « seconde séparation ») qui est caractéristique de la vie unitive à son plus haut niveau. Cf. notes sur vv. 213-4. 233-5, 479. ↩︎
200:11 (11) Ce verset fait allusion au même passage du Coran : « Et lorsque Moïse vint au temps fixé et que son Seigneur lui parla, Moïse dit : « Ô Seigneur, laisse-moi voir, afin que je te voie. » Dieu répondit : « Tu ne me verras pas, mais regarde vers la montagne : si elle reste ferme à sa place, alors tu me verras. » Mais lorsque son Seigneur se révéla à la montagne, il la rasa et Moïse tomba évanoui. » ↩︎
201:13 (13) Abraham, ayant brisé les idoles de son peuple, fut jeté dans un feu ardent, qui, par l’ordre de Dieu, devint froid et ne lui fit aucun mal (Cor. 21, 52 ss.). ↩︎
201:17 (17) K. explique que le « guide » est celui qui fait des reproches à l’amant et qui essaie de l’amener à oublier sa bien-aimée. Selon N., le « guide » est « le directeur spirituel parfait ». ↩︎
201:20 (20) L’espion (muráqib) signifie apparemment ici le jugement ou la faculté d’estimation (wahm). Cf. verset 137. « Ma voie d’amour » est la traduction de síratí par K… N. le définit plus explicitement comme « mon état extérieur », c’est-à-dire les actes d’adoration et de dévotion, l’ascétisme, la piété et l’action de grâce. ↩︎
201:21 (21) Ou, en lisant waṣfan pour ma‘nan, « Je lui suis apparu seulement en vertu de mes attributs extérieurs, tels que mes actes de dévotion » (N.). ↩︎
201:22 (22) N. dit: « C’est la pratique des Nagshbandis de nos jours. Tandis qu’ils sont engagés dans une méditation silencieuse, ils conversent spirituellement et se comprennent les uns les autres bien qu’aucun mot ne soit prononcé. » ↩︎
202:24 (24) « La tribu », c’est-à-dire mes frères Ṣúfí. ↩︎
202:29 (29) « Une maladie qui me cachait de lui » : cf. verset 21. ↩︎
202:30 (30-33) Dans ces versets, le poète décrit la disparition (faná) du soi phénoménal dans l’extase de l’amour. « Comme des larmes » : cf. verset 12. ↩︎
202:32 (32) Son extase était le résultat d’états successifs de manifestation divine (tajallí) et d’occultation (tawallí). Au lieu de « présence » (ḥaḍra) N. lit « faveur » (ḥuẓwa). ↩︎
202:33 (33) Selon K., « la demeure de mon exil » signifie cette existence phénoménale par laquelle le cœur est séparé de Dieu. N., prenant li-faná’i dans le sens de ilá faná’i, paraphrase le verset comme suit: « Si mon cœur était renvoyé de la sphère de tes plus beaux Noms (les Attributs Divins) à l’état originel de non-existence dans lequel j’étais avant de manifester la lumière de ton Être réel, qui est la sphère des plus beaux Noms, il ne désirerait pas la demeure de mon exil (c’est-à-dire ma non-existence originelle). » Le poète (dit-il) décrit cet état originel comme « exil », p. 203 parce que, s’il y retournait, cela lui semblerait étrange après sa longue absence – une interprétation très forcée, je pense. ↩︎
203:35 (35) « Peu », c’est-à-dire en comparaison de l’ensemble. Une autre traduction est « ils seraient petits », c’est-à-dire moins qu’ils ne le sont en réalité, mais cela ne préserve pas l’antithèse naturelle de kathiratin et qallat. ↩︎
203:36 (36) « Ma guérison était sur le point de mourir » (K.) ou « est devenue incurable » (N.), c’est-à-dire que je ne pouvais pas être guéri, car la présence de l’aimé, qui soulage la douleur, allume aussi en moi une flamme d’amour plus ardente. ↩︎
203:37 (37) « Mon faná est si complet que non seulement je ne ressens aucun plaisir mais mon identité même (dhát) a disparu. » ↩︎
203:38 (38) Les « visiteurs » sont les amis du malade qui viennent voir comment il va. Sur la Tablette Gardée (al-Lawḥu ’l-maḥfúẓ) sont inscrits les archétypes de toutes les choses passées, présentes et futures. ↩︎
203:39 (39) « Yeux », oculi cordis. « Les vêtements d’un mort » : K. dit, « c’est-à-dire les membres de mon corps, qui sont le vêtement de mon âme morte (nafs). » Le mot pour « vêtements » (athwáb ou thiyáb) a parfois ce sens dans la poésie arabe non mystique. Ibnu ’l-Fáriḍ indique que l’Amour n’a laissé en lui que ce qui est immortel et incorruptible, à savoir, son esprit (rúḥ), qui appartient au Monde Invisible. ↩︎
203:40 (40) « Depuis mon décès (faná) ma pensée cherche en vain mon moi perdu. » ↩︎
203:41 (41) « Mon amour pour Dieu n’est pas une propriété de mon moi périssable (nafs), mais de mon esprit (rúḥ); autrement le rúḥ dépendrait du (nafs), ce qui n’est pas le cas, car il existait avant la création du corps. » Cf. la Tradition, « Dieu a créé les esprits deux mille ans avant les corps. » Selon N., le poète associe son amour à son état originel de non-existence, c’est-à-dire lorsqu’il n’existait que dans la connaissance éternelle de Dieu. Ce verset explique pourquoi l’amour continue après la disparition (faná) de l’amant. ↩︎
204:46 (46) La clause, « dans la mesure où, etc. » donne l’impression que c’est seulement pour l’amant constant que les afflictions sont des faveurs déguisées. ↩︎
204:49 (49) K. dit: « Il rejette le mot « malheur » (shaqá) et le remplace par « tribulation » (balá), parce que les souffrances de l’amour ne sont pas un malheur, mais une épreuve et une probation, qui est une marque de considération (iltifát) de la part du Bien-aimé envers l’amant et est donc l’essence même du bonheur. » ↩︎
204:50 (50) « Mon ancienne fidélité » : voir note sur le verset 69. « Le meilleur des trésors », car ils étaient les moyens prédestinés par lesquels mon amour était éprouvé. ↩︎
204:51 (51) Ce verset est lu de diverses manières. Je traduis li-‘izzatin dans le premier hémistiche et li-ghayrati dans le second. Selon K., le « diffamateur » est p. 205 le Diable, qui sous les traits d’un ami sincère cherche à attirer le pèlerin dans le chemin de la sensualité, tandis que le « calomniateur » est l’Ange, qui l’exhorte à la piété et à l’au-delà, le détournant ainsi de son amour de l’Essence Divine. Cf. le passage du Coran (2, 28), où les anges, jaloux d’Adam, le calomnient et disent à Dieu : « Veux-tu placer sur la terre (comme ton vice-gérant) quelqu’un qui y fera le mal ? » Voir aussi note sur le verset 400. ↩︎
205:52 (52) « Je résiste au diable parce que je serais séparé de Dieu, si je succombais à ses ruses ; mais pas à l’ange, car j’ai peur de lui faire connaître ma véritable aspiration. » L’ange est décrit comme « mesquin », car il attribue l’amour et la colère de Dieu à des causes secondaires, telles que l’obéissance et la désobéissance - il pense, par exemple, que le péché d’Adam fut la cause de sa colère divine - alors qu’en vérité l’amour et la colère de Dieu sont éternels et sans cause. Le poète, bien que professant être d’accord avec l’ange, garde pour lui la connaissance supérieure à laquelle seuls les mystiques peuvent atteindre, qui aiment Dieu non pas comme le Seigneur du Paradis, mais comme l’Essence de tout ce qui existe. ↩︎
205:55 (55-57) « Ta beauté m’a appelé à l’union avec toi, et puisque l’union avec toi exige un détachement complet du soi phénoménal — un résultat qui ne peut être obtenu sans beaucoup de souffrance — tu as fait en sorte que ma souffrance m’apparaisse sous la forme de ta beauté. » ↩︎
205:58 (58) « Mort », c’est-à-dire faná. ↩︎
206:61 (61) « Le jardin d’Eden, etc. » : cette phrase est empruntée à une Tradition du Prophète – « Le Paradis est entouré de choses détestées, et l’Enfer de choses désirées », c’est-à-dire que le Paradis n’est atteint qu’en passant par des expériences douloureuses. ↩︎
206:62 (62) « Une âme noble » : littéralement, « l’âme d’un homme libre ». La liberté (ḥurriyya), en tant que terme mystique, dénote l’émancipation de l’esclavage de la créature. ↩︎
206:69 (69) K. identifie « le premier engagement » avec « l’alliance de serment » mentionnée dans le verset précédent. Cela se réfère à un passage du Coran (7, 171) où il est écrit que Dieu, ayant tiré des reins d’Adam toutes les générations futures de l’humanité, leur dit : « Ne suis-je pas votre Seigneur ? » et reçut la réponse : « Oui », ce qui (selon l’interprétation Ṣúfí) scella l’alliance d’amour mutuel entre Dieu et Ses créatures. « Le lien subséquent », dans lequel ils sont entrés après que leurs âmes ont été jointes à leurs corps, est le lien de l’Islam contracté par l’intermédiaire des prophètes. N. explique de manière très déraisonnable « le serment originel » comme l’engagement pris par les vice-gérants et les compagnons de Mahomet d’accepter sa religion, et « le lien successif » comme le vœu solennel fait par Ibnu ’l-Fáriḍ à ses directeurs spirituels qu’il serait inébranlable dans la foi musulmane. ↩︎
207:70 (70) Comme la lune est cachée par sa proximité avec le soleil la dernière nuit du mois lunaire, ainsi les attributs divins sont éclipsés par la splendeur de l’Essence qui les révèle. ↩︎
207:71 (71-73) Dans ces versets, le poète décrit les trois aspects principaux, dans l’un ou l’autre desquels tous les attributs divins, à l’exception de ceux qui sont purement essentiels, peuvent être considérés: à savoir. la perfection (kamál), la majesté (jalál) et la beauté (jamál). « La forme la plus belle et la plus gracieuse » est l’Homme Parfait (al-insánu 'l-kámil), qui a été créé à l’image de Dieu. « Accompli », c’est-à-dire par l’amour que la beauté divine inspire. ↩︎
207:75 (75) « Une idée en toi au-delà de la beauté » (ḥusn), c’est-à-dire la Beauté Absolue (jamál). ↩︎
207:77 (77) K. omet ce verset, qui est certainement apocryphe (voir Nallino, op. cit. p. 56). L’ayant traduit, je l’ai laissé tel quel, car sa suppression modifierait la numérotation des versets à partir de ce point jusqu’à la fin du poème. ↩︎
207:79 (79) « Ceux qui trouvent à redire, etc. » c’est-à-dire les Ṣúfís exotériques, qui se consacrent à l’ascétisme et aux œuvres religieuses et n’aiment pas l’enthousiasme mystique. ↩︎
208:80 (80) Les commentateurs disent qu’Ibnu ’l-Fáriḍ fait ici allusion à l’école des Ṣúfís connus sous le nom de Malámatís, parce qu’ils agissaient délibérément de manière à encourir le blâme (malámat). Voir Kashf al-Maḥjúb (traduction), pp. 62-9. ↩︎
208:81 (81) Selon K., les mots « quand le noble de ma famille, etc. » sont un demi-verset composé par un autre poète et inséré par Ibnu ’l-Fáriḍ comme citation (taḍmín). ↩︎
208:82 (82) Tandis que les ascètes aiment Dieu pour Sa miséricorde et pour les bénédictions qu’Il leur accorde maintenant et dans l’avenir, les vrais mystiques L’aiment pour tous Ses attributs, puisqu’ils voient la beauté de Son essence dans toutes Ses manifestations - dans Sa colère et Sa vengeance non moins que dans Sa miséricorde et Son pardon. ↩︎
208:83 (83) La confusion (ḥayra) causée par le fait de laisser le regard errer dans différentes directions est pernicieuse, mais louable, lorsqu’elle est le résultat d’une contemplation concentrée sur la beauté du Bien-Aimé. Ce dernier est caractéristique de celui qui s’est perdu dans la contemplation divine. « Ô Seigneur, augmente mon égarement ! » était une prière célèbre de Ṣúfí. ↩︎
208:86 (86) « Le plus précieux des bienfaits », c’est-à-dire l’Amour Divin, « a franchi sa limite », parce que l’âme appétitive (nafs) n’a aucun objet au-delà de sa propre satisfaction. ↩︎
208:88 (88) Gagner l’Amour Divin par de faux prétextes est aussi impossible que d’être aveugle et de voir l’étoile Suhá, qui est si petite et obscure que seule la vue la plus perçante peut l’apercevoir. ↩︎
209:89 (89) « Sur un pied, etc. » c’est-à-dire en s’appuyant sur ton moi inférieur (nafs), qui ne transcende jamais la sphère de ses intérêts égoïstes. ↩︎
209:91 (91) Cf. Cor. 2, 185: « Ce n’est pas la justice que vous entriez dans les maisons (tentes) par l’arrière. » Les parties arrière de la Maison de l’Amour, par lesquelles personne ne peut y entrer, sont l’égoïsme et la vanité ; la porte qui laisse entrer ceux qui sont dignes d’être admis est l’abandon de soi (faná). ↩︎
209:92 (92) « Au lieu d’être prêt à sacrifier ton existence en tant qu’individu dans l’espoir de m’atteindre, tu ne m’as rien apporté d’autre que tes propres actes, paroles et sentiments. » ↩︎
209:93 (93) Le véritable amoureux n’a aucun égard pour son nom et sa renommée. Cf. la Tradition : « La pauvreté spirituelle est la noirceur du visage dans les deux mondes. » ↩︎
209:94 (94) « Comme le kasra, etc. » _c’est-à-dire n’ayant pas d’existence indépendante, mais subsistant seulement par Dieu. Kasra est la voyelle i, qui est toujours écrite sous la consonne à laquelle elle appartient. La lettre b (ب) dénote la forme de l’être phénoménal, tout comme la lettre a (ا) dénote la forme de l’Être Réel ; tandis que le point du b symbolise la contingence par opposition à l’absolu. D’où le dicton mystique : « L’existence a été manifestée au moyen du b, et l’adorateur a été distingué de l’Adoré au moyen du point. » ↩︎
209:96 (96) « La voie droite », c’est-à-dire l’altruisme (faná). ↩︎
210:98 (98) « L’un de tes attributs », car un attribut implique un sujet dans lequel il est inhérent ; et ce sujet est ton « soi » (nafs), dont l’un des attributs est le désir de jouir de la vision et de la contemplation de Dieu. N. cite le dicton d’Abú ’l-Ḥasan al-Shádhilí, « Le désir de l’union avec Dieu est l’une des choses qui séparent le plus efficacement de Dieu. » ↩︎
210:99 (99) Le véritable amour n’est rien de moins que faná, qui est ici défini comme l’apparition des attributs divins dans l’amant (K.) ou le dévoilement de Dieu dans le cœur du mystique (N.). ↩︎